Vivre à NYC

Christine V. est d’origine porto-ricaine. A New York, c’est plutôt commun. Née ici, élevée ici, étudiée ici, travaillant ici. C’est une pure New Yorkaise. Exactement, comme Woody Allen, Martin Scorcese, Robert de Niro ou encore dix millions d’autres habitants de la grosse pomme.

DSC_9198_DxOElle loue un petit F2 de 30m2 dans un immeuble à loyer modéré sur la 100ème rue est, quasiment au coin de Lexington avenue (si vous avez lu le précédent billet vous devriez avoir poussé un petit «je vois» doublé d’un léger hochement de tête). Par loyer modéré, j’entend un loyer autour de 1000$ par mois ce qui, à l’échelle de l’immobilier local, est honteusement bon marché. Et oui, aux Etats-Unis, pays de l’ultra-libéralisme pour beaucoup de gens, il y a également des logements « sociaux ». D’ailleurs, à NYC (afin de m’éviter de pénibles hésitations, à savoir s’il faut écrire New-York avec ou sans tiret, je vais dorénavant utiliser cette pratique petite abréviation), ils portent le doux nom de « projects ». Habiter dans un « project » c’est signe de pauvreté ou de déclassement social. C’est en tout point synonyme de HLM en France.

Christine n’habite pas dans un « project » mais le loyer de son appartement est néanmoins contrôlé. Trois immeubles de « projects » occupent un terrain un bloc plus bas (vous aurez tout de suite compris que par « plus bas », il s’entend plus proche du downtown, donc, au sud) et le quartier est populaire. Pour rappel, un bloc est le rectangle de terrain délimité par deux rues et deux avenues. En face de son immeuble se trouve un dépôt de bus de la MTA, à droite, au bout de la rue un bloc plus loin se trouve en hauteur la ligne de chemin de fer remontant au nord. La voie matérialise une frontière physique, hormis pour quelques passages, avec l’Upper East Side, beaucoup plus classe. Ici, le cœur et la vie du quartier sont le long de Lexington Avenue. Au delà de la 110ème, au nord, comme le veut la chanson de Bobby Womack, c’est Harlem notamment de ce côté-ci, East Harlem, plutôt hispanique.

Dans les années 2000, NYC c’est pacifiée, certain diront de force, sous la coupelle du maire Rudolph Giulianni. Harlem et le Bronx ont vu leur taux de criminalité ramené à un niveau normal. Maintenant, tout est paisible et si une grande partie de la population défavorisée y réside encore, la lente gentrification remonte doucement vers le nord.

DSC_9139_DxOChristine habite au sud de la 110ème. Le quartier, sympathique, mélange blacks, blancs et latinos, tout ce monde oscillant entre très modestes employés et bobo à poussettes. Des cafés, bars, superettes, laveries automatiques et autres petits commerces procurent l’indispensable le long de l’avenue, le tout noyé dans l’incessant bruit de fond de la ville, véritable signature sonore de NYC : hululement de sirènes de police ou d’ambulances, klaxons, bruits de trafic et de climatisation.

Christine habite au cinquième étage de son immeuble. La porte de son appartement, comme la dizaine d’autres de son étage, donne au fond d’un couloir blanc jauni miteux dénué de toute humanité. Comme souvent constaté aux US, la qualité de fabrication n’est vraiment pas au top mais vu que c’est un immeuble à loyer modéré, tout ceci n’est pas surprenant. Simple vitrage, climatisation hors d’âge peinant à repousser la chaleur poisseuse de cet été indien et murs fins attestent de la qualité de l’ouvrage. Le bruit de fond est permanent quand ce n’est pas la voisine hyper-expansive qui se met à hurler « Tooooouuuuchdowwn, yeaaaah ! » en plein après-midi comme si elle était assise dans la même pièce que vous. Vu son accent et son coffre, j’imagine sans peine une grosse black assise devant un match de football américain. A travers le conduit central d’aération parviennent également quelques éclats de voix espagnols.

L’immeuble de Christine est froid et sans âme, les parties communes anonymes et décrépies. On y rentre par une rampe, l’entrée étant légèrement en sous-sol. Les gens croisés sourient peu. Heureusement, son appartement est un peu plus joyeux, mais modeste. De toute façon, ici, il faut aimer la promiscuité et le quartier n’est pas désagréable. D’ailleurs, le quartier est marron. A vrai dire, quasiment tout NYC est marron, tirant vers le rouge, encore plus les quartiers populaires où les « projects » sont construits avec ces grosses briques marrons que l’on retrouve quasiment partout.

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Malgré ces conditions de vies modestes, comme beaucoup de new-yorkais, Christine s’accroche et rêve de réussir. Ici, d’après elle, les gens s’épuisent à tenter de percer jusqu’à ce que, las, ils abandonnent leur ambition et quittent la ville pour trouver quelque chose de plus modeste dans un environnement plus accessible financièrement. « If I can make it their, I’ll make it anywhere », chante Lisa Minelli. Christine a essayé de percer dans la mode mais ça n’a pas beaucoup fonctionné. Elle est à deux doigts de lâcher l’affaire et entre temps elle vie de deux boulots à temps partiels dans l’organisation d’évènements. Elle ne veut pas quitter son appartement car il sera impossible de trouver moins cher. Et puis elle aime bien son quartier, pas trop loin de sa grand-mère porto-ricaine qui l’héberge pendant qu’elle me loue son appartement, autre moyen pas trop officiel pour faire rentrer de l’argent. Surtout, New-York, on y devient vite accroc, sensation d’être au cœur du monde, même si, faute de moyens, on n’en profite pas tant que ça.

Tout ceci étant dit, je m’en vais aller faire ma lessive au laundromat sur Lexington. Ta ta tadadaaa, ta ta tadadaaa, pom pom pom.

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