On a beau dire, ces tours guidés à travers un territoire gigantesque ont un gros avantage. Pour faire rentrer tout ces trajets dans le planning, on est obligé de se lever très tôt. Conséquence positive, on profite de la visite des sites sous une lumière éblouissante. De nouveau, ce matin, on se lève avant l’aurore. Le petit déjeuner se fait dans un silence cotonneux mais aujourd’hui, Bob semble particulièrement excité. On fini donc de se préparer et le groupe monte dans le camion. Heureusement, la route est courte mais nous arrivons à un parking dans une nuit quasiment complète.
Ce matin, nous allons effectuer une petite randonnée autour de Kings Canyon et à écouter Bob, ça va être grandiose. Le spectacle étourdissant va rabaisser Uluru et Kata-Tjuta au rang de néant touristique. J’ai peur d’en avoir les yeux qui saignent tellement ça va être beau. On en avait d’ailleurs parlé avec Yannick et Annouk la veille dans le camion, plusieurs guides avaient l’air de sous entendre que Kings Canyon, c’est de la balle atomique. Ben mazette, il me tarde de voir ça.
Nous commençons donc une petite ascension rocheuse à la lampe frontale. Progressivement une lueur se fait devant nous et commence à découper des reliefs étranges en ombre chinoise. Arrivé au sommet d’un plateau, nous dominons la vaste plaine de bush derrière nous, à l’ouest, alors qu’à l’opposé, le soleil commence tout doucement à révéler des formes bosselées dans un paysage minéral rouge orangé. Nous poursuivons la marche et progressons sur un terrain rocheux fait de strates et de curieux hauts dômes et cônes que l’on pourrait croire fait de briquettes rouges. De ci, de là, des carcasses d’arbres morts renforce ce sentiment de désert minéral. Quelques buissons et lichens semblent seuls pousser par ici.
Le chemin débouche sur une falaise qui nous permet d’apercevoir l’autre bord du canyon, à peine illuminé par le soleil levant. C’est effectivement beau mais je reste encore sous le charme d’Uluru. Bob profite de la pause pour nous donner quelques informations sur le lieu. Pour les aborigènes des environs, l’endroit est très spécial. La nuit, le plateau avec ce labyrinthe de dômes est même craint car associé à la mort.
Un peu plus loin nous commençons à redescendre puis empruntons des escaliers en bois pour pénétrer dans un petit vallon encaissé à la végétation luxuriante. Une rivière coule doucement au milieu et les nombreux oiseaux qui y chantent procurent un incroyable contraste avec l’austérité du plateau. En remontant le vallon nous rencontrons une source translucide au pieds des falaises rouges. Bob nous distribue des biscuits et nous apprend qu’il s’agit d’une source d’eau potable donc sacrée pour les aborigènes. L’endroit s’appelle « Le Jardin d’Eden » et indubitablement, il porte bien son nom. C’est une sorte d’oasis au milieu de ce désert de roches.
Après un peu de repos dans ce lieu où chacun baisse sa voix, nous repartons en sens inverse puis remontons sur le plateau de l’autre côté. Toujours ces dômes à perte de vue qui évoquent une étrange vision de ville morte. Nous marchons dans un air frais malgré un franc soleil matinal. A une nouvelle pause, Bob prend un air solennel et demande notre attention. « Alors maintenant, je vais partir tout seul en avant. Je demande à chacun de continuer sur le chemin mais surtout, sans se retourner. C’est très important sinon vous aller vous ruiner l’expérience. Lorsque vous m’apercevrez, vous me rejoignez, toujours sans regarder derrière. Ce n’est que seulement arrivé à mon niveau que vous pourrez vous retourner. Vous ne le regretterez pas. Ok ? »
Sur ce, il s’en va. Et tout le monde se regarde. Ben diantre. Bon, ben, euh… allons-y. Je reprend le chemin dans un état d’angoisse, crispé à l’idée de trébucher sur un rocher et de devoir me retourner par réflexe. Mon imagination cale sur ce que doit bien être cette vue exceptionnelle qui nous attend à moins qu’il ne s’agisse d’un événement mystique. Progressivement je suis le chemin, quelques autres membres du groupe derrière moi. Je me demande si je ne suis pas pris d’une violente envie de faire pipi dans ma culotte tellement l’émotion de l’attente est grande.
Au loin j’aperçois Bob, assis au bord d’une falaise, regardant dans mon dos. Aaaah. L’émotion est à son comble et, mes genoux tremblotant d’excitation, j’arrive à son niveau. Je me retourne tout doucement avec des « glorias aleluya » qui résonnent dans ma tête dans un sublime accord mystique. J’ouvre grand les yeux. HOSANNNNAAAAHHH ! GLO-RI-AAAAAAA A-LEEEEE-LUUUUU-YAAAAAAAAH !!!!
Oui, bon, ben, euh, oui, c’est pas moche. M’enfin, faut pas non plus s’emballer là mon vieux. Il serait pas sous speed, le Bob, là ? Loin de moi l’idée de faire le difficile mais il me semble que tu nous a un peu survendu le truc, j’veux dire. Mais attention. Ne me faites pas dire ce que je ne pense pas. C’est trèèèès mignon. Voir c’est trèèèès joli. Mais de là à insinuer que c’est le clou du spectacle, faut pas exagérer, mon petit Bob.
Je prend quelques photos en lâchant quelques « Ah, ouais » hypocrites et attend que tout le monde se retourne. Personne ne tombe dans les pommes par excès émotif, parfait. Une fois regroupé, Bob reprend la parole, toujours avec autant de solennité, et nous explique l’importance qu’il attache à ce lieu. Il y a quelques années, avec son amie, ils ont eu une petite fille qui malheureusement est morte née. Étant sensible aux coutumes aborigènes, et aimant ce lieu, il a demandé à un ancien qu’il connaît s’il lui était possible de disperser les cendres de l’enfant dans le canyon. L’accord donné, ils organisèrent une cérémonie spéciale en ce lieu. Depuis il vient s’y recueillir régulièrement.
Le silence se fait dans le groupe. Oui, bon, je pouvais pas savoir, non plus. Si on joue la carte du petit enfant qui meurt, c’est un peu tricher, aussi. Une ange passe. « Bon allez ! On fait une photo de groupe », nous lance Bob. Rhaaa, encore ? Je m’exécute. Cheeeeeese ! Nous reprenons la marche.
Un peu plus loin, nous effectuons une rapide pause autour d’un des nombreux arbres blancs des parages. Leur tronc est d’une blancheur presque artificielle, comme si quelqu’un les avait peint. Notre guide nous explique qu’il s’agit d’un arbre, le ghost gum, dépourvu d’écorce dont le tronc est recouvert d’une poudre blanche. Cette poudre est d’ailleurs utilisée par les aborigènes comme protection anti-solaire. Elle a d’ailleurs été mesuré comme ayant un indice 5. Je n’aurai pas été surpris outre mesure s’il nous avait demandé de lécher le tronc.
Encore un peu plus loin, nous nous arrêtons une nouvelle fois pour une petite explication sur les histoires aborigènes associées à cette endroit. Malheureusement, je ne m’en souviens plus. Par contre, après son explication, il nous invite à poser des questions sur ce qu’il vient de dire ou sur la culture aborigène. Moi, j’en profite et je lui demande quelque chose qui me trottait dans la tête. Est-ce que toutes les tribus aborigènes vivent de façon nomade ou y a t-il, comme en Amérique du Nord, des modes de vie indigène plus sédentaires ? Moi, je la trouve vachement pertinente ma question. Je me fais légèrement rembarrer lorsqu’il me répond de manière que je sens comme légèrement agacé : « Tu te souviens la carte des différentes nations aborigènes que je vous ai montré hier ? Et bien chaque nation a un territoire propre ». Mmmmh, je ne vois pas bien le rapport, pense-je. « Aaaah, oui. Bien sur », répond-je hypocrite. J’ai compris. Je me démerderai tout seul.
Finalement, nous repartons et en chemin, j’en profite pour taper de nouveau la discussion avec la canadienne de l’Alberta, très sympathique. Gentiment, elle me chuchote qu’elle a trouvé ma question très pertinente et me parle des tributs amérindiennes sédentaires du Canada. Ah ben bravo ! Z’aviez qu’à le dire à l’autre Bob, ça ! Malgré tout, pas rancunier, nous continuons notre discussion tranquillement jusqu’au parking.
Cette fois-ci, nous avons fait le tour complet et il nous reste plus qu’à rallier Alice Springs. Une longue route nous attend et chacun se détend. L’ambiance devient de plus en plus scolaire et je tente tant bien que mal de me concentrer sur les aventures de Richard Bolitho, toujours au service de sa majesté le roi d’Angleterre.
Nous faisons une pause déjeuner, puis repartons. Franchement, c’est un peu un boulot difficile maintenant que j’y pense, guide. Ils se tapent vraiment des centaines de bornes par jour et en plus ils doivent diriger un groupe, ce qui n’est jamais très facile. Hormis faire la sieste, je papote longuement avec Yannick qui s’avère être un passionné d’histoire. Je le vois d’ailleurs en train de lire un livre sur les grands chefs de guerre où est d’ailleurs décrit le fameux général Giap du Vietnam (à ce propos, il vient de mourir il y a quelques jours). On discute donc de plein de choses en rapport avec la Révolution Française et la Seconde Guerre Mondiale. Je dois dire que le garçon en connaît un sacré rayon.
Sur la route, Bob et James, qui se trouve maintenant à la place du copilote, s’amusent à compter les vaches, occupation très innocente si ce n’est qu’ils se mettent à hurler « COW ! » dés qu’ils en voient une. J’ai connu mieux pour garder un rythme cardiaque constant.
Finalement, nous arrivons à Alice Springs et chacun est déposé à son hôtel. On se retrouve pour la plupart au même, Yannick et Annouk y compris. Une soirée est organisée le soir dans un des restaurant / bar d’Alice Springs. Moi, je décline un peu fatigué par le bruit du dernier voyage et clairement pas trop en phase avec le reste du groupe mais surtout peu séduit par notre guide. Je dis malgré tout au revoir chaleureusement aux deux autres français en leur proposant de boire une verre le lendemain si on arrive à se recroiser. Malheureusement, ce ne sera pas le cas.
Au final, il restera des images incroyables de paysages surnaturelles sous des lumières sublimes. Indubitablement, il s’agit de lieux hors du commun. Seul Kings Canyon m’a déçu mais très certainement car on nous avait préparé à quelque chose du même niveau. Par contre, clairement, ces tours guidés sont un peu de la loterie que ce soit au niveau de la personnalité du guide ou des autres participants. On ne peut pas gagner à chaque fois. Si c’était à refaire, je le ferai tout seul, Uluru.