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Premier contact avec Melbourne

Actuellement, je suis en train de mâchonner un sandwich fromage et tomate dans un quartier résidentiel d’une des banlieues sud-est de Melbourne. Je dois rendre la voiture avant 15h à l’agence Wicked, mon loueur de voiture. Wicked, c’est l’agence de location de camping la plus voyante d’Australie. Un employé fou de leur service marketing a eu l’idée original de peindre tout leurs véhicules avec des graffitis ou au minimum des slogans provocants, histoire qu’on les remarque. La mienne de voiture est plutôt gentillette car elle ne porte sur elle que deux citations, l’une de Johnny Cash et l’autre de John Lennon. Parfois, c’est plus trash. Je m’estime donc chanceux.

En tout cas, je suis bien embêté car je n’ai pas de carte très détaillée de Melbourne. Inutile de dire que je n’ai pas pris l’option GPS. Ca coute horriblement cher, et puis c’est totalement tricher. Je fais donc un truc complètement incroyable et surprenant que la plupart d’entre nous avons oublié : je demande mon chemin à un être humain, autochtone de préférence.

Ca tombe bien, juste en face de la rue, un vieux monsieur est en train de tondre la pelouse sur son trottoir. Je m’approche de lui avec un grand sourire pour ne point l’effrayer et l’apostrophe d’un « excuse-me ». Je lui explique donc ma situation et mon but, en l’aidant un peu car j’avais au préalable noté grossièrement où se trouvait l’endroit grâce à une consultation internet. Pendant dix minutes il tente donc de m’expliquer le chemin à prendre, hésitant entre deux solutions, revenant sur la première puis l’abandonnant pour tenter de me détailler de nouveau la seconde.

Son dilemme provient de son hésitation à me faire emprunter la voie rapide à péage, n’ayant pas d’abonnement. Les cinq premières minutes, d’après ces dires, je suis convaincu que cette autoroute est inaccessible sans cet abonnement. Ensuite, je crois comprendre que c’est faisable, mais à un prix plus élevé. Bref, tout ça n’est pas très clair. Finalement, je valide la voie rapide, et commence à noter ses indications. Left, right, tout droit pendant plusieurs kilomètres jusqu’à Dandenong, puis prendre la M3 puis enfin la Monash Highway, à gauche direction centre ville. « Vous ne pouvez pas vous tromper, » qu’il me dit. Misère, la phrase maudite.

Je le remercie chaleureusement et reprend la route. Vingt minutes plus tard, je suis bien sur la M3 mais pour ce qui est de la Monash Highway, je ne vois pas d’indications. Je tente des choses à l’intuition, me repérant à la hauteur du soleil, mais rien à faire. Je suis paumé. Ils sont gentils les locaux mais c’est pas encore ça pour les indications. Fort heureusement, je suis non loin d’une station de train local. Pour l’anecdote, je suis en plein quartier Indien. Je m’arrête donc temporairement et m’approche de deux chauffeurs de taxis qui papotent.

Après les présentations d’usage, je leur demande le chemin de cette foutue « Monash Highway ». Comme par hasard, j’ai un peu de mal à les comprendre avec leur accent. Malgré tout, je parvient à noter leurs indications et reprend la route. Je suis à la lettre les instructions pendant dix minutes puis aperçoit une autoroute ayant une direction est-ouest qui me semble correspondre à ce que devrait emprunter cette fameuse highway. Par contre, aucune indication particulière m’indique si c’est la bonne hormis un numéro, M1. Je vois néanmoins des directions « Melbourne Center » et « Toll » ce qui veut dire « péage ». Je décide donc de tenter le coup et emprunte la bretelle d’accès. Cinq minutes plus tard, je double un petit panneau à gauche indiquant « M1 – Monash Highway ». P**tain, mais ils sont pas possibles ces gens. Pourquoi est-ce que tout le monde me parle de « Monash machin » alors que tout les panneaux indiquent M1 ? Ils sont tordus ou quoi ?

Je ne tarde pas à emprunter un pont, signe, d’après le vieux, que je dois bientôt sortir. Par contre, je n’ai toujours pas croisé de péage. Etrange. J’emprunte la sortie indiqué. Toujours pas de péage. Mais alors pourquoi tout ce cirque ? Ce n’est quand même pas basé juste sur la bonne fois des gens ? Les plus circonspects d’entre vous auront compris qu’il s’agit d’un système de péage vidéo, système qui enregistre la plaque d’immatriculation et en averti le propriétaire. Je vais donc sans doute me faire débiter une somme égale au PIB d’un pays du sud sahel via l’agence de location. Ce sera la surprise.

Fort heureusement, je parviens après un va et vient, à repérer l’agence en question et gare la voiture. Avec très peu de formalités, je rends les clés et un peu gêné, hésite à faire la bise à cette voiture avec qui j’ai quand même traversé la moitié de l’Australie dans sa hauteur. La prochaine étape consiste à rejoindre le CBD de Melbourne et y trouver le hostel où je vais passer les quatre prochaines nuits. Le gars de l’agence Wicked me rencarde sur le bus à prendre afin de rejoindre la station de train local. Ca tombe bien, l’arrêt est juste devant l’agence.

Je me retrouve donc de nouveau seul avec mes deux sacs à dos, de retour à l’état de routard. Assez rapidement, un bus arrive et je monte à l’avant pour demander un ticket jusqu’à la station de train.

« On ne vend pas de ticket dans le bus, monsieur, me fait le chauffeur.

  • Ah. C’est un problème parce que je n’en ai pas.
  • Il faut que vous achetiez une carte mailleki et que vous la topiez.
  • Pardon ? Une quoi ?
  • Une carte myki, me dit-il en me montrant une affiche.
  • Ah ben euh d’accord. J’en prend une.
  • Vous voulez topper pour combien ?

Un peu désorienté par tout ces nouveaux termes et surtout par le peu d’empressement du chauffeur à me sourire et à m’expliquer exactement le système, je comprend malgré tout, grâce aux nombreuses publicité accrochées dans le bus, que « toper » veut dire recharger la carte.

« Euh ben je sais pas, ce qu’il faut pour aller jusqu’au CBD, quoi.

  • C’est 4$ minimum et jusqu’à 20$.
  • Mais j’en sais rien moi !, répond-je commençant un peu à m’énerver. Mettez moi 10$, tiens.

Sans un mot il me tend la carte et encaisse mon argent. Sale con. Voilà ce que j’en pense. Et surtout, je me dit que c’était plus simple de prendre le bus en Inde ou Vietnam, pour le coup.

Un peu plus tard, nous arrivons à la station de train, qui se trouve être le terminus. Alors que je descend avec mes sacs à dos, sans remercier le chauffeur, je suis abordé par un homme à la cinquantaine à l’aspect défraichi, mais souriant. « Je peux vous aider ?, me demande-t-il.

Avec plaisir monsieur. Je lui explique donc que je souhaite aller au CBD et lui en retour, le fonctionnement de la fameuse carte MyKi, que j’avais déjà bien commencé à comprendre. Ca n’a rien de révolutionnaire puisqu’on peut emprunter tout le réseau de transport avec cela. Par contre, il faut déjà avoir une idée du prix d’un trajet (variable) pour avoir une idée de l’argent à mettre dedans. Lorsqu’on arrive pour la première fois, ce n’est pas évident. Du coup, pendant tout mon séjour à Melbourne, je n’aurais utilisé que 4$ sur les 10 de ma carte. Je le retient ce chauffeur. Heureusement qu’il y a de sympathiques australiens pour contrebalancer la sale impression qu’il laisse. D’ailleurs, loquace, il va même jusqu’à m’indiquer le numéro du quai pour le train allant à la gare de Flinders Street Station et se plaindre des travaux effectués partout autour de Melbourne dans les stations de train. Je compatis.

Pendant donc une demi-heure, j’observe la ville qui défile tranquillement à travers les fenêtres du train (équivalent à un RER) ne notant rien d’exceptionnel sous un ciel bien morne. Finalement nous arrivons au terminus. Une fois dehors, je me retourne pour me repérer et observe la façade. Cette gare de Flinders Street Station est vraiment très jolie, dans les tons saumons, ocres, vraisemblablement construite au 19ème siècle dans un style vaguement néo-classique. Un dôme de cuivre oxydé domine le coin donnant sur Flinders Street, une des rues principales du CBD. En face, on retrouve un quadrillage de rues à l’américaine avec de grands immeubles en verre encadrant un vieux bâtiment abritant un pub et la cathédrale légèrement gothique de l’autre côté de la rue.

Je me met donc en marche sur Flinders Street, à la recherche du numéro de mon hostel. Je longe la gare et les voix de chemin de fer. Bizarrement, je ne vois pas d’hostel au numéro. Je sort mon carnet et… ah oui. Autant pour moi, c’est sur Flinders Lane et pas Street. Je me demande bien qui est ce Flinders pour qu’on le voit partout, tout de même.

Finalement, je repère Flinders Lane, qui se trouve être une rue parallèle. Après cinq minutes de marche en sens inverse, je m’arrête au numéro indiqué et aperçoit des panneaux « Greenhouse Backpackers ». C’est bien ici. De manière assez amusante le petit hall donne sur un petit commissariat de police. Un ascenseur permet de monter jusqu’à l’auberge de jeunesse proprement dite sur les quatre derniers étages de l’immeuble.

Un peu plus tard, je me retrouve à poser mon sac à dos à côté d’un lit d’un petit dortoir de six, déjà occupé par deux anglais, un suédois et une suédoise. Fini le camping solitaire, me voici de retour en auberge espagnole.

En route pour Nha Trang

Il est temps de quitter Hoi An. Je sais, c’est un peu triste car cette petite ville est bien agréable. Mais avec le vol de vélo, il vaut mieux qu’on prenne le large avant que l’hôtel ne se rende compte qu’il lui en manque un. Ma prochaine destination, Nha Trang, plus au sud, une ville réputée pour sa grande plage et ses hordes de touristes russes. Je ne sais pas pourquoi. Sans doute des restes de l’époque soviétique.

Tout d’abord nous allons jouer à un petit jeu, celui de la prononciation. J’ai bien tenté de faire comprendre à certaines personnes que j’allai à Nha Trang mais sans grand succès jusqu’à ce que je me rende compte que le nom de la ville ne se prononçait absolument pas comme cela se lit en français. Oubliez « na trangue », ça ne fonctionne pas. La véritable prononciation s’approche plus d’un « na tchangue ». A partir de là, la conversation avec les autochtones peut reprendre. Ils comprennent mieux. Les vietnamiens sont certes sympathiques mais leur langue est plutôt hostile.

Pour descendre jusqu’à ma prochaine destination, il me reste un dernier tronçon de train à effectuer. Le départ s’effectue de Da Nang (qui se prononce bien « da nangue », merci) ce qui impose un premier transfert en bus local de Hoi An (Hoï anne, puisqu’on y est) vers sa grande ville voisine. Je prends donc un nouveau xe om vers la gare de bus sans la moindre angoisse. Je crois même que je commence à aimer ça.

Je monte dans un bus très simplement estampillé « Da Nang » ce qui laisse peu de doute sur sa destination. Je me trouve une place avec mes deux sacs et une femme au chapeau conique arrive pour les billets. Après m’être enquéri du prix pour aller à Gâ Da Nang, 20 kDongs, je lui tends un billet de cinquante. Elle fait mine de ne pas me rendre la monnaie puis me la tends avec un sourire. Hahaha. Elle m’a fait peur. « Il n’y a pas de tickets ? », lui demande-je, constatant qu’elle se tourne vers quelqu’un d’autre. « Non, non. Pas de tickets ici ». Il faut vraiment que je me débarrasse de mes réflexes d’occidentaux.

Nous partons dans le bruit habituel de vieux diesel et rejoignons Da Nang en milieu de journée sans grand soucis après une grosse demi-heure de trajet. Après quelques minutes dans la ville, la vendeuse de ticket m’interpelle gentiment et me fait signe de descendre ici pour la gare. Le bus s’arrête juste pour moi et je descends en la remerciant. Voilà une affaire rondement menée.

Comme j’ai pris beaucoup de marge (je ne sais pas, une sorte de mélange d’expérience et d’angoisse), j’ai le temps de commander un café vietnamien (assez épais et parfois servi avec du lait concentré sucré) et même de manger un bout dans un petit restaurant à côté de la gare. Si tout ce passe bien, je devrais arriver à Nha Trang en soirée vers 23h. L’estomac devrait couiner mais je devrais survivre.

L’heure du départ approche et je trouve mon wagon sans trop de soucis, selon un scénario relativement proche de mon départ de Hanoi, le retard en moins. Je me retrouve donc de nouveau dans une cabine couchette mais cette fois-ci je n’y dormirai pas. J’ai d’ailleurs du réserver une chambre à la dernière minute à Nha Trang, pensant que j’allais passer la nuit dans le train. Encore une fois, j’arrive alors que des personnes sont déjà dans le compartiment : une dame et sa fille. Nous échangeons donc des « sin tchao » polis et souriants alors que je pose mes affaires. Vous allez finir par croire que j’aime détailler tout les voyages que je fais. Je vais donc accélérer.

Un peu plus tard, le train roule vers le sud et alors que je suis en train de lire les aventures de Richard Bolitho (il n’est toujours pas mort alors que tout le monde crève autour de lui), la dame sort une boite en plastique, l’ouvre et sort des petits fruits verts de la taille d’une grosse balle de ping pong. Elle en prend un et en donne à sa fille. Manifestement, ça a l’air croquant. Voyant que je jette un œil discret à ce qu’ils mangent, la dame me tends la boite avec un sourire et me fait un signe m’invitant à en prendre. Quel con. Je vais encore me retrouver avec un truc répugnant dans la bouche.

Ma curiosité l’emporte sur mon instinct de survie et je tends la main pour me saisir d’un fruit, avec un grand « kam eune » pour la remercier. Avec un sourire elle arrache un nouveau morceau croquant de son fruit après avoir saupoudré des petits granulés marrons dessus. Elle me fait d’ailleurs signe d’en prendre un peu, également. Je m’exécute. Effectivement, le fruit est croquant et a un très léger goût de pomme. Je dirait même qu’il a un goût qui évoque la pomme, quelque part là bas au fond. J’apprendrai plus tard, en d’autres occasions qu’il s’agit d’une pomme chinoise. On va finir par croire que les chinois ne sont pas très bons pour les imitations. Par contre, pour ce qui est des granulés marrons, je ne sens pas trop l’effet ou alors un vague goût salé. Mais la bonne nouvelle, c’est que ça ne provoque aucun réflexe vomitif chez moi. Je fini donc mon fruit en croquant joyeusement dedans tout en continuant mon Bolitho.

Plus tard dans la journée (vous pouvez donc sereinement estimer qu’il ne sait pas passé grand chose depuis), les employés du train commencent à faire des aller-retours dans les allées pour proposer de la nourriture. Ma voisine commande un plat pour sa fille. Moi stoïque et ne sachant pas trop ce que c’est, je continue ma lecture. La fille commence à attaquer son repas dans un plat en polystyrène : du riz, du porc, un gros œufs dur avec une sauce. Le supplice commence. Ça a l’air pas mauvais son truc et j’ai du mal à empêcher mon estomac de grogner.

La mère finalement décide elle aussi qu’elle mangerait bien un bout et arrête l’employé des trains alors qu’il repasse. Il prend note et revient quelques dizaines de minutes plus tard avec un nouveau plat pour la mère. Entre temps, je crois que je commence à baver et finalement, craque. Je fait donc un signe à l’employé pour avoir la même chose que la fille, là, celle qui bafre de manière provocante. Celui-ci me réponds par la négative légèrement agacé. Manifestement, je m’y prend un peu tard et il est déjà revenu spécialement pour la mère. Crotte. Il repart.

Ceci dit, ma voisine de compartiment décide de prendre les choses en main et avec des gestes et quelques mots d’anglais simplistes me demande si je veux un plat. Ben, euh, oui, je veux bien. Avec un sourire elle me donne le prix et part dans l’allée avec mon argent. Mince, je m’attendais pas à ce qu’elle parte chercher le plat. Finalement, quelques minutes plus tard elle revient avec une nouvelle boite en polystyrène fermé et je la remercie avec un nouveau « kam eune », mais alors kam eune beaucoup. Qu’est-ce qu’ils sont sympas, c’est pas dieu possible.

Au bord de l’hypoglycémie, j’ouvre l’emballage et découvre une grosse cuisse de poulet sur un lit de riz. Bon, c’est pas exactement ce qu’elles ont eu mais c’est pas mal quand même. J’y goutte. Aïe. C’est un peu trop salé. Et le riz et un peu trop cuit et sec. Ce n’est pas le moment de faire mon difficile et je fini mon plat. Au moins, ça cale. Mais c’est peut être le pire repas que j’ai eu au Vietnam. Ma bienfaitrice me demande même si j’aime. Après une petite hésitation je fait une moue genre « couci-couça ».

Finalement, nous entrons en gare approximativement à l’heure prévu pour l’arriver à Nha Trang. Je demande confirmation à mes voisines qui me répondent par l’affirmative. Je les quitte donc avec de nouveaux remerciements et des « bye, bye » pour me retrouver rapidement devant la gare, où, sans hésiter, je hèle un nouveau xe om. Cette fois-ci, ce sera mon premier trajet nocturne. Nous convenons donc d’un prix (heureusement, j’ai entre temps trouvé sur un internet un vague barème pour les courses de xe om en fonction du kilométrage) et ppppppppprrrrrrèèèèèèttttte, c’est parti. Je dois avouer que de nuit, les sensations sont plus fortes même si la conduite reste quand même assez douce.

Nous roulons un peu le long de grandes avenues un peu désertes à cette heure-ci (quasiment minuit) bordées de hauts immeubles. Mon chauffeur s’arrête, cherche, puis repart. Il s’engage dans une ruelle, regarde à droite et à gauche, s’arrête au niveau d’une terrasse, interroge le serveur, puis repart. J’ai bien l’impression qu’il ne sait pas où se trouve mon hôtel. Il recommence le cirque une nouvelle fois puis finalement, avec quasiment un soupir de soulagement, on aperçoit l’enseigne du petit hôtel au fond d’une petite allée.

Je descends de mon xe om en le payant puis le remercie et il me quitte avec une tape amicale dans mon dos et un grand sourire. Il a du sentir que j’étais complètement serein et zen, à l’arrière. Je rentre dans le petit hôtel où je dois rester qu’une nuit mais le réceptionniste me fait signe de ressortir puis me précède pour m’amener à une autre adresse une vingtaine de mètres plus loin. Mmmh, voilà qui sent la combine. Je suis un homme dans un escalier qui mène à ce qui semble être une salle de séjour d’une maison et m’ouvre la porte d’une chambre au fond. Un autre escalier mène aux étages supérieurs. Effectivement, je me retrouve plutôt dans une chambre d’hôte, j’ai l’impression. Mais au moins la chambre est malgré tout fort convenable.

Le lendemain matin (je ne vous cache pas que pendant la nuit j’avais fermé ma porte à clé), je descends pour payer et sans surprise le propriétaire me demande du liquide. Heureusement le tarif est celui prévu.

Bienvenu à Nha Trang.

Le train, encore

La visite du Vietnam ne serait pas complète sans un petit trajet en train. Encore une fois je vous rappel que ma vie se limite à dormir, manger et se déplacer. Tous les autres éléments dont je vous narre les faits ne sont que de fâcheuses distractions, notamment cette horde d’homo sapiens sapiens qui ne fait que m’embêter. C’est donc non sans un certain pincement au cœur que je m’apprête à prendre le train à la gare (après avoir décliné l’invitation d’y être déposé en moto par Thuy, l’executive woman) pour quitter la charmante Hanoi. Au programme, un voyage de nuit pour rejoindre la ville de Dong Hoi au sud.

Je me présente donc une heure avant le départ du train à Gâ Hanoi (c’est à dire la gare d’Hanoi ce qui donne un sérieux indice sur l’origine du mot « Gâ ») l’esprit complètement préparé à toutes sortes de complexités, d’imprévus et de contretemps. Sur mon ticket sont très efficacement indiqués le numéro du train (S23), le numéro du wagon ainsi que le numéro du siège. Je part donc à la recherche d’un panneau indicateur pour repérer un numéro de quai, indécrottable habitué de la SNCF que je suis.

Le hall est assez petit et hormis des chaises à un bout où attendent une foule de gens et un stand de confiseries, boissons, chips à l’autre bout, je ne note que deux femmes en uniforme bleu clair assises derrière une table en faux bois, devant le passage menant aux quais. A côté d’elles un grand panneau liste les trains et leurs horaires, mais sans numéro de quais. Pas de panique, j’ai survécu à pire et en plus je suis tout même une heure en avance. Je part donc poser mes sacs et m’assois à une chaise libre de la salle d’attente. Mon cerveau est rapidement captivé par les télévisions accrochées au plafond qui diffusent une boucle d’une dizaine de spots publicitaires que je parvient assez rapidement à apprendre par cœur. De temps en temps, j’entends des annonces dans des haut parleurs mais sans parvenir à en comprendre le sens. Les gens autour de moi ont l’air de les ignorer. Je fait donc de même, et plutôt avec talent, si je puis me permettre.

Une demi-heure plus tard, je me lève pour aller vérifier si aucun changement n’a eu lieu sur un quelconque affichage. Sur le panneau listant les trains je vois marqué une nouvelle indication « 1H » en face du numéro de mon train. Renseignement pris auprès d’une des deux demoiselles derrière la table, il s’agit bien d’un retard annoncé. Je retourne placidement me remettre sur un siège et patiente.

Une heure plus tard, je sens une certaine agitation autour de moi qui s’accroît suite à une annonce incompréhensible en vietnamien. Je me jette donc mes sac à dos sur mon dos et m’insère dans la queue qui s’est formée devant le bureau des deux dames en uniforme. Au dessus du passage menant aux quais un afficheur électronique mentionne le numéro de mon train ainsi qu’un numéro de quai. Pas mal, dites moi. C’est en net progrès par rapport à Mumbai. Mon tour arrivé, je leur tends mon billet. Après un rapide coup d’œil, elle me le rend avec un léger signe d’acquiescement. Vraiment pas mal, dites moi. Au moins comme ça ils évitent que des pauvres étrangers déboussolés se retrouvent à monter dans le mauvais train.

J’arrive donc sur le quai numéro 1 et part à la recherche d’un passage sous-terrain ou une passerelle pour rejoindre le quai numéro 5, où doit se trouver mon train. Il fait nuit mais je ne tarde pas à constater un mouvement de foule vers un bout du quai. Je décide de miser sur l’intelligence collective et suit tout le monde. Nous contournons le train garé au quai numéro 1 puis enjambons à pieds trois voies, au mépris de toutes les règles de sécurité, pour rejoindre le bon quai. Je vérifie rapidement le numéro du train indiqué sur le wagon de queue. C’est bien le mien. Même pas drôle. Au passage, je constate que contrairement à l’Inde, il n’y a ici que deux classes de wagons. Je me retrouve donc avec le quidam vietnamien et ça c’est bien.

Assez rapidement je retrouve mon wagon et avant de grimper tends mon billet à un nouveau préposé en uniforme bleu clair qui me le rends avec un signe de tête positif. ‘Tain, mais c’est a vous gâcher le plaisir de la mésaventure toute cette vérification ! Si on nous enlève toute possibilité de se tromper, elle est où la joie du voyage, mince ?! Tout aussi facilement, je repère mon emplacement en constatant qu’il s’agit d’un wagon couchettes. Cette fois-ci il s’agit d’un modèle relativement simple à six places (deux fois trois niveaux) avec une porte permettant d’isoler le compartiment du couloir, tel les anciens wagons-couchettes français.

Je rentre dans le compartiment, où se trouve déjà une dame autour de la soixantaine assise sur une des couchettes du bas ainsi qu’un jeune garçon assis à côté d’elle. Les deux me sourient et on s’échange des « sin tchao» (plutôt raté de mon côté). Fort heureusement, j’ai hérité de l’autre couchette du bas et pose donc mes deux sacs dessus en dégageant le couloir. Assez rapidement, un homme rentre dans le compartiment et commence à parler avec la dame, suivi d’une jeune femme portant un bébé qui vient s’asseoir à côté de moi sur ma couchette. Tout ces gens ont l’air de se connaître et rigolent entre eux.

Un peu plus tard, La jeune femme me fait un signe en me montrant ma couchette. Étant doué d’une perspicacité décuplée depuis ma conversion à une démarche résolument holistique, je subodore qu’elle me demande si je suis bien à ma place. Je lui réponds donc par gestuelle en lui demandant si, elle, est sur la couchette du haut avec son bébé ? Réponse positive, et avec le sourire en plus. Bon, étant maintenant assez habitué à ce marché de seconde main des couchettes, je lui propose avec force gestes d’échanger nos places. J’imagine bien que ce sera plus pratique et moins casse cou avec un bébé. Avec de grands sourires elle me remercie et je commence à transférer mon barda au dessus. Au passage la vieille dame me remercie aussi avec un grand sourire alors que je manque de m’assommer sur la couchette du haut. Voilà encore quelque chose qui n’est pas dimensionné à l’échelle européenne.

Le train se met finalement en branle et je fini de m’installer aussi bien que je peux avec mes deux sacs à dos. Je vois la vieille dame sortir un tupperware contenant pleins de petites choses rondes qui de loin ressemblent à des pralines verdâtres. Le jeune garçon et la femme au bébé se servent puis, ce que j’estime être la grand mère, me tends la boite avec un sourire en m’invitant à en prendre. Je choisi délicatement une de ces petites choses en lui lançant un « kam eune » (merci selon le Lonely Planet) que j’espère chaleureux mais sincère, avant de le mettre en bouche.

Gloups.

C’est tout bonnement dégueulasse et j’ai beau être drôlement holistique ces temps-ci, je me retiens de le recracher dans le tupperware. Pour la peine, il me vient des envies d’appeler l’ambassade pour re-déclarer la guerre à ce foutu pays d’hypocrites. Rhaaa, la vache, je n’ai jamais goûté un truc aussi ignoble. Non seulement ce machin non identifié à un goût infecte que je tenterai de décrire comme un mélange de crotte de nez et de menthe avariée mais en plus la consistance est particulièrement répugnante. Imaginez un noyau d’olive qu’on aurait enduit d’une solide couche de dentifrice. Ah non et puis ce goût, misère. Mais faut être dangereusement au bord de la famine pour oser manger ça ! Pendant ce temps, bien entendu, la dame me regarde avec un sourire et un petit air interrogatif dont j’identifie très facilement le sens : « Alors, c’est bon ? ». T’as de la chance que je ne parle pas viet’, toi.

Que voulez-vous ? Étant relativement bien éduqué, je lui réponds d’un sourire et avale en interrompant d’urgence toute mastication. Et en plus je me retrouve avec un noyau dans la main maintenant. C’est pratique. Rhhaaa et puis ce goût qui ne veut pas partir même après une bonne rasade de ma bouteille d’eau. J’essaie de demander à la dame le nom de cette saloperie mais je suis à court de gestes. En plus, je préfère ne pas insister de peur qu’elle comprenne que j’en souhaite un autre.

Pour m’occuper l’esprit, je sort mon ordinateur et commence à travailler sur mes photos de Pondichéry. Aaah, ce goût en bouche ! Même ma salive est infecte maintenant. Rapidement, le jeune garçon, intrigué, viens jeter des regards sur mon écran. Je tourne un peu l’ordinateur vers lui pour qu’il puisse mieux voir, ce qui au passage permet à la grand mère d’apercevoir aussi quelques photos. On s’échange des sourires. Allez, va. Je te pardonne d’avoir tenté de me faire vomir. N’empêche que j’ai toujours ce truc en bouche.

Régulièrement des vendeurs de la compagnie de chemin de fers font des allés-retours pour proposer des plats dans des chariots métalliques. Ça aussi c’est un peu plus moderne qu’en Inde où le vendeur se contentait de deux cantines en fer blanc, une dans chaque main. De mon côté, j’ai l’estomac bien calé par un bun (boune) bô pris avant de partir.

Après une nuit sans encombre et à la température quasi polaire (il faudrait vraiment songer à former les gens sur l’utilisation de la climatisation, surtout dans ces pays à la température caniculaire), je me réveille tranquillement vers les 7h du matin, ce qui est depuis quelques temps une habitude. Mes voisins sont encore en train de somnoler et je quitte donc discrètement ma couchette pour rejoindre le couloir et jeter un œil au paysage. Nous traversons des collines couvertes d’une épaisse forêt humide.

Afin de repérer mon arrêt je vérifie l’heure. Nous devrions arriver à Dong Hoi vers 9h30 et il est 10h. Je lève un sourcil. Tiens, tiens ? Il me semble que le précédent arrêt avait eu lieu a 9h donc à moins que ce soit une première mondiale et que le train soit arrivé à Dong Hoi trente minutes en avance sans que j’en sois averti, nous sommes en retard. J’interpelle un agent qui passe en lui montrant ma montre et en éructant un « Dongue Hoï ? » douloureux à ses oreilles. Avec un léger sourire il m’indique 10h30 sur la montre. Nous avons donc toujours notre heure de retard.

Je reprend donc ma contemplation du paysage en essayant de faire abstraction de la musique pop vietnamienne qui vient du compartiment d’à côté et, à en juger par le son, d’un minuscule haut parleur bon marché ou d’un téléphone portable. Quelques instants plus tard, une petite fillette à couettes dans une robe rose sucrée déboule en dansant du compartiment en question. Elle tient dans une main un gros cube noire d’où émane la musique pop, l’autre main étant partie prenante de la chorégraphie. Et pour que ce soit encore plus parfait, sa petite voix aigu accompagne les paroles. Après une toupie parfaitement exécutée elle m’aperçoit qui la regarde avec des yeux ronds. Pas farouche la starlette, elle continue son numéro en me prenant comme spectateur.

De son compartiment, un jeune homme lui attrape le cube ce qui provoque instantanément chez elle un cri suraigu (seules les petites fillettes possèdent cette capacité). Elle lui fonce dessus en lui boxant les cuisses de ses petites mains boudinées, les cris toujours dans les octaves supérieurs. Assez rapidement, il cède en lui rendant le cube musical et c’est tant mieux pour nous tous, l’acouphène nous guettait. De nouveau en possession de sa bande son, la petite fille reprend sa chorégraphie et son chant, comme si de rien n’était. Moi je rigole puis discrètement attrape mon enregistreur numérique, histoire de ne pas effrayer l’animal. Malheureusement pour vous, je crois bien avoir merdouillé l’enregistrement mais croyez moi, c’était charmant.

Je prends ensuite mon appareil photo et tout doucement, tel un photographe animalier, m’accroupis pour la cadrer. La petite bête est à deux mètres de moi mais à la vue de l’appareil s’arrête de danser puis vient se cacher dans son compartiment. Mince ! Tout doucement, je vois une couette dépasser, suivi d’un œil furtif. Tant pis, après quelques tentatives pour l’amadouer, je range l’appareil photo. La starlette reprend alors son numéro. Petite peste !

Pendant une bonne heure, ma petite voisine se défoule sur une playlist de variété vietnamienne dont elle connaît manifestement les paroles et la chorégraphie par chœur. En tout cas, cela met tout le monde de bonne humeur, ce qui tombe bien, car nous arrivons finalement à Dong Hoi avec deux heures de retard.

Le voyage en train

Le grand jour enfin arriva, le jour ou je devais quitter la bruyante cacophonie de Mumbai pour me lancer dans la grande aventure du voyage ferroviaire.

Mon train, le prénommé « Dadar – Tirunelveli Express » (oui, tout les trains ont un nom genre l’Orient Express ou le Mumbai Mail. C’est la classe), part à 21h30 de la gare de Dadar à Mumbai. Malheureusement, je dois rendre les clés de l’hôtel à midi dernier délai. J’ai donc neuf heures à glander dans Mumbai avec mes deux sacs à dos (photo et autres). La bonne nouvelle c’est que la gare de Dadar est sur la ligne de train express que je prends tous les jours, notamment pour aller à Churchgate. Après un faux départ, où je me rends compte que l’employé de l’hôtel ne m’a pas rendu ma carte bleue après avoir réglé les quatre nuits, je me dirige une dernière fois vers ma petite gare de quartier dans l’indifférence générale du brouhaha quotidien. Ingrats. Ceci dit, quel plaisir de constater que certaines choses deviennent familière comme aller directement à la plateforme 2 de la gare de Santa Cruz avec son billet 1st classe acheté avec le compte juste au guichet tel un véritable commuter indien, pour attraper le « Slow train » pour Dadar. Le tout le plus naturellement du monde.

Bref, après quelques heures longues et poisseuses à se promener entre la gare et le front de mer, à se restaurer dans un petit restaurant, à faire des petites courses dans un supermarché pour éviter de mourir de faim (pour la soif, considérez que j’ai en permanence au moins un litre d’eau dans mon sac) dans le trajet qui va durer 14h, je rentre dans la gare pour me mettre au pseudo-frais dans un grand hall de réservation. Ça me permet de lire un peu avec la Kobo (c’est vraiment très bien pour lire un roman, je l’avoue) et observer quelques moments incongrues de la vie indienne (notamment ma petite vieille balayeuse qui m’engueule pour que je bouge).

Finalement, vers 20h30, j’embarque mes affaires et me décide à aller repérer la plate-forme du train. Je fais deux fois l’allée retour dans la passerelle qui dessert les voies à la recherche de son numéro mais ne repère que des trains locaux (oui car maintenant j’arrive plus ou moins à déchiffrer le symbole A01F128 comme étant le « fast train » qui part de Churchgate et s’arrête à Andheri, à ne pas confondre avec le B02S101 qui est le « slow train » mais qui lui s’arrête à Bolivari). Pourquoi est-ce que tout ceci ne me surprend pas ni ne m’agace ? Ce doit être la spiritualité indienne qui me gagne. Je retourne donc au hall où je venais de poireauter pour regarder les grands panneaux imprimés (donc pas peints à la main, ceux là, c’est moins joli) listant tous les trains en partance de Dadar (avec des noms exotiques comme le Gujarat Express ou l’Hyderabad Mail). Il y a trois panneaux, mais aucune trace de mon train. Aaah nonn. Pas comme à Heathrow !

Très légèrement angoissé, je me met dans une file avec mon billet et mon tour arrivant, je demande en anglais de plus en plus simplifié (maintenant je fais encore moins d’efforts de syntaxe ou de style, de toute façon ça change rien) où je peux trouver mon train. L’employé, avec une absence de grâce et de chaleur, me réponds : « plate-forme 7 ou 8 ». Mmmmh, voilà qui est précis, dites moi. Pour mettre toutes mes chances de mon côté en s’assurant qu’il m’a bien compris, je lui demande pourquoi mon train n’est pas marqué sur les panneaux. Il me réponds avec une légère pointe d’agacement : « c’est parce qu’il est nouveau celui là ». Oui. Ca ce tiens. C’est pas très pratique alors leurs panneaux. Mais bon. Je commence à m’habituer au flou. Si ça avait été à la Part Dieu j’aurai gueulé comme un putois en traitant les employés de la SNCF de sales fonctionnaires parasites. Non, je plaisante, même pas vrai. J’ai d’ailleurs de plus en plus d’admiration et de respect pour la SNCF depuis mon passage en Inde.

Je part donc à la recherche des plate-formes 7 ou 8 et les découvrent, l’une ou l’autre, légèrement à l’écart en compagnie de leur copine, la plate-forme 9. A tous les coups mon train part de la plate-forme 7, 8 ou 9. Encore légèrement sous influence de la SNCF, je parcours le petit hall commun à ces trois quais à la recherche d’un panneau d’affichage « Départ » pour trouver mon train. J’abandonne assez rapidement la quête et me remet à fouiller autour des quais à deux doigts de redemander à quelqu’un (mais ça, c’est tricher). Mon œil, ou mon cerveau, accroche de manière subliminal le numéro de mon train sur un panneau tout en longueur. Le temps que je tourne la tête pour me concentrer dessus, j’y lis une indication en hindi (avec l’alphabet idoine). Mince, aurai-je rêvé ? Je patiente en petit peu puis après quelques minutes, effectivement, je vois réapparaître mon numéro de train avec son joli nom et un numéro de plate-forme. Ce sera la 8. Aha, les choses se précisent !

Une fois sur le quai, je suis rapidement rassuré sur l’identité de mon train grâce à son nom inscrit sur tous les wagons. Il est déjà à quai mais les portes sont encore fermées. En face de chaque wagon sont placé des afficheurs électronique indiquant : S7, S6, S5, B2, B1. Mon wagon étant le A1, j’en déduis que ce sont la position des wagons et remonte le train à sa recherche. J’en profite pour découvrir les wagons à best… euh… non climatisés de troisième et de seconde classe. Il n’y aucune fenêtre, mais juste des ouvertures avec des barreaux et c’est tant mieux me dis-je. Passer quatorze heures dans un wagon fermé avec une foule de gens, ce doit être un enfer. Ils ont été un peu chiche quand à la taille des ouvertures quand même, mais bon. Quand à moi, j’ai réservé une place dans un wagon de deuxième classe climatisé donc j’espère secrètement qu’il ne s’agit pas de ceux-là, surtout qu’une foule compacte de gens avec leurs bagages et enfants se masse déjà sur le quai.

Après un moment de marche (mais c’est qu’il est sacrément long ce train, dites moi), je repère un wagon marqué « 2AC-Tiers » avec un discret indicateur « A1 ». Ce pourrait bien être lui, mon wagon. Juste à côté se trouve un groupe de gens massés devant le wagon « S1 » de seconde classe non climatisé. Je demande quand même confirmation du wagon auprès d’une famille (d’une part parce qu’il y avait une contradiction entre l’afficheur électronique qui indiquait S2 et le panneau sur le wagon qui indiquait A1, mais également parce qu’en cas d’erreur, je me voyais mal devoir remonter trois wagons surpeuplés avec mon sac à dos de montagne dans le dos et mon sac photo en ventral). C’était bien lui. Je me pose donc gentiment et attends l’ouverture des portes.

Quelques minutes plus tard, un coup de sifflet retentit à ma gauche. Instantanément, la foule précédemment d’humeur badine se transforme en foule excité digne des pires pillages de magasin Virgin : les portes viennent de s’ouvrir. Chacun se met à la queue leu leu sous l’encadrement d’employés de chemin de fer. Je reste en retrait, digne, en comprenant que ce va être du chacun pour soi, et m’apprête à sortir mon couteau Leatherman (courtesy, S. Bernard). Après analyse de la situation, je comprends que la queue ne se forme que devant les wagons « S » non climatisés. Soit il n’y a aucune place réservée et chacun lutte pour se mettre du côté des fenêtres, soit ils sont surexcités à l’idée de prendre le train. Devant mon regard ahuri, un homme dans la queue me fait un sourire amusé. Je lui demande par signe si la queue est pour le wagon S1 et il acquiesce. Ouf. Un peu gêné, je prends mes sacs et contourne la tête de queue pour entrer dans le wagon A1. Une esclandre me fait tourner la tête. Une femme est en train de s’engueuler avec deux personnes devant. Je me doute qu’il s’agit d’une histoire de place dans la file et me glisse dans le wagon. Prochaine étape, trouver la place 46.

DSC_5239_DxOJe suis tout d’abord surpris en constatant que c’est un wagon couchettes. Bon, admettons. Tout est relativement sombre, d’une fade couleur kaki et un peu vieillot. Un peu de lumière entre par les petites fenêtres et le reste est à la charge de petits néons au plafond. La disposition des couchettes est comme suit : à gauche, quatre couchettes en largeur sur deux niveau, se faisant face. De l’autre côté de l’allée une autre paire de couchettes en longueur cette fois-ci. Des rideaux permettent « d’isoler » les quatre couchettes du couloir alors que les deux couchettes en longueur ont chacun leur rideau. Tout ceci forme une joli ambiance de dortoir.

Je repère rapidement ma place et fait la moue en constatant qu’il s’agit d’une des couchettes du dessus parmi les quatre à gauche. Philosophe, je pose mes sacs dessus en attendant que chacun se pose pour voir si je pourrai m’asseoir sur la banquette du dessous avant de dormir. Rapidement, je constate que je gêne un peu tout le monde dans l’étroit passage et donc grimpe sur ma couchette, en me courbant pour ne pas m’exploser le sommet du crâne au plafond. Au moins la température est agréable. Après quelques instants, je repère la famille à qui j’avais demandé confirmation du wagon, entrer et s’installer dans les trois places à côté de la mienne. Les enfants et le père me font des sourires alors que la mère me tire une tronche de digne austérité (A ce propos, je suis à deux doigts d’établir un principe qui affirme que femme mûre en sari, jamais ne sourit). Moi je sourit aussi. J’ai l’impression qu’on va bien s’amuser quand chacun aura un coussin. J’hésite à consulter le Kobo pour traduire « bataille de polochon » en hindi.

Après un court moment, la jeune fille de la famille, arrive et me demande dans un anglais touchant de quasi compréhension si cela me dérangerai d’échanger ma place car ils sont quatre (ça je le savais) mais une des places est quelques « blocs » plus loin. Bon prince, j’accepte, et descend de ma couchette. Un autre homme arrive et me demande également si je voyage seul et si ça dérangerai d’échanger ma place avec quelqu’un pour qu’il soit ensemble avec sa famille. Non mais je suis une star ultra demandée !! J’hésite à faire monter les enchères histoire de me venger des vendeurs de bouteilles d’eau de Mumbai, mais mon éducation distinguée me force à refuser la deuxième proposition. Premier arrivé, premier servi. Question de principe, monsieur. Ceci dit, cette joyeuse discussion souriante avec tout ce petit monde là créer un petit lien de complicité. Je sens qu’on va vraiment se poiler quand les lumières seront éteintes. Concours de pets et rires garanti ! Wouhou !

J’effectue donc mon transfert vers une autre couchette (également en hauteur, donc pas de jaloux) et regrimpe à l’étage, en essuyant les remerciements chaleureux de la famille. Enfin, en tout cas du père et des enfants parce que la mère continue à tirer une tronche. Je l’allume en premier à la bataille de polochon, celle-là. Non, ne me remerciez pas. C’est la France qui vous remercie. Serviteur ! Sauf toi, la vioque. Bref, je me ré-installe pendant qu’à l’étage d’en dessous ils continuent de discuter au sujet des places à échanger et suis interrompu dans ma contemplation par mes nouveaux compagnons de chambrée, une mère et sa petite fille, qui de leur banquette du dessous me demande si je peux enlever mes chaussures car ça fait tomber de la poussière. Le tout sans un sourire. Mais c’est pas vrai ! Tiens, elle est en sari, la mère. J’obtempère en me jurant de les bombarder de bouts de pain humides dans leur sommeil. Là haut sur mon perchoir, je m’installe plus ou moins avec mes deux sacs et me pose pour lire (les passionnantes aventures au 18ème siècle de l’officier de marine, Richard Bolitho, pour les curieux). Pendant que tout le monde s’installe, un préposé vient nous distribuer couvertures, draps et coussin. Sympa.

Finalement, le train s’ébranle. J’espérai en profiter pour apercevoir la campagne aux alentours de Mumbai. Peine perdu car d’une part il fait nuit et d’autre part d’où je suis, je n’aperçoit que le bout des traverses qui défilent à travers la petite fenêtre. Du coup, j’ai la sensation d’être dans un avion en vol, avec une bande son légèrement différente et sans « on board entertainment ». Tout doucement les gens se posent et sortent leur casse croûtes, de magnifiques petites cantines remplis de riz et de sauces qu’ils attaquent à l’indienne, avec les doigts. Moi, je me bricole mes sandwichs en essayant de ne pas saupoudrer mes voisins du dessous de miettes. Pas tout de suite en tout cas. Je reprend ma lecture.

Je suis interrompu quelques minutes plus tard par un homme en costume sombre et cravate, muni d’une sorte de listing. Après les salutations d’usages il me demande mon ticket et mon passeport, traitement que je suis le seul à avoir droit. Je lui explique rapidement l’échange de place en compagnie du père de famille qui s’était déplacé, le sympathique bonhomme. Visiblement satisfait, l’officiel coche quelque chose sur sa liste et me rend mon passeport. Je reprend ma lecture.

Régulièrement de jeunes employés des chemins de fer passent le long du couloir avec des timbales en fer et un stock de gobelets en plastique tout en psalmodiant d’une voix monotone: « tchaï, tchaï, abilambilabalbilambalimbalaba, tchaaaïÏ, tchaaaÏÏ ». Sans trop de difficulté (je commence à les connaitre mes amis indiens) je comprend qu’il vend du thé au lait sucré (ou si vous avez tendance à  boire votre thé non sucré, du sucre au lait théié) et un autre truc dont je ne comprends pas la signification. Le bon sens commerçant voudrait que ce soit quelque chose de solide à ingérer pour compléter la boisson. Je reprend ma lecture.

Au bout d’un moment je me rend compte qu’il fait diablement froid dans ce wagon. Un souffle glacé m’arrive sur les cuisses et je constate que je suis à moins d’un mètre de la bouche de climatisation au plafond. Je me couvre avec les draps et la couverture sous le regard abasourdi de mes voisines du dessous. M’en fout, je me les caille. Ils ne savent pas régler une climatisation ou quoi ? Ou alors c’est pour qu’on consomme du tchaï fumant pour se réchauffer. Je reprend ma lecture.

Rapidement, tout le monde se met en position nuit puis vient l’extinction des néons. Plongé dans mon livre, je prolonge un peu la lecture à la faible lueur de la veilleuse. Finalement, je tente de trouver le sommeil en bricolant quelque chose avec mon gros sac à dos et le coussin. Ça devrait le faire, comme on dit.

Je me réveille dans la nuit en me disant qu’il fait quand même drôlement froid ici. C’est pas possible. Je me rendors.

Je m’éveille à la lueur du jour naissant (que c’est beau) et reprend ma lecture. Oui, le temps passe tranquillement mais j’attends que mes voisines du dessous manifestent un signe de vie pour descendre. Je suis trop respectueux des autres, je le sais. Je résiste à la vision fugitive d’un puissant jet de coussin en pleine face de la voisine en sari. Je reprend ma lecture.

Finalement, la vie reprend doucement dans le wagon et chacun se réveille en se grattant l’un le ventre l’autre la nuque, mais les siens. Je décide de ranger mes affaires et de quitter le wagon frigorifique pour la plate-forme entre les deux wagons. Là au moins, on ne risque pas d’attraper une pneumonie en juin, au pire une maladie tropicale, mais j’ai promis d’en ramener une. DSC_5110_DxOJ’en profite pour enfin apercevoir la morne campagne défiler tranquillement (oui, ce n’est pas un TGV). Cette position stratégique entre le cœur du wagon et les toilettes me permet d’échanger des sourires avec mes collègues de chambrées venu se soulager mais également d’engager un peu la conversation avec les deux jeunes de la sympathique (sauf la mère) famille. On parle vacances, trajets en Inde, d’où je viens, … J’ai la nette impression qu’ils prennent plaisir à exercer leur anglais hésitant mais c’est bien agréable de papoter. Le père s’y met à un moment lorsque je lui demande s’il connaît le nom de la gare juste avant Hubli Junction, celle où je dois descendre. On est rejoint par l’autre père de famille qui voulait échanger nos places et, alors que le premier retourne à sa couchette (tout ceci ressemble à une pièce de vaudeville avec ces entrées et sorties), on discute de nouveau de mon voyage en Inde. Bref, c’est le moment du papotage et me dit que décidément, les toilettes, c’est un chouette endroit pour engager la conversation.

Finalement, avec tout ça, le train ralenti une nouvelle fois (oui car toute la nuit il n’a en vérité pas cesser de s’arrêter à quasiment toutes les gares) et le sympathique père de famille sort la tête du couloir et me fait signe que c’est ici pour Hubli. Merci beaucoup. Finalement je descends du train sous les au revoir réciproques des enfants et des deux pères. J’espère que vous avez suivi le casting ?

Sur le quai d’Hubli Junction, je reprends ma chasse au infos pour trouver ma correspondance pour Hospet. Mais je crois que vous avez saisi le principe maintenant.

L’aventure de la réservation de train

Comme certains le savent, je suis parti en Inde en ayant réservé que les trois premières nuit à Bombay (ou Mumbai pour les puristes). Une de mes premières tâches consistait donc à réfléchir à ce que je voulais visiter puis à aller acheter des billets d’un quelconque moyen de transport, le choix initial étant le train pour son côté écolo-authentico-économique. Mes premières lectures de mon Lonely Planet à l’hôtel d’Heathrow avait jeté un petit froid: d’après eux les trains sont tout le temps bondés en Inde et il vaut mieux réserver à l’avance avant son départ. Ah. Ben merde. Trop tard.

Je me suis donc mis en tête le premier jour de me lancer sur internet et de voir si je pouvais réserver des billets sur un des sites cité sur le Lonely Planet (que j’appellerai dorénavant LP pour la concision). Ce plan tellement 21ème siècle a magnifiquement capoté quand mon hôtel s’est retrouvé en panne du sus mentionné internet et que l’option de faire ça dans un cybercafé en temps limité me plaisait pas trop. Et aussi parce qu’entre temps je me suis souvenu que commander un billet par internet c’est bien, mais l’imprimer c’est mieux, enfin en supposant que ça marche comme sur « voyages-sncf.com », ce que je sentais pas trop. J’avais pas d’imprimante et j’étais pas trop sur pour le cybercafé. Donc plan B : je décidai de me déplacer directement en gare pour y commander les billets pour mon trajet et utiliser le téléphone pour réserver les hôtels. En plus je me disais que ce serai plus sympa de communiquer avec un être humain pour une fois.

Avant de partir pour cette aventure, je demande aux charmants responsables de l’accueil de mon hôtel s’il est possible d’acheter des billets de train dans n’importe quelle gare où s’il faut absolument se déplacer à la majestueuse gare principale de Mumbai, l’incroyable Chahatrapati Shivaji Terminus (précédemment connu sous le nom de Victoria Terminus) qui se trouve beaucoup plus loin de mon hôtel. Le premier lecteur qui rigole de cette question typiquement occidentalo-condescendant se prend un blâme. Fort heureusement, mon hôte me confirme que c’est tout à fait possible d’acheter des billets à la gare voisine de Santa Cruz. Et ceci avec son magnifique accent indien qui m’oblige à lui faire répéter deux fois et me fait douter des mes capacités cognitive. D’ailleurs considérez dorénavant que toutes les questions posées à un indien, sauf indication contraire, se fait en deux voir trois exemplaires souvent entrecoupé d’un rictus supplémentaire de concentration à la deuxième réponse.

Je sort donc de l’hôtel tout ragaillardi de cette information – ça fera des tracas en moins – me prend la grosse claque de chaleur dés que je m’éloigne de un mètre du hall climatisé et part faire un crochet au cybercafé du coin pour faire mon ultime déclaration Pôle Emploi – mais ceci est une autre histoire. Toujours est-il qu’en route vers le cybercafé, je me rends compte de la difficulté de la tâche d’aller en gare demander des billets pour un trajet composé de trois parties, chacune avec des dates espacées et avec le wagon climatisé en seconde classe s’il vous plaît, le tout avec mes capacités de compréhension de l’anglais qui ont manifestement dramatiquement chutées sous 36°C de température et 90% d’humidité. Je prends donc la lâche décision de passer par une agence de voyage. Car le matin j’avais justement croisé une agence en allant vers la plage.

Après une petite marche sous haute transpiration, je retrouve l’agence et sa rassurante pancarte « IATA ». Voilà qui fait sérieux, contrairement à l’aspect décrépi de la devanture, néanmoins dans les normes de Mumbai. Dans l’agence, j’aperçois quatre personnes assises derrière un long comptoir, un vieux monsieur dans un bureau en verre et un autre type plus bedonnant plus loin. Je choisi le personnage derrière le comptoir le plus proche comme mon interlocuteur, en sachant que tout le monde me regarde comme si j’étais le premier client depuis dix ans. Je me doute bien que c’est mon type « occidental » qui interpelle et c’est confirmé devant l’évidente gêne de mon interlocuteur et les regards attristés de ses collègues, façon « aïe, le pauvre. Il a pas de chance ». J’étale donc devant lui mon vaste projet ferroviaire dans un anglais parfait (657 au TOEFL faites moi pas chier). Je le re-étale une deuxième fois vu que je comprends pas ou il ne comprends pas ce que je dis puis finalement il se tourne vers le monsieur bedonnant que je comprends être son supérieur par la différence d’âge et de tour de taille. Ce monsieur me fait signe de venir à son petit bureau, me propose de l’eau (vision d’horreur d’un verre d’eau du robinet remplis de microbes vivants) et du thé (vision rassurante des microbes se faisant bouillir la gueule dans l’eau), que j’accepte. Sympa mais servi d’office avec beaucoup de sucre et un nuage de lait. Je ré-explique mon désir d’effectuer un trajet Mumbai – Hampi puis ensuite Hampi – Pondichéry et pour finir un Pondichéry – Chennai. Il me précise tout de suite qu’il n’y a pas de gare à Hampi et qu’il faut descendre à Bangalore et prendre le bus (Alors là j’avoue ne plus trop me souvenir mais il me semble bien que c’est lui qui m’a parlé de ce bus à Bangalore. C’est important pour la suite). Ravi d’avoir cette information je le laisse continuer. Il me propose également de réserver les hôtels, ce que j’accepte avec un moment d’hésitation car j’étais franchement en mode « arrêtons de se prendre la tête » et en plus il m’avait offert du thé. Je me sentais donc redevable. Il se met à tapoter sur son ordinateur pendant quelques minutes ce qui lui donne une certain contenance pour finalement m’annoncer qu’il ne pourra pas réserver le train, c’est pas possible, il peut pas faire, par contre les hôtels, yes. Ah, mais c’est surtout pour le train que je suis venu, lui dis-je avec un petit rire pour faire passer la pilule. Je me prépare donc psychologiquement à reprendre le plan A, c’est à dire se déplacer en gare. Gloups. Au passage il m’apprend qu’il ne peut pas réserver d’hôtel pour une des destinations (Pondichéry en l’occurence) pour une raison que je n’ai pas comprise. Soit, admettons, je me démerderai. Il ajoute ensuite qu’il ne peut pas me donner de prix tout de suite mais qu’il me contactera à mon hôtel demain quand il les aura. Je lui fourni donc mes coordonnées (non sans une certaine méfiance) et repart dans la chaleur vers la gare de Santa Cruz. Drôlement efficace cette agence. Je vais toute de suite assassiner le suspens en annonçant que je n’ai toujours pas eu de nouvelles de l’agence, plus de 72h plus tard. Va comprendre.

La gare de Santa Cruz, vous pouvez l’imaginer comme une gare RER avec trois voies et trois passerelles piétonnes suspendues au-dessus permettant de traverser les voies. Chaque passerelleDSC_5100_DxO grouille de vendeurs mais je parviens néanmoins après quelques tours à repérer une sorte de bâtiment crasseux attenant à une passerelle où pourrait se situer un guichet de la compagnie de train. Bingo. Je fais donc la queue derrière un guichet (au nombre de quatre pour les plus avides de détails d’entre vous) puis, mon tour venu, aspire un grand coup et ré-exprime mon vaste projet de déplacement à travers l’Inde en trois temps. Le monsieur me coupe toute de suite et me précise avec le sourire (je le dis quand c’est le cas, vous inquiétez pas, car c’est suffisamment rare pour être signalé) que ce n’est pas ici mais au bureau des réservations qu’il faut aller, là bas en descendant les escaliers de l’autre passerelle. Ah diantre. Merci, mon brave (ça je ne l’ai pas dis mais le cœur y était).

Après une retraversée de l’autre passerelle avec mon regard dur de membre du Delta Force qui me permet d’éviter toute sollicitation des vendeurs (ou alors c’est qu’ils s’en foutent), j’aperçois effectivement le sus mentionné bâtiment, également crasseux. Je vous dis ça pour la description car en réalité je m’en fous qu’il soit crasseux pourvu qu’on puisse y acheter des billets de train en toute fluidité. En rentrant, je me dirige vers un guichet qui se libère (une sorte d’instinct) où je répète ma tirade. Le préposé me fait signe que ce n’est point ici mais au guichet de l’autre bout (en sachant qu’il n’y en a que quatre, également), justement là où la queue est la plus longue. Tiens donc. Etant patient dans les queues et sentant le dénouement, je me déplace volontiers. Après quelques minutes où je patiente en tentant de déchiffrer les monstrueux tableaux des horaires de trains peints à la main en rouge sur fond blanc, je note que mes compagnons d’attente sont tous munis de formulaires remplis au stylo. Saisi d’un affreux doute, je me tourne vers mon compagnon arrière, et je lui demande en anglo-gestuelle si ce document est important et s’il m’est permis de le consulter. Gentiment, il me le montre et je prends connaissance pour la première fois du formulaire T 524 F de demande de réservation de train sur lequel il faut mentionné le nombre de voyageurs, leurs noms, leurs âges, leurs sexes, l’adresse du demandeur, son numéro de téléphone, si on est médecin, la date de départ, la gare d’embarquement, la gare de débarquement et surtout… le numéro du train. Hein ? Un DSC_5012_DxOregard vers les panneaux des horaires me confirme que c’est hors de portée de mes capacités présentes. Je tente donc le tout pour le tout en restant dans la file, confiant en mes capacités de raisonner la préposée.

Mon tour arrivé, je récite mon laïus… deux fois, mais je sens rapidement que le message ne passe pas très bien. Finalement, sans que je me sois crispé, la préposée me fait comprendre avec autorité mais gentillesse mais autorité que ce n’est pas possible ici et qu’il faut que je fasse cette demande à Churchgate ou Viti. Je dois bien avouer que ma géographie de Mumbai est assez limité mais mes lectures du LP me permettent d’avoir une idée concernant ces deux endroits. Viti, ou VT doit être le diminutif de Victoria Terminus, maintenant nommée Chahatrapati Shivaji Terminus, la gare principale de Mumbai que je voulais initialement éviter. Churchgate devait donc être une autre gare. De retour à mon hôtel un peu abattu, les clercs à l’accueil me confirment la nature de « Churchgate » et m’indiquent gentiment le numéro de plate forme à la gare de Santa Cruz où je peux prendre le train pour rejoindre Churchgate et en m’enjoignant trèèèès chaudement de prendre un billet « First Class » pour éviter d’être dans un wagon bondé. Heureusement le prix est classique pour un occidental : 180 roupies A/R, soit environ 2-3 €.

Je retourne donc à la gare de Santa Cruz, du pas résolu du familier, limite en tapant dans les mains des vendeurs de jus de citron et sandales qui ont du me voir faire cinq fois l’aller retour dans la journée. Le voyage dans le train – qui pourrait être décrit sommairement DSC_5074_DxOcomme un RER sans portes extérieures et dont les différentes classes (1 et 2) sont séparés par des grilles (ce qui laisse une drôle d’impression quand on voit nos voisins de la seconde bondée nous regarder avec un regard envieux) – se passe sans encombre mais en prenant tout de même une bonne demi heure. Donc au final j’ai l’impression d’être un habitant de Saint Germain en Laye a qui on demande d’aller à Gare de Lyon acheter des billets (remplacez Saint Germain / Gare de Lyon par Montauban / Matabiau ou Villefranche / Part Dieu en fonction de votre lieu d’habitation).

Fort heureusement, Churchgate se trouve être le terminus se qui m’évite la peine de me tordre le cou à chaque arrêt pour tenter d’apercevoir le panneau sur quatre avec le nom de la station écrit en anglais et non pas en hindi. Churchgate est une gare terminus couverte façon Gare du Nord ou Gare de Lyon, mais avec uniquement six voies et je ne sais pas pourquoi je vous précise ça, sans doute pour vous noyer sous un luxe de détails. Je me dirige donc vers le hall en passant un portail de sécurité (je parlerai de la sécurité une autre fois) cherchant un guichet ou bureau avec une indication « réservation » ou quelque chose d’approchant. A bout d’inspiration je me poste devant un des seuls guichets trouvés avec un panneau indiquant « All tickets » au dessus. Mon tour arrivant (finalement assez rapidement), je répète mon texte mais le préposé m’indique qu’il ne s’agit pas du bon guichet et qu’il faut aller au bureau des réservations de l’autre côté de la rue. Et j’avoue que ça ne me fait ni chaud ni froid, commençant a prendre un certain plaisir à ce petit jeu de piste. Pervers que je suis.

Je traverse donc la rue (je suis devenu super bon là dedans maintenant), et aperçoit effectivement un grand bâtiment un peu gothique avec notamment dans un coin en bas un grand panneau peint à la main (j’adore ça de voir que c’est bricolé) blanc sur fond bleu (me dites pas après que je suis pas assez précis) marqué « Reservation center » en anglais ainsi que « Ministry of Tourism, India » suivi de plein de trucs en hindi que je ne comprends pas encore dans le texte. J’avoue être passablement surpris de me diriger carrément au ministère du tourisme, mais admettons. Après un passage dans un petit portail, un léger rebrousse chemin devant un panneau marqué grosso modo « Non le bureau des réservation n’est pas là, c’est à côté à droite », puis une légère montée au premier étage, je pénètre dans une grand pièce climatisée (haaaaaaaa, rien que ça c’est bon) avec huit guichets, chacun muni d’une indication (peinte à la main, toujours). Je commence donc à scruter certaines pour tenter de faire mouche sur le bon guichet du premier coup. Je me décide sur l’un deux (dont j’avoue ne pas trop me souvenir de l’intitulé mais je crois qu’il y avait un Visa / Mastercard accepté dedans) muni d’une préposée. Elle me fait rapidement comprendre après mon début d’introduction que ce n’est toujours pas le bon guichet et qu’il faut aller au dernier au fond. Effectivement sur celui-ci est indiqué « Tourist reservation » (peint à la main). Je patiente un moment que mon prédécesseur ai fini et finalement m’avance avec un sourire confiant.

Je vous la fait courte car ce n’est pas la partie la plus intéressante (il y a plein de questions doublées et triplées, de sourires complices ou pas et d’attente) mais je suis reparti avec mes deux billets (oui car pour Pondichéry – Chennai, il n’y avait qu’un seul train possible par semaine à cause de la mousson donc elle m’a conseillé de faire plutôt 4h de bus. Ca l’air de ne pas plaisanter la mousson) après avoir diligemment rempli mes trois formulaires T 524 F, fourni mon passeport ainsi que 41$ (oui car je n’avais pas assez de roupies et elle n’acceptait pas la CB Visa à son guichet, contrairement à l’autre, va comprendre). Vous me dites si je fais beaucoup trop d’apartés, hein ?

Un peu plus tard dans la soirée, après une fin d’après midi à flâner dans le quartier et son bord de mer (luxe de détail pour toi, lecteur), je discute avec un indien (se sera le sujet d’une autre histoire) qui m’apprend, un peu surpris, qu’il y a une gare beaucoup plus proche pour aller à Hampi que Bangalore. Ah, tiens. C’est bête ça. Enfin c’est pas très grave, ça prendra un peu plus de temps. A mon retour à l’hôtel, saisi d’un doute, je compulse le LP sur la Kobo et je découvre qu’effectivement la gare recommandée pour aller à Hampi s’appelle Hospet et que ce n’est qu’à une demi heure de Hampi. Voilà qui m’apprendra à faire confiance à un agent de voyage estampillé IATA plutôt qu’au Lonely Planet. Il faut dire à ma décharge que le plan de l’Inde que j’ai se trouve dans une page du LP et que sur la Kobo elle est carrément illisible, donc il m’était difficile de déterminer la distance entre Hampi et Bangalore. Je décide donc (non sans soupirer intérieurement) de retourner le lendemain matin à Churchgate pour tenter de changer l’arrêt.

Le lendemain, après un crochet au cybercafé pour réserver des hôtels à Pondichéry et Hampi (oui car entre temps j’avais décidé d’assurer mes arrières vis à vis de l’agence de voyage), je reprends un ticket « first class » pour Churchgate et après l’habituel trajet de trente minutes, me dirige d’un pas déterminé vers le bureau des réservations. Je m’assois un peu afin de patienter car le guichet est pris (j’ai appris de profiter de chaque moment permettant de rabaisser ma température corporelle). Après quelques grosses minutes la personne s’en va et je me lève pour me poster devant le guichet juste au moment ou un autre homme qui traînait par là me passe devant et commence à parler au préposé. Je commence à être assez habitué (voir le petit billet sur la politesse) donc je ne dis rien et attends de nouveau en me rasseyant. A ce moment là, je vois arriver un couple, manifestement occidental cherchant un guichet. Mon cœur s’accélère. Je ne suis plus le seul touriste à Mumbai (voir billet là dessus). Après un petit « Hi » timide, ils viennent s’asseoir à côté de moi et rapidement, on engage la conversation. Ce jeune couple allemand venaient de l’office de tourisme indien en bas qui leur a donné une carte photocopiée de l’Inde sans réseau ferré dessus pour qu’ils puissent planifier leur trajet en train. On papote un peu et je leur apprend l’existence du formulaire T 524 F ainsi que de la nécessité d’avoir son passeport. A cette nouvelle, ils se regardent visiblement surpris et déçus car ils ne l’ont pas sur eux. Aaaah ces bleue-bites, j’vous jure. Comme quoi, 24h d’avance feront toujours la différence ! Je leur demande ensuite s’ils n’avaient pas eu envie de réserver par avance par internet et ils me répondent qu’ils préfèrent garder de la flexibilité en décidant au dernier moment. Non mais je vous jure. Il y en a qui se croit où ?

J’interromps notre conversation car le guichet se libère. Je me transporte donc devant le préposé (malheureusement différent de la veille) et lui explique que je souhaiterai remplacer Bangalore par Hospet dans mon trajet réservé hier. Je lui ré-explique que je souhaiterai remplacer Bangalore par Hospet dans mes billets acheté hier. Je crois apercevoir un acquiescement de compréhension et il se met à tapoter sur son ordinateur. Après quelques manipulations dignes du système Amadeus (pour ceux qui connaissent) il m’apprend que Bangalore – Hospet c’est neuf heures de train. Euh. Comment ça, Bangalore ? Je lui demande alors si Hospet ne serai pas sur la même ligne de train que celui qui va de Mumbai à Bangalore et il me répond que non.

A ce moment là nous voyons (moi et les deux allemands) arriver trois jeunes femmes en sari mais manifestement de type européen s’approcher vers le guichet touristique. Je dis manifestement européen car il y en avait une blonde. Moi étant à mon guichet je vois ça d’un œil mais entend rapidement qu’elles se mettent à parler français aux allemands. Déjà c’est complètement incroyable de croiser autant d’étrangers ici mais en plus tout le monde parle français ! Aaah, Europe ! De fil et en aiguille on papote également et l’une d’elles (la chef blonde que je détecte à son assurance naturelle) m’apprend qu’il y a des quotas touristiques dans chaque train mais qu’il faut les demander explicitement. Ah ben d’accord. Elle aurait pas pu me le dire la préposée de hier ? Bon en même temps j’en sais trop rien si j’ai un quota touristique ou pas à vrai dire mais je sais que j’ai du reculer mon départ d’un jour car il n’y avait plus de place. Bref, je leur explique que je tente de modifier un billet pendant qu’elles se battent avec un autre préposé pour acheter trois billets de train en sachant qu’elles n’ont que deux passeports mais que la troisième connaît son numéro par cœur. Elles ont du batailler au moins cinq minutes pour qu’ils acceptent en échange d’un retour lundi au guichet pour fournir l’original.

Revenant à mon mouton (le préposé), je suis passablement surpris qu’il faille enchaîner neuf heures de train pour aller à Hospet après les 14 heures pour faire Mumbai – Bangalore. Je me retourne alors vers mes nouveaux amis Allemands et leur demande s’ils n’auraient pas l’obligeance de me montrer leur carte d’Inde. Ils me sortent une carte dépliante grand format (qu’ils avaient donc déjà avant d’aller à l’office de tourisme, les traitres) et on se met alors tout les trois à la recherche de Hampi, Hospet et Bangalore. Là, il faut imaginer la caméra faisant un travelling arrière suivi d’un zoom avant pour comprendre la sensation de chute libre qui m’a pris quand on a découvert que Hospet se trouvait grosso modo à mi chemin de Mumbai et Bangalore. Le préposé me proposait carrément de faire un retour en arrière. Ou alors c’est qu’il ne m’avait pas compris. J’emprunte la carte au couple Allemand et je me dirige vers le guichet ou le préposé vient me rejoindre. Je lui fait comprendre par force signes en m’aidant de la carte doublé d’un sous titrage en anglais que Bangalore, caca, pouuuh, j’en veux pas, Hospet, mmmmh, good, this is where I want to go. Je caricature un peu mais finalement il avait effectivement mal compris. Le TOEFL c’est de la merde, en fait.

Il retourne à son clavier d’ordinateur ou après moult tapoti-tapota il me dit que Hospet c’est pas génial et qu’il me prends plutôt Hubli Junction comme gare. Soupir. « Vous êtes sur ? Parce qu’il n’y a pas de gare à Hospet ? ». D’après lui, il y a une gare mais c’est pas sur la grande ligne. Il vaut mieux s’arréter à Hubli et ensuite prendre le car qui amène à Hospet en trente minutes. Je fais un rapide calcul mental et me dit qu’une heure de car au total pour aller à Hampi, ça me va. Il me donne la liste des trains et malheureusement, faute de disponibilité, je suis obligé de décaler une nouvelle fois mon départ. Je vais donc rester deux jours de plus à Mumbai, ce qui n’est pas très grave (sauf éventuellement pour mon portefeuille) dans la mesure ou ça me permettra d’avoir plus de temps pour réserver le logement. Je donne donc le top et il se met à faire sa magie sur son ordinateur, me demande de remplir un nouveau formulaire T 524 F (trop facile) pour finalement me montrer l’ancien billet Mumbai – Bangalore en me demandant bien clairement si je veux l’annuler. Un frisson me parcours l’échine en imaginant qu’il ne m’a pas encore compris mais après un moment je me doute que c’est pour être bien sur. Je redonne le top plein d’assurance pour que le doute ne s’immisce surtout pas dans son cerveau et quelques instants plus tard il me rends tout un tas de roupies en remboursement. Et il me sourit. Euh. Mais t’as fait la moitié du boulot mon gars ! Je veux faire pareil pour Bangalore – Puducherry moi ! Pourriez vous remplacer ce billet Bangalore – Puducherry par un Hospet… euh… Hubli Junction Puducherry ? Là je sens qu’il est rodé car un T 524 F et un nouvel échange de roupies plus tard, mais cette fois ci, dans l’autre sens, je me retrouve avec mes deux nouveaux billets. Victoire.

Entre temps, le couple d’allemands a décidé de fuir et de revenir un autre jour avec leurs passeports. Rhaa, ces bleue-bites.

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