Résumé des épisodes précédent : L’empire britannique prend le contrôle d’une partie du Moyen Orient pour assurer son approvisionnement en pétrole. Mais après une coûteuse guerre avec son voisin Allemand, rend ces pays à leur indépendance. L’un de ceux-ci, la Syrie, sous l’emprise d’Hafez El Asaad, compte bien assurer sa part d’influence, notamment sur le petit Liban, mais une révolte interne met à bas ces espoirs désormais porté par son fils dentiste. Pendant ce temps, quelque part au nord-est du Vietnam, un groupe de touristes à la forte proportion hexagonale s’approche de l’île de Quan Lan.
C’est sous un soleil couchant et un silence contemplatif que notre bateau aborde l’île au relief modeste, bordée d’une basse mangrove. Nous accostons, puis rapidement, sous la houlette de notre maman guide, empoignons nos sacs à dos pour rejoindre deux tuc-tucs qui nous attendent. Tant bien que mal chacun se serre dans un des deux véhicules, moi avec Pi Loo, un des marins et les deux marseillais. S’en suit alors un rodéo dans un tuc-tuc pétaradant et à l’amortissement minimaliste que vient stimuler un revêtement routier crevassé. Rapidement nous entrons dans un village bordé de hautes maisons couleurs pastel, étroites et profondes, à la mode vietnamienne. Fort heureusement, le trajet s’avère court et nous nous arrêtons devant une petite ruelle. « Okay, we stop here. Take your bags », nous confirme Pi Loo. Obéissant comme des soldats de deuxième classe, nous obtempérons et suivons notre guide dans la ruelle jusqu’à une grande maison d’un étage avec une petite cour. Un vieux monsieur, une vieille dame, une femme et deux jeunes hommes nous saluent et chacun répond en fonction de ses connaissances linguistiques. Moi j’arrose tout le monde de mes « sin cheu » dégueulasses, avec du sourire dedans pour que ça soit plus doux.
Pi Loo nous trie rapidement par chambre et, chouette, me retrouve seul dans une grande chambre au rez de chaussé avec deux lits équipés d’une moustiquaire. Il y a bien un ventilateur mais pas d’air conditionné. Mais pour qui me prends-je, enfin ! On a dit nuit chez l’habitant, à la dure, au plus près du réel. Bienvenue en terre inconnue, c’est pour maintenant. Comme il y a une salle de bain dans le couloir, je m’immerge dans le réel local et prend une douche, avec de l’eau, comme un véritable vietnamien de ces contrées reculées. En réalité, nous étions pas si reculés que cela car comme Pi Loo nous l’expliquera plus tard, l’île de Quan Lan fut plusieurs fois revendiqués par la Chine et le Vietnam. Elle ne se trouve qu’à 80km à vol d’oiseau du territoire du grand voisin et de nos jours est encore un site touristique visité par quelques chinois. Il y a donc une poignée de bars – karaoké dans la rue principale et quelques hôtels. Je dois bien vous avouer que je rêvais secrètement partager une natte en osier sur le sol en bambou d’une maison traditionnelle vietnamienne montée sur pilotis. On se contentera d’un lit douillet sur un sol carrelé monté sur une chape en béton.
Après ce brin de toilette, je retrouve mes collègues touristes dans la cour devant la maison. Il faut que je vous précise que la pièce principale de la maison étant très grande ouverte sur la cour, la distinction entre dedans et dehors est assez flou. Pi Loo est déjà occupé à aider la maîtresse de maison à préparer le repas. C’est une véritable mère pour nous, je vous le répète. Un des jeunes hommes de la maisonnée est en train de tapoter sur son ordinateur. Je m’approche donc pour observer d’un peu plus près cet objet traditionnel en faisant mine d’humer l’air chaud du soir. Le jeune homme lève la tête et, avec un sourire, me demande dans un très bon anglais de quel pays je viens. « France », réponds-je, et ce ne sera pas la dernière fois de mon séjour Vietnamien. Surprise, il me réponds dans un français un peu plus hésitant, « Dans quel ville ? ». Je suis bien obligé de lui avouer, et ça me coûte, que je suis Toulousain (même si je lui simplifie la compréhension en enlevant le « g » à la fin).
Nous engageons donc une longue conversation, tellement longue que je fini par m’asseoir à côté de lui sur une des chaises en plastique. Figurez-vous que ce jeune homme, et c’est là que je me dis que nous sommes vraiment peu de choses holistiquement parlant, venait de postuler pour une bourse auprès de l’ambassade de France afin d’effectuer une année d’étude en marketing à l’Université de Toulouse II. Oui, je sais, du marketing. Moi aussi ça m’a choqué. Il passe donc ses vacances tranquillement à attendre l’accord.
Alors que nous bavardons, un petit groupe s’est formé autour de Pi Loo du côté de la cuisine (qui n’est en réalité qu’une petite pièce nue donnant sur la cour avec un réchaud à gaz posé au sol). Je me rends compte tardivement que je viens de passer complètement à côté du cours de cuisine mais suis vite remis dans le bain lorsqu’on nous demande, moi et mon interlocuteur, de laisser nos places à la table pour l’atelier « roulage de nems ». Chacun notre tour, nous nous attaquons à cette tâche et je peux maintenant vous affirmer que je suis passé pro dans le domaine même si je ne sais toujours pas ce qu’il y avait dedans.
Les nems fini, il ne reste plus qu’à les faire cuire, ce que prend en charge la maîtresse de maison pendant que nous aidons maman Pi Loo à mettre les couverts. Le repas se passe tranquillement pendant lequel je fais un peu plus connaissance avec Kelly (que je subodore par rapport à ce qu’elle dit et ce qu’elle ne dit pas qu’elle est dans ce tour de l’Asie du sud-est à cause d’une rupture avec son copain à Bali) et le couple de Marseille (que je subodore être en vacances d’après ce qu’ils me disent assez explicitement) puis nous rangeons collégialement la vaisselle sale dans un bac en plastique. Ensuite, c’est quartier libre. Ah ! Une dernière information de la part de Pi Loo : le village étant un peu reculé, par économie d’énergie, il y a une coupure générale du courant à 22h30. Gé-nial ! Je n’ai jamais vu un village plongé dans le noir. Je récupère donc ma lampe frontale et part en ballade en suivant la rue principale.
L’ambiance est assez endormie et hormis quelques bars-karaoké vides et une sorte de bar du village en plein air qu’occupe une bande de jeunes (en scooter, forcément, on est au Vietnam), il n’y a pas beaucoup d’animation. Je déambule donc en m’éloignant de plus en plus de la maison dans des zones à l’éclairage public déjà de plus en plus rare. Je croise quelques formes pétaradantes puis d’autres couinantes, quelques enfants qui me lancent des « hellos ! » auquel je réponds car je suis poli, puis aperçoit la silhouette d’une pagode à droite. Devant, une forme humaine s’approche puis s’arrête à ma proximité. Tiens ? Je sort ma lampe frontale et je reconnais Kelly. Je ne suis donc pas le seul à vouloir expérimenter le noir total. On discute donc un peu et on reste là dans la nuit et le bruit des insectes, devant une pagode, à parler de l’Inde, deux occidentaux en ballade loin de chez eux.
Finalement, la jeune américaine décide de rentrer à la maison alors que j’insiste pour être pris au piège de la coupure générale, dans encore un peu plus d’une heure. Je me retrouve donc de nouveau seul en poussant encore plus loin. Les habitations deviennent de plus en plus espacées donc je décide de faire demi-tour pour retrouver un peu de civilisation, sinon la coupure n’aura aucun intérêt. Je repasse donc devant les jeunes, les bars-karaoké, où sont attablés quelques touristes, et assez rapidement retombe dans la brousse. Le village n’est pas non plus hyper grand mais est-ce une surprise. Je l’ai fait dans la longueur, je décide de tenter la largeur en prenant une rue à droite. Je passe devant des petites maisons où des habitants tentent de trouver le sommeil dans leur hamac, l’école, quelques hôtels bourrés de chinois qui parlent fort puis, de nouveau, la cambrousse.
Je refait demi-tour mais suis cette fois-ci interpellés par trois vietnamiens torses nus (et je les comprend) en train d’écluser des bières. L’ébriété déjà bien avancé, ils me parlent en vietnamien en me faisant de grands signes. Je m’approche d’eux en souriant, maîtrisant maintenant quasiment parfaitement la communication gestuelle. Késecé ? Il y a un problème ? Ils me font des signes que je ne comprends pas puis finalement un des trois pointe ma montre en me faisant un signe que j’identifie à « la mort » ou « la fin », qui sont synonymes dans mon langage des signes. Aaaaaah, vous voulez parler de l’extinction général des feux, c’est ça ?, réponds-je en désignant 22h30 sur ma montre. Ils acquiescent bruyamment. Mais qu’est-ce qu’ils sont sympas. Ils s’inquiètent pour moi. C’est y pas meugnon ? Ou alors il me prennent pour une nouille.
Je leur montre ma lampe frontale pour leur signifier que je suis prêt pour la fin du monde et du coup, fasciné par cette haute technologie (c’est quand une lampe LED), un des trois se la met autour de la tête suivant mes indications. Je l’allume même pour qu’il ne me la pète pas de frustration, c’est pour vous dire. Bon ceci dit, je commence à trouver le temps long jusqu’à la fin du monde. Il reste encore une petite heure. Si c’est comme ça l’apocalypse, on va tous crever d’ennui avant que ça arrive. Je repart donc vers la partie « animée » du village en faisant au revoir à mes trois poivrots (et en ayant récupéré ma frontale, bien sur) et me pose sur une table du café du village, à quelques mètres des jeunes. Il y en a bien un à ce rythme là qui va me lancer un « hello » et me donner un prétexte pour m’incruster et bénéficier d’encore plus de proximité avec l’habitant. Et bien même pas. Je suis resté à siroter ma Bia Hanoi pendant que les jeunes sirotaient la leur à côté en discutant paresseusement entre eux. C’est peut être des chinois. Je fini ma bière tout seul, dans ce village endormi, uniquement dérangé par le bruit des insectes et des télévisions. Les jeunes ont fini de partir par deux en scooter.
Ma bière fini, et avec encore une grosse demi-heure avant l’extinction du courant, je me rends et rentre à la maison. Finalement, il ne se passe pas grand chose dans ce village. Je retrouve mon chemin et tente d’ouvrir la grille de la cour. Fermé. A ben super les pantouflards. Il y a néanmoins de la lumière dans le séjour grand ouvert et un bruit de télévision. J’enjambe donc le muret et saute dans la cour. Oui, je fais le mur à l’envers, c’est ridicule, surtout en tong / claquette / schlappe / slache / gougoune. Nonchalamment, je rentre dans la maison et trouve Kelly sur le canapé en train de lire un livre pendant que la grand mère de la maisonnée est assise en tailleur sur un tapis derrière, concentrée sur une émission de télévision. Tout les autres se sont couchés.
« Vous n’attendez pas la coupure de courant, finalement ? », me demande Kelly. Je suis bien obligé de lui avouer que j’en avait marre d’attendre tout seul dans le village. Je m’approche donc discrètement de l’espace télévision pour voir ce qui peut bien captiver la grand mère. Manifestement il s’agit d’un soap vietnamien. Bizarrement, bien que ne comprenant strictement rien, je reste scotché par ce spectacle sidérant. Au bout de quelques secondes, sentant ma présence, la grand mère se retourne et dans un grand sourire me propose une chaise à côté d’elle. Je la remercie et m’assois peut être un peu trop vite, les yeux toujours scotché sur l’écran, en essayant de trouver un moyen de demander par forces gestes à la grand mère pourquoi la petite brune en tailleur elle pleure et que fait ce connard à la coiffure stylée avec la petite brune à la courte jupe alors que manifestement il a une relation durable avec la petite brune aux longues jambes. Je suis un accro repenti à Santa Barbara donc je peut assez facilement replonger dans l’addiction.
Je reste donc un quart d’heure hypnotisé par la série pendant que régulièrement la grand mère me jette un sourire entendu. J’espère qu’elle ne pense pas que je saisi toutes les finesses des rebondissements scénaristiques. Je jette un œil de temps en temps à l’horloge, tendu à l’idée de voir ce soap interrompu par une bête coupure générale. Manifestement la grand mère à l’air totalement sereine. A 22h30, sur les nerfs, car le dénouement n’a toujours pas eu lieu à la télévision (on ne sait toujours pas qui appelait donc mystérieusement la grande brune aux yeux sournois), je demande avec des gestes et ma montre s’il ne devrait pas avoir une interruption électrique. L’ancienne me rassure avec d’autres gestes qui me certifient que ce ne sera pas avant 23h. Rhaaa, je ne tiendrai jamais jusque là. Soit mon cerveau va finir liquéfié par ce soap dont je ne comprends rien mais pourtant me fascine, soit je vais m’ennuyer à creuver dehors. Finalement, je craque et part me coucher discrètement en remerciant la grand mère qui me gratifie d’un dernier grand sourire. Kelly lève les yeux de son bouquin et me demande « Il n’y a pas de coupure de courant, finalement ? »
– Si, mais ils attendent la fin de l’épisode.
(suite au prochain épisode, justement)