Uluru, Kata-Tjuta, Kings Canyon – jour 1

Ce matin c’est l’aube d’une journée mémorable. Encore un aveu de ma part mais toutes ces conneries de voyage autour de la Terre ne sont que prétextes et auto-suscitation de désir pour aller voir une des merveilles naturelles de cette planète, essentiellement ferreuse faut-il que je vous le rappelle. Ce matin, je vous le dit avec fierté, je part accomplir ma mission. Ce matin, je m’en vais contempler le géant Uluru. J’espère que vous avez tous à l’heure actuelle la mâchoire inférieure posée sur le sternum. Vous avez le droit de lâcher également quelques « wah le guedin » ou des « wah le ouf » si vous êtes plus années 90 que 2000. Pour toute période antérieure, me contacter.

Je m’en vais le contempler mais, pour la modique somme d’une poignée de centaines de dollars portant émeu et kangourou, je vais également avoir le droit de contempler Kata-Tjuta et le Kings Canyon. Donc là, vous avez également le droit de secouer très fort votre main droite en criant des « pouuuuuuuuh, le malaade » ou de fortissimo « mazettes ». Oui, vous avez bien lu, Kata-Tjuta ET Kings Canyon en dessert d’Uluru. Pétage de bide visuel les amis ! Et tout ça en trois jours, trois nuits dont UNE dans un swag ! Gasp ! Un swag, dites vous ? Mais c’est complètement… euh… c’est quoi un swag ? Soyez patient, je vous expliquerez en temps utile.

Pour la vaste majorité de mes lecteurs que je viens de perdre par cette introduction (je suis encore une fois assez réaliste), sachez qu’Uluru est le nom aborigène d’Ayers Rock, le gros rocher rouge qui se trouve au milieu de l’Australie. Si vous ne voyez pas de quoi je parle, je suis désolé pour vous mais un minimum de culture vous fera du bien. Je vous invite donc à taper sur votre ordinateur. Kata-Tjuta est le nom aborigène d’un massif rocheux situé à quelques 40 km d’Uluru, également appelé « Mount Olgas » par les explorateurs anglo-saxon. Quand à Kings Canyon, et bien je vais vous surprendre, mais c’est un canyon. Parfois, faut pas se compliquer la vie.

Tout ce joli monde se situe dans la proche banlieue d’Alice Springs, quasiment dans les faubourgs, à une distance de 400-500 km. Pour monter cette expédition, rappelez-vous, j’ai réservé un tour guidé dans un gros camion, accompagné de, je l’espère, pas plus d’une dizaine de mes congénères homo sapiens sapiens et, je l’espère doublement, de la meilleure qualité.

Donc, ce matin il est présentement 6h et le camion vient d’arriver devant mon hostel. Notre guide, un gars de taille moyenne cheveux blonds roux mi-longs ramenés en arrière dans une petite queue et portant barbe, sort dehors pour nous repérer. Voici Bob. Je monte dans le bus avec un groupe de six jeunes germaniques qui ont l’air de se connaître. A l’intérieur on retrouve un jeune couple qui s’avère être des français et qui ont également l’air de les connaître. Aïe. Nous repartons pour récupérer d’autres personnes pour finalement finir une petite vingtaine. Pour tout vous dire, j’ai perdu le compte. N’importe quoi. Si je tenais mon agente de voyage de Darwin, je lui ferai goûter à une lente strangulation.

Je fais selon mauvaise fortune bon cœur et commence à faire connaissance avec Yannick et Annouk, un fort sympathique couple, également sur la fin de leur visa touriste-travail après une période à Melbourne. Lui est de Nice et elle de Troyes. Annouk est plus âgée que lui et a déjà quelques longs voyages à son actif. On a donc plein de sujets de discussion.

A ce moment nous avons déjà quitté Alice Springs et nous nous retrouvons sur une longue ligne droite dans un bush fait de courts buissons à perte de vue. Bob en profite pour demander à ce que tout le monde se présente. La routine. Pour se faire, il nous demande de partager au micro notre nom, notre nationalité, notre profession, ce qu’on a préféré depuis notre arrivé en Australie, ce qu’on attend de ce tour-ci et de décrire la dernière fois où l’on a embrassé une fille ou un garçon. Ambiance colonie de vacance. Soupir. Chacun s’exécute plus ou moins avec humour (pouet, pouet, l’ambiance de groupe!). Ça fini d’ailleurs par deux jeunes allemands habillé trendy, cheveux gominés et ray-bans, sortant manifestement d’une boite de nuit berlinoise. Le premier nous décrit sa dernière fois avec une jeune fille allemande. Le second, plus franc et provocateur, nous décrit le baiser qu’il vient de faire au premier il y a quelques heures. Je crois qu’en ce qui concerne le recueillement spirituel, ce tour sent le roussi. Je fais malgré tout des efforts en discutaillant avec mes deux nouvelles voisines, une jeune blonde américaine qui vient de passer une année universitaire à Madrid et sa corpulente grand mère de l’Idaho. D’ailleurs, grâce au formidable questionnaire de Bob, j’apprends que les deux sont ici en familles avec les deux sœurs, la copine de la sœur, le beau fils et le mari mais j’apprends également qu’elle a embrassé son mari ce matin. J’en suis ravi.

DSC_6587_DxOAprès une heure de route avec une bande son un peu plus bruyante et standard que lors du tour kakaduien, nous faisons un premier arrêt pissotière à un relais essence attenant à un cattle ranch. Au loin nous apercevons une formation rocheuse de type mesa, nommé Mount Conner. C’est bien simple, dans ce pays, tout est plat, sauf quelques trucs insolites qui dépassent. Mount Conner est d’ailleurs surnommé « fooluru » par les guides de la région (« fool » signifiant idiot) car les touristes s’excitent en le voyant de loin, pensant qu’il s’agit d’Uluru. Pour la DSC_6586_DxOpetite histoire (qui est grande pour les gens de ce pays), c’est en grimpant en haut de Mount Conner qu’un explorateur occidental, pour la première fois, aperçu Uluru au loin. L’anecdote raconte qu’il l’a mépris pour une dune géante.

Nous repartons dans le camion. Parmi les gens de cette bande, il y a également un jeune blondinet à la tête de surfeur et à l’accent british du nom de James. Curieusement, il annonce à qui lui demande qu’il vient du « Old » Jersey, comprendre l’île anglo-normande. Je peux donc maintenant affirmer que dans ma vie, j’ai rencontré un habitant de cette île, en dehors de son pays. Le garçon est également intéressant car il vient de passer quelques semaines en Afrique du Sud comme soigneur animalier bénévole dans une réserve privée. Après son périple Australien, il enchaîne avec l’ascension du Kilimandjaro pour enfin rejoindre l’université en Angleterre. Tout ça, avant ses 20 ans.

Puisqu’on en est aux présentations, voici en vrac la bande alémanique que je ne parviens pas trop à distinguer car ils parlent tout le temps et bruyamment. Tout ce monde se connaît car ils sont ensembles depuis plusieurs jours, effectuant un tour longue durée avec la même compagnie dans les grands parcs nationaux situés entre Adélaide et Darwin. Il y a intérêt à bien s’entendre. Dans cette bande germanique se cachent des intrus en la personne d’un petit canadien hard-rockeur aux cheveux longs et à lunette, ainsi que d’un couple de jeunes et grands suédois. Dans ce tas saxon, je repère très facilement la plus bruyante, en la personne de Nicolle, une jeune et jolie suisse-alémanique blonde sous speed. Ce petit monde ne se quitte pas et adopte une technique grégaire, avec le risque classique de tirer l’intellect du groupe vers le plus petit commun dénominateur.

Le dernier grand sous-groupe est constitué par la famille d’Idaho au fond du camion. Ensuite on trouve quelques éléments isolés en les personnes de Yannick et Annouk, un couple de canadiens de l’Alberta, les deux jeunes dandys allemands manifestement homosexuels et une brune américaine du nom de Michelle, assise en permanence à la place du copilote. Bien entendu, je suis là quelque part sur la banquette en sandwich derrière le couple de compatriotes et devant la masse teutonique.

Tout doucement, je décroche. Bon sang, je m’apprête à voir de mes propres yeux une merveille naturelle exceptionnelle à la fois pour son caractère géologique unique mais aussi pour sa haute valeur spirituelle pour les peuples aborigènes environnants. Je meurt d’envie d’être présenté, même sommairement, à cet aspect et tente de me mettre dans un état d’esprit contemplatif, voir zen. Pendant ce temps, Bob branche son iPod sur la stéréo et monte le son. Je crois bien que je me retiens de me taper le front sur la banquette lorsque les allemands entonnent en cœur le refrain d’une petite chanson populaire australienne que Bob passe avec un grand sourire.

Encore une fois j’ai rien contre. C’est juste que ça brise ma tentative de transe spirituelle.

Finalement, après une nouvelle longue période de route et un arrêt déjeuner, la masse rouge est organique d’Uluru apparaît au loin, dépassant sans mal de ce bush ras. Un relatif silence se fait dans le bus. Tout de même. Je crois que les mots sont difficiles à trouver pour décrire la majesté du phénomène. Malgré les milliers de photo vues et revues, Uluru reste un lieu incroyable et quasiment extra-terrestre, surtout vu de loin. Même un esprit rationnel (et je me targue d’en être un) a du mal à se convaincre que cet immense rocher au milieu de nul part est arrivé ici au gré de hasards géologiques. Nous nous arrêtons à un premier point de vue et chacun mitraille l’objet.

De nouveau dans le bus, Bob nous prévient qu’il est possible de monter en haut du rocher sacré. Lui nous encourage à ne pas le faire, car ce n’est pas quelque chose que les deux tribus aborigènes qui sont co-chargés de gérer le parc national souhaitent. Tous les ans, des morts par chute sont ressentis comme de véritables traumatismes par les anciens, pour qui le rocher est un lieu de paix. Fort heureusement pour eux, aujourd’hui le vent dépasse la limite de sécurité et le mince chemin d’escalade est interdit. La visite commence par une petite exposition d’introduction de la culture aborigène locale dans le centre d’accueil. Je tente de retenir les histoires de l’âge des rêves qui ont trait à Uluru mais, ma terrible mémoire des noms étant toujours défaillante, c’est peine perdue. Après un rapide regroupement, nous remontons dans le bus.

Quelques minutes plus tard où nous contournons le rocher vers l’est, nous nous garons finalement à un coin d’Uluru et descendons pour entamer une marche autour de la base. La température est parfaite et le ciel d’une grande pureté. Nous recevons les consignes pour la marche qui se résument à boire et à respecter les zones sacrés des aborigènes où toutes photos et vidéos sont strictement interdites. D’ailleurs, l’endroit où nous commençons la ballade en est une. Je crois bien en avoir pris une photo avant d’en être averti. Ça se trouve, je vais être visité dans mes rêves ce soir. Finalement, Bob nous lâche et nous demande de nous retrouver de l’autre côté dans une heure et demi. Parfait, ça nous laisse le temps d’en profiter.

Je laisse donc filer le piaillant troupeau pour me retrouver seul au pied du rocher géant, masse rouge à la forme organique. Je n’en dit pas plus pour le moment (mais je vous prévient que j’ai été enlevé par des aliens) car il y aura un billet dédié à Uluru. Tout ce que je peux vous dire c’est qu’après trois quart d’heures de marche sereine et spirituelle, prenant mon temps seul pour profiter pleinement de cet endroit unique que je ne reverrai sans doute jamais, Bob vient me rejoindre en me demandant de presser le pas et de rattraper le groupe. Euh, faudrait savoir on a le temps ou pas le temps ? Il me fait suer, lui. Je passe donc la sur-multiplié, adoptant quasiment par endroits un rythme de marcheur olympique. La spiritualité ça sera pour une autre fois. Je rattrape enfin Annouk et Yannick et nous maugréons tout les trois sur le rythme imposé. Heureusement, la magie d’Uluru fait l’unanimité.

C’est finalement au bout d’une heure de marche que nous retrouvons Bob. Il se fout de ma gueule, lui ! Une heure et demi mes fesses ! Pendant que la troupe part se soulager aux toilettes, je lui fait gentiment remarquer avec des fleurs et des sourires (enfin j’espère. Ça se trouve je l’ai engueulé sans m’en rendre compte) que j’aurai aimé prendre un peu plus mon temps. Malheureusement son planning est formel, il faut que l’on soit à 17h dernier délai au point de vue nord pour avoir des places pour le couché de soleil. Aïe, je sens que ça va être la foule. Je crois bien que c’est à partir de ce moment ci que nos rapports sont devenus un peu plus froids et tendus.

Le groupe de nouveau rassemblé, nous reprenons la marche autour du monstre, cette fois-ci le long de la face nord (donc ensoleillée, si vous avez un peu de connaissances astronomique). Bob nous accompagne car nous allons avoir droit à une visite de quelques lieux sacrés et la narration d’une des histoires fondatrice d’Uluru par notre guide. On sent qu’il est sensible à la culture aborigène tout en restant très humble là dessus. Encore une fois, je développerai ce sujet plus tard. Je ne vous en dit pas plus pour le moment. Finalement, nous quittons vers la fin de l’après-midi ce lieu incroyable, avec en ce qui me concerne, un peu de regret et de frustration, chacun un peu prostré dans un silence respectueux que j’espère méditatif.

Nous montons dans le bus, chacun se rassoit. Bob redémarre, s’engage sur la route et là : « Un peu de musique les amis ! » Waaaaaaouuu, yeah! Bon ben la méditation ça n’aura duré que quelques minutes. Soupir. Parmi le brouhaha des bavardages en anglais de la masse allemande, Nicolle, la suisse-alémanique sous speed, réclame à hauts cris que Bob passe « Killing in the Name Of » des Rage Against The Machine sur la stéréo du camion. Grrrumpf. Moi, j’ai rien contre les Rage. A vrai dire, j’aime même plutôt bien « Killing in the Name Of », là n’est pas la question. Mais actuellement, dans mon état d’esprit, c’est comme si un mec bourré au fond de l’église vomissait un « Prêtre, mets moi Tata Yoyo d’Annie Cordie » pendant une messe d’enterrement. Je me renfrogne.

Alors que le jour commence tout doucement à baisser, nous concluons ce bref trajet sur le parking d’un nouveau point de vue. A notre arrivée, quelques voitures et bus y sont déjà garé. Tout doucement, la foule se presse le long des cordes délimitant la zone sur une longue dune piqueté de rachitiques buissons. Au loin et au delà d’une vaste plaine d’un bush ras, Uluru. Le soleil décline et la lumière rougeoie. Pendant ce temps, quelques groupes plus inspirés ou plus décadents boivent des verres d’un ersatz de champagne ou des canettes de bière en rigolant. Animé d’un vague sentiment de déception, je décide de photographier les touristes photographiant Uluru. Finalement, le spectacle est là.

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Quelques temps plus tard, nous avons rejoint notre site pour la nuit dans le petit village à l’extérieur du parc où se regroupent tous les hôtels et campings. On allume un feu et Bob déclare que ce soir, les hommes prépareront le repas avant que les femmes s’occupent de la vaisselle. Demain, ce sera l’inverse. La séparation par les sexes, ça marche toujours autant. Je ne me souviens absolument plus du menu mais c’était sans doute à base de saucisses ou de burgers de poulets ou kangourous.

Je profite d’un moment d’accalmie pour tenter d’engager la conversation avec l’américain de l’Idaho et son beau-fils, tout les deux en jeans et casquette. Je vais être franc, j’ai beaucoup ramé au début. Ça m’apprendra à poser des questions fermées aussi. « Alors comme ça, vous venez de l’Idaho ?

  • Oui.
  • Aaah. Vous êtes ici en vacances ?
  • Oui.
  • Ok, ok. Euh… Vous y êtes pour longtemps ?
  • Deux semaines.
  • Mmmhh, je vois.

Finalement, il décide enfin de prendre un peu l’initiative parce que là je commence à suer. Il ose me demander d’où je viens. Malheureusement, je ne suis pas sur que ma réponse le réchauffe beaucoup. Son beau fils, bien qu’un peu plus souriant, se contente d’acquiescer à ce qu’il dit. Petit à petit, ses capacités sociales se dégrippent et nous pouvons enfin engager une vrai conversation faites d’échanges de plus d’une mono-syllabe. Ce qui devient un peu problématique, c’est que, tel un robinet grippé qui se met soudainement à expulser un flot haute pression que l’on ne parvient plus à refermer, le vieux bonhomme engage la conversation sur un ton détendu sur l’immigration aux États-Unis. Je nous sens plusieurs fois à deux doigts du dérapage idéologique. Parfois, je devrais fermer ma gueule.

Assez habilement, j’arrive à réorienter la conversation sur sa profession qui se trouve être la construction et le bâtiment. Nous poursuivons donc sur la crise de l’immobilier et les téléphones portables (il y a du avoir une transition douce entre les deux mais je ne m’en souviens plus) jusqu’à ce qu’un blanc trop prolongé lui fasse jeter l’éponge sous la forme d’un lâche « Bon ben je vais aller voir ce que bricole ma femme ». Pfffiou, il est pas simple ce groupe. Ou alors c’est moi qui ne suis pas du tout dans le bon état d’esprit.

Nous finissons tranquillement par manger et après une douche, c’est enfin le moment de préparer le couchage. Ce soir, en plus, c’est la soirée swag. Donc, qu’est-ce qu’un swag ? Et bien, c’est une sorte de combiné tente plus matelas inventé par les australiens. En réalité, ça ressemble plus à un matelas contenu dans une boite de toile dans laquelle on vient se glisser avec son sac de couchage. L’ensemble se roule pendant la journée. L’intérêt de ce système est de pouvoir avoir la tête dehors pour profiter du ciel étoilé tout en étant légèrement plus protégé et au chaud. Il y a fortement intérêt à ce que cela protège du froid car dans ce climat semi-désertique, la température chute vertigineusement jusqu’à 3-4°C lorsque le soleil se couche. Avec mon sac de couchage à la température de confort de 10°C, l’angoisse est permise quand à ma survie. En ce qui concerne l’abri contre la pluie, on peut s’enfermer totalement dedans et prier pour que cela ne fuit pas. Dans cette région, ce ne devrai pas être un problème.

Chacun tente de trouver une place à proximité du feu et je me retrouve rejeté en deuxième couronne, légèrement isolé. M’en fou, j’ai l’habitude. Avec tout ça je tente de m’endormir en ruminant ma journée. Une forte envie de quitter ce groupe me prend.

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