Weta

Pour ceux qui ne sont pas très au fait des choses cinématographiques, un certain Peter Jackson, réalisateur de films de son état, a travaillé, lui et environ 1000 autres personnes que je ne pourrais pas citer de mémoire, sur une trilogie de films basée sur l’oeuvre de Tolkien. Comme je vous l’ai expliqué dans un billet précédent, par volonté, la quasi totalité de la production et post-production des films ont eu lieu en Nouvelle Zélande. N’allez pas croire qu’il n’y avait rien du tout côté cinématographique là bas avant. C’est juste que c’était essentiellement pour des projets de moindre ampleur, notamment Xena la Guerrière, série télévisée fantastique de série…euh… B.

Le sieur Peter Jackson a créé des studios de post-production (et de production d’ailleurs puisqu’il y a également des plateaux de tournage) à Wellington au milieu des années 80 (d’après Wikipédia). Il se trouve que depuis le Seigneur des Anneaux c’est devenu un des très grand complexe du monde par la compétence. Moi, je suis féru de cinéma et d’effets spéciaux. J’ai donc coché cela en premier dans ma liste des choses à voir à Wellington. A vrai dire, c’est même pour cela que j’y suis descendu. J’ai même envie d’aller voir à quoi ça ressemble, histoire de potentiellement y postuler pour un job.

Un matin, je part donc prendre le bus de ligne la 2, qui passe non loin de mon auberge. La veille j’ai réservé sur le site internet de Weta pour une visite guidé accompagnée du Workshop à 12h00 mais il y a également une partie publique à visiter. Mais c’est-ce quoi ce Weta, hein, vous demandez-vous ? Et bien, toujours d’après Wikipédia, c’est le plus gros insecte au monde, de la taille d’une souris et que l’on trouve uniquement en Nouvelle Zélande. Ça c’est pour votre culture générale car ce qui nous intéresse aujourd’hui c’est que c’est également le nom choisi par Peter Jackson pour ses studios. Wikipédia a une très joli anecdote à ce sujet. Si on en croit le site, c’est un insecte dont le réalisateur a en horreur. On le comprend. La taille du bestiau ! Accessoirement, WETA est également un acronyme pour Wingnut Entertainment Technical Allusions, Wingnut Films étant la société de production de film de sir Peter. Tout cela se tient. C’est quasi mystique.

Il y a d’ailleurs deux entreprises WETA : Weta Workshops et Weta Digital. La première regroupe toutes les compétences de fabrication de maquettes, costumes et armes alors que la seconde est la boite d’effets spéciaux numériques avec plein d’ordinateurs dedans et une armée d’infographistes à l’aspect pâle et mal nourris parqués dans des petits blocs de 2m sur 2m remplissant un open-space de 500 mètres carré éclairés par de grands néons clignotants. Enfin, c’est l’idée que je m’en fais. Quand je ne suis pas écoeuré par avoir passé 8h assis devant un écran d’ordinateur, j’imagine cela de façon un peu plus joyeuse et primesautière.

Je me trouve donc actuellement à l’arrêt du bus et, ça tombe bien pour la narration, voilà t’y pas qu’il arrive. Je monte à l’avant et demande un ticket, un billet, un abonnement, une carte, enfin n’importe quel système utilisé dans ces contrées, ayant maintenant perdu la conviction que le ticket de bus est toujours la norme mondiale. Le chauffeur me répond quelque chose que je ne comprends pas. La vache. Ça ne m’était plus arrivé depuis l’Inde. Il faut dire qu’il a un énorme accent indéterminé dont je ne saisi pas la matrice de décalage des voyelles et qui n’est certainement pas néo-zélandais. Il répète et je parvient au prix d’un effort conséquent de concentration (et aussi en recoupant toutes les possibilités de questions classiques lorsqu’on monte à bord d’un bus) à comprendre qu’il me demande ma destination. « Camperdown Road », lui dis-je, répétant les indications mémorisées du site web. Il me regarde bizarrement et marmonne un truc. Au final, j’arrive à payer miraculeusement la somme du et m’en vais m’asseoir.

A ce propos, je constate une nouvelle fois un comportement nouveau pour moi en ce qui concerne les chauffeurs de bus, chose que j’avais déjà constaté à Melbourne et Sydney. Ils attendent que vous soyez complètement assis avant de repartir. Moi, habitué aux chauffeurs français qui accélèrent et freinent quasiment sans considération particulière pour les passagers (je ne leur en veut pas du tout, je ferai pareil à leur place), je prend mon temps et range mon portefeuille en restant debout. J’aperçois son regard agacé et m’assois rapidement avec un sourir d’excuse. Il m’a l’air drôlement chaleureux, lui.

Le complexe cinématographique se trouve dans le quartier de Miramar, situé à l’est du centre ville sur une presqu’île après l’aéroport. Je vous ferai un topo plus complet sur Wellington dans le billet suivant mais sachez qu’en quittant le centre ville, on passe tout de suite par dessus une haute colline. De l’autre côté, la ville devient extrêmement résidentielle, quasiment uniquement couverte de maisons ou de petits bâtiments avec très peu de commerces. C’est tout à fait ce que je déteste.

Je lève la tête pour trouver un plan de la ligne avec le nom des arrêts, histoire de savoir lorsqu’il faut appuyer pour signaler sa volonté de descendre. Bizarrement, je ne trouve pas le nom de mon arrêt « Camperdown Road ». Mince, me serais-je gourré ? Je repère quand même quelques arrêts portant le nom « Miramar » pour me repérer. Arrivé à ces arrêts je me rapproche un peu du chauffeur et je lui demande s’il pourrait m’avertir lorsqu’on arrive à Camperdown Road. « Grrruuumpf », me répond-il. Je reste interloqué quelques secondes.

  • Euh, c’est un oui ou c’est un nom, lui demande-je avec le sourire.

Silence.

Et bien en voilà un bon connard ou bien il est en train de vivre une journée particulièrement difficile.

Quelques minutes plus tard, le bus s’arrête à un croisement, le chauffeur ouvre les portes et me fait signe de descendre. Je sort sans le remercier et lâche même un discret « fucking driver » alors que le bus repart. Un bien beau spécimen celui-là. Le jeune homme barbu sorti devant moi se retourne et, un peu surpris, me lance un « Pardon ? ».

  • Non, pardon, c’est le chauffeur qui était particulièrement désagréable.
  • Oui, ça arrive parfois. Vous êtes ici pour visiter les studios Weta ?
  • Oui.
  • Ah et bien suivez-moi, c’est par là.

La vie est amusante, tout de même, pleine de chaud et froid, de sucré et de salé ou de connards et de sympathiques jeunes hommes près à aider leurs prochains, le tout dans la même minute. Je marche donc à côté de lui et lui demande s’il est venu ici également pour la visite.

  • Non, non. J’y travaille.

Ah ben ça c’est dingue, super, même. Du coup je ne résiste pas à la curiosité de lui demander ce qu’il y fait. Et bien figurer vous qu’il est sculpteur là bas depuis quelques années. En voilà un bien beau métier. A part ça, il faut bien avouer que le quartier n’est pas particulièrement intéressant. DSC_8014_DxOC’est essentiellement des maisons de plein pied en bois avec jardins et quelques entrepôts, le tout désert et sans personne dans les rues. Ce n’est pas un cadre de travail qui fait particulièrement envie. C’est d’ailleurs vers l’un de ces bâtiments à l’aspect d’entrepôt qu’on se dirige et je ne tarde pas à apercevoir un grand logo « Weta Cave » au dessus d’une entrée. Moins commun, à côté se tient un immense troll.

DSC_8011_DxOMon bon samaritain me quitte alors en m’ayant indiqué l’entrée et je le remercie chaleureusement. Effectivement, deux grandes « statues » de trolls sont posées dans le petit jardinet jouxtant l’entrée. Ils sont saisissants de réalismes et même légèrement poilus par endroit. Un petit signe à côté de l’un d’eux porte l’inscription « Please, do not climb on the trolls ». Amusant.

A l’intérieur, je découvre une atmosphère de magasins de souvenirs. Quelques autres personnes déjà présentes observent les objets en vitrines. Je me dirige vers la caisse et me présente. Ça tombe bien, il est 10h30 et on me propose de me greffer à la visite guidée qui va bientôt commencer plutôt que d’attendre celle de midi. En attendant je flâne et jette un œil à l’exposition.

La Weta Cave est finalement la boutique pour geek de tout ce qui touche aux films tournés ici. On trouve énormément d’objets liés au Seigneur des Anneaux et au Hobbit comme des livres, des cartes postales, posters, peintures ou parchemins mais également des choses plus originales telles que des répliques d’épées et de cotte de mailles à des tarifs plus élevés. Si vous êtes vraiment fans (facile) mais également dotés d’une grosse valise et d’un fort pouvoir de persuasion sur les officiers de douane et de sécurité (moins facile), vous pouvez acheter une réplique à la lame effilée des épées Orcrist et Sting, la dernière étant celle utilisée par Frodo. Pour le prix, comptez environ 300$ néo-zélandais. Bien entendu, vous pouvez également vous offrir un petit anneau doré, dont je doute qu’il soit unique. En dehors de la thématique Tolkien, on peut également observer des éléments tirés des films District 9 ou Elysium, beaucoup plus dans une veine science-fiction.

Finalement, on m’appelle et je me retrouve avec cinq autres personnes guidé par un jeune homme de taille moyenne vers l’extérieur. Nous pénétrons par une petite porte dans une sorte d’antichambre couverte de dessins, plans et illustrations en rapport aux films tournés ici. Notre guide se présente, Paul, sud-africain venu ici il y a deux ans au début du tournage du Hobbit pour travailler dans le département sculpture de Weta Workshop. Voilà qui est plutôt chouette de se faire guider par un employé. Il nous fait un rapide topo des consignes à l’intérieur consistant surtout en des interdits de photographier ou filmer et de s’éloigner avec quelque chose qui s’y trouve. D’après lui, nous aurons l’occasion d’observer quelques employés au travail sur un projet en cours. Yeeessss !!

Il est plutôt doué pour ça le Paul et ça se voit rapidement. Plein d’humour pince sans rire, il nous met tout de suite à l’aise en se saisissant d’une épée de samouraï sous prétexte de se défendre contre une attaque de zombies mais accessoirement, pour s’en servir comme outil de pointage. On pénètre finalement dans le lieu dit qui ressemble à un atelier blanc couvert de dessins, statues, moules, armures et armes. Un ordinateur est allumé à côté avec un logiciel de 3D qui tourne. Ça, je connais. C’est Maya. Pas l’abeille, c’est le nom du logiciel. J’ai quasiment le même à la maison.

Il nous fait donc une rapide introduction sur le processus de création d’un accessoire, partant de la modélisation 3D sur ordinateur, de la création d’un moule, de l’ajout de détails, de la peinture, etc. C’est vraiment passionnant de voir à quel point les choses sont à la fois extrêmement minutieuses mais également sommaires, le but étant de trouver l’équilibre entre le détail nécessaire à ce que l’objet rende parfaitement à l’écran aussi bien d’un point de vue visuel que mécanique (il faut par exemple qu’une épée ou un fusil paraisse « lourd » sous peine de trahir sa nature fausse) mais sans pour autant y passer des mois et des milliers de dollars à le fabriquer. Certains objets sont fabriqués à la main et d’autres, utilisés en masse (on pense aux scène de combats massifs qui nécessitent une grande quantité d’épées), moulés ou usinés.

On poursuit la visite et on discute des armes utilisées dans le Seigneur des Anneaux. Chaque arme des héros principaux ont été réalisées en plusieurs exemplaires (l’usure, l’usure) en métal et en plastique. D’ailleurs la plupart des éléments sont réalisés en polyuréthane, facile à travailler et léger. Les armes en métal ont été forgés par l’un des derniers armuriers existant qui se trouve avoir été honoré du titre officiel de « Master Swordsman » par la reine d’Angleterre. Il faut dire qu’en dehors des armes honorifiques et l’industrie cinématographique, la demande d’épées doit être faible. Les armes en plastique ont été utilisées pour les scènes de combat car plus légères et donc moins fatigantes pour les acteurs. Le seul ayant refusé cet artifice fut Vigo Mortensen, Aragorn dans les films, afin d’être au plus juste dans son jeu. Paul lui voue depuis une vénération sans borne.

Nous poursuivons un peu plus loin en passant devant la haute stature de Sauron, dans son armure noire. Impressionnant. De nuit avec deux petites diodes dans les yeux, je part en courant. Quelques coups sur son torse nous prouvent que tout est en plastique. D’ici, c’est pourtant criant de vérité. Paul nous explique la technique utilisé pour fabriqué les multiples cottes de mailles nécessaires au tournage. Travail extrêmement fastidieux, ils ont quand même réussi à accélérer le processus en fabriquant les anneaux à la chaine dans des moules en plastique. Initialement, ils les découpaient à la main dans des sections de tubes. Ensuite, il n’y a plus que les assembler en tricotant patiemment la maille. D’après lui, un peu entrainé on peut en faire deux ou trois par jour. En y perdant la santé mentale, oui ! Pour les plans serrés, ils ont été obligé d’en faire quelques une en métal véritable. Encore une fois, pour Vigo, se serra une vraie, s’iouplait.

Dans un coin trône une maquette de deux mètres de haut de Minas Tirith, utilisée pour les plans larges. Encore une magnifique idée de décoration intérieure.

Un peu plus loin, il nous montre des masques moulés de visages et nous invite à les toucher. Chacun a été réalisé dans une substance différente représentant les différentes étapes et recherches menant au prototype final. J’avoue que c’est extrêmement perturbant de triturer le nez d’un homme dont la peau est si réaliste au touché. C’est comme s’amuser sur un cadavre. Bizarre. D’ailleurs il nous parle des différentes prothèses portées par les acteurs et notamment celles conçus pour l’acteur interprétant le grand chef des Uruk-hai, ces grands balaises aux cheveux filasses croisés dans le deuxième et troisième volet de la trilogie. Pour lui donner cet aspect incroyablement musclé et laid, l’interprète a du endurer dix heures de maquillage et de collage minutieux à chaque fois qu’il fallait tourner une scène. Je crois que ces gens sont fous.

En continuant nous apercevons une petite réplique de King Kong au réalisme frappant, hormis la taille. Paul nous apprend que tout ces poils sont du poil de yak, plantés un par un. Faut-il en avoir de la patience. En face, en se retournant, deux personnes, vivantes je précise, sont en train de travailler sur une sorte de petite estrade. Paul nous les présente et chacun s’envoie des « Hi » timides. Il s’agit de deux sculpteurs qui travaillent sur des petites marionnettes qui seront utilisées pour un petit film pour enfants. On papote avec eux pendant cinq minutes chacun posant des questions plus ou moins banales. La question de la formation nécessaire à ces métiers arrive forcément sur la table. Finalement il n’y a pas de chemin unique, seul compte son envie, son talent (mais encore une fois, c’est souvent lié) et sa créativité. Paul nous parle, par exemple, d’une collègue dyslexique, rejeté par le système éducatif mais au talent et au génie hors-norme qui a trouvé ici un métier qui l’épanouie.

Sur ce, notre guide clôt la visite et nous raccompagne à l’accueil alors que nous le remercions. Voilà une visite vraiment passionnante et amusante, même si beaucoup de choses ne m’était pas inconnues. Par contre, je ne suis pas certain que l’on ai vraiment visité le Workshop, juste un petit espace réservé pour les visites avec quelques employés désignés pour aller l’animer. On ne peut pas tout avoir et si plus d’entreprises faisaient la même chose et aussi bien, se serait peut-être pas mal. J’imagine déjà la visite guidé d’une usine de cassoulet en boite. Non. En fait, je crois que je vais vomir. Certaines choses doivent rester dans l’ombre.

Après avoir acheté une petite carte postale en cotte de maille, je claque la bise aux trolls qui ont été bien gentils et patients, et repart à pied vers le centre ville. Tiens, j’aurais du m’offrir une épée pour me faire respecter des chauffeurs de bus.

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