Au cours de ce voyage il me vient parfois des éclairs de lucidité. En un court instant je crois entrapercevoir des vérités universelles et intemporelles. En voilà une par exemple qui m’est venu alors que je sirotai une bière assis sur une petite chaise en bois devant une mini table de la même matière, comme il se doit au Vietnam, et tout ceci dans la bonne ville de Hué. L’histoire retiendra que je consommais une Huda, la bière locale. Pour les fans de bière je précise que c’est une bière légère et blonde sans goût particulièrement prononcé mais, servie fraîche, elle fait son office.
J’adore me mettre en terrasse et, l’alibi de la bière en main (ou toute autre boisson d’ailleurs), pouvoir observer en toute impunité mes congénères passer devant moi et vaquer à leurs occupations. On a l’impression de regarder un gigantesque soap ou un roman chorale aux multiples protagonistes dont on ne saisit pas, la plupart du temps, les intentions et les motivations. Je ne sais pas si c’est ce côté « rien faire en regardant les autres bosser » ou bien le recul que l’on prend lorsqu’on fixe son regard quelques instants sur une petite portion de notre monde et y constater tout ce qui s’y passe, mais en tout cas, je pourrais y passer des heures. Un peu comme pour remplir ce paragraphe.
Et bien figurez-vous qu’à cet instant là, j’ai constaté que l’état dans lequel je suis dans cette situation est similaire à celui du touriste en pays étranger. Ça paraît un peu capillotracté. Je vais donc développer et parler de mon expérience personnelle. Lorsque je suis dans un pays autre que mon cher pays natal, douce France, coûteux pays de mon enfance, j’ai énormément de recul sur tout ce que je vois et notamment sur le comportement des autres. Je me mets tout naturellement dans la position du spectateur, de l’observateur neutre, sans jugement de valeur aucun (en tout cas pas dans l’immédiat). Je me coupe de toute source d’information pouvant me perturber (par exemple, en arrêtant de suivre l’actualité) et je me concentre sur le moment présent (sauf s’il faut organiser la suite du voyage, bien entendu). Et bien entendu, j’active ma zone cérébrale de la curiosité.
Tout ceci est à peu près l’état dans lequel je suis lorsque je suis attablé en terrasse à un café, un verre de bière à la main, plus particulièrement après une ou deux gorgées. De là à dire que je ferai des économies si je passais trois mois attablé place Saint Georges à siroter des cervoises à longueur de journée plutôt que d’accroître l’effet de serre en faisant un tour du monde, je ne franchirai pas ce cap.
La quintessence de ce plaisir de voyeur attablé consiste justement à mélanger les deux : boire une bière en terrasse dans un pays étranger. Là, par exemple, présentement à Hué, j’ai pu assister à une petite scène charmante et étonnamment universelle : dans la rue, une mère en chemise de nuit essayant d’enfourner les dernières cuillerées de riz du repas dans la bouche de sa fille de 9 ans alors que cette dernière a déjà l’esprit ailleurs, occupé par ses tentatives de garder son équilibre en marchant sur une ligne de funambule imaginaire qui suivrait les craquelures du trottoir. Faites pas semblant, on l’a tous fait quand on était enfant.