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Mon ami sans nom

J’ai fait un rêve en planifiant (oui, sauf le train, gna, gna, gna) ce tour du monde. J’ai rêvé que je rencontrai des gens du coin et que malgré la barrière de la langue nous parviendrions à créer un lien et à échanger sur nos pays respectifs. En un mot comme en cent, j’ai rêvé de rencontres exotiques (humaines ou pas. Je suis pas difficile). Ouvres toi monde, je viens z’a toi. Et bien il ne m’a pas fallu plus de 24h pour commencer à papoter avec un gars du cru, c’est à dire (et pour voir si vous suivez), un indien de Mumbai. Il est pas beau le monde, hein?

DSC_4927_DxOJe vous pose le décor : Mumbai, fin de journée. Le soleil se couche sur le célèbre front de mer surnommé le « Queen’s Necklace », face à la mer d’Arabie. La foule remonte (ou redescend ça se trouve) la promenade au bruit des vagues qui s’écrasent sur la plage mais également au bruit des klaxons et des bruits de moteur, oui lecteur cynique. Après une longue journée de négociation avec des employés des chemins de fers indiens, je me pose sur un banc face à la mer et profite du spectacle sans cesse renouvelé de mes congénères bipèdes.

Après quelques minutes de méditations, j’entends mon voisin à ma droite qui me parle du temps qu’il fait dans un anglais impeccable. Voilà qui est incroyable. C’est le premier indien que je comprends instantanément depuis mon arrivée (ce sera d’ailleurs le dernier). Je me tourne vers lui un peu sur la défensive (putain, mais il voit pas que je médite face au célèbre front de mer qu’on surnomme le « Queen’s Necklace » celui là?) mais malgré tout intrigué car il avait lancé la conversation non pas sur un thème météorologique complètement banal du genre « halala, qu’est ce qu’il fait beau » mais sur quelque chose de plus exotique du genre « la mousson ne vas pas tarder à arriver et les couchés de soleils en seront plus joli ». Poésie orientale, transporte moi. Etant donné que, moi, la mousson je compte bien la vivre en direct (vu que je me suis fait suer à investir dans des sacs étanches pour mon matos) je lui demande donc quand est-ce qu’elle va t’elle arriver la mousson, dites, hein ? Mais en anglais, bien sur.

DSC_4929_DxOBref de fil en aiguille, nous sommes restés gentiment assis côte à côte à deviser de l’Inde, de la France, de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni, de la corruption, etc, le tout pendant au moins trois heures. J’en ai profité pour lui poser des questions sur des comportements vus à Mumbai que je n’avais pas très bien compris (notamment cette fameuse impolitesse dans les queues), sur la situation économique en Inde. Bref, j’en profites en faisant mon candide. Un monsieur à la conversation agréable, cultivé, d’environ cinquante ans je dirai, un peu chauve à la Mahatma Gandhi mais un peu plus gras (est-ce un exploit?) et sans les lunettes. Bien entendu également un peu plus vêtu. Il m’a expliqué qu’il travaillait dans la pharmacie mais que ça société ne le payait plus depuis trois mois et donc qu’il cherchait du boulot. Il m’apprend également qu’il a un bon ami français qui est producteur de cinéma. Mais c’est dingue ça ! Comment s’appelle t’il ? Figurez-vous que je connais également des gens qui sont dans le cinéma à Paris ? Bon là j’étire un peu la vérité car en fait je connais vaguement un producteur avec qui j’ai travaillé sur un projet européen il y a dix ans. Mais ça serait bien le diable si c’était lui. Forcément c’était un gars que je ne connaissais pas (Luc Besson, non, connais pas) mais qui d’après lui l’avait rencontré de manière naturelle comme nous maintenant alors qu’il venait pour un festival à Mumbai. Mais c’est dingue ça dites moi, dis-je, quand même un peu surpris qu’un producteur de cinéma parisien se lie d’amitié aussi facilement avec le premier venu.

Je découvre également après forces questions sur sa vie (oui car on s’est raconté nos vies, un peu) qu’il est en procès, lui et ses collègues, avec sa boite pour qu’elle paye les salaires mais qu’entre temps elle s’est fait racheté par Pfizer, une grosse boite pharmaceutique. Ah, mais oui, je connais très bien. Sauf que Pfizer veut liquider la branche indienne donc ils vont sans doute se retrouver au chômage. Du coup forcément, j’enchaîne sur le système d’assurance chômage en Inde pour pouvoir comparer avec notre bon vieux Pôle Emploi.

Puis un peu plus tard on revient sur sa situation et notamment familiale. Il m’explique qu’il a envoyé sa famille dans sa ville d’origine (Pune pour les plus curieux. C’est à côté de Mumbai) parce qu’il ne pouvait plus payer le loyer à Mumbai, exorbitant. Combien lui demande-je ? 6000 roupies par mois. Rapide calcul mental. Ah oui, c’est euh… exorbitant. Bref, sa famille proche n’était plus avec lui.

On parle un peu du coup de nos situations familiales respectives et sur la structure familiale en Inde. Un peu plus tard il m’apprend qu’en dehors de sa femme personne d’autre est au courant de sa situation financière car il ne veut pas affoler ses parents et qu’il est gêné vis à vis des autres membres et amis pour qui il est un symbole de réussite. Il n’ose pas trop demander de l’aide à son ami français parisien ou à son autre ami italien bien qu’à chaque foi qu’ils viennent à Mumbai, il les reçoit comme des rois chez lui. Ah oui, la fameuse fierté masculine, hein, mon cochon ?! Je ne lui ai pas dit comme ça. Mais un truc un peu plus édulcoré.

J’étais peut être en mode voyageur candide, monde viens z’a moi, je m’ouvre à toi (ou inversement, je m’y perds), mais là j’avoue que je commençais à avoir l’arnaquomètre qui commençait tout doucement à s’approcher de la zone d’alerte. Cette insistance à ramener le sujet sur sa situation financière commençait à devenir suspecte. Je suis donc passé en mode noyade de poisson.

On poursuit donc la conversation sur des sujets variés, moi essayant de parler d’autre chose qui pourrait avoir trait à de l’argent, lui revenant sur ces problèmes d’emploi. La situation était délicate. Malheureusement, j’avoue qu’à un moment j’ai fait une gaffe de débutant. Il devisait tranquillement sur un entretien qu’il venait de passer chez une autre société pharmaceutique (car il cherchait à trouver un autre job vu qu’il n’était plus payé) et qui avait été très positif. La preuve, on l’avait rappelé pour venir faire un deuxième entretien au siège social situé quelque part dans le Gujarat (un autre état d’Inde). Je suis pas très fortiche en géographie indienne mais je me doutais que c’était un peu loin de Mumbai. Donc naïvement (rhaaa, la faute de quart), je lui demande si la société lui paye le déplacement. Non ? Ah ben elle est dure celle là dites donc. Gloups. Ah et puis en plus vous pensez qu’il va falloir payer un dessous de table pour avoir ce job alors qu’on vous a dit de source sure que vous êtes le dernier candidat retenu mais que vous n’avez pas de quoi vous payer à manger alors vous pensez bien payer un aller retour vers le Gujarat. Ah. Ben merde alors.

A partir de ce moment là le doute c’est immiscé. Pas de chance pour lui j’avais le lointain souvenir de mes parents se faisant arnaquer d’une somme à Nairobi au Kenya, par deux « étudiants » qui voulait retourner à Mombasa pour leurs études en sachant qu’ils n’avaient pas de quoi payer le voyage. Par contre ils avaient promis de rembourser à leur arrivée. Argent jamais remboursée, bien entendue. Bref une histoire dans le genre.

Je regarde donc ma montre en sortant la célèbre réplique vaudevillesque « Ah, mais il se fait tard monsieur. Mon mari va bientôt revenir. Vite, cachez vous dans le placard » que j’avais bien entendu adapté à la situation : « Ah, mais il se fait tard monsieur. Il faut que je rentre à mon hôtel qui est loin d’ici, à Santa Cruz ». J’avais enlevé toute la partie cocufiage qui me semblait hors de propos dans le contexte. Je me lève donc en le remerciant de cette charmante conversation sauf que bien entendu, il s’invite pour me conduire à la gare pour m’indiquer le chemin. Rhaaa le lourd. On marche donc vers la gare ou il me reparle un peu de ces problèmes financiers (il doit penser que je suis pas très sensible aux messages subliminaux) pour finalement, au pied de la gare, enfin faire son coming out : « me voilà navré vous pensez bien mais au vu de ma situation je ne peut pas faire autrement que de vous demander une petite aide financière pour me sortir de ma situation ». Aaaaaah ben voilà. Que je lui ai dit ou presque. Disons que je lui ai fait remarquer avec le sourire que je me demandais quand il allait finalement me demander explicitement de l’argent. Il m’accompagne jusqu’au pied des quais où il m’indique celui pour rejoindre Santa Cruz. Il me propose également de faire le guide pour moi le lendemain. Un peu impressionné par le temps qu’il a passé à me tenir la jambe, je sors mon portefeuille et décide de lui donner 50 roupies, pour le spectacle.

La morale de l’histoire, c’est que d’une part j’ai fait mine d’aller en direction de la plate forme qu’il m’avait indiquer en disant au revoir de la main pour finalement revenir en arrière et vérifier avec un passant si c’était bien la bonne. Mais d’autre part il m’avait complètement bousillé mon rêve. Je me suis mis à douté de tout ce qu’il m’avait raconter sur l’Inde, sur ses amis français, italiens, sur sa vie, bref sur tout. Dans un grand pschiiit, le ballon s’est crevé. 50 roupies c’est rien mais malheureusement je n’y ai pas cru à son histoire. Il y toujours un doute mais je lui en veut surtout de m’avoir rendu plus méfiant.

Monde viens z’a moi, mais d’abord t’es qui ?