Un peu plus tard dans la semaine, je décide d’aller faire une nouvelle excursion dans le passé. Après avoir revu mon ancienne école, je vais faire le tour des anciens lieux où nous avons habité. Bien qu’ayant passé que deux ans et demi à Sydney, nous avons emménagé trois fois. Les raisons en sont sans doute bassement techniques mais ce qui est fou c’est que de nombreux adultes crieraient comme des porcs qu’on égorgent à l’idée de déménager aussi souvent alors que moi, enfant, ça ne m’a pas du tout dérangé. Relativisons néanmoins. Je suis à peu près convaincu que les déménagement ont été réalisés par des professionnels, pouvoir d’achat d’expatrié oblige. C’est tout de suite beaucoup moins traumatisant. Moi, à six ans, je ne devais pas beaucoup participer non plus.
Lorsque j’ai évoqué auprès de Romain la liste des quartiers où nous avions séjourné, il m’a tout de suite gratifié d’un « ben mon salaud, vous vous faisiez pas chier », ou quelque chose d’approchant. On ne se logeaient pas dans des HLMs, pour sur. Enumérer les quartiers de Rose Bay, Elizabeth Bay et Woollahra à un habitant de Sydney doit ressembler au triptyque Neuilly – Auteil – Passy des habitants de Paris. Expatrié pour un grand groupe industriel français, à cette époque, c’était la belle vie. Malheureusement, nous n’avions pas de domestiques et croyez bien que je le regrette.
Au niveau géographique, ces quartiers haut de gamme sont tous situés en bord de baie, entre Sydney Cove et Bondi, côté sud de la baie. De toute façon au nord, je ne sais pas ce qu’il y a. Comme le relief est très vallonné de ce côté là, vous imaginez bien que le top du top consiste à posséder une maison avec piscine légèrement en hauteur mais néanmoins proche de l’eau afin de bénéficier d’un accès commode à son bateau. Avoir un bateau, c’est la base ici, enfin. D’ailleurs, mes parents, en avait un. Vous sachant jaloux, le but du jeu de ce billet et de vous écoeurer par un débordement indécent de richesses, vous l’aurez compris. Bon néanmoins, mon honnêteté intellectuelle m’oblige à préciser que ce bateau était en co-propriété avec deux autres couples d’amis et qu’il ressemblait à un jouet en plastique blanc et vert à moteur (mais avec une mini cabine) d’environ cinq mètres de long. N’empêche qu’avec ça, on peut aller explorer toute la baie et même attraper le mal de mer.
C’est donc un matin que je part à pied à la découverte de tout ces lieux, en commençant par le quartier de King’s Cross. King’s Cross c’est une sorte de mélange entre Pigalle pour les sex shops et Castro pour les revendications LGBT (Lesbienne, gay, bisexuel et transsexuel) saupoudré de junkies le soir. En journée, c’est plutôt tranquille et coloré avec un mélange de magasins, bars et d’habitations. Je remonte une rue en direction de la baie et redécouvre une fontaine en forme d’aigrette de pissenlit. Encore un souvenir qui se concrétise. Je regarde autour de la fontaine pour tenter de retrouver un petit musée de cire dont j’ai le souvenir pour y avoir été traumatisé par des scènes d’attaques de requins. Peine perdu, je dois me tromper. En tout cas cette fontaine est pour moi emblématique du Sydney de mes six ans. Grâce à Wikipédia, trente ans plus tard, je découvre que c’est un mémorial de la bataille d’El Alamein pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Je continue plus loin et retrouve la rue de notre première demeure, Elizabeth Bay road. Après un peu de marche je m’arrête devant le numéro. Sans soucis, je reconnais le parking de l’immeuble, situé sur le toit. En effet, l’immeuble est à flanc de colline et la rue au sommet. Autour, les habitations sont plutôt jolies même si ça n’évoque pas forcément le luxe. On est plutôt à Saint Cloud qu’à Auteil. Non, le véritable intérêt de cet appartement réside dans le parc et la baie juste en dessous. J’emprunte donc un escalier et me retrouve au pied de l’immeuble face à Rushcutters Bay. Comme dans toutes les petites baies qui constellent ce coin de Sydney, elle abrite une foultitude de bateaux. Des cours de tennis agrémentent le tout, précisément comme je m’y attendais.
Finalement, je quitte ce charmant parc et reprend de l’altitude. Prochaine étape, les hauteurs de Woolhara. Sur ces rues à proximité du nœud de transport de Bondi Junction, les habitations sont plus hétéroclites. Je croise à la fois des immeubles en briques et des petites maisons aux ferronneries si typiques de l’Australie. Par contre, les commerces sont rares hormis un petit centre commercial. J’emprunte finalement Edgecliff road et le décor devient plus cossue et boisé. Les eucalyptus et les arbres exotiques (ce qui est une façon discrète d’indiquer que je ne connais pas la marque) bordent la rue. Au numéro prévu, je reconnais sans soucis notre troisième et dernière habitation, une très jolie town house, c’est à dire un immeuble en pente, blanche à flanc de colline. Avec culot, je rentre dans la résidence, non fermée, histoire d’entre-apercevoir l’appartement et le jardin que je sais être en contrebas. Pour l’appartement, c’est peine perdue mais j’atteins sans être héler le jardin et l’accès à la piscine commune derrière une porte vitrée. De nouveau, hormis les proportions, tout semble identique. Tiens, non, maintenant que j’y pense. Je n’ai toujours pas entendu un seul kookaburra depuis que je suis ici alors qu’on en avait régulièrement dans ce jardin.
Dans le doute, mais sans vouloir vous sous estimer, je précise que les kookaburras sont des oiseaux typiquement australiens (et sans doute unique à l’Australie comme quasiment toute la faune) dont le chant ressemble à un rire. Comme le dit la chanson, « laugh, kookaburra laugh under the old gum tree ». Là, c’est une bonne pleine tranche de culture australienne populaire que je vous donne. Tenez, pour une playlist typique, vous pouvez vous enchainer the Kookaburra Song, G’Day et Waltzing Mathilda le tout en plaçant un nuage de mouches autour de votre tête histoire de vous croire dans le bush.
Mais revenons à mes moutons. Après quelques instants de méditation, je quitte la résidence et reprend ma route pour mon troisième arrêt, Rose bay. Je précise que je fais tout ceci à pied. D’ailleurs, ça commence à se ressentir. Quelques temps plus tard, je suis redescendu au niveau de la mer et longe un grand terrain de golfe. Tout de suite, ça pose le standing du quartier. Au bout, j’atteins une nouvelle baie, Rose bay.
Cette fois-ci, une rue longe le front de mer mais surtout, les maisons ici sont hyper luxueuses. Grandes baies vitrées sur design épuré. Je traverse la rue et me dirige vers la marina où nous ancrions notre bateau. Ici se concentrent des souvenirs de départs pour des dimanches ou samedis entre amis, glacières remplies de salades et sandwichs, en t-shirt et maillot de bain pour une anse ou plage encore inexplorée de la baie. En tout cas, pour un enfant de six-huit ans, ça avait un petit parfum d’aventure. De plus, l’endroit abrite quelques pélicans, ce qui n’est pas commun dans nos contrées. Ça change des canards et des mouettes.
Pour le coup, j’ai du mal à reconnaître les lieux. Globalement, je me repère mais les bâtiments on changé. Surtout, comme pour les deux autres lieux, je me rend compte que ma mémoire est très sélective. Chaque souvenir est isolé et j’ai du mal à replacer les choses relativement les unes aux autres. Tenez, par exemple, je suis infoutu de retrouver la direction de la rue où nous habitions, Beresford road. Je suis obligé de m’abaisser à demander ma direction à une dame qui doit s’en remettre à son smart phone pour m’aider.
Je rebrousse donc chemin et m’engage dans la rue. Il doit y avoir une erreur. Les maisons ici sont d’un standing inatteignable. Je poursuit en m’éloignant de la baie et deux cent mètres plus loin, reconnais notre ancienne maison. Tout autour ne sont garés que de gros SUV et 4×4. Ben merde alors. Si j’avais su j’aurais demandé une augmentation de mon argent de poche. La rue est extrêmement boisée et trois rues plus loin, j’aperçois le terrain de golfe. Pas mal. Derrière la maison, une colline domine la baie. Je monte un escalier pour tenter d’apercevoir le jardin d’en haut, sans grand résultat. Finalement, je repart en continuant mon ascension.
Plus haut, ça devient l’orgie immobilière. Je croise des résidences incroyables, notamment de certains consuls. Rien d’étonnant lorsqu’on voit la vue. Un peu plus loin je remonte le long d’une école privée réservée aux garçons, chacun en uniforme identique quelque soit l’âge. Il y en a même habillés en treillis militaire assemblés sur le terrain de sport. Ça sent l’école privée sélective à plein nez.
A la vue de toutes ces riches maisons, jai d’autres souvenirs qui remontent de goûtés d’anniversaire chez le consul libanais, un drapeau orné du cèdre vert au fond d’un couloir alors que je cherchait les toilettes (c’est fou parce que depuis, j’ai une affection toute particulière pour le Liban. Oui, bon. Ça mais également car j’étais pris d’affection pour la fille du consul). Je vous rassure, j’ai également des souvenirs de fêtes d’anniversaire beaucoup moins glamours mais tout aussi amusants chez McDonald’s. Mais j’en mettrais ma main au feu, je crois bien que mon empreinte libanaise a eu lieu dans ce quartier.
En tout cas, à l’époque, indéniablement, on savait vivre. Je ne vous parle même pas des gens de qualité que nous fréquentions.