Je profite qu’à l’instant de ma narration de mes trois jours deux nuits Uluru – Kata Tjuta – Kings Canyon, je dors, bien que difficilement dans un froid glacial, pour m’attarder plus longuement sur Uluru.
Par quoi commencer tellement le sujet est vaste, dans tout les sens du terme ? Tout d’abord, pour vous planter le décor, sachez que j’ai eu la chance de le voir juste après une période relativement humide. Ça n’a que très peu affecté le rocher, vous vous en doutez, contrairement au bush environnant qui s’en trouve plus vert et, toutes proportions gardées pour une région semi-désertique, foisonnante. On a donc la chance de profiter d’un superbe contraste entre le ciel sec et pur, le rocher rouge orangé et le bush d’un vert jaune ponctuellement fleuri. Au cœur de la saison sèche, ce doit être une autre histoire. Il est d’ailleurs peu recommandé de s’y promener en pleine journée, les températures montant facilement au delà de 40°C en plein soleil.
En ce qui concerne l’origine géologique de l’engin, on m’a expliqué quelque chose mais je viens de jeter un œil à la page wikipédia associée et elle me semble beaucoup plus exhaustive. Mais surtout elle est beaucoup plus riche en termes scientifiques hyper pointus dont je ne connais absolument pas la signification tels que « arkose », « diaclase », « néoprotérozoïque » et « orogénèse ». Comme il ne faut jamais rater une occasion de devenir pédant, plongez-y. Pour faire simple, c’est un énorme rocher de grès monobloc profondément enfoui sous terre dont seul émerge la partie érodée.
Cette douceur de silhouette et les multiples plissures de la roche donne un aspect nettement organique à Uluru. Par moment, suivant les angles, on croit même reconnaître une patte d’animal plantée profondément dans le sable. A d’autres endroits de curieuses grottes en hauteur ressemblent à des bouches béantes. A chaque heure de la journée, le soleil changeant métamorphose ses aspérités. On comprend qu’il ai suscité autant de légendes.
Je vais d’ailleurs partager une grande déception avec vous mais, en réalité, Uluru n’est pas rouge. C’est une vaste opération de mensongerie à l’échelle planétaire. Si on coupe Uluru en deux (manière de parler, bien évidemment), ou plus modestement, si vous cassez un de ses fragments (ce que vous ne devriez pas essayer les enfants sinon à ce rythme il n’en restera rien dans un siècle) vous constaterez que la pigmentation rouge n’apparaît qu’en surface sur une très fine épaisseur. L’intérieur est d’un banal gris comme n’importe quel banal grès. Cette couleur cramoisie provient d’oxydes ferreux déposés sur le rocher par le vent, la région étant très riche de ce côté là. Que la nature est merveilleuse. Si les oxydes de cuivres avaient été prédominant, nous aurions eu un gros cailloux vert. A quoi ça tient.
Uluru est également extrêmement important pour les aborigènes car sur son périmètre se trouvent un petit nombre de sources d’eau. Chacune d’entre elles est un endroit sacré et protégé, notamment une dans un petit coin de verdure sur le côté sud, à l’ombre. Un rapide coup d’oeil aux alentours et vous comprenez rapidement que les prochaines sources d’eau sont au delà de l’horizon. Ou alors à Kata-Tjuta… si vous parvenez à traverser les 25 km à pied sans mourir, mwaaahhahaha!
Voici pour la partie prosaïque du rocher. Parlons maintenant de son aspect culturel. Pour vous mettre dans l’ambiance, je vous invite cordialement à attraper le didgeridoo le plus proche de vous. C’est l’occasion de crever une nouvelle bulle de légende urbaine car le didgeridoo n’est absolument pas un instrument « aborigène ». Plus précisément, car j’aime bien affirmer quelque chose de manière péremptoire et provocante pour ensuite le raffiner, il ne s’agit pas d’un instrument commun à TOUTES les nations aborigènes. Il y en a pour qui ce bout de bois creux est aussi abscons que pour moi. Vous avez noté comme j’ai subtilement amené le terme « nation aborigène » dans la conversation ? Et bien j’en parlerai dans un autre billet car pour le moment, ce dont vous avez besoin de savoir, c’est qu’Uluru se trouve sur le territoire des Pitjantjatjara, anecdote notablement intéressante pour les cruciverbistes. Si on est légèrement moins anthropocentriste que moi, on devrait d’ailleurs dire que les Pitjantjatjara se trouvent non loin d’Uluru.
Leurs voisins, les Yankunytjatjara (les cruciverbistes se régalent), sont plutôt du côté de Kata-Tjuta, si vous voyez ce que je veux dire. En 1985, le parc national, qui jusqu’ici était géré par l’état fédéral australien après avoir été territoire royal, fut « rendu » aux peuples d’origines à condition que l’état conserve une part de co-gestion dans le parc. Les deux nations se sont réunis ensemble sous la dénomination Anangu, incomparablement plus facile à mémoriser, merci à eux, et acceptèrent le marché. C’est depuis cette année que l’on cesse d’encourager la grimpette en haut du rocher, que l’on a créé le centre d’accueil en matériaux traditionnels dont le rôle est principalement de sensibiliser les visiteurs à la culture et la légende locale, mais également que l’on a progressivement déplacé toute activité d’hébergement et touristique quelques kilomètres plus loin dans un site nommé Yulara. Précédemment on pouvait coucher et uriner quasiment au pied du rocher et c’était particulièrement mauvais pour votre karma.
Place maintenant à la légende d’Uluru. J’en frémit d’avance car je sens que je vais être particulièrement approximatif. Globalement, pour faire simple, et il n’est pas dans mes capacités d’en faire autrement, la plupart des légendes aborigènes se rapportant à l’origine des choses se situent dans un âge ancien appelé l’Age des Rêves. Non, arrêtez de m’importuner, je n’en sais absolument rien si ça se situait avant ou après l’age de bronze. Je crois que c’est plus un concept qu’une date précise, si vous voulez mon avis, genre « je ne sais pas quand, mais c’était il y a très longtemps ». J’en profite d’ailleurs pour tenter de lancer une expression dont voici un exemple d’utilisation dans l’contexte :
« Dis donc, c’est quand la dernière fois qu’on a fait la vidange de la voiture ?
- Pfffiou, j’sais plus. C’était pendant l’Age des Rêves.
Voilà. J’espère bien que vous allez la propager.
Pour revenir à Uluru, différentes zones du rocher se rapportent à différentes anecdotes mais qui ont pour la plupart trait à une histoire plus vaste racontant les faits d’un homme parti en vengeance contre une tribu d’hommes lézard qui en descendant sur Uluru auraient interrompu une cérémonie sacrée. Je n’en dirait pas plus car ma mémoire est défaillante sur de nombreux points. J’ai de vagues souvenirs de deux garçons pétrifiés dans une grotte pour avoir, avec zèle, obéis à la consigne de leurs anciens de ne pas bouger jusqu’à ce qu’on leur en donne la permission. Les anciens ayant été tués par les hommes lézards, ils y sont encore. Bel exemple de discipline. Très mauvais exemple de prise d’initiative.
On peut ne pas croire à ces légendes mais il y indéniablement un mystère, une spiritualité et une séduction incroyable en ce lieu à mon sens lié au caractère quasiment unique à l’échelle géologique de ce phénomène Uluru mais aussi à l’incroyable continuité de la culture aborigène, quasiment inchangée depuis des dizaines de milliers d’année. Les différents interdits sur le site et les explications très sommaires et simples des histoires et légendes ne font qu’entrouvrir la porte sur la culture de ces peuples autochtones. Moi j’ai été conquis.
De plus, c’est loin d’être un lieu ultra fréquenté et on peut sans mal se retrouver seul devant cette immensité minérale histoire de profiter pleinement du caractère majestueux et insondable. D’ailleurs, pour finir, écoutez moi ce silence:
Enfin, le soir, quand la nuit tombe, les touristes quittent la base du rocher. De nouveau seul, sous un vide étoilé, Uluru rêve.