Le lendemain matin, je me réveille de bonne heure après une nuit poisseuse dans le dortoir sur le matelas supérieur d’un lit jumeau. Aujourd’hui je vais participer à une visite guidée en mini-bus du parc national. Départ à 8h du Farm Stay. Vu le nombre de participants, nous sommes scindés en deux groupes (et donc deux mini-bus). Nous avons deux guides, Annah, une américaine, et Vo, un vitenamien, tout les deux relativement jeunes (je dirais moins de trente ans à vue de cernes). Coup de bol, j’hérite du bus d’Annah.
Nous partons donc joyeusement en direction des montagnes pendant qu’Annah nous pose le décor. Je vais essayer de vous résumer tout cela sans trop déformer ses propos. Vous allez voir, vous vous sentirez moins bête après. Enfin, moi en tout cas, j’ai appris plein de choses.
Comme je vous l’ai dit dans le billet précédent, le parc national de Phong Nha Ke Bang est réputé au Vietnam pour ses grottes magnifiques. Quand je dis magnifiques, au pluriel, c’est que cette région montagneuse fait partie d’une vaste chaîne de reliefs karstiques partant du sud du Vietnam et remontant jusqu’au sud de la Chine, dont fait notamment partie la baie d’Ha Long. Qui dit karstique, dit calcium et qui murmure calcium, hurle «GROOOOTTTES». Comme cette chaîne est extrêmement ancienne, les grottes ont eu largement le temps de se former. C’est aussi simple que ça. Si vous souhaitez des d’informations un tantinet plus scientifiques, ce n’est pas vers moi qu’il faut vous tourner. Je n’ai, par exemple, aucune idée de ce que peut bien être du « karste » pour qu’on le distingue du vulgaire calcaire, hormis que cela forme de très joli reliefs et que tout le monde devrait en avoir chez soi pour se payer le luxe d’une petite baie d’Ha Long dans son jardin. La voilà la belle idée de décoration, tiens. C’est moi qui voyage et c’est vous qui allez en profiter, bande de veinards.
Donc, dans ce parc national, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, excusez du peu (oui, comme Hampi et le Vieux Lyon. Je visite le gratin, moi), deux grottes sont accessibles au public bien qu’il y en ai de nombreuses autres mais uniquement ouvertes à quelques scientifiques triés sur le volet (et ça doit faire mal d’être trié là dessus). La première découverte, la grotte Phong Nha est accessible par bateau. La deuxième, astucieusement nommée « Paradise Cave » pour appâter le touriste, l’est à pied. Au cours de ce tour, il est prévu de visiter la deuxième et il me tarde de voir ça. La dame à la réception du Farm Stay m’a presque engueulé quand elle a cru que je ne comptais pas y aller. Ce qui était complètement mensonger. C’est juste qu’elle n’avait rien compris à mon planning.
Hormis ces superbes reliefs 100% pur karst troués comme du gruyère, le parc national a comme deuxième intérêt d’avoir été une zone stratégique lors de la guerre du Vietnam, habilement nommée guerre Américaine par les Vietnamiens, vu qu’ils en ont eu trois, eux, de guerre du Vietnam : une première contre les français, une deuxième contre les américains puis une troisième pour le plaisir contre les chinois. Cette zone du parc national servi de passage vers le Laos pour approvisionner les rebelles communistes du sud avant que l’armée du nord ne s’y mette. Vers la fin de la guerre, l’aviation américaine étendit sa zone de bombardement au Laos, toujours pour tenter d’écraser toutes tentatives de soutien, ce qui fait de ce pays celui qui reçu le plus de tonnage de bombe au monde toutes guerres confondues. Pas sur qu’ils soient heureux d’être les premiers sur ce coup. A propos, il serait d’ailleurs bon que je vous fasse un petit résumer d’histoire un de ces quatre. Vous serez gentils de m’y faire penser.
Il y a donc un certains nombres de sites d’importance se reportant à cette « route 12 » qui avec d’autres routes plus ou moins secrètes formèrent la fameuse « piste Ho Chi Minh ». L’aviation US s’est employée pendant toute la guerre a copieusement bombarder cette zone en tentant désespérément de tarir le flot d’approvisionnement vers le sud, sans succès. Comme il y a très peu de routes dans le parc, elles suivent quasiment toutes le tracé de cette ancienne route d’approvisionnement. Les premiers kilomètres dans le parc sont d’ailleurs l’occasion pour Annah de nous livrer quelques anecdotes hyper-croustillantes de la guerre Américaine (il faut vous y faire) à l’échelle humaine. Je vous en livre une car c’est la plus jolie et qu’en plus, chanceux que vous êtes, je m’en suis souvenu, fait assez rare pour le souligner.
A l’entrée du parc, qui correspond au début des reliefs, se trouve un pic rocheux (et karstique, bien entendu) légèrement solitaire. Les viet congs (les méchants communistes si vous êtes pro-américains ou les gentils libérateurs si vous êtes pro-vietnamiens. Pour les plus subtiles d’entre vous, juste un protagoniste de la guerre) y placèrent une batterie anti-aérienne (et non pas antivénérienne comme me le suggère mon correcteur orthographique) pour essayer d’abattre quelques avions de passage, qui je le rappel, passaient par ici quotidiennement. Malheureusement, une fois repérées (c’est à dire dés leur premier tirs), la plupart des batteries anti-aériennes isolées comme celles-ci avaient tendance à se faire dézinguer rapidement par quelques missiles envoyés subtilement par des F-4 envoyés en nettoyage. La durée de vie d’un opérateur de ces mitrailleuses au sol était donc relativement courte. Au mieux, on pouvait espérer une médaille à titre posthume si on avait eu la chance d’égratigner un bombardier au passage.
L’opérateur assigné à la batterie de ce pic solitaire à l’entrée du parc, lui, était moins con. Ou moins patriote. Voir les deux à la fois. Pour sauver sa peau, il avait pris pour habitude de rater méthodiquement tout les avions passant à proximité dans des proportions finement en équilibre entre ce qu’il faut pour ne pas se faire réprimander par ses supérieurs et ce qu’il faut pour ne pas effaroucher les pilotes US. Un véritable casse-tête. Fort heureusement, les pilotes américains ont vite constaté que cette batterie anti-aérienne ci était inoffensive car tirant dans la direction opposée de manière particulièrement ostentatoire. Ils ont donc pris pour habitude de saluer l’opérateur d’un subtile mouvement d’ailes à leur passage au-dessus. Pour l’histoire, l’opérateur de la batterie a survécu à la guerre ce qui est justice et récompense l’intelligence sur l’entêtement.
Annah nous gratifie ensuite d’un résumé de la guerre Américaine et notamment de son déclenchement. Je vous avoue que j’ai trouvé ça assez amusant qu’une jeune américaine vienne nous faire un résumé de la guerre du Vietnam au Vietnam. Sans rentrer dans les détails, car ce sera le sujet d’un autre billet, sachez qu’elle m’a encore plus surpris quand à la version nettement anti-américaine qu’elle nous a servie. En même temps, de nous jour, y compris monsieur MacNamarra qui a fait son méa culpa, je croit que plus aucun américain ne pense que c’était une bonne chose pour les États Unis.
Autre anecdote offerte par notre guide en rapport à la guerre, mais toujours dans la catégorie « logistique et approvisionnement » : les premières victimes de la guerre furent les éléphants. Et oui. Qui l’eu cru. Ils furent exterminés non pas car ils faisaient d’excellents agents d’infiltrations une fois grimés en éléphants d’Afrique, mais tout simplement car ils étaient particulièrement efficaces pour transporter des charges lourdes à travers la jungle. L’aviation US (encore elle) reçu donc l’ordre d’attaquer à vue tout pachyderme, à la mitrailleuse ou à aux bombes, le choix étant laissé au pilote. Si c’est pas beau l’humanité, hein ? Et ça, ils z’y disent pas dans Platoon ou Full Metal Jacket !
C’est donc charmées par ces divers anecdotes plus ou moins morbides que nous arrivons à un premier arrêt en plein milieu de montagnes escarpées recouvertes d’une dense jungle. Annah et Vo nous montre une falaise en face avec des traces d’impacts de bombes et de missiles. Pour couper l’approvisionnement, les américains essayait de détacher des pans entiers de falaises pour bloquer la route. Tout en finesse. Un travail de ballerines.
Nous repartons joyeusement et Annah poursuit ses explications. Figurez-vous que la construction de cette route numéro 12 fut un véritable chantier titanesque et mortel. Quand on voit la nature du relief et de la végétation on comprend pourquoi. D’ailleurs j’ai demandé à Vo si il y avait des treks d’organisé dans la région et je crois bien qu’il m’a regardé d’un air incrédule en riant très fort. Donc vous imaginez à l’époque y construire une route. Vous aviez le choix entre mourir mordu par un des nombreux serpents venimeux du coin ou bien déchiqueté par les bombardements quotidiens. A cause de tout ces risques, la durée de vie d’un travailleur sur ce chantier était de deux jours, en moyenne. Ce qui fait que si vous étiez réquisitionné / volontaire (la plupart du temps synonymes en tant de guerre), on vous fournissait un joli paquetage comprenant des sandales à semelles en pneu, un joli pyjama noir, un chapeau conique, une pioche ou une pelle, un hamac ainsi que deux jours de rations, pas plus. Ce qui fait que si vous surviviez au deux premiers risques vous étiez potentiellement bon pour mourir de faim. Bizarrement, sur toutes les photos aperçus dans les musées, les travailleurs sur cette route sont en train de sourire. C’est beau la propagande quand c’est bien fait, tout de même. Malgré toutes ces difficultés la route fut terminée en 212 jours (si mes souvenirs sont bon). Clap, clap, clap. Quoi le nombre de morts ? Ne soyez pas mesquins avec vos questions purement statistiques. Vous seriez pas du genre à demander le nombre de marches quand vous visitez la Tour Eiffel, non ?
Nous nous arrêtons une nouvelle fois devant un petit temple à flanc de montagne, cernée par la jungle. Cette fois-ci il s’agit d’un lieu de recueillement en mémoire de quatre femmes mortes de faim, bloquées dans une grotte suite à un bombardement. Il s’agissait de quatre personnes chargées de préparer à manger pour les travailleurs construisant la route. La cuisine se trouvait dans une grotte à côté pour cacher les fumées des feux. Malheureusement, le bombardement ce jour là fit tomber un gros bloc de pierre devant l’entrée et les quatre moururent de faim. Dans une cuisine. Je sais, c’est d’autant plus navrant. Tout ceci est un peu sujet à vérification car ces explications nous sont fourni par Vo qui, bien que charmant et souriant, pratique un anglais un peu hésitant et difficile à suivre usant de longues phrases sans ponctuations hormis de nombreux « however » qui me laissent le souffle court. Un peu comme vous en ce moment.
Après nous avoir narré cette anecdote, Vo nous propose d’aller nous recueillir au temple en nous fournissant chacun trois bâtonnets d’encens allumés. Les consignes sont strictes si on veut faire ça dans les règles de l’art et ne froisser aucun esprit : Entrer dans le temple par la gauche, s’arrêter devant l’autel puis faire trois saluts du buste en tenant les paumes l’une contre l’autre dans la position de la prière, ressortir à droite puis planter les trois bâtonnets dans l’immense chaudron rempli de sable posté devant. N’ayant pas très bien compris, je crois que j’ai planté les trois bâtonnets direct en rentrant par la droite puis ai salué deux fois en claquant des talons.
Pour que le recueillement soit total, nous effectuons le même manège dans la grotte en question (dégagée depuis du gros bloc bloquant l’entrée ce qui est nettement plus pratique) et je m’applique un peu plus en observant les autres. En m’éloignant pour laisser la place aux suivant je remarque la coque métallique de ce qui semble être une bombe suspendue à une branche par une chaîne. Je demande à Vo le rôle de ce montage et il nous explique qu’il s’agit d’un gong pour communiquer. Voilà un bel exemple de recyclage qui a du bien faire enrager les généraux US.
Pour finir sur le chapitre « guerre Américaine » nous passons un peu plus tard quelques instants sur un pont enjambant une rivière, toujours au creux de ces reliefs couverts de jungle. Annah nous raconte son histoire. Il s’agit encore d’une voie d’approvisionnement mais cette fois ci exclusivement destinée à l’essence. Les vietnamiens y laissaient dériver des barils de gasoil en provenance du Laos. Parfois des soldats vietnamiens était chargés de les acheminer attachés ensemble tels des radeaux. Bien entendu, les bombardiers adverses eurent tôt fait de remarquer ce petit manège et bombardèrent allègrement le cours d’eau. C’est donc pour cela que la rivière fut surnommée de manière complètement rock’n’roll la rivière « Diesel and blood ». Cela pourrait faire un superbe titre de chanson de Bruce Springsteen.
Nous repartons ensuite puis, après quelques dizaines de minutes de route en montagnes russes, rejoignons le parking pour visiter « Paradise Cave ». Une petite marche sur le plat suivi d’une ascension de 150 mètre par des escaliers permet d’atteindre l’entrée de la grotte. Au passage, je retrouve la sympathique famille avec qui j’ai partagé un compartiment dans le train vers Dong Hoi, celle-là même qui a tenté de me faire vomir. Mais emporté par le tourbillon de la visite en groupe, j’ai à peine le temps de faire un rapide signe de la main à la grand mère qui m’a reconnu en premier. Nous attaquons donc la montée dans une chaleur étouffante. L’endroit est assez touristique et nous croisons un flot régulier mais supportable de gens descendant l’escalier. En haut, essoufflés et en sueur, nous attendons notre tour, le flot de touristes étant régulé.
Finalement, c’est à nous et nous sommes tout de suite saisi par un air très frais débouchant de l’entrée de la grotte. Vo nous explique que la température à l’intérieure est de 18°C toute l’année. Il y a donc en ce moment au moins 15°C de différence avec l’extérieur. Nous descendons dans la grotte en empruntant un escalier en bois et très rapidement nous découvrons son ampleur. L’escalier en bois descend d’au moins 20m dans une gigantesque grotte, sans aucun doute la plus grande que j’ai jamais visité et sans doute une des plus grande au monde. Un subtile éclairage permet d’appréhender toute la majesté du lieu. Nous restons une petite heure en découvrant une deuxième « salle » aux formations encore plus étranges que la première, puis une « troisième », toujours en empruntant un parcourt en bois. Au bout, la grotte continue mais nous ne pouvons pas y accéder. Vo nous explique que la zone explorée fait 8km de long mais que celle ouverte au public n’en fait qu’un peu plus d’un kilomètre. Nous rebroussons chemin.
Nous ressortons finalement, frappés par la chaleur et l’humidité, éblouis par le soleil et le spectacle vraiment impressionnant de cette grotte extraordinaire. Je redescend donc doucement en papotant avec Vo de la région (il est du coin) et de voyages en général. De retour au parking, nous retrouvons Annah à l’entrée pour le déjeuner. C’est l’occasion d’en apprendre un peu plus sur elle et de déguster encore un bon repas Vietnamien constitué d’un assortiment de mets et de riz. Au passage, j’effectue un dernier réglage de mon « sin tchao » en confrontant ma prononciation avec les autres.
Dernier étape de ce petit tour, une petite baignade dans une rivière de montagne. Ça tombe plutôt bien car nous sommes au pic de la chaleur et il fait particulièrement lourd. Nous reprenons donc la route. Après quelques kilomètres nous nous arrêtons et descendons. Je suit sans trop savoir ce qu’il y a à voir et m’approche de l’attroupement. En contrebas se trouve une sorte d’étang avec un grand bouillonnement au centre, étang qui donne naissance à une rivière tumultueuse. Voilà qui est assez étrange. Fort heureusement, nous avons des guides pour ce genre d’interrogations et ils nous apprennent qu’il s’agit d’une résurgence particulièrement puissante d’une rivière souterraine. A la saison des pluies le bouillonnement, qui est le point de résurgence, peut former un geyser de plusieurs mètres de haut. A la saison sèche, période actuelle, le débit est déjà impressionnant lorsqu’on on voit les rapides qui se forment dans la rivière à quelques mètres de la résurgence.
Finalement, après quelques nouveaux kilomètres de route nous nous arrêtons pour une petite baignade dans une petite zone d’éco-tourisme. Nous empruntons à pied un court chemin pendant quelques minutes avant d’atteindre le bord de la rivière. Le courant est relativement fort et des rochers bordent les rives. On se muni d’un gilet de sauvetage sous l’insistance des responsables vietnamiens du site et ensuite, chacun pour soit. L’eau est un peu fraîche venant d’un air à plus de 30°C mais c’est relativement agréable. Ce qui l’est moins c’est la sensation gluante des algues au fond alternant avec des petits rochers inégaux. Il vaut mieux faire la planche. Tout doucement je sens des gouttes sur la tête et la pluie s’invite à la fête. On est déjà mouillé, il fait chaud et la pluie est tiède.
Après une demi-heure de batifolage je ressort puis attend que tout le monde se lasse. Le groupe prend alors la direction d’un autre chemin pour un retour plus long à travers la végétation. Nous marchons en file indienne, la pluie tombant un peu plus dru sur les feuilles dans un crépitement mat et rapidement je me sens transporté en 1969 au sein de la compagnie Alpha, en marche pour reconquérir la colline 849 dans cette putain de guerre qui n’est pas la mienne. De retour au parking, encore dans mes rêves, je demande à mes voisins si eux aussi ils se seraient cru dans « Platoon » ou « Full Metal Jacket ».
« Pla quoi ? ».
Non, non, rien. J’ai tout le chemin du retour en bus pour ruminer sur l’inculture cinématographique de mes contemporains.