Je n’ai pas passé une nuit particulièrement agréable. Il a fait super froid et un petit vent glacé soufflait en rafale. Très certainement il s’agissait des esprits d’anciens venu se venger de la playlist musicale de la journée d’hier. S’il faut conclure sur les swags, je conclurai que ce n’est pas concluant. J’ai réussi à dormir mais une terrible envie d’uriner vers 4h du matin a condamné mon sommeil. C’est le drame du camping par temps froid. Il faut une volonté d’acier pour se raisonner et sortir de son cocon pour atteindre les toilettes, souvent à l’autre bout du camping. Je me réveille donc la tête adroitement placée dans mon rectum, manière de parler, à la charmante heure de 5h40. J’ai réussi à faire la grasse matinée pendant dix minutes.
Un groupe d’une vingtaine de zombies aux paupières collantes tournent autour de la table sous l’abri, une assiette contenant des tartines tenu mollement dans une main et un gobelet de boisson chaude dans l’autre. On se parle d’une voix grave et contenue. D’une oreille, je crois comprendre qu’un dingo a visité notre camp pendant la nuit. Notez qu’il s’agit d’une sorte de chien sauvage australien et non pas d’un psychopathe en liberté. Dire que je dormais et que j’ai raté ça.
Une heure plus tard, chacun a roulé ses swags, récupéré ses sacs et effectué une toilette optionnelle. Nous voilà reparti en camion alors qu’une mince ligne clair commence à se dessiner à l’horizon. Nous retournons au parc national pour assister au lever de soleil sur Kata-Tjuta. Bizarrement, arrivé là bas, nous sommes les premiers. Il fait d’ailleurs toujours un peu frisquet. Ça, pour aller boire des bulles à l’heure de l’apéro, il y a du monde mais pour le petit déjeuner dans le frais, c’est beaucoup plus clairsemé. Le point de vue est situé entre Uluru et Kata-Tjuta, sur un grand talus sabloneux dans le bush. Progressivement, d’autres groupes viennent nous rejoindre et cela commence à se serrer sur la plate-forme. La silhouette du grand rocher rouge se dessine sur un horizon de plus en plus clair puis, tout à coup, de premiers rayons dorés viennent frapper les reliefs ronds de Kata-Tjuta. Les appareils commencent à crépiter.
Finalement, une lueur rouge s’intensifie à l’est d’Uluru. La tension monte. Certains perdent leur sang-froid et se mettent à mitrailler un nuage, le méprenant pour le soleil. La lueur devient orange, puis jaune pour finalement éclater au grand jour dans un grand éclat poétique. O astre de vie, comme te voilà bien matinal. Maintenant vous pouvez prendre des photos, sales touristes ! Alors je prend des photos.
Chacun reste prostré dans une béatitude admirative, chuchotant à son voisin en cas de débordement émotif. La lumière change rapidement, attrapant maintenant les arbres et le bush. On pourrait rester des heures dans ce calme matinal. « Bon, on y va ? », nous fait Bob qui est remonté nous chercher. Ah mais quelle plaie, ce guide. Je vous l’ai pas dit mais en réalité c’est un homme aux multiples activités. A l’origine c’est un grand spécialiste des reptiles. D’ailleurs il est parti travailler plusieurs années au zoo de Hambourg, où il a appris l’allemand. On peut d’ailleurs soupçonner son séjour hambourgeois en notant l’inscription « FC Sankt Pauli » sur la casquette qu’il arbore en permanence, qui comme chacun le sait, est un club de football d’Hambourg. Ensuite il est rentré en Australie dans sa ville natale d’Alice Springs où il a fait quelques petits boulots, dont guide, mais maintenant il se lance également dans la photographie. Mais tout ceci ne devrait pas forcément l’obliger à nous mettre la pression en permanence, bien qu’il ai de la route à faire, je le conçois.
Nous voilà donc repartis gaillardement, maintenant bien réveillés, vers Kata-Tjuta où nous allons faire une petite marche sous cette exceptionnelle lumière matinale. Alors que la route contourne le massif, nous pouvons déjà en apprécier un peu plus les formes, totalement changeantes suivant l’angle. On dirait de gros blocs cylindriques verticaux aux sommets arrondis, d’une couleur identique à Uluru. Alors qu’on s’approche, la taille de ces blocs devient plus évident et ce que je prenais pour une modeste formation s’avère être aussi voir plus haut que son confrère. La végétation autour semble également plus haute.
Le camion se gare et chacun sort pour écouter les consignes du guide. Il nous propose de faire un des circuits du massif mais en faisant demi-tour à la moitié. D’après lui, la dernière moitié est moins intéressante. Bon, s’il le dit. Il insiste aussi sur le fait que chacun reste groupé. Ici, il ne veut pas que les gens lambinent derrière, surtout moi qui prend des photos, rajoute-t-il en me regardant. Cool, voilà que je me suis fait remarquer. La grand-mère de l’Idaho décide de rester en arrière en accord avec Bob. Il semblerait qu’il y ai quelques passages un peu grimpette.
Nous partons donc à la queue leu leu. Je ne rentre pas dans les détails du massif, car un billet spécial y sera consacré, mais sachez que c’est également un site extra-terrestre. C’est pas possible autrement que ce soit aussi beau et unique. Il y a forcément un dessein derrière tout ça, un coup à devenir croyant. La marche se termine sur une sorte de col entre deux parois rocheuses rouge sang sous la lumière du matin, face à une vallée verdoyante et des mamelons oranges au loin, un véritable paysage de planète de science-fiction.
Chacun contemple et mitraille les environs en mâchonnant des cookies proposés par Bob. Parfois, on a envie de l’aimer ce garçon. Cinq minutes après, on me sort de ma méditation, alors que j’étais à deux doigts de comprendre le sens de la vie dans ce décor surnaturel, pour me demander de rejoindre la bande. C’est l’heure de la photo de groupe. Mon dieu, on se croirait à l’école. Enfin justement, s’ils m’avaient laissé cinq minutes de plus j’aurai pu leur dire s’il y en avait un, de dieu. La séance s’éternise car Bob, en charge de la prise de vue, est obligé de prendre une photo avec l’appareil de quasiment chaque membre du groupe. Toujours ce besoin de prouver aux autres qu’on était bien « Là ». Est-ce que je fais ça, moi ? Non, et ça se trouve je suis quelque part en Auvergne (plus probablement dans les Alpes de Haute Provence, en fait) en train d’inventer tout cela.
La formalité effectuée, nous pouvons repartir en sens inverse. C’est bien dommage, elle avait l’air chouette cette vallée. En chemin, je commence à papoter un peu avec la canadienne de l’Alberta qui parle un excellent français avec un très joli accent québécois. Elle a d’ailleurs vécu quelques années à Montréal mais habite maintenant avec son mari et ses deux chiens quelque part au nord d’Edmonton. On y voit d’ailleurs des aurores boréales en hiver et moi, ben ça m’fascine de savoir que des gens puissent voire des aurores boréales par leur fenêtre de salon. C’est quand même autre chose que des lumières intermittentes d’avions de ligne.
De nouveau dans le camion, nous repartons pour une longue route afin de rejoindre Kings Canyon que nous visiterons demain. Autrement dit, nous en avons fini pour les visites de la journée et il n’est même pas midi. Quand je vous dit qu’on fait beaucoup de kilomètres. Nous effectuons un petit crochet pour libérer la famille d’Idado de ce périple et les laisser à Yulara. Eux s’arrêtent ici et j’avoue avoir retourné la question dans ma tête. Le trajet jusqu’à Alice Springs étant encore loin, finalement, je reste. Surtout que maintenant, nous sommes de nouveau un nombre plus raisonnable.
Au cours du chemin, je constate qu’il fait un peu chaud, maintenant que le soleil brille bien haut. En discutant avec Yannick et Annouk, cette dernière s’interroge sur la présence ou pas du chauffage, pour qu’il fasse aussi chaud. Bon prince, j’élève donc la voix et demande à Bob si le chauffage est en marche. « Non. T’as froid ? » me répond-il un peu sèchement. Non, mais euh, en fait… euh… bon, je laisse tomber. Ça m’apprendra à poser les questions des autres.
Un peu après midi, nous nous arrêtons de nouveau à un cattle ranch pour déjeuner. A peine sorti du camion, nous sommes agressés par des mouches. Contrairement aux mouches dont je suis familier, celles-ci me paraissent un peu plus dodus. De plus, elles s’y mettent à plusieurs et elles sont loin d’être impressionnables. Mais surtout, elles s’attaquent aux yeux. D’après Bob elles sont attirées par l’humidité, les immondes pourritures. Sur des tables de pique nique nous disposons donc de quoi faire des sandwichs en agitant les bras et les mains comme des spasmophiles. Yannick, plus malin sort une sorte de filet d’apiculteur qu’il s’enfile sur la tête. C’est un vendeur de magasin de sport de Melbourne qui le lui a recommandé spécialement pour l’outback. Il est parfaitement ridicule avec ça mais nous autres sommes complètement au bord de la crise de nerf. L’Australie, du fait de ces mouches, est également le pays des chapeaux de cowboys garnis de bouchons de liège suspendus, histoire d’assommer les insectes qui passent. Du moins, c’est la théorie.
Nous repartons dans la précipitation et continuons notre route plus au nord pour rejoindre notre campement aux environs de Kings Canyon avant la nuit. Cette fois-ci nous dormons dans des tentes. Sur une longue ligne droite, Bob s’arrête et nous apprend que derrière une butte de l’autre côté de la route se trouve une surprise. Intrigués nous descendons du camion et traversons la voie sans aucune prudence. Le trafic étant vraiment rare et le silence complet, on entend venir les road trains à des kilomètres. On escalade la butte et quelques centaines de mètres plus loin nous apercevons une grande étendue blanche miroitante, un lac salé. De nouveau redescendu, chacun en profite pour photographier la route rectiligne et Bob insiste pour qu’on fasse une nouvelle photo de groupe. Exécution.
Quelques heures de route plus tard nous pénétrons dans un nouveau cattle ranch proposant des terrains de camping et le camion se gare devant l’accueil. On descend pour se dégourdir les pattes et attendre que Bob s’occupe des formalités. Un peu plus tard, il ressort du bâtiment avec un gros cacatoès blanc à crête jaune sur le bras. Il nous présente. L’oiseau est son animal de compagnie qu’il laisse ici car la famille d’éleveurs sont de bons amis à lui. Pendant dix minutes il nous montre tous les tours qu’il arrive à lui faire faire, entre autre, bouger la tête de droite à gauche quand Bob fait de même, la bouger d’avant en arrière lorsqu’il chante ou encore écarter les ailes en poussant un grand « sqwwwaaaak » lorsque son maître pousse un grand cri belliqueux. Pour tout vous dire, je suis souvent un peu mal à l’aise quand je vois ce genre de chose. Autant avec un chien, on arrive à voir lorsqu’il s’amuse mais là, n’étant pas un spécialiste d’oiseaux de cette espèce, j’ai l’impression de voir un humain s’amuser avec un animal plutôt que l’inverse.
Finalement, Bob va remettre son oiseau à sa place (sans doute en cage) et part garer le camion sur notre emplacement où se dressent une douzaine de tente en demi-cercle autour d’un abri central abritant tables et matériel de cuisson. Un groupe part chercher du bois pour le feu en compagnie de Bob, les femmes sont désignées pour préparer le repas. Les hommes seront chargé de la vaisselle. Pour ceux qui suivent, c’est le match retour. C’est donc un moment de flottement dont je profite pour me balader en limite de bush autour du camping. Dans cette région, il n’y a pas beaucoup d’eau donc il n’y a pas de crocodile. Je ne court donc quasiment aucun risque.
Un peu plus tard, le feu flamboie, et nous nous retrouvons autour pour digérer notre repas. Les discussions se font à un rythme plus haché, chacun étant happé par le pouvoir hypnotisant du feu. J’arrive néanmoins à avoir des discussions sympathiques avec Yannick, Annouk et les deux canadiens d’Alberta, notamment à propos du français québécois, de cinéma québécois et de constellations. La canadienne me prête sa tablette muni d’une application permettant de visualiser le nom des constellations en se basant sur l’orientation du dispositif. Rudement pratique mais un tantinet désagréable. L’écran étant assez lumineux, il a tendance à ruiner la vision nocturne, et donc la visualisation des étoiles dans le ciel. C’est quand même bien dommage.
Finalement, alors que le groupe se clairsème, je part rejoindre ma tente et mes rêves de la journée.