Une nuit infiniment droite

Avertissement préalable pour les personnes malentendantes ou dénuées de hauts-parleurs: ce billet est sonore. Ne vous inquiétez donc pas si une musique parvient jusqu’à votre cortex cérébral.

Pour rejoindre Alice Springs, au centre du Red Center, l’immensité rouge au cœur de l’Australie, je suis dans un bus de la compagnie Greyhound. Je suis parti de Darwin en début d’après midi et l’arrivée est prévu au matin. Seules deux autres destinations sont desservies, Katherine et Tenant Creek, deux villes au parfum de far west. Heureusement, régulièrement nous faisons des pauses dans des relais, souvent attenant aux bâtiments d’immenses cattle ranches.

Mes compagnons de voyage sont rares, une grosse poignée. Quelques blancs mais surtout des aborigènes trimbalant leurs affaires dans une armée de grands cabas de supermarché. Tout le monde se met à distance les uns des autres, peut être pour reproduire la distance du pays à l’intérieur de la cabine. Le chauffeur, un vieux monsieur de soixante ans, nous annonce les arrêts d’une voix douce. Tout est feutré.

Le paysage défile. Le bush.

Encore du bush.

Je dort.

Toujours du bush.

Je lit.

Du bush mais d’une couleur légèrement différente.

C’est fou ce que ce pays est monotone. Ces chauffeurs sont des surhommes ou sont défoncés aux amphétamines pour pouvoir tenir des heures sur ces longues lignes droites de décor répétitif. Progressivement le ciel décline, puis se retire dans un fondu de dégradés tous aussi pures et magnifiques les uns que les autres. La magnificence du ciel compense la phénoménale insipidité du paysage. Comment ne pas éviter de développer une spiritualité dans ce genre d’endroit où le seul espace changeant est au delà ?

Du bush.

Il fait nuit et un vague défilement flou de bush témoigne encore de notre mouvement. Le ciel étoilé est extraordinaire de pureté mais les timides éclairages de l’intérieur du bus se reflétant sur les vitres suffisent à nous en isoler. Toujours des lignes droites. Des images de « Lost Highway » de David Lynch me viennent à l’esprit alors que je vous écrit. Bande son :

De nuit, cette route, infini quasi-parfait de rectitude, est le territoire des uniques road trains et quelques fous sous stimulants. Les stations services deviennent surréalistes, uniques puits de lumière et de modernité dans une étendue millénaire sous immensité cosmique, de minuscules relais le long de cette mince ligne de perfusion entre Darwin et la civilisation.

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Sens engourdis. Je rêve.

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