Le lendemain matin, je me réveille de bonne heure après une nuit moins poisseuse (j’ai trouvé comment allumer le ventilateur au dessus de moi) dans le dortoir sur le matelas supérieur d’un lit jumeau. Aujourd’hui je vais participer à une visite guidée en vélo autour du Farm Stay. Départ à 9h. Surprise, je découvre que mon guide est encore une fois Hannah. Cool, au moins les présentations sont faites. Encore plus sympathique, le groupe est beaucoup plus réduit puisque nous sommes que six, hors Hannah, mais que des gars. Ça va frimer sec dans les côtes. Le soleil brille dans un ciel sans nuages. Ça promet d’être une journée chaude.
Nous récupérons chacun un VTC et j’engage déjà la conversation avec un grand brun d’une petite vingtaine d’années tout en longueur à la chevelure très new wave. Il a l’air de voyager avec son copain, un jeune blond à la peau clair. Très intrigué par ses deux poignets tenus par des armatures rigides, je lui demande comment il s’est fait ça. Avec un grand sourire, il me réponds qu’il s’est brisé les poignets en faisant le funambule sur une corde raide. Et à son accent, c’est un anglais. Ma curiosité encore plus attisé par cette histoire de funambulisme, nous partons derrière Hannah en continuant notre conversation. C’est ça qui est bien avec les ballades à vélo, on peut papoter en petits groupes isolés. Les trois autres participants forment un trio, habillés décontractés en débardeur, short et tongues / schlappe / slache / gougoune / claquettes. Moi je rigole pas, j’ai mis mes chaussures fermées.
Notre parcours commence sur le chemin de terre déjà emprunté lors de ma ballade à pied où l’on repasse sur les lieux de mon vol de bouteille d’eau. Rapidement, alors que nous traversons le village, les enfants nous lancent des « hellos » enthousiastes et chacun y va de sa réponse également enthousiaste. Les gars du trio décontracté vont même jusqu’à claquer les mains tendues des enfants en passant. On a l’impression d’effectuer notre tournée d’adieu.
Hannah nous précise que la région est encore relativement pauvre et qu’il faut éviter de donner quoi que ce soit aux enfants, et surtout pas de l’argent, pour ne pas encourager la mendicité. Ah, tiens donc ? Et puis d’abord moi c’était pas donner pour donner. Ils m’ont voler. Nous pédalons à un rythme de ballade en essayant d’éviter les poules et leurs nids, biens secoués par l’état du chemin. Nous atteignons la rivière et posons pied à terre en attendant une barge qui nous fera traverser. Hannah nous précise qu’il y a possibilité de traverser à la nage. Tout le monde décline sauf le jeune blond qui tente l’aventure. Nous nous serrons donc avec les vélos dans l’embarcation pendant qu’il commence à nager à côté. En deux minutes nous arrivons sur l’autre rive et il ressort un peu plus tard dégoulinant mais ravi. C’est vrai qu’il fait déjà bien chaud.
Après une petite côte bien raide où le grand brun peine un peu avec ces deux poignets dans le plâtre, nous redescendons tranquillement en roue libre et, plus loin, Hannah sonne le premier arrêt boissons fraîches. Dans un petit village, nous garons nos vélos sur un tas de sable à côté d’une petite échoppe improvisée dans une maison en construction. Le Farm Stay s’arrange pour faire des arrêts dans les petits commerces alentours pour faire profiter les gens de la région, surtout des paysans, des retombées touristiques. En échange, les prix sont fixés à l’avance pour éviter qu’ils nous tondent. Pendant cette pause, je fais remarquer à Hannah que je trouve les quelques campagnes Vietnamiennes que j’ai vu, et notamment celle-ci, assez dynamiques et semble-t’il en développement car on y voit beaucoup de maisons en construction. Le contraste avec les régions rurales de l’Inde est frappant. Elle acquiesce (et nous apprenons qu’elle a passé quelques mois au Rajasthan dans une ONG aidant les femmes) en nous expliquant qu’au Vietnam, les enfants partis travailler dans les grandes villes renvoient de l’argent au village. C’est donc avec cet argent que les familles construisent de nouvelles maisons modernes, en remplacement des maisons traditionnelles en bois.
Moi quand j’ai une guide sous la main, je la harcèle de questions. J’enchaîne donc en lui demandant ce que ce sont ces grosses excroissances jaunes / vertes, grosses comme un ballon de foot que l’on voit parfois sur certains arbres le long de la route. Relativement difformes elles ont une surface granuleuse presque hérissée de piquants. Elle réfléchi un peu, ma description étant un peu sommaire, et finalement elle s’exclame : « Aah, ce sont des jack fruits ». Manifestement ce sont des lointains cousins du durian, le fruit qui pue et qui s’arrache à prix d’or dans toute l’Asie. Leur odeur est nettement moins forte et leur goût agréable. On en trouve partout au Vietnam. Me voilà moins bête (je pensais que c’était une sorte de parasite tellement le fruit est laid) même si je n’en ai pas encore goutté.
Nous repartons à vélo et recroissons de nouveau des enfants qui nous font la fête. Arrivé à hauteur d’une vieille maison traditionnelle en bois, Hannah nous propose de la prendre en photo. Je m’exécute mais un des trois larrons, tellement euphoriques après tous ces « hellos » et ces claquements de mains (on est tous en mode bisounours, je vous dis) rentre à vélo dans le jardin prêt à faire un câlin à toute personne se présentant. Notre guide le rappel en catastrophe pour éviter l’incident diplomatique et il revient tout confus vers nous. Je le comprends aussi, ils n’ont qu’à pas être aussi sympas.
En longeant des champs je remarque déjà les petits enclos entraperçus lors de ma ballade à pied. Hannah nous explique qu’il s’agit de petits cimetières qui peuvent être aussi bien catholiques que bouddhistes. Pour gagner de la place, car priorité est donné aux surfaces agricoles, on déterre les morts au bout d’un certain temps et on incinère leurs restes. Les cendres sont ensuite placées dans des urnes et remis au cimetière. Je dis ça de mémoire. Ça se trouve on en fait du savon de leurs cendres et j’étais distrait par autre chose à se moment là de son explication. A ce propos, les deux communautés, catholiques et bouddhistes, co-existent, chacun d’un côté de la rivière, d’où la présence d’églises de ce côté-ci. Les catholiques sont d’ailleurs souvent plus pauvres car issu de l’exode massif de Vietnamiens du nord, majoritairement catholique du fait de l’influence française, après la victoire (ou défaite suivant votre camps) à Dien Bien Phu, fuyant le communisme.
Notre chemin rejoint une route, l’autoroute Ho Chi Minh qui parcourt le Vietnam de Hanoi à Saigon (à ne pas confondre avec la piste Ho Chi Minh qui n’a strictement rien à voir) et nous prenons à gauche pour emprunter le pont principal enjambant la rivière. Sur l’autre rive commence la petite ville de Son Trach qui est en quelques
sorte le chef lieu de la région. Hannah nous raconte d’ailleurs une petite anecdote au sujet de cette ville et de l’autoroute Ho Chi Minh, A l’origine Son Trach était un tout petit bourg beaucoup plus en amont de son emplacement actuel. Au moment du projet de construction de l’autoroute Ho Chi Minh, les habitants se sont renseignés sur le tracé et ont déplacés leur maison pour se mettre pile poil sur son chemin, espérant sans doute voir la route passer au milieu. Les responsables de la construction, ayant l’impression d’être pris pour des nigauds ont tout simplement modifiés le tracé au dernier moment pour éviter le nouveau village. A malin, malin et demi.
Nous nous arrêtons à un petit musée consacré à la guerre Américaine, non loin du fameux pic solitaire abritant la batterie anti-aérienne dont je vous ai précédemment raconté l’histoire. Y sont exposés des photos d’époque (avec beaucoup de gens souriants, étrangement) ainsi que des vestiges tels des AK-47, des fragments de bombes et des grenades. C’est l’occasion pour Hannah de nous rappeler les dégâts qu’on fait les bombes à sous munitions et les mines dans les campagnes vietnamiennes. C’est en grande parti la raison de l’extrême pauvreté des campagnes jusqu’à encore quelques années. Les champs étaient tellement truffés de munitions non explosées que les paysans ne pouvait pas les cultiver. Il a fallu l’intervention d’ONG et de démineurs pour assainir toutes ces zones avant qu’une quelconque activité agricole puisse redémarrer. Encore aujourd’hui, certaines zones en dehors des chemins sont déconseillés à la randonnée car encore potentiellement parsemées de ces munitions non explosées. Les victimes de ces munitions sont d’ailleurs très souvent des enfants. Les plus terribles sont des munitions giratoires qui explosent après un certain nombre de rotations. Elles ressemblent à des boules de pétanque et certaines n’ayant pas effectué le nombre requis au moment de leur impact au sol sont encore actives. Il suffit alors qu’un enfant ramasse cette jolie petite boule métallique, la lance à son copain et ainsi de suite pour que le jeu de la patate chaude se termine dans un tragique « boum ».
C’est sur ces histoires peu réjouissantes que nous reprenons notre pédalage sous un soleil de plomb pour rejoindre un petit restaurant à Son Trach pour le déjeuner. Avec seulement sept personnes la conversation s’engage naturellement et comme tout le monde est plutôt curieux et ouvert, le repas est très agréable. Je découvre donc les trois derniers comparses qui s’avèrent être des canadiens anglophones de Montréal. On parle donc du Québec, du français et de toutes ces sortes de choses.
Chacun fini ses bières (oui, c’est folie pour le pédalage) et cette fois-ci nous laissons les vélos à Son Trach. Notre prochaine destination est la grotte de Phong Nha et pour cela, nous allons emprunter un bateau. On se retrouve donc tous dans un étroit bateau couvert en bois où je me fracasse le crâne contre une poutre basse avant que mon pied fasse basculer une des planches du plancher. C’est complètement traître ces embarcations. Nous remontons tranquillement la rivière en direction du parc national. Après une bonne demi-heure paisible pendant laquelle Hannah nous refait un résumé plus complet de la guerre Américaine (Jim Morrisson est cité d’ailleurs et je vous laisse trouver pourquoi), nous apercevons l’ouverture de la fameuse grotte.
Doucement nous pénétrons à l’intérieur et l’acoustique deviens étrange. Le moteur est coupé et nous progressons dorénavant à la rame. La sensation est différente de Paradise Cave car ici ce n’est pas un question de gigantisme mais de longueur. Nous accostons finalement sur une plage et Hannah, en plus des formations classiques, nous montre des graffiti sur un mur. Sans indications il m’aurait été difficile d’en déceler la nature car il s’agit d’inscriptions datant de la civilisation Champa. Des traces de cette civilisation d’influence moghol venu d’Inde persistent à travers le Vietnam, notamment des temples aux allures de temples Hindous. Je n’en dirait pas plus de crainte de dire une très grosse bêtise. C’est déjà sans doute le cas.
Nous remontons la grotte vers la sortie à pied puis une fois dehors effectuons une nouvelle pause. Hannah nous propose de goûter au fameux « Jack Fruit » en achetant un sachet de fruit à une vendeuse ambulante. Le fruit est en fait composé à l’intérieur d’une multitudes de « grains » jaunes semblables à de très gros grains de maïs avec un gros noyau à l’intérieur. On mange donc la chair de ces grains, un peu dure, qui a un goût subtile de banane et de grenadine. Pas désagréable à vrai dire. C’est donc on s’enfilant des grains que nous remontons dans le bateau pour repartir récupérer nos vélos à Son Trach. Au passage je refait basculer la même planche du plancher. Quand je pense qu’il suffirait d’un clou bien enfoncé pour régler le problème. Pendant la redescente de la rivière, Hannah reprend son histoire de la guerre Américaine.
Notre dernière étape nous conduit à un petit café. La particularité du lieu est qu’il est tenu par un vieux monsieur célèbre dans la région car c’est lui qui a découvert l’entrée de Paradise Cave, complètement par hasard, en se mettant à l’abri d’une crue sur les hauteurs. Il est d’ailleurs réputé pour arpenter les terrains difficiles du parc national et pour découvrir de nombreuses grottes à l’aide d’amis géologues et spéléologues anglais, présents ici depuis vingt ans. C’est d’ailleurs en compagnie d’un ami anglais résidant maintenant également à Son Trach qu’il a fait sa plus grande découverte. En 2009 les deux ont trouvé une nouvelle grotte d’une taille incroyable. En poursuivant le long de cette grotte ils trouvèrent ce qu’ils pensaient être une sortie de l’autre côté en pénétrant de nouveau dans la jungle. Après quelques minutes de marche ils se rendirent compte qu’ils étaient en fait toujours dans la grotte et que le plafond effondré à cet endroit, laissant passer la lumière du jour, permettait à la jungle de pousser mais selon un micro climat et un environnement propre. La grotte est toujours inaccessible au public mais de menus travaux d’aménagement lui permettra d’être « ouverte » mais selon un mode très sélectif car une visite sera proposé au tarif exorbitant de plus de 1000$ US mais pour un trek de plusieurs jours dans un lieu exceptionnel. La grande salle principale de la grotte est d’une taille unique, sans doute la plus grande du monde car capable paraît-il d’accueillir la statue de la Liberté ou de laisser deux hélicoptères voler dedans sans encombre. Vous pouvez donc commencer à économiser.
Pour ce qui est de ce vieux monsieur, nous n’avons malheureusement pas pu le rencontrer. D’après Hannah, il est allé se cacher quelque part lorsqu’il nous a vu arriver. C’est ça les héros, des êtres humbles et solitaires.
Il ne nous reste alors plus qu’à revenir tranquillement au Farm Stay pour une bonne demi-heure de pédalage sous le soleil de fin d’après midi, uniquement troublé par un léger ennui mécanique. Un des canadiens vient de perdre une de ses pédales. Au sens littéral, bien entendu. En tout cas une bien belle journée en agréable compagnie s’achève.