La prochaine étape de mon voyage, rejoindre Melbourne. Le plus dur dans ce trajet et de se faire les 1200 km de route dans l’outback, le long de la Stuart Highway avant de quitter cette immense zone semi-désertique. Cette fois-ci, j’ai décidé de faire cela en voiture histoire de sentir ce que c’est que de se taper des heures de ligne droite dans un paysage monotone, sans l’aide d’aucune drogue.
J’ai loué une voiture aménagée en petit camping car, fourni avec le minimum de matériel de camping (réchaud, casseroles, couverts, glacière et chaise pliante) que je dois déposer à Melbourne dans onze jours. Après une journée de repos et de travail (il faut bien de temps en temps) à Alice Springs, je part récupérer le véhicule vers 9h du matin avec en bonus cinq bouteilles de bière laissé par les précédents usagers. On se les partage avec le responsable de la compagnie de location.
Une petite matinée plus tard d’achats de survie de base (nourriture, neuf litres d’eau et recharges de gaz) je fait le plein. A vrai dire, les niveaux des liquides seront l’obsession lors de cette traversée : huile, refroidissement, eau et essence. Le responsable de la compagnie de location me fait un rapide résumé des consignes de sécurité en me regardant bien droit dans les yeux : faire le plein d’essence dés qu’on le peut, vérifier les niveaux tout les deux matins et interdiction de rouler de nuit ou sur des routes non asphaltées. Pour ce qui est de l’interdiction nocturne, il s’agit de limiter les risques de collision avec les animaux, notamment les kangourous, qui ont tendance à sortir la nuit. Ok, chef, c’est noté.
Comme souvent, la conduite à droite est un peu déstabilisante au début, mais je m’y fait assez rapidement grâce à mes fréquents séjours écossais. La voiture est automatique mais, à ma grande tristesse, est dépourvue de blocage de vitesse de croisière. Si c’est bien une option qui prend tout son sens ici, c’est celle là. Plus perturbant, les commandes de clignotant et d’essuie glace sont inversés ce qui me vaut quelques hésitations et balayages intempestifs en ville. Une fois sur route, je ne devrais pas avoir besoin de tourner et vu la géographie, la pluie ne devrait pas être de la fête avant quelques jours. Encore aujourd’hui, comme les cinq derniers jours, le ciel est bleu profond et le soleil éclatant.
Ce n’est donc pas sans une certaine appréhension et d’excitation que je quitte enfin l’agglomération après la traversée des MacDonnel range, empruntant la route menant vers le sud et vers Uluru. Pour me mettre le cœur au ventre j’allume la radio et balaye le spectre FM avant de me fixer sur une station pop / rock. La route est une simple deux voies mais le trafic ne nécessite guère plus. Après une heure de route, la radio commence à décrocher et je bascule en grandes ondes pour tenter d’attraper encore un peu de musique. Je suis maintenant définitivement dans le bush.
Je roule. Du bush.
Je roule. Du bush.
Je roule. Du bush.
La radio commence à balayer les grandes ondes en vain. J’ai atteint le désert radiophonique. Mine de rien, je croise quand mêmes quelques voitures, pick-ups et road trains bien que, par moment, je roule cinq minutes sans apercevoir d’autre véhicule devant ou derrière.
Je roule. Du bush.
Je roule. Du bush.
Je roule. Du bush.
Je fait une pause sur une sorte de terrain vague car je commence à m’assoupir. Bizarrement, cela à beau être monotone, je trouve ça moins ennuyeux que prévu. Surtout, le temps passe étrangement vite. La perception du temps qui passe est très certainement lié aux nombres d’événements remarquables vécus. En l’occurrence, il y en a peu. Le seul témoin de mon mouvement est la lente baisse du niveau d’essence.
Je roule. Du bush mais légèrement différent.
Je roule. Du bush.
Je roule mais m’arrête à la vue d’une station essence. Ce doit être la deuxième que je croise depuis mon départ d’Alice Springs. Pour le moment elles sont éloignées d’une centaine de kilomètres les unes des autres. Comme constaté pendant mon tour à Uluru, les stations d’essence sont situés dans ce qui semble être des relais basé au niveau de cattle ranch. On y trouve également souvent un petit magasin, un bar, un restaurant, un motel et des emplacements de camping. En dehors de cela, rien. J’en profite donc pour manger des sandwichs, me battre contre les mouches et faire le plein de fuel alors que le niveau est à peine à la moitié. Au moment de payer, ma carte bleue ne fonctionne pas. Parfois, ça arrive. Je retire donc du liquide au distributeur du magasin et règle le plein.
Je roule. Du bush.
Je roule. Du bush.
Bien que la route soit majoritairement rectiligne, parfois de petites courbes viennent rompre la monotonie. De plus, le paysage ondule très légèrement et de légers faux plats agrémentent la conduite. Quand je pense que je croise quelques motards en Goldwing, ils ne doivent pas vraiment se régaler.
Je roule. Du bush.
Je roule. Du bush.
Je roule. Du bush.
Je roule. Du bush.
Je roule mais le soleil commence à décliner. Il est cinq heures et mon contrat de location stipule que je ne doit plus utiliser le véhicule après 18h. J’ai donc encore une heure de route pour atteindre le prochain cattle ranch.
Je roule. Du bush.
Je roule. Du bush et sur le côté un cattle ranch avec des emplacements de camping. Ce sera donc le spot pour la soirée. C’est également l’occasion de se familiariser avec le matériel et notamment le système de couchage complètement bricolé. Le siège arrière a été enlevé et deux planches d’agglomérés posées sur les compartiments abritant le matériel. Un mince matelas recouvre le tout. Malheureusement, les planches en question ne font pas toute la longueur du matelas et je cherche quelques minutes un moyen pour éviter de basculer dans le vide derrière les sièges avant ou dans les compartiments. Tant bien que mal, je parviens à m’endormir.
Tôt le matin, réveillé par le soleil naissant à travers les vitres, je suis rapidement prêt à partir après un rapide petit déjeuner dans la fraîcheur du matin. De nouveau le ciel est limpide, sans un nuage.
Je roule. Du bush.
Je roule. Du bush mais qui change encore progressivement de physionomie.
Je roule. Du bush et je fais une pause. Il n’est pas facile de maintenir sa concentration bien, que de nouveau, j’ai la sensation de ne pas voir le temps passer.
Je roule. Du bush. Tiens, je quitte les Territoires du Nord pour pénétrer dans l’état d’Australie du Sud, capitale, Adélaïde.
Je roule. Du bush.
Je roule. Du bush.
Je roule. Du bush. Au loin, de curieux monticules coniques de terre ou de sable clair apparaissent. Étrange.
Je roule et je vois de plus en plus de ces petits terrils. Des panneaux sur le bord de la route proposent de visiter des mines d’opal. C’est donc que j’approche de la ville de Coober Pedy, le fief minier de l’opal. Chaque petit monticule et le produit d’une excavation. Des barrières séparent les concessions, parfois abandonnées. Je rallume la radio et arrive à capter quelque chose sur les grandes ondes.
Je roule. Des terrils.
A panneau indicateur, je quitte la Stuart Highway pour pénétrer dans la ville. J’y reste une heure ou deux, le temps de manger et de visiter. Ce ciel est vraiment incroyable.
Je repart et recroise des terrils.
Je roule. Des terrils.
Je roule. Du bush.
Je roule. Du bush qui change encore un petit peu, pour devenir peut être plus vert. De nouveau la radio verse dans un chuintement continu.
Je m’arrête pour faire le plein. De nouveau, ma carte bleue ne fonctionne pas et suis obligé de payer en liquide. Une légère angoisse commence à monter et je m’imagine bloqué au milieu du bush, contraint à travailler dans un cattle ranch, ma carte bleue ayant atteint le plafond de retrait.
Je roule. Du bush.
Je roule. Du bush.
Je fait la sieste sur le bord de la route. Dur, dur de rester concentré.
Je roule. Du bush.
Je roule. Du bush.
Il est presque cinq heure, temps de se mettre en recherche du prochain arrêt. En même temps, la recherche n’est pas compliqué, il suffit d’avancer jusqu’au prochain relais, dans quarante kilomètres. Une demi heure plus tard, je gare la voiture au milieu d’un espace de camping derrière un petit motel et prépare à manger. Les couché de soleils sont vraiment magnifiques mais la température rafraîchie rapidement. Cette fois-ci, je trouve des rideaux pour les vitres de la voiture.
Le lendemain matin, nouveau réveil frisquet dans une pâle lueur. Il est aux alentours de 6h30. Encore une fois, je met peu de temps pour être prêt à partir et reprend de nouveau la route.
Je roule. Du bush.
Je roule. Du bush.
Je passe au dessus d’une ligne de chemin de fer, la Ghan Railway, nommé ainsi en hommage aux chameliers afghans. Un luxueux train permet de descendre de Darwin jusqu’à Adélaïde en empruntant cette voie mais je n’y aperçoit qu’un immense train de marchandise.
Je roule. Du bush.
Je roule. Du bush.
Je roule et tout doucement le paysage devient légèrement plus vert et vallonné. Au loin, des espaces scintillant trahissent la présence de lacs. Puis de plus en plus rapidement, la végétation se transforme en vaste prairies et des reliefs montagneux apparaissent au sud-est, les monts Flinders. Un vent puissant souffle et la température est nettement plus fraîche malgré un franc soleil.
Je roule. La route descend tout doucement et je fini par apercevoir l’océan. Le trafic devient normal. J’aperçois de plus en plus de petites fermes au loin et un panneau indique la prochaine ville, Port Augusta.
Le relief se fait plus plaisant et le paysage nettement plus verdoyant. Ça y est, je suis sorti du bush. Il m’aura fallu deux jours et demi de conduite solitaire.