Résumé des épisodes précédents : cinq françaises et deux espagnoles font tout pour tenter de saborder mon circuit trois jours et deux nuits à Bai Tu Long avec nuit chez l’habitant et cours de cuisine. Pendant ce temps là, notre guide Pi Loo parle très très fort dans son téléphone pour maintenir le programme à flot. Tapis dans l’ombre, un couple de Marseille est hyper discret. Cela cache-t-il quelque chose ?
Fin du générique.
Dans le programme des réjouissances, tel qu’inscrit sur le site web de l’agence Ethnic Travel, il y a noté, déjeuner et visite de la baie à bord d’une jonque. La grande classe. Depuis la première fois où j’ai vu « Les Tribulations d’un Chinois en Chine » avec Belmondo et Rochefort, j’ai toujours rêvé de monter sur une jonque avec leurs magnifiques voiles rouges en forme de nageoires de poisson.
Notre mini-bus arrive donc finalement à sa destination, une petite ville portuaire adossée à de doux reliefs calcaires, couverts de végétation, nettement moins touristique que le terminal d’Ha Long. La baie est parsemée de reliefs et d’îles escarpées, bouchant complètement la vue du large. Sous l’injonction de notre guide, tout le monde descend et récupère ses sacs à dos. Nous nous dirigeons à la queue le leu vers le port où je découvre une multitudes de bateaux en bois colorés en bleu, vert ou rouge. Mais aucune trace de voile. Damned. L’odeur marine et le bruit typique d’un port actif est bien sympathique, surtout après cinq heures en bus.
Notre bateau ne dépareille pas des autres. Tout en longueur, en bois peint d’un marron sombre presque sanguin, nous posons nos affaires dans la cabine centrale où nous apercevons une longue table basse en rotin entourée de chaises pliantes en bois. Tout ceci est fort sympathique, joli, agréable et sans être luxueux. Parfait. Mais il manque une voile, même s’il y a un mat.
Pendant que l’équipage appareille, nous nous retrouvons tous à la table autour de Pi Loo, une grande carte plastifiée des baies de Bai Tu Long et de Ha Long placées devant elle. Aaaah, le plan de bataille. Donc, pour votre culture personnelle, la légende raconte que les multiples îles des deux baies sont le produit d’un dragon qui les aurait craché pour protéger le Vietnam d’une attaque Chinoise, ainsi piégeant la flotte adverse dans un labyrinthe d’îles. La Chine est à environ 100km au nord. J’apprends même que « Long » veut dire dragon, Ha Long, maman dragon, et Bai Tu Long, fils dragon. Si c’est pas de l’information de premier choix, ça.
La carte repliée, chacun se muni d’une boisson et vaque à ses occupations (qui se résume pour la plupart à se prélasser sur le pont avant, lunettes de soleil et tongue / schlappe / slache / gougoune – rayez les mentions inutiles – sur le corps généreusement oint de crème solaire), pendant que l’équipage et Pi Loo s’occupent de préparer le repas du midi. Pi Loo, c’est un peu notre maman dans cette histoire. « Okay, guys, time for lunch ! ». Et oui, avec notre Pipi, notre Loulou on est tous des « guys ». Nous retrouvons donc la table basse de la cabine les couverts mis, et nous installons pseudo-aléatoirement autour, les filles ensembles à droite, moi en face du couple de Marseille, Pi Loo à ma gauche et Kelly, végétarienne, isolée à tout point de vue quelque part au milieu de tout ces français. Je vous rassure. Il est parfaitement inutile que vous vous souveniez du plan de table car cela n’a aucune espèce d’importance pour la suite, hormis la présence de Pi Loo à ma gauche. Les plats arrivent alors au fur et à mesure, à la façon Vietnamienne, et nous nous trouvons rapidement submergés par cinq ou six mets différents. Pi Loo donne l’exemple et on commence par se servir en riz dans nos petits bols individuels avant d’aller piocher à droite à gauche (sauf chez son voisin).
Une fois un peu rassasiés, nous entamons un peu la conversation. Histoire de tenter d’amadouer notre guide et de lui faire vider son sac, je m’enquiers de cette incident avec les deux espagnoles et si elles ont finalement pu se faire payer leur taxi. Bien volubile, tout en s’envoyant des bouchées avec ses baguettes, elle nous raconte sa version des faits, ou, comment à l’hôtel des espagnoles, la barrière des langues à fait son effet. Les espagnoles avaient manifestement pas bien entendu « Ethnic Travel » et s’était raccroché à « Ha Long bay ». Je pense également que Pi Loo avait aussi un peu omis de demander leur nom ou de demander un reçu. Elle conclu que c’est la première fois que ça lui arrive. J’espère bien. En tout cas, même quand elle parle en anglais, Pi Loo, on a l’impression qu’elle nous engueule. Je crois que c’est au cours de ces premiers échanges qu’elle m’a donné son premier coup de poing dans mon épaule gauche (d’où l’importance du plan de table, finalement), signe que le ton était amical. Au passage je papote un peu avec le couple Marseillais.
On a bien mangé. Il y avait du poisson, du porc, de ces magnifiques boulettes de patate douce, des cubes de soja et du « water spinach ». Si en plus on ajoute l’ambiance doucement maritime, le soleil et le décor sympathique, ça augure de belles choses. Après ce repas, chacun retourne vaquer: lecture, bronzage (au troisième degré) sur le pont, contemplation béate du paysage (ça c’est moi, avec un peu de lecture des aventures de Richard Bolitho, histoire d’apprendre les termes marins et frimer avec l’équipage). Il faut dire qu’un petit bateau (mais quand même assez grand pour accueillir une douzaine de personnes) qui cahin-cahan, dans un ronronnement grave et la douce oscillation du clapot, avance dans un décor trois étoiles sous un grand ciel bleu , ça fait bien passer le temps. Aucun chouinement à constater en provenance « des filles », c’est pour vous dire.
Nous avançons donc doucement dans la baie de Bai Tu Long, longeant des collines rocailleuses couvertes d’une dense végétation d’où provient un bruit assourdissant d’insectes ou d’oiseaux. Ce n’est pas la baie d’Ha Long avec ces îles en forme de piliers mais n’importe quel pays serait déjà très heureux d’avoir ces paysages. On pourrait comparer cela à une ambiance de loch tropical en plus large. De temps en temps des petites îles isolées aux formes plus cylindriques nous donne un avant goût de la majestueuse Ha Long. Nous ne croisons que de très rares autres bateaux, quelques touristes mais pour l’essentiel des pêcheurs. De part en part Pi Loo, nous montre des élevages d’huîtres à quelques encablures de la terre avec la maison flottante attenante où vivent les éleveurs. La technique est radicalement différente de celle employée en France. De longues et épaisses tiges de bambou liées en grille, aidées par des bidons vides, flottent sur l’eau. A chaque point de cette grille, des cordelettes plongent dans l’eau avec une série de nœuds permettant aux huîtres de s’accrocher. Il suffit donc de lever une cordelette pour opérer une récolte. Notre guide nous explique que la culture de la perle occupe l’essentielle de l’élevage, le reste étant réservée pour la consommation des locaux et des éleveurs.
Après quelques heures d’une sereine navigation (j’avoue que le temps semble s’être arrêté), le bateau vient s’amarrer à un de ces caillebotis de bambous au milieu de l’eau. Pi Loo nous annonce en tapant des mains pour nous réveiller « Ok, now time for kayak ! ». Et oui, dans le programme il est prévu une petite séance de kayak de mer dans la baie. Moi, je suis bien chaud, à tout point de vue, donc un petit peu d’eau ne fera pas de mal. Les embarcations en question sont des bi-places sauf un mono-place unique. Manifestement Manon, des « filles », semble réticente et il faut quelques minutes d’encouragement et de pression de ses copines pour qu’elle accepte. En plus, elle hérite de moi en binôme, elle va pas se plaindre non plus ? Chacun son tour, on descend la courte échelle jusqu’au caillebotis où chacun tente maladroitement de se tenir droit, nu pied, sur des tiges de bambous larges comme des gros tubes de PVC (ça, c’est une image spécialement dédicacée à mon public plombier. Oui, car j’ai un lectorat chez les plombiers). Nous sommes d’autant plus ridicules que les deux pêcheurs locaux qui nous assistent se tiennent debout comme s’ils avaient fait ça toute leur vie. Ce qui est sans doute le cas, maintenant que vous me le dites.
Je me retrouve donc avec Manon, tout les deux engoncés dans nos gilets de sauvetage, muni de nos rames, moi derrière et elle devant. Je la sens un peu timide (c’est sur que dés qu’on n’est plus avec ses copines…) donc je l’invite à prendre en main le parcours. Moi, je me contente de ramer comme un sourd. Mais la timidité étant ce qu’elle est, je nous sentais parti dans un cercle vicieux de « non mais après vous, je vous en prit » et décide donc d’abréger nos souffrances respectives (une heure à rester au même endroit à deux mètres du bateau sous un soleil de plomb) en proposant de rejoindre une petite plage à trois cent mètres vers l’avant. Le coup de la plage, ça marche toujours, surtout qu’on était pas les seuls à l’avoir repérer. L’escadre entière de kayak se dirige comme des bateaux ivres dans sa direction.
Nous partons donc à la rame droit devant et je profite d’une certaine routine après le dixième coup de pagaie pour papoter avec mon pilote. Ce sont donc toutes des copines d’université de Montpellier qui viennent à peine d’arriver au Vietnam comme moi. Manon vient des environs de Colioure, terre de marins. J’ai donc confiance en cas de tempête. Ceci dit on a beau dire qu’on fait du kayak des mers, la baie de Bai Tu Long à cet endroit ressemble plus à un immense lac au paisible clapot qu’au grand large dans des creux de degré 4 à l’échelle de Beaufort.
Nous ne tardons pas à atteindre la plage, avant les deux autres bi-places des « filles », grâce à mon biceps droit. Oui, car nous avions la fâcheuse tendance de tirer vers la gauche. C’était très agaçant. Je suis particulièrement fier de moi car nous opérons un échouage de grande classe avec extraction très propre du kayak et remorquage de celui-ci sur quelques mètres en haut de la plage pour éviter qu’il se fasse emporter par le ressac. Toutes ces lectures des aventures de Richard Bolitho n’auront pas été vaines. Rapidement, les deux autres kayaks nous rejoignent et les « filles » se retrouvent de nouveau au grand complet, chacun paré de son magnifique gilet de sauvetage orange qui nous fait ressembler au bonhomme Michelin. Au fond de la petite plage, là où commencent les rochers et la jungle, j’aperçois un petit temple ou bien un autel, mais surtout à droite une petite maison. Un escalier y menant de la plage est occupé par une petite famille, à l’ombre du seul arbre aux alentours, qui nous observe, goguenards.
« Hello ! », lance-je dans leur direction en me dirigeant vers eux la paume en l’air en signe de paix. Je me place à l’ombre de l’arbre en articulant un « sin tchao » horrible qui ressemble plus à « sine cheu », autrement dit « bonjour », selon le Lonely Planet. Je me sens pendant une milliseconde tel Christophe Colomb découvrant la Dominique. Je suis ensuite submergé par un sentiment de ridicule dans mon accoutrement orange fluo. D’ailleurs, je le voit bien que je suis ridicule vu qu’ils n’arrêtent pas de sourire bêtement en me parlant dans une langue que je ne comprends pas. Je me retiens de leur lancer la célèbre réplique de Colomb, qui lui valu ensuite des siècles de moqueries, lorsqu’il rencontra pour la première fois des indigènes antillais :«C’est bien ici l’Inde? ». Mais j’étais complètement dans l’esprit. C’est fou comme un rien peu enflammer l’imagination ! En tout cas assez rapidement, le jeune père de famille m’invite avec un geste et un grand sourire à venir dans sa maison pour manger. Je décline poliment en leur faisant le signe universel « estomac bien rempli, moi plus faim ». Manquerait plus que je leur mange leur ration quotidienne alors qu’on venait de se lester le bide comme des goinfres.
Comme je venais de pacifier les indigènes, les cinq « filles » me rejoignent en échangeant des « hello » timides avec la petite famille qui les invite gentiment à s’asseoir à l’ombre avec eux, signe que ce sont vraiment des vietnamiens. Ils sont vraiment trop gentils. Un jour quelqu’un va en profiter pour leur déclarer la guerre, moi je vous l’annonce. Je me retire doucement, laissant les françaises avec leurs nouveaux amis qui ne tardent pas à les inviter à les prendre en photos. Moi c’est bon, j’en ai déjà profité en Inde. Plaisir d’offrir, c’est pour vous compatriotes.
Au bout de cinq minutes, nous quittons la famille de pêcheurs à grands renforts de « bye, bye » et de bras agités pour rejoindre nos embarcations. Nous reprenons donc la mer avec Manon, que je devine ravie de cette petite rencontre, au son plus enjoué et confiant de sa voix. Nous décidons donc de traverser le bras d’eau (au moins un bon kilomètre) pour rejoindre une très jolie île Ha Longuesque en face, si nous ne mourrons pas en route, emportés par un courant vers la Chine. Nous étions manifestement dans un état d’euphorie avancé. Des inconnus nous avaient dis bonjour, donc c’est que tout était possible dans ce vaste monde. A quoi ça tiens tout ça, je vous jure.
Finalement ces petits kayaks des mers tracent pas mal sur l’eau car nous opérons la traversée en deux temps, trois mouvement, une centaine de coups de rames (surtout à gauche, pour rattraper notre perpétuelle propension à vouloir virer bâbord) et quelques gouttes de sueur. Il fait chaud sur l’eau, malgré les embruns que je me projette maladroitement sur les bras avec mes rames. Au final, nous faisons donc un petit circuit bien sympathique et rejoignons le bateau au bout d’une petite heure fort sympathique. Chacun remonte à bord en tentant de se maintenir en équilibre sur le caillebotis. Pi Loo fait son compte, tout le monde est à bord, sauf Kelly. On lève la tête et on aperçoit un point vert et orange qui s’approche à la rame. Dommage, cela aurait fait une chouette anecdote à raconter. Il y en a qui font tout pour qu’un tour soit terne et inintéressant.
Le bateau reprend sa route, nous à son bord, agréablement fatigués en profitant du paysage superbe sous un soleil déclinant. Il nous reste encore une heure ou deux de bateau pour rejoindre l’île de Quan Lan où nous passerons la nuit chez l’habitant. Pendant ce temps là, le couple de Marseille est toujours aussi discret.
(suite au prochain épisode)