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Marcher dans la boue

Il pleut. Il crachine. Il drache. Il bruine. Bon ceci dit, ce n’est pas une raison pour se laisser abattre, nom d’une pipe ! Fallait bien que ça arrive un jour ou l’autre, surtout que la mousson, on ne peut pas dire qu’elle soit hyper-présente jusqu’ici. Alors qu’est-ce qu’on fait dans ces cas là, lorsqu’on est dans une station climatique et qu’il fait un temps dégueulasse ? Hein ? Oui. Ok. On va au casino. Certes. Là, ça n’est pas possible car il n’y en a pas. Moi, j’ai décidé d’aller faire une randonnée à la journée dans les hauteurs environnantes. Tant qu’on y est, autant y aller à fond. De plus, je vous ai légèrement menti par omission, mais Da Lat, de nos jours, est également une destination pour toutes sortes de sports d’aventures et d’extérieurs, saut à l’élastique exclu.

Pour être tout à fait exhaustif dans mon exposition des faits, ma première intention, louable et originale, j’estime, était de faire une randonnée équestre dans les environs. Avec un tibia gauche un peu amoché, je trouve que c’était drôlement raisonnable car mon choix initial, mûrement planifié la semaine précédent cette fameuse sortie scooter, se portait plutôt sur une ballade en VTT. Je me suis donc arrêté chez un des nombreux organisateurs de sorties qui ont pignon sur la même rue pour réserver une petite balade équestre. Manque de pot, il se trouve que j’étais manifestement le seul pour qui l’idée de se balader à dos de canasson avait le moindre attrait et la charmante dame du magasin à du annuler la sortie, faute de participants. Je me suis donc rabattu sur une « bête » sortie à pied autour d’un lac et dans la jungle, de difficulté moyen / débutant, histoire de ne pas prendre trop de risques. Pour être encore plus prudent, je demande l’état du chemin avec la pluie pour éviter la rando galère sur terrain glissant. Elle me rassure. Les pluies ne sont pas très fortes donc le chemin devrais être parfaitement praticable. Si elle le dit.

Le matin de la sortie, le ciel est bas, gris et menaçant. Mais il ne pleut pas. J’attends dans le hall de l’hôtel qu’on vienne me chercher, portant pour la première fois depuis mon départ mon pull en polaire et mon blouson. A l’heure prévue, un mini-bus s’arrête devant et un jeune vietnamien dynamique, à l’allure sportive descend et pénètre dans le hall. C’est mon guide. Je monte donc dans le mini-bus et nous repartons. Pour une fois, j’ai été laxiste et faute d’avoir noté son nom, je ne parviens pas à me souvenir de son prénom. Appelons-le Vu, et ne cherchez pas, il n’y a aucun jeu de mot. Un deuxième guide, en plus du chauffeur est également présent. De la même manière, je ne me souviens plus de son nom. C’est lamentable et inexcusable. Appelons-le donc Tien. Voilà. Ou Justin si vous préférez, peu importe.

Donc Vu parle un excellent anglais. Qui plus est, en cinq minutes, je le trouve déjà très sympathique. Il est enjoué, souriant et rigole facilement. Quand à Tien (ou Justin si vous avez choisi l’option B) son anglais étant beaucoup plus hésitant, il est plus réservé, mais tout aussi souriant. Nous nous arrêtons une nouvelle fois devant un autre hôtel et je vois entrer deux jeunes femmes. Vu referme la porte coulissante et, après avoir repris sa place sur le siège passager, se retourne pour nous faire un rapide topo de la journée. Nous ne serons donc que trois touristes. Ça c’est chouette. Moi, je préfère les petits groupes et on peut dire sans mentir que le taux d’encadrement est exceptionnel : deux guides pour trois.

Chacun se présente et je salue donc Gilly et Anne-Marie, deux anglaises en vacances pendant deux semaines. On papote donc pendant le trajet jusqu’au point de départ de la randonnée. Les deux viennent d’arriver il y a quelques jours à Ho Chi Minh et commencent à peine leur remontée vers le nord. C’est donc l’occasion de leur donner mes impressions et mes coups de cœurs. Elles sont très sympathiques et avec Vu qui rigole facilement, l’ambiance est déjà détendue avant d’arriver à destination.

On reçoit donc un petit résumé du parcours ainsi que certaines recommandations un peu plus originales : il y a des sangsues partout sur le chemin. On nous fait passer chacun à notre tour un répulsif sauf forme de baume gras que l’on vient appliquer généreusement sur le bord de nos chaussures. Ça change des moustiques. Au passage, si on fait un rapide tour d’horizon de l’équipement de chacun, je constate que je suis le seul à avoir des chaussures qui pourraient passer pour des chaussures de marche dotées de vagues crampons. Les deux anglaises sont en chaussures de jogging et nos deux guides en petites chaussures de toiles à semelle plates, sans chaussettes. Les chaussettes et les crampons, c’est manifestement pour les fillettes, ici.

Nous prenons donc le chemin, encadrés par les deux guides, et on continue les présentations. Gilly est physiothérapeute (donc j’avoue ne pas avoir une idée très précise de ce que c’est) et Anne-Marie, étudiante en dernière année. Nous en venons à parler système de santé et mis en confiance par l’aspect ouvert et sympathique de Vu, lui demande comment cela se passe au Vietnam, vu le régime politique que je crois être légèrement socialiste. Je met donc quelques pincettes pour ne pas l’effrayer mais, de manière surprenante, il nous répond sans fard ni gêne. Manifestement, il y a des années, le système était effectivement gratuit pour tout le monde mais récemment, les choses se sont légèrement libéralisées. Hormis les plus pauvres, la plupart paye le prix fort pour se faire soigner.

Nous entamons une montée à travers une végétation qui devient un peu plus dense et humide. Sans vouloir critiquer, je constate que les prévisions de l’organisatrice étaient légèrement optimistes. Le chemin est légèrement glissant et boueux. Je redouble donc de prudence pour éviter de tomber sur ma jambe blessée.

La conversation se poursuit en pointillé, entre deux respirations et il devient rapidement évident qu’Anne-Marie est devenue taciturne. Sans vouloir faire dans le cliché, il faut bien avouer qu’elle ne m’avait pas frappé par son physique de marathonienne. On peut même dire sans mentir qu’elle est plutôt boulotte, au minimum. Néanmoins, là n’est pas la véritable cause de son rapide passage en apnée dans la montée. Entre deux goulets d’air, elle commence à pester contre son amie : « Tu… m’a…vais… dit… que… ce… se…rait… fa…cile ! Hhhhhhhhhhhh. C’est… la… pre…mière… fois… que… je… fais… de… la… Hhhhhhhhhhh… ran… do… nnée ! ». A son aspect rouge pivoine (comme le veut l’expression consacrée), nos deux guides commencent à se retourner, légèrement inquiets.

Vu propose donc une pause pour éviter de la perdre dés la première petite montée. A sa décharge, une montée rendue légèrement glissante par la pluie devient rapidement plus exigeante physiquement. Une poignée de minutes plus tard, nous repartons, toujours dans une végétation humide faite de hautes herbes, arbustes et fougères sous de grands arbres qui nous bouchent le ciel gris, et toujours en légère montée. Nous reprenons notre tranquille papotage entre Vu, Gilly et moi, ce qui me fait penser un instant à l’incroyable torture morale que cela représente pour Anne-Marie. Il n’y a rien de plus déprimant que deux lourdauds qui papotent comme si de rien n’était dans une montée lorsqu’on est au bord de l’asphyxie. Bon, si elle survie, elle en rira dans dix ans. C’est d’ailleurs ce qu’on lui dit. « Rrrrrrhhh. No. I don’t think so ! », nous répond-elle. Aucun sens de l’humour, pfff. D’ailleurs, histoire d’ajouter à son malheur, la pauvre glisse et tombe sur les fesses un peu plus tard. On la sent légèrement épuisée.

Vu décrète donc une nouvelle pause et après quelques instants pour reprendre son souffle, Anne-Marie se plaint de nous ralentir. Tous en cœur, nous nions en bloque et j’ajoute même la réplique type de dé-culpabilisation « De toute façon, ce n’est pas une course ». Moi, je serai à sa place, je demanderai à ce qu’on aille se faire mettre. Pour que sa première expérience de randonnée soit totale, il commence à pleuvoir.

Nous repartons une nouvelle fois, en zigzaguant dans ce qui ressemble maintenant à une jungle, toujours encadrée par ces fougères et arbustes. Un instant je marche en regardant dans mon sac à dos pour chercher mon appareil photo, puis l’autre, je bascule par terre la tête la première. Tout le monde se retourne vers moi « Non, non. Tout va bien. C’est ma faute ! Enfin, vous auriez pu prévenir qu’il y avait cette bûche en travers du chemin à hauteur de genoux, quand même ! ». Ça m’apprendra à vouloir marcher tout en cherchant quelque chose dans mon sac. En tout cas, plus de peur que de mal, grâce au sol boueux. Comme ça, Anne-Marie se sentira moins seul. D’ailleurs, quelques minutes plus tard, c’est Gilly qui se retrouve sur les fesses après une glissade. Je dois avouer que nos guides en petites chaussures plates deviennent vite agaçants à ne pas glisser, eux.

Pendant une nouvelle pause, je me retrouve à côté de Tien (ou Justin) et dans son anglais approximatif on commence à discuter marche en montagne. Celle-ci est vraiment peu difficile en terme de dénivelé mais je vois bien à son air sec et affûté qu’il a l’habitude. Je lui fait donc remarquer de manière tout à fait innocente qu’il a la condition physique. « Pas comme celle-là ! », me répond-il, souriant, en pointant du doigt Anne-Marie, située à environ quatre mètres, tout en faisant une mimique de gonflement du ventre. Je croise les doigts pour que l’anglaise n’ai pas entendu mais voilà qui est typiquement vietnamien, cette absence totale de prise de gant.

Nouveau départ. Nouvelle avancée dans un terrain un peu moins pentu mais toujours aussi détrempé et touffu. Anne-Marie respire un peu plus mais la fatigue aidant, sa démarche est toujours aussi peu sûre. J’essaie de lui donner quelques conseils pour trouver de bonnes prises au sol mais il faut bien avouer que, dans ces cas là, on a tendance à être un peu bougon. Toute suggestion n’impliquant pas l’action « arrêter » ou « rentrer » est tout de suite perçu comme de la provocation.

Sans mentir, car sinon ce serait beaucoup moins drôle, nous levons tous les yeux au ciel en poussant un soupir, du moins en pensée j’en suis sur, lorsque un peu plus tard elle se met à pousser des cris en sautillant : « UNE SANGSUE ! UNE SANGSUE SUR MA JAMBE !! ». Effectivement, une petite sangsue s’était gentiment accrochée à son mollet dodu. J’aurai fait pareil. Vu accourt et sortant son répulsif vient en appliquer un bout sur la bête qui tombe instantanément. Inutile de préciser que l’anglaise est à ce moment là au bout du roulot. Gilly lui prend alors les mains et, tout en la fixant dans les yeux, lui répète un mantra pour la calmer : « Tu peux le faire ! Si. Si, Anne-Marie, ne pleure pas. Tu peux le faire. » Bon sang, c’est comme dans un film sauf qu’on a pas le droit de rire. D’autant plus que je suis en pleine empathie. Des souvenirs de sorties VTT pourries dans la boue à ne plus pouvoir pédaler, épuisé alors qu’il reste encore cinq kilomètres à faire avec deux athlètes surentraînés qui me précèdent en riant, me reviennent en mémoire. Oui, monsieur Eric C. de Venerque, c’est de vous que je parle.

Notre guide nous assure que la montée est presque terminée et après quelques minutes pour se reprendre, nous repartons tranquillement. A partir de là, la marche devient effectivement un peu moins physique. Malheureusement, nous entamons la descente à travers la jungle et le rythme ralenti pour ne pas glisser. Je profite que chacun ai récupéré son souffle pour reprendre la discussion avec Vu. Cette fois-ci je décide de l’asticoter sur le permis deux roues. On en apprend de bonnes à ce sujet. Bien que l’âge légal est de dix huit ans, de nombreux vietnamiens commencent à conduire une mobylette en dehors de la route un peu plus tôt. Pour ce qui est du permis, c’est quasiment un sketch. Ils passent un gros test théorique aux questions un peu bateaux, sans doute en rapport avec le code de la route (qui existe, si, si) puis un petit test pratique qui consiste plus ou moins à faire un huit entre deux plots. Trois cents kDongs plus tard, vous êtes détenteurs d’un permis officiel et vous pouvez commencer à transporter des cochons morts sur la nationale à bord de votre pétrolette.

Fort de mon expérience (mi-malencontreuse), je fait remarquer à notre guide que, bizarrement, en tant que touriste je n’ai jamais eu à montrer mon permis lorsque j’ai eu à louer un deux roues. En théorie, d’après lui, les policiers pourraient nous arrêter et l’exiger. Sauf, qu’ils ne le font pas parce qu’ils ne parlent pas anglais. Il nous dit ça avec le sourire et un brin d’espièglerie et j’ai la sensation que lui et Tien sont beaucoup moins respectueux des autorités et du gouvernement. Peut-être cela correspond-il à se que Annah m’avait dit concernant les gens du sud Vietnam, qui percevaient encore le pouvoir d’Hanoi avec un œil critique et ironique.

DSC_6105_DxOFinalement, nous nous arrêtons pour le déjeuner. Nos deux guides sortent une nappe et y posent les ingrédients pour les sandwichs : pain, tomates, jambon, oignons et… Vache qui Rit. Voilà qui est surprenant, d’autant plus que c’est sous-titré en vietnamien. De manière amusante, quelques semaines plus tard, je découvrirais des boites de « Laughing Cow » en Australie. C’est triste (moi qui n’aime pas ça) mais il se pourrait bien que ce soit notre plus grand produit d’exportation après le vin. Nous finissons le repas avec quelques fruits frais, notamment du « fruit du dragon » ou pitaya à l’aspect si coloré. Anne-Marie retrouve une respiration normale ainsi que la parole, l’un n’allant pas sans l’autre.

Nous finissons de traverser la jungle tout en descente, en traversant parfois quelques petits cours d’eau ou la peur de la sangsue devient plus présent. Accessoirement, nous commençons à porter DSC_6107_DxOquelques kilos supplémentaires de boues à nos chaussures. Nous émergeons enfin à l’air libre dans un petit vallon où Vu nous montre un champs de petits arbustes aux baies vertes. « Qu’est-ce que c’est à votre avis ? », nous demande-t-il. Moi qui suis toujours un peu fayot et qui ai un peu potassé mon Lonely Planet répond : « Un cafetier ? ». Bingo. J’avoue que c’est assez amusant de voir pour la première fois ces plantes qui fournissent une des boissons les plus bues de la planète et sans qui l’économie tournerai au ralenti ou du moins, sans qui une partie des employés de bureau non-fumeurs travailleraient sans discontinuer. A Da Lat, d’après notre guide ils font pousser de l’arabica et du mocca. Moi ça me rend heureux car ce soir je dormirai moins con : je ne savais pas que le mocca était une variété de café.

Finalement, le plus dur est derrière nous et nous marchons tranquillement d’un pas alerte et joyeux ponctué par notre discussion, sautant du coq, à l’âne puis au canard, que l’on croise sur une petite mare. C’est l’occasion de parler confit de canard et cuisson lente, histoire d’entretenir la légende que les français ramènent tout à la bouffe. D’ailleurs en parlant de volaille, nous finissons la randonnée dans un village célèbre dans les environs pour sa magnifique statue en béton représentant une poule. Oui, le gallinacé.

Comme je voit que ce billet et bientôt terminé, j’en profite pour vous en narrer l’histoire. Dans ce village, la minorité ethnique y vivant (dont j’ai complètement oublié le nom, pour changer, mais elle doit certainement faire parti des 54 répertoriées) a comme sympathique et originale coutume d’exiger d’une future mariée de présenter une dote à la famille du futur marié. Oui, vous avez bien lu. Ils font les choses dans l’autre sens par rapport à ce qui est généralement usuel. En clair, c’est la mariée qui demande la main au marié. Mais qu’est-ce que j’aime ce pays, nom d’un chien ! Pardon.

Bref, une jeune femme dans un temps ancien, amoureuse d’un jeune homme, alla voir sa famille pour lui demander sa main.

« Wo ! Famille ?! »

  • Oui ?
  • Vaz-y, kèsse tu veux pour ton keum, là ?

Je ne sais pas pourquoi, il me vient tout de suite des images de Diam’s d’avant sa conversion islamique quand j’imagine une jeune et jolie vietnamienne dans cette situation. C’est parfaitement ridicule mais le subconscient est ainsi fait qu’il est généralement complexe et surprenant. Poursuivons.

« Euh… je ne sais pas trop… », répondit la famille du jeune non encore promis.

Il faut dire que cette famille voyait d’un très mauvaise œil cet union, pour une raison que ma mémoire ignore. Je ne sous-entend absolument pas que Diam’s est l’archétype de la belle-fille que l’on voit du mauvais œil, quel qu’il soit. Plutôt que d’exposer frontalement son désaccord, ce qui aurait été une chose mûre, adulte et réfléchie, la famille du jeune homme, légèrement hypocrite, décida d’exiger une dote parfaitement impossible à trouver : une poule munie de non pas un, non pas deux, mais tenez vous bien, trois ergots (ouuf! Les guedins!). Comme je vous sais tous d’origine rurale, je ne vous ferez pas l’affront de vous rappeler que des poules à trois ergots, c’est aussi commun que des poules avec des dents. Moi, je ne savais déjà pas qu’elles pouvaient en avoir deux, alors trois. Ça et le mocca, je me sens vraiment moins con. Pendant des semaines, des mois voir des années pour que vous sentiez vraiment à quel point cette jeune fille donna de sa personne, elle parti à la recherche d’une poule à trois ergots. On aurait pu lui demander de trouver un banquier sincère que la tâche n’en aurait pas été moins rude. La malheureuse en mourru.

En souvenir de cette triste histoire, qui devint légende, on érigea dans le village des deux protagonistes une statue gigantesque d’une poule à trois ergots. Par gigantesque j’entends ayant au moins deux mètres de haut. Pour que ça soit encore plus classouille, et parce qu’on avait sans doute vu Versailles, on l’a conçu pour que, fontaine, elle cracha l’eau de la source par son bec. On choisit les plus beaux matériaux, en l’espèce, un béton cellulaire de la meilleure gamme de chez Lafarge. Ce devait être drôlement bôôôôô même si j’estime que le risque n’était point négligeable que cela n’évoque un poulet rendant son déjeuner. Fort heureusement, la fontaine tomba en panne quelques années plus tard et, par paresse, par manque de fond, la légende reste muette sur ce sujet, on ne la répara point. L’Art aquifère perdit un enfant mais on escamota à tout jamais le quiproquo.

Et sinon tout le monde rentra sains et saufs à son hôtel.

En route pour Nha Trang

Il est temps de quitter Hoi An. Je sais, c’est un peu triste car cette petite ville est bien agréable. Mais avec le vol de vélo, il vaut mieux qu’on prenne le large avant que l’hôtel ne se rende compte qu’il lui en manque un. Ma prochaine destination, Nha Trang, plus au sud, une ville réputée pour sa grande plage et ses hordes de touristes russes. Je ne sais pas pourquoi. Sans doute des restes de l’époque soviétique.

Tout d’abord nous allons jouer à un petit jeu, celui de la prononciation. J’ai bien tenté de faire comprendre à certaines personnes que j’allai à Nha Trang mais sans grand succès jusqu’à ce que je me rende compte que le nom de la ville ne se prononçait absolument pas comme cela se lit en français. Oubliez « na trangue », ça ne fonctionne pas. La véritable prononciation s’approche plus d’un « na tchangue ». A partir de là, la conversation avec les autochtones peut reprendre. Ils comprennent mieux. Les vietnamiens sont certes sympathiques mais leur langue est plutôt hostile.

Pour descendre jusqu’à ma prochaine destination, il me reste un dernier tronçon de train à effectuer. Le départ s’effectue de Da Nang (qui se prononce bien « da nangue », merci) ce qui impose un premier transfert en bus local de Hoi An (Hoï anne, puisqu’on y est) vers sa grande ville voisine. Je prends donc un nouveau xe om vers la gare de bus sans la moindre angoisse. Je crois même que je commence à aimer ça.

Je monte dans un bus très simplement estampillé « Da Nang » ce qui laisse peu de doute sur sa destination. Je me trouve une place avec mes deux sacs et une femme au chapeau conique arrive pour les billets. Après m’être enquéri du prix pour aller à Gâ Da Nang, 20 kDongs, je lui tends un billet de cinquante. Elle fait mine de ne pas me rendre la monnaie puis me la tends avec un sourire. Hahaha. Elle m’a fait peur. « Il n’y a pas de tickets ? », lui demande-je, constatant qu’elle se tourne vers quelqu’un d’autre. « Non, non. Pas de tickets ici ». Il faut vraiment que je me débarrasse de mes réflexes d’occidentaux.

Nous partons dans le bruit habituel de vieux diesel et rejoignons Da Nang en milieu de journée sans grand soucis après une grosse demi-heure de trajet. Après quelques minutes dans la ville, la vendeuse de ticket m’interpelle gentiment et me fait signe de descendre ici pour la gare. Le bus s’arrête juste pour moi et je descends en la remerciant. Voilà une affaire rondement menée.

Comme j’ai pris beaucoup de marge (je ne sais pas, une sorte de mélange d’expérience et d’angoisse), j’ai le temps de commander un café vietnamien (assez épais et parfois servi avec du lait concentré sucré) et même de manger un bout dans un petit restaurant à côté de la gare. Si tout ce passe bien, je devrais arriver à Nha Trang en soirée vers 23h. L’estomac devrait couiner mais je devrais survivre.

L’heure du départ approche et je trouve mon wagon sans trop de soucis, selon un scénario relativement proche de mon départ de Hanoi, le retard en moins. Je me retrouve donc de nouveau dans une cabine couchette mais cette fois-ci je n’y dormirai pas. J’ai d’ailleurs du réserver une chambre à la dernière minute à Nha Trang, pensant que j’allais passer la nuit dans le train. Encore une fois, j’arrive alors que des personnes sont déjà dans le compartiment : une dame et sa fille. Nous échangeons donc des « sin tchao » polis et souriants alors que je pose mes affaires. Vous allez finir par croire que j’aime détailler tout les voyages que je fais. Je vais donc accélérer.

Un peu plus tard, le train roule vers le sud et alors que je suis en train de lire les aventures de Richard Bolitho (il n’est toujours pas mort alors que tout le monde crève autour de lui), la dame sort une boite en plastique, l’ouvre et sort des petits fruits verts de la taille d’une grosse balle de ping pong. Elle en prend un et en donne à sa fille. Manifestement, ça a l’air croquant. Voyant que je jette un œil discret à ce qu’ils mangent, la dame me tends la boite avec un sourire et me fait un signe m’invitant à en prendre. Quel con. Je vais encore me retrouver avec un truc répugnant dans la bouche.

Ma curiosité l’emporte sur mon instinct de survie et je tends la main pour me saisir d’un fruit, avec un grand « kam eune » pour la remercier. Avec un sourire elle arrache un nouveau morceau croquant de son fruit après avoir saupoudré des petits granulés marrons dessus. Elle me fait d’ailleurs signe d’en prendre un peu, également. Je m’exécute. Effectivement, le fruit est croquant et a un très léger goût de pomme. Je dirait même qu’il a un goût qui évoque la pomme, quelque part là bas au fond. J’apprendrai plus tard, en d’autres occasions qu’il s’agit d’une pomme chinoise. On va finir par croire que les chinois ne sont pas très bons pour les imitations. Par contre, pour ce qui est des granulés marrons, je ne sens pas trop l’effet ou alors un vague goût salé. Mais la bonne nouvelle, c’est que ça ne provoque aucun réflexe vomitif chez moi. Je fini donc mon fruit en croquant joyeusement dedans tout en continuant mon Bolitho.

Plus tard dans la journée (vous pouvez donc sereinement estimer qu’il ne sait pas passé grand chose depuis), les employés du train commencent à faire des aller-retours dans les allées pour proposer de la nourriture. Ma voisine commande un plat pour sa fille. Moi stoïque et ne sachant pas trop ce que c’est, je continue ma lecture. La fille commence à attaquer son repas dans un plat en polystyrène : du riz, du porc, un gros œufs dur avec une sauce. Le supplice commence. Ça a l’air pas mauvais son truc et j’ai du mal à empêcher mon estomac de grogner.

La mère finalement décide elle aussi qu’elle mangerait bien un bout et arrête l’employé des trains alors qu’il repasse. Il prend note et revient quelques dizaines de minutes plus tard avec un nouveau plat pour la mère. Entre temps, je crois que je commence à baver et finalement, craque. Je fait donc un signe à l’employé pour avoir la même chose que la fille, là, celle qui bafre de manière provocante. Celui-ci me réponds par la négative légèrement agacé. Manifestement, je m’y prend un peu tard et il est déjà revenu spécialement pour la mère. Crotte. Il repart.

Ceci dit, ma voisine de compartiment décide de prendre les choses en main et avec des gestes et quelques mots d’anglais simplistes me demande si je veux un plat. Ben, euh, oui, je veux bien. Avec un sourire elle me donne le prix et part dans l’allée avec mon argent. Mince, je m’attendais pas à ce qu’elle parte chercher le plat. Finalement, quelques minutes plus tard elle revient avec une nouvelle boite en polystyrène fermé et je la remercie avec un nouveau « kam eune », mais alors kam eune beaucoup. Qu’est-ce qu’ils sont sympas, c’est pas dieu possible.

Au bord de l’hypoglycémie, j’ouvre l’emballage et découvre une grosse cuisse de poulet sur un lit de riz. Bon, c’est pas exactement ce qu’elles ont eu mais c’est pas mal quand même. J’y goutte. Aïe. C’est un peu trop salé. Et le riz et un peu trop cuit et sec. Ce n’est pas le moment de faire mon difficile et je fini mon plat. Au moins, ça cale. Mais c’est peut être le pire repas que j’ai eu au Vietnam. Ma bienfaitrice me demande même si j’aime. Après une petite hésitation je fait une moue genre « couci-couça ».

Finalement, nous entrons en gare approximativement à l’heure prévu pour l’arriver à Nha Trang. Je demande confirmation à mes voisines qui me répondent par l’affirmative. Je les quitte donc avec de nouveaux remerciements et des « bye, bye » pour me retrouver rapidement devant la gare, où, sans hésiter, je hèle un nouveau xe om. Cette fois-ci, ce sera mon premier trajet nocturne. Nous convenons donc d’un prix (heureusement, j’ai entre temps trouvé sur un internet un vague barème pour les courses de xe om en fonction du kilométrage) et ppppppppprrrrrrèèèèèèttttte, c’est parti. Je dois avouer que de nuit, les sensations sont plus fortes même si la conduite reste quand même assez douce.

Nous roulons un peu le long de grandes avenues un peu désertes à cette heure-ci (quasiment minuit) bordées de hauts immeubles. Mon chauffeur s’arrête, cherche, puis repart. Il s’engage dans une ruelle, regarde à droite et à gauche, s’arrête au niveau d’une terrasse, interroge le serveur, puis repart. J’ai bien l’impression qu’il ne sait pas où se trouve mon hôtel. Il recommence le cirque une nouvelle fois puis finalement, avec quasiment un soupir de soulagement, on aperçoit l’enseigne du petit hôtel au fond d’une petite allée.

Je descends de mon xe om en le payant puis le remercie et il me quitte avec une tape amicale dans mon dos et un grand sourire. Il a du sentir que j’étais complètement serein et zen, à l’arrière. Je rentre dans le petit hôtel où je dois rester qu’une nuit mais le réceptionniste me fait signe de ressortir puis me précède pour m’amener à une autre adresse une vingtaine de mètres plus loin. Mmmh, voilà qui sent la combine. Je suis un homme dans un escalier qui mène à ce qui semble être une salle de séjour d’une maison et m’ouvre la porte d’une chambre au fond. Un autre escalier mène aux étages supérieurs. Effectivement, je me retrouve plutôt dans une chambre d’hôte, j’ai l’impression. Mais au moins la chambre est malgré tout fort convenable.

Le lendemain matin (je ne vous cache pas que pendant la nuit j’avais fermé ma porte à clé), je descends pour payer et sans surprise le propriétaire me demande du liquide. Heureusement le tarif est celui prévu.

Bienvenu à Nha Trang.

La tombe d’un japonais

Les gens sont formidables. Et certains vietnamiens sont vraiment encore plus formidables que d’autres. Je pourrai vous laisser là dessus et reprendre le court normal de ma vie qui est présentement de manger une pomme mais je ne goûte pas trop à la torture psychologique. Non, moi je préfère la torture physique sur des petits animaux sans défense. Mais je m’éloigne encore du sujet.

Au court de ma ballade à vélo dans les environs de Hoi An (il m’est pénible de devoir subtilement faire un rappel des épisodes précédents donc j’aimerai que vous soyez un peu plus assidus), quelque part vers la fin, alors que je revenais sur la longue ligne droite de la route de Da Nang et que de lourds nuages menaçants commençaient à dominer le paysage, je décidai de prendre un brusque virage à gauche (oui, les lourds nuages menaçants étaient un leurre narratif). La raison en était fort simple : je venais d’apercevoir un nouveau petit chemin de terre qui traversait les rizières et une sorte de petit monument dans cette direction. A partir de maintenant je vais passer le temps de la narration au présent pour que vous soyez encore plus immergé dans l’action qui s’annonce drôlement trépidante.

Je m’engage donc dans le chemin de terre en pédalant, le vélo tout couinant, en croisant un autochtone au chapeau conique qui me hèle. Étant de nature extrêmement ouverte depuis maintenant dix jours, je m’arrête. Chic, une nouvelle interaction avec un de ces sympathiques indochinois, pense-je. J’attends qu’il arrive à ma hauteur et tout de suite me dit, en anglais bien sur (je me permet donc de basculer automatiquement en sous-titrage français pour les moins anglophones d’entre vous) et en pointant son doigt vers l’espèce de monument à deux cents mètres :

« Il y a une tombe d’un homme japonais, là-bas.

  • Ah ?
  • Oui. Homme japonais amoureux femme vietnamienne.
  • Ah ? Ok. Merci beaucoup.

Je repart sur le chemin, cahin, cahan et jette mon vélo à gauche sur l’étroit chemin en béton menant à la tombe.

« Stop ! No ! No ! », crie alors l’homme au chapeau conique. Je freine donc brutalement, enfin, autant que le peuvent mes freins usés et attend qu’il revienne encore une fois à ma hauteur.

« C’est sacré. Vous pouvez pas avec le vélo !, me dit-il

  • Ah, pardon. Désolé.

Il me prend donc le vélo, met la béquille et m’entraîne par le bras sur le chemin. Alors que nous marchons vers la tombe (qui est bien à cent mètres) il commence à me montrer les rizières en m’expliquant qu’elles sont à lui. D’ailleurs, il descend dans une rizière, arrache une touffe de riz et me propose de le prendre en photo. Moi, faut pas me le demander deux fois. Clic.

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Il me propose ensuite de me prendre en photo avec le chapeau conique en train de faire semblant de recueillir le riz. Là, par contre, aucune chance. C’est une idée très bête, si je peux me permettre.

Nous repartons donc vers la tombe et il commence à m’expliquer l’histoire du japonais. Pour résumer, car je ne me souviens plus trop des rebondissements, je ne serai pas dans le faux si je vous disait qu’il s’agit d’une version vietnamienne de « Roméo et Juliette » avec notre homme japonais dans le rôle de Roméo et la jolie vietnamienne (enfin, j’imagine qu’elle n’était pas moche) dans le rôle de Juliette. Le contraire aurait fait encore plus sensation à l’époque.

Arrivé à la tombe, mon guide improvisé qui est très bavard et enthousiaste, me montre une dame courbée en deux dans les rizières en contrebas, en train de trimer.

« C’est ma femme.

  • Ah, bien. Sin tchao.

Je ne sais pas s’il se rend compte de l’image qu’il donne en disant ça mais j’estime qu’un gars qui glande le long de la route et qui amène le premier venu montrer sa femme bosser est un peu fainéant sur les grandes largeurs. Après, je ne suis pas d’ici. Peut être s’agit-il d’une marque de fierté.

J’ai à peine le temps de finir de dire bonjour à sa femme qu’il me reprend le bras et s’agenouille devant la tombe en me faisant signe de faire pareil. Il part ensuite cueillir une fleur de lotus et revient me la donner en m’indiquant qu’il faut que je la place dans un petit vase prévu à cet effet. Moi, je m’exécute bêtement. Ensuite, toujours suivant ses indications, nous effectuons trois courbettes les mains jointes. Qu’est-ce qu’il faut pas faire pour faire couleur locale. Dernière étape du rituel, il me propose de laisser un don monétaire dans un petit orifice dans la pierre. Hihihi, s’il croit que je ne la sentais pas venir celle-là. Je prend mon air le plus innocent possible et sort un billet de 2 kDongs (soit dix centimes. Je sais. Je suis un pingre mais j’aime pas qu’on me force la main).

« Non, non, non !, me dit-il avec force oscillation de la tête.

  • Ah ? Bon, ok.
  • Plus.
  • Ah ben non, moi je le connais pas ce monsieur. Je ne vais pas donner plus.
  • Ok, ok.

Il se lève alors, manifestement un peu énervé et je fais de même. Je le remercie et repart vers mon vélo. Ne me serais-je pas conduit comme un gros rapiat d’occidental incapable d’honorer un défunt en faisant offrande d’une modeste somme monétaire ? Ceci dit, il me semble que les vietnamiens font offrandes de faux billets à leurs anciens, donc là culpabilité, ce sera pour plus tard.

Arrivé à mon vélo, je me retourne pour voir arriver mon guide à chapeau conique courant en petite foulée vers moi.

« L’ami, les temps sont durs ici en ce moment présentement donc il me coûte drôlement et je me sens humilié et sale en te demandant si tu ne pourrais pas te délester d’un peu de ton argent en ma faveur ?, me demande-t-il de manière beaucoup plus simpliste, vous pensez bien. Mais dans l’intention, c’était ça. Mon couillon, déjà t’es un peu fainéant sur les bords et en plus t’es un peu maladroit. Je ne lui dis pas, mais j’y pense drôlement. Je lui réponds : « Ah, bien sur. Tenez. » et lui sort de nouveau mon billet de 2 kDongs.

« Non, non. Plus !

  • Ah ? Ok.

Je remet mon billet dans mon portefeuille et me remet en selle. J’aperçois venant vers nous un autre vietnamien. Je commence à pédaler et mon guide mendiant m’appelle :

« Bon, ok pour 2000 dongs. »

En souriant je m’arrête et sort mon billet qu’il empoche en me remerciant. En passant, le nouveau venu qui est arrivé à notre hauteur rigole et donne une tape sur l’épaule de mon guide avec un mouvement de tête qui semble lui dire « T’es pas croyable » ou bien « T’es pathétique ».

Les deux étant totalement vrais.

Phong Nha Farmstay

Laissez moi vous présenter le Phong Nha Farm Stay car ce n’est pas qu’un simple hébergement et tout l’intérêt du lieu ne réside pas uniquement dans sa proximité du parc national et les différents tours guidés qu’il propose. Pour vous dire, lorsque j’ai réservé mes nuits par mail une semaine avant d’y arriver, Hannah m’a répondu (car en plus de faire guide en bus et guide en vélo, elle s’occupe aussi des réservations, mais vous comprendrez pourquoi plus tard) en commençant par un petit texte d’avertissement concernant la nature du lieu. C’est un lieu tourné sur les gens, la culture et les paysages. C’est un havre de confort occidental au milieu de la campagne vietnamienne et les tarifs sont plus élevés qu’ailleurs. C’est un lieu où il ne faut pas avoir peur d’être réveillé par le beuglement d’un veau ou le cri d’un coq. C’est un lieu aimé par ceux qui veulent faire des rencontres et explorer. Et pour finir, elle me précise que dorénavant ils refusent les réservations pour une durée inférieure à deux nuits pour que les gens puissent vraiment sentir l’esprit du lieu. Toujours partant ?

Initialement j’avais demandé une chambre simple avec climatisation mais comme il n’y avait pas de disponibilité, je me suis rabattu sur un lit en dortoir, sans climatisation. C’est pour vous dire comme j’étais partant. Je ne le regrette pas et j’aurai même pu rester une nuit ou deux de plus si je n’avais pas déjà réservé la suite ailleurs.

Mais qu’est ce qui fait que ce lieu est si spécial ? Tout d’abord, une petite introduction. C’est avant tout une histoire de personnes. Le Farm Stay a été créé il y a un peu plus de deux ans (seulement) par Ben, un australien, et Binh, une vietnamienne dont la famille est de Cu Nam, le village en quesion. Ben et Binh, je sais, c’est amusant. Ben est un grand gaillard costaud, blond et un peu rougeaud d’environ 45-50 ans qui a fait carrière dans le BTP, notamment à Da Nang où il rencontra sa future femme, Binh. Je le sais car la première nuit, alors que je trainai dans l’espace commun une bière à la main, il est venu vers moi en me lançant un « how’s it going ? ». Nous avons donc entamé une discussion pendant un petit quart d’heure, le temps d’apprendre que le gars a beaucoup voyagé notamment à cause de sa mère, véritable globe trotteuse. Ils ont habité à Vienne, en Autriche et sa mère est actuellement dans un village du Languedoc à trente minutes de Toulouse où elle a retapé une vieille maison pour la location. Autant vous dire que nous avons un peu parlé de sud ouest. Bref, c’est ce monsieur qui a construit le bâtiment du Farm Stay avec comme idée de faire décoller le tourisme étranger dans la région, vu le potentiel du parc national. Mais comme son truc, ce sont les gens, il a fait ça un peu à sa manière. En plus des deux propriétaires, au Farm Stay on trouve quelques membres de la famille de Binh qui s’occupent de la cuisine et du ménage, Denise une américaine de 40 ans en charge de la réception et des réservations, Hannah que vous connaissez qui fait guide ainsi que les réservations, Michael un anglais d’une trentaine d’année qui s’occupe aussi de la réception et des réservations mais est également photographe et finalement une troisième personne que je n’ai pas côtoyé mais qui fait également guide. De temps en temps Vo vient se rattacher pour faire guide lors des tours. Ce qui est amusant c’est que tout ces gens résident sur place (hormis Vo) et donc sont présents même s’ils ne sont pas « en service » (Vo passe parfois ses soirées au Farm Stay d’ailleurs). On peut donc très facilement boire un verre avec Hannah le soir ou discuter avec Michael de ses photos lorsqu’il est en repos.

Le lieu en lui même est assez simple. Il y a deux bâtiments dont un abritant des chambres ainsi que l’habitation de Ben et Binh (ainsi que leur fils de 3 ans qui fait du vélo comme si de rien n’était parmi trente étrangers qui changent tous les deux jours. En voilà un qui va finir hippie lui aussi). Sur le toit quelques tables et chaises permettent de profiter du coucher de soleil. Le bâtiment principal est lui composé au rez de chaussé d’un vaste espace commun grand ouvert à la fois côté chemin et côté cour intérieure. Dans cet espace on trouve des tables et des chaises pour manger, boire, travailler, un bar où commander des boissons et des plats ainsi que le guichet de réception et de réservation des tours. La cuisine est attenante à cet espace commun et à l’étage se trouve d’autres chambres. Dans la cour intérieure a été construite une petite piscine de 5-7m mais on y trouve également sous un préau une table de billard. De l’autre côté de la cour, un troisième bâtiment abrite le dortoir ainsi que deux salles de bains. Entre quasiment chaque poteau disponible du Farm Stay sont pendus des hamacs. Dans la cour extérieure donnant sur le chemin, d’autres tables et chaises permettent de prendre l’air le soir. Si avec tout ça vous n’arrivez pas à vous détendre…

Voici pour les acteurs principaux et le décor. Mais l’intérêt du Farm Stay, pour moi, c’est avant tout les gens qu’on y rencontre. Pour tout vous dire, la première soirée après ma ballade à pied, je me suis retrouvé un peu perdu au milieu d’une trentaine de personnes qui pour la plupart voyagent en groupe, en famille ou en couple. Il est un peu délicat de s’immiscer dans la conversation des gens et hormis un très court papotage avec la fille que j’avais croisé à mon départ de ballade et la présentation avec Ben, je suis resté un peu sur ma faim. Le deuxième soir, après la ballade en bus, j’ai eu quelques conversations avec quelques gens croisés dans mon groupe mais ce n’était pas encore ça. Mais le troisième soir, après la ballade en vélo, ce fut vraiment très sympathique.

Ce dernier soir, alors que je lisais mon Bolitho journalier en attendant que l’on me serve mon cheeseburger fait maison (oui, oui, ça va. On a le droit parfois), une femme s’assoit à côté de moi avec un guide. Il me semble la reconnaître du groupe en bus. Je lui demande donc ce qu’elle a fait aujourd’hui car au Farm Stay, la plupart des gens font une des excursions proposés (payantes, bien sur). Je ne me souviens plus de la réponse mais un peu plus tard son copain la rejoint et nous discutons tout les trois en mangeant. Comble de ma joie, ils sont Irlandais, de Limerick. Voilà qui est original et sympathique à mes yeux. Oui, tout ce qui est un tant soit peu celtique bénéficie d’un bonus sympathie de ma part. Je sais, c’est du racisme à l’envers. On a donc parlé pendant plus d’une heure de voyages, d’Irlande, sa situation économique et beaucoup de rugby, lui étant un supporter du Leinster qui venait de se faire battre par Clermont-Ferrand en coupe d’Europe. Sa copine, elle, est la grande voyageuse du groupe et a fait la traversée des Amériques latines du Mexique à Ushuaïa. Bref des gens charmants, chaleureux et vraiment sympathiques comme je les aime. Nous sommes interrompus malheureusement par un concert en live donné par un copain de Ben seul à la guitare. Je n’ai pas eu la présence d’esprit de demander leur nom. Ça m’arrive trop souvent.

Ensuite, parlons d’Hannah. Imaginez une blonde d’environ 27 ans ayant, pendant la journée, les cheveux ramenés dans une natte et habillée d’une chemise « safari » griffé « Phong Nha Farm Stay » qui lui confère une autorité officielle et le soir portant ses longs cheveux libres et habillé d’une jupe noire ce qui lui donne un style beaucoup plus détendue. Donc Hannah est américaine mais loin de tout les stéréotypes qu’on en a. Je dirais même plus, elle est Texane, mais sans l’accent. Cela fait prêt de deux ans qu’elle est partie, voyageant à travers le monde au gré de ses envies. Elle a vu l’Inde, elle a vu le Nicaragua, elle a vu le Cambodge et encore d’autres pays dont ça se trouve je ne connais même pas le nom, à chaque fois dans une sorte de déambulation ou au cours de missions pour des ONG. Elle est tellement habituée au pays en voie de développement qu’elle trouve les pays développés bizarres tellement tout est efficace, propre et rangé. Bizarrement, maintenant que je suis en Australie (et oui, il y a un sacré décalage à l’écriture) je comprends maintenant ce qu’elle veut dire. Hannah a un regard très critique vis à vis de son pays et en plus a de l’humour. Je lui ai d’ailleurs demandé comment elle avait atterri au Farm Stay. Tout simplement, alors qu’elle était au Cambodge elle a rencontré quelqu’un qui été passé par le Vietnam et le Farm Stay. Celui-ci lui en a parlé en précisant qu’ils cherchaient peut être quelqu’un pour un job. Un mail plus tard envoyé à Ben, elle se retrouvait en partance pour le Vietnam et y est depuis trois mois. Si c’est pas un esprit libre, ça !

Puis, il y a eu cette rencontre avec le grand brun et le blond, anglais tous les deux, de Bristol. Fort heureusement, je leur ai demandé leur prénoms, respectivement Daniel et John. Comme quoi je m’intéresse à des personnes de tous les âges, ils m’ont estomaqués lorsqu’ils nous ont annoncé qu’ils avaient 17 ans tous les deux. Par réflexe, je leur parle des groupes Massive Attack et Portishead, tout les deux de Bristol, mais les deux garçons se regardent en m’avouant ne pas connaître. Non, eux leur truc c’est plutôt le ska australien (c’est hyper-pointu) et ils me donnent presque un coup de vieux en avouant ne pas connaître. Daniel a un père belge de Namur donc parle un peu le français et avec sa coupe new wave qui ressemble à une banane aplati, il détonne avec tout le monde. C’est un passionné de funambulisme, jonglage et piano jazz avec un petit air cool quand il parle qui me rappel un certain grand échalas chambérien en version blond. Il m’apprend qu’il s’est cassé les poignets en Lituanie un mois plus tôt, lors d’un festival après avoir séjourné quelques semaines en Pologne. Quand à John, il se ballade en Asie du sud-est un mois avec son pote Daniel avant de poursuivre avec ses parents en Indonésie. Les deux entament leur première année d’université à la rentrée. Ce sont mes deux héros car ils ne voyagent qu’avec un petit sac à dos d’école et les fringues qu’ils portent. Daniel doit être le plus chargé car il trimbale ses trois boules de jonglage en plus. J’adore leur esprit, surtout pour cet âge, absolument sans craintes. Malheureusement, je dois bien leur avouer que j’ai du mal à les comprendre parfois, surtout Daniel car, malgré leur parfait accent british (notamment John), ils ont tendance à marmonner certains mots.

Par contre, je sais que c’est mal, mais j’avais un à priori négatif sur les trois zigotos décontractées de mon tour à vélo. J’ai eu de longues conversations en pédalant avec Daniel et John et ce n’est qu’arrivé au déjeuner que j’ai pris le temps de découvrir les trois autres en leur lançant l’entame imparable « and where are you guys from ? ». Canada, Montréal. Ah ben ça tombe bien, j’y suis en octobre. Comme je vous l’ai dit, à partir de là nous avons parlé de plein de choses. Encore une fois je n’ai pas demandé leurs noms mais des trois, j’ai surtout discuté avec un gars. Je me souviens que le deuxième était d’origine marocaine et le troisième très discret. Finalement, en discutant avec eux je me suis rendu compte qu’ils étaient fort sympathiques et pas forcément des joyeux branleurs fêtards comme leur accoutrement pouvait le laissait penser. Eux aussi étaient en Asie du sud-est pour trois mois et devait partir en Thaïlande ensuite. Hormis cette discussion du déjeuner, j’ai eu l’occasion de reparler avec le premier d’entre eux le soir, une bière à la main, notamment de la situation au Québec avec la nouvelle première ministre. Étant anglophones tous les trois, ils étaient un peu critiques vis à vis de certaines de ses mesures, pour ne pas dire plus. J’ai également eu droit à leur point de vue sur les mouvements étudiants de l’automne dernier, selon eux un coup d’épée dans l’eau puisque les frais d’inscriptions ont finalement été mis au tarif prévu. Bref, c’était très intéressant d’avoir un avis parfois contraire (et bien sur subjectif) sur des événements relatés par les médias français. Pour finir, ils m’ont balancé quelques tuyaux sur les bons restaurants de Montréal mais je crois avoir la mémoire qui flanche. Le seul dont je me souviens est le « Patapi, patapa » où ils servent de la nourriture sur du papier journal. C’est vraiment des bûcherons arriérés au Québec. En tout cas, ils étaient enthousiastes sur leur ville.

Pendant cette troisième soirée, je me suis également retrouvé à regarder une affreuse partie de billard complètement soporifique et interminable, de celles où les deux équipes sont incapables de rentrer une boule. D’un côté Daniel et John, de l’autre Hannah et un grand barbu blond inconnu d’environ 25 ans. De guerre lasse Hannah me propose de prendre sa place et j’accepte. Je me retrouve donc avec mon nouveau coéquipier et nous nous présentons. Olivier. Putpa. Tiens, voilà qui est original comme nom. D’où venez-vous ? Finlande. Voilà qui n’est pas commun et il m’est d’autant plus sympathique qu’il est assez souriant. Mon arrivée n’a pas accéléré de beaucoup la vitesse de la partie mais j’en profite pour interroger mon coéquipier car son histoire est assez intéressante.

Tout d’abord il nous apprend qu’il est parti pour un voyage de deux à trois ans. Nous sommes tous battu à plates coutures et je lui demande ce qui l’a motivé pour entamer un périple d’une si longue durée. Très honnête il nous dit qu’après ses études il se sentait sans but, tournant en rond, et au cours d’un voyage il s’est rendu compte que c’est se qu’il voulait faire. Il a donc tout lâcher pour parcourir le monde. Pour le moment il voyage à travers l’Asie du sud-est (encore) en moto, seul. Dingue ! Mais dans quelques mois il devrait être rejoint pendant une courte période par son père. Quand je lui apprend que je suis français, il pousse un long soupir et sourit. Le gars avec un petit air romantique nous apprend qu’il a croisé une jolie française il y a deux semaines. Il me passionne de plus en plus ce garçon avec son air d’aventurier viking zen. Ensuite il m’explique qu’à chaque fois qu’il rencontre quelqu’un d’une nationalité, il demande à cette personne si elle connaît un film de son pays que Putpa a vue, car en plus, l’animal est cinéphile. Je lui demande donc d’envoyer la sauce. C’est bien ma veine si je ne connais pas un film français qui fut diffusé en Finlande. Il dit « La Reine ». Mmmmmh. La Reine Margot ? Non, non. La Reine. Ben mince, je ne connais pas de film français de ce nom là. Pour m’aidez il me donne des indices: un film en noir et blanc de Matthieu Kassovitz. Aaaaaaaaaah, La Hhhhhaine, avec un H ? Oui, c’était bien ça. Incroyable, un finlandais qui a vu et adoré La Haine de Kassovitz. Il faut aller au Vietnam pour voir ça. Pour finir il m’apprend que sa moto a un nom. Ah bon ? Lequel ? « Rachelle la magnifique », me répond-il avec un grand sourire en français dans le texte. « Ce ne serait pas le prénom de la fameuse fille rencontrée il y a deux semaines ? ». Il acquiesce silencieusement avec un sourire. Ce doit être le dernier romantique restant sur terre et il est à moto. Dingue. Nous continuons donc la partie (je devrais dire LES parties, et notamment une dernière où les perdants ont du payer les bières. Ce fut nous) tout en poursuivant notre conversation entre John, Daniel, Putpa et moi. D’ailleurs je me sens moins con lorsque Putpa, en apprenant qu’ils viennent de Bristol demande à Daniel et John s’ils connaissent Massive Attack. Donc en fait c’est eux qui sont un peu ignares. Voilà qui me rassure.

A ce moment là nous sommes interrompus par Ben car il cherche à rassembler tout le monde pour une annonce. Nous nous retrouvons donc tous devant l’espace commun pendant que Ben prend la parole au micro. Aujourd’hui est l’anniversaire de sa femme ainsi qu’une de ses amies venue spécialement de Da Nang. Accessoirement c’est également la fête nationale américaine. L’assemblée applaudit, chante un « Happy Birthday » et Ben invite tout le monde à boire un shot d’alcool de riz offert par la maison. Il en faut pas plus parce que c’est pas franchement bon, mais c’est fort. Pour une dernière soirée, ça fini avec le sourire et je suis presque déçu de partir le lendemain.

Finalement, chacun décide d’aller ce coucher (ici les journées commencent tôt) et Putpa de repartir à son hôtel à Son Trach. Nous nous disons adieux chaleureusement. J’ai juste la présence d’esprit avant de se quitter de lui demander s’il a prévu d’écrire un livre sur son périple. Il nous apprend, à Daniel, John et moi qu’il est déjà en train de négocier avec un éditeur. Génial, j’adore ce type. Prenez en de la graine les p’tits anglishes !

Tout ça pour vous dire, bienvenue au Phong Nha Farm Stay.

PS: J’suis qu’un con, je devrait faire des photos portraits de toutes ces formidables personnes. Allez, dites le moi que je suis qu’un con.

Un tour organisé, quatrième partie : Ha Long

Résumé des épisodes précédents : Un trajet en bus, un trajet en bateau, un trajet en kayak, un trajet en tuc-tuc et sinon, à parce ça, rien de spécial. Si, j’ai dormi. Et on a bien mangé.

Le lendemain, je me réveille vers 6h du matin après une nuit un peu agitée, chaleur oblige. Il fait déjà jour depuis une bonne demi-heure et le réveil se fait naturellement au son d’un coq et d’un début d’agitation dans la maison. Il faut dire que les vietnamiens sont plutôt matinaux. Je m’habille donc et embarque mon appareil photo. D’après Pi Loo, le matin très tôt a lieu le marché du village où se vendent les poissons fraîchement péchés.

Je me glisse donc dans la cour où j’échange un salut avec l’autre jeune de la famille, à moitié réveillé dans un hamac, caresse le jeune chien domestique et franchit la grille. Le village à cette heure-ci est déjà assez actif et je croise quelques personnes à pied ou à vélo. Toutes les DSC_5583_DxOmaisons ont leur salle de séjour grand ouverte et donnant directement dans la rue. Je peux donc constater que quasiment tout le monde est réveillé. C’est d’ailleurs assez amusant cette façon d’avoir le cœur de la maison directement en contact avec la rue. Il faudra que j’en touche deux mots à Pi Loo.

Je me retrouve assez rapidement de nouveau devant la pagode de hier soir, que je peux enfin admirer, et découvre un grand terrain vague en face où semble s’organiser le marché, la baie plus loin et une mangrove d’arbres bas intercalée. Je profite donc de l’activité et de la jolie lumière matinale pour prendre quelques photos.

DSC_5613_DxODSC_5610_DxO DSC_5605_DxO DSC_5601_DxO DSC_5591_DxO DSC_5593_DxO DSC_5595_DxO DSC_5589_DxO DSC_5586_DxO DSC_5614_DxO

Au bout d’une demi-heure je rentre à la maison où je retrouve le jeune homme dans son hamac, à peine plus éveillé mais qui cette fois-ci me demande d’où je viens. Encore une fois, je lui ‘avoue que je suis français et comme hier soir, cela permet d’entamer la conversation. Pour gagner du temps, je m’assois directement et on discute de l’apprentissage (difficile) du français, tâche qu’il vient de commencer il y a quelques mois. D’ailleurs, c’est l’autre jeune homme avec qui j’ai discuté hier au soir qui l’assiste et qui se trouve être un ami à lui qu’il héberge pour les vacances. Heureusement, il parle pas mal anglais car il est vrai que son français est vraiment débutant. Étudiant en marketing (encore, mais c’est fou) il vient de finir ses études et passe donc les vacances d’été chez sa mère. Il m’avoue quand même qu’il déteste ça, le marketing, mais que sa mère l’a obligé. Ah, tout de même, voilà qui me rassure un peu. Un peu taquin, je lui demande, puisqu’il n’a pas l’air d’aimer ça, pourquoi ne l’a t-il pas abandonné pour étudier une autre matière. Ce à quoi il me réponds : « ma mère m’aurait tué ». Ça n’a pas l’air de rigoler à Quan Lan.

Pendant cette conversation nous sommes petit à petit rejoint par Kelly et la marseillaise qui viennent s’asseoir à côté. On discute donc de nouveau apprentissage des langues et il nous explique qu’au Vietnam l’apprentissage se fait quasi exclusivement à l’écrit. Pour sur ils sont bons en grammaire et en lecture, mais pour ce qui est de parler ou de suivre une conversation, c’est l’hécatombe. Ce qui, il faut bien l’avouer, semble être la norme dans pas mal d’écoles du monde entier. En parlant de langues, on en vient à parler des ethnies vietnamiennes, au nombre officiel de 54 (chiffre que l’on retrouve précisément dans tous les musées et chez chaque vietnamien à qui on pose la question). Notre interlocuteur nous glisse d’ailleurs que notre maman adorée, Pi Loo, est une H’Mong de Sapa. Je note mentalement de vérifier si cette ethnie ne serait pas matriarcale et prompte à molester les étrangers. La conversation glisse ensuite sur les voyages (forcément, nous sommes touristes) et après que je lui ai demandé s’il comptait voyager, le fils de la famille me répond qu’il va faire le tour du Cambodge et de la Thaïlande, bientôt, avec des amis. Qui plus est, le garçon va couchsurfer. C’est même un pratiquant assidu aussi bien en tant que fournisseur et usager de canapé. Je lui parle de ma toute petite expérience ridicule de couchsurfing à Hanoi et avec enthousiasme (enfin, relativement à l’heure matinale) il m’encourage à poursuivre l’expérience. Quand je pense que j’ai découvert le CouchSurfing à Chambéry il y a quelques années alors que c’était encore un peu confidentiel et que maintenant un jeune vietnamien me vante ça, je commence à me rendre compte à quel point les jeunes de ce pays sont les deux pieds dans la mondialisation.

Nous sommes finalement interrompus par l’arrivée du reste de la troupe (les filles) mené par Pi Loo qui nous donne le signal du départ. Au passage je lui parle de cette histoire de maisons ouvertes sur la rue. Elle me réponds que c’est commun à tout le Vietnam et que ça correspond à une façon de vivre assez communautaire. C’est sur que ça change totalement du « chacun chez soi » à l’occidental (et encore plus à la française où c’est « chacun chez soi planqué derrière mon mur ou ma haie »). Notre cheftaine scout nous énumère ensuite le programme de la journée : lavage, départ pour une petite ballade à vélo à travers l’île jusqu’à une plage, baignade pour ceux qui veulent, petit déjeuner sur la plage, re-ballade à vélo jusqu’au bateau puis finalement retour au port initial pour repartir vers Ha Long. D’ailleurs elle se tourne vers moi pour me demander si je veux toujours faire mes trois jours exclusivement Bai Tu Long car dans ce cas je resterai ici en attendant de récupérer un autre groupe. Moi, je suis un gars qui m’attache donc sentant qu’il y avait un bon feeling qui commençait à se créer je décide de suivre la bande en partant voir la baie d’Ha Long. Au moins je pourrai me vanter de l’avoir vue à mon retour. Je vais vous décevoir mais il n’y a eu aucune explosion de joie avec moult embrassades à cette annonce pour me féliciter de ma décision. Les gens sont vraiment bien ingrats.

Après donc un rapide rangement de table, fermeture des sacs et aux revoir chaleureux à la famille, nous partons donc récupérer nos vélos à côté de la maison. Loin d’être des VTTs se sont plutôt des VTC vieillots mais rustiques. Ceci dit, Pi Loo nous assure que ce ne sera pas très difficile. Il vaut mieux car Manon n’a pas particulièrement le physique d’une marathonienne. Nous partons donc dans un concert de grincements et couinements à la suite de notre guide. Nous empruntons la rue perpendiculaire que j’avais arpenté hier soir (en même temps, il n’y a que trois directions possibles) et nous retrouvons très rapidement dans la campagne très verdoyante et légèrement vallonnée, sous le soleil, avec quelques petites rizières de part et d’autre. Nous croisons des maisons isolées, toujours aussi pimpantes avec leurs couleurs pastels soulignées de blanc, ainsi que quelques camions venant en sens inverse. Après une petite côte où je remporte le grand prix de la montagne au nez et à la barbe de Kelly et de Pi Loo (qui a craqué à mi pente, incapable de suivre ma terrible accélération en danseuse et en tong / schlappe / slache / gougoune / claquettes) nous descendons un long faux plat bordé de pins où nous laissons retomber notre température corporelle. Pi Loo de l’arrière nous cri alors « Right, right ! » et je freine en appelant Kelly qui avait pris la tête. Un petit chemin de sable s’enfonce entre les pins d’un côté et de petites dunes de l’autre. Après un pédalage difficile dans le sable, nous posons les vélos face à une grande plage à marée basse, un fort vent marin dans les cheveux et dans le fracas des vagues. En face, l’océan. Au dessus le soleil. En dessous le sable brûlant.

Une bonne baignade plus tard où on échappe de peu à la commotion cérébrale sous l’impact brutal et répété des vagues (ce dont je suis ravi car ça me permet de enfin déboucher mon oreille gauche), nous rejoignons Pi Loo, sereinement assise en tailleur à l’ombre des arbres, un grand chapeau en paille sur la tête et des lunettes de soleil à la Brigite Bardot (époque brune). Elle nous avait gentiment préparé le petit-déj’ à base de crêpes au sucre et jus de citron, DSC_5620_DxOmangues, pastèques et bananes fraîches. Je vous ai dit que c’était une mère pour nous ? Nous mangeons donc tranquillement face à l’océan.

Pleinement rassasiés (il y d’ailleurs du rab’ de crêpes si vous en voulez), nous repartons à vélos sous le soleil et poursuivons la route dans un paysage un petit peu plus sablonneux bordé de pins. La marée est basse et c’est l’occasion d’apercevoir des petites silhouettes aux chapeaux coniques ramassant des coquillages sur la baie avec en arrière plan des hautes collines pentues couvertes de végétation. Après une petite ballade, nous atteignons finalement le bout de l’île où est amarré le bateau. Un tuc-tuc s’étant chargé de ramener nos bagages, nous sommes parés pour appareiller. Sereinement, nous rebroussons chemin à travers Bai Tu Long, en ce glorieux milieu de mâtinée, pour rejoindre le port.

Quelques heures plus tard, et après un petit trajet en mini-bus, nous voici tous déposés devant le terminal marin de la baie d’Ha Long. C’est le moment de dire au revoir au couple marseillais, avec qui j’ai enfin pris le temps de faire connaissance pendant ce petit transfert. Déjà, elle est parisienne donc ça lève le voile de mystère sur leur côté calme. Les deux français parti, nous voyons arriver deux nouveaux couples que tout le monde salut. Nous repartons aussitôt à la suite de Pi Loo dans le hall du terminal, parmi la foule de touristes et de leurs guides respectifs, chacun attendant que ces derniers reviennent avec les tickets, l’accès à la baie étant payante.

C’est finalement notre tour et nous reprenons notre cheminement chargés comme des mules derrière Pi Loo qui fend la foule jusqu’à un embarcadère. Y sont attachés trois gros bateaux blancs de deux niveaux à l’aspect relativement cossus. Mais toujours pas de voiles. Nous montons donc dans un de ces bateaux étiqueté « Ethnic Travel » et déposons nos bagages dans la salle à manger, donnant sur le pont. Impressionnant, car je ne m’attendais pas ce DSC_5643_DxOniveau de prestation. Ce n’est pas luxueux mais c’est très confortable et il y a même une étagère avec des livres en anglais, français et allemand. Pi Loo nous distribue des clés de chambre et je me dirige vers la mienne. Trop la classe. J’adore. Du bois sombre partout, un lit double, le petit bruit ronronnant du moteur et même une salle de bain privée. J’ai comme l’impression que la séquence contact avec les habitants est fini. D’ailleurs quand je descends au pont inférieur à la recherche des toilettes (avant que Pi Loo ne me fasse remarquer que j’en avais dans ma cabine), j’aperçois les marins et Pi Loo en tailleur dans une pièce commune en train de manger. Dommage, j’aurais trouvé plus sympathique que l’on mange tous ensemble.

DSC_5645_DxOLe bateau quitte enfin le port et une fois chacun installé dans sa chambre, nous prenons nos places aux deux tables de la salle à manger, les françaises à l’une et Kelly, moi ainsi que les deux couples à l’autre. Comme d’habitude, au début personne ne dit rien, la faim étant l’obsession numéro une. Quand à la soif, je me dirige vers le frigidaire des boissons (payantes) pour m’attraper un Pepsi. La main sur la poignée, Pi Loo me réprimande et insiste pour me l’amener. En prime, je crois bien qu’elle me frappe sur le dos. Avec le sourire, bien sur. Nous prenons ensuite enfin connaissance de nos quatre nouveaux arrivant : un premier couple de cinquantenaires munichois en route pour une année complète de voyage à travers l’Asie et l’Australie (un très belle attitude puisqu’ils ont décidé de profiter de leur forme actuelle et de ne pas attendre leur retraite) et un jeune couple de la région de Bilbao ici pour deux semaines. C’est d’ailleurs l’occasion de les chambrer en rigolant car avec leurs deux semaines de voyage, ils sont ridicules parmi nous. Je sympathise assez rapidement avec les munichois. Le mari, souriant et aimant plaisanter, d’un contact très facile, est en année sabbatique. Quand à sa femme, moins à l’aise en anglais mais néanmoins sympathique, elle a carrément démissionné de son boulot. Je les recroiserai d’ailleurs quelques journées plus tard à Hanoi où j’apprendrai enfin leurs prénoms : Werner et Sabine. Les espagnols ne parlant pas aussi bien ont tendance à rester entre eux. On fini donc le repas assez plaisamment à papoter avec Kelly et les deux allemands, avec quelques interventions espagnoles.

La baie d’Ha Long est gigantesque et malgré un nombre important de bateaux de touristes nous profitons agréablement du paysage. Encore une fois Pi Loo nous détaille le planning et nous allons encore une fois éviter les coins les plus visités. Le programme consiste à rejoindre un village flottant puis poser l’ancre dans un endroit tranquille pour la nuit. C’est donc après quelques petites heures d’une traversée tortueuse entre les superbes îles karstiques que nous atteignons le village. On a beau dire, c’est vraiment superbe de slalomer (mollement, certes mais quand même) entre ces blocs rocheux, comme flottant sur l’eau, couverts d’une dense végétation bourdonnante. Parfois des petites plages de sable blanc viennent lécher le bas des rochers, les plus grandes étant accessibles par un embarcadère et couvertes de touristes.

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A proximité d’un village flottant au creux d’une anse, nous lâchons l’ancre et trois barques menées à l’aide d’une longue rame unique par des femmes portant le chapeau conique s’approchent. Nous nous distribuons dans les barques munis de gilets de sauvetage orange et je me retrouve fort heureusement avec le couple de Munich et Pi Loo à côté de moi. La DSC_5665_DxOrameuse nous donne chacun un chapeau conique, que j’accepte en place de ma casquette quand Pi Loo prend le sien et s’en couvre. Ce ne doit donc pas être que pour la photo. Effectivement, assez rapidement, malgré un soleil de fin d’après midi, la chaleur se fait sentir et la lumière réverbérant sur l’eau est par moment aveuglante. Ces chapeaux sont diablement efficaces et légers.

Nous faisons donc le tour du village où j’en profite pour poser plein de questions saugrenues (ou pas) à Pi Loo notamment sur l’approvisionnement en eau potable effectué régulièrement du continent par bateau là où dans le passé les populations allaient se servir dans les rares sources des les îles, désormais taries. Les maisons flottantes sont également tractées au port en cas d’alerte au typhon, événement qui a eu lieu une semaine avant notre venue. Malgré cela, la population du village reste stable et celui-ci possède même une école primaire, flottante. Je demande également à notre guide pourquoi les rameuses sont des femmes : « Parce que les hommes sont à la pèche ». Ah oui, ça c’était la question saugrenue. Pendant toutes mes questions, je sens Pi Loo légèrement déconcentrée et occupée à jouer avec son chapeau conique pour se protéger du soleil. Je fini donc DSC_5666_DxOpar lui demander si elle craint celui-ci. « Oui, ici les hommes n’aiment pas les filles à la peau sombre donc je ne veux pas bronzer », me répond-elle. Instantanément, Werner et moi nous empressons de lui expliquer qu’en Europe on trouve ça plutôt chouette les femmes à la peau hâlée mais ça n’a pas l’air de la convaincre. Elle passera la traversée en barque bien planquée sous son chapeau comme craignant que le ciel lui tombe sur la tête. Au passage je comprends maintenant pourquoi énormément de femmes vietnamiennes sortent complètement couvertes vêtues de gants, chaussettes, pantalons et capuches, masque même sous une chaleur à mourir. Finalement, nous remontons à bord de notre petit navire de croisière.

DSC_5668_DxOUne bonne heure plus tard, nous voici arrêtés à l’ombre d’une île percée d’une grotte. L’équipage s’occupe à mettre les kayaks à la mer pour une nouvelle sortie. Cette fois-ci je fais équipe avec Kelly et nous nous mettons rapidement d’accord pour ne pas jouer petit bras : nous visons une île très au loin dotée d’une arche naturelle. C’est donc l’occasion de discuter un petit peu plus avec la jeune américaine vraiment d’un esprit très sympa. Nous saluons au passage un pêcheur à bateau d’un monstrueux « sin cheu » tout pourri que je devrait avoir honte de déformer autant. Il nous répond malgré tout d’un sourire et d’un salut de la main. Nous atteignons puis traversons l’arche pour se retrouver DSC_5677_DxOquasiment face à la baie d’Ha Long et le port industriel du même nom. Nous contournons donc l’île pour repartir en sens inverse en espérant ne pas lutter contre un courant contraire, tout en continuant de papoter. Nous nous demandons notamment qu’elle est le sentiment des vietnamiens sur leur régime politique, chacun de nous deux n’ayant encore osé aborder le sujet avec des gens du cru.

C’est donc finalement après une heure d’une rame sans forcer que nous retrouvons le bateau. Nous profitons que la majorité sont encore en kayak pour plonger dans l’eau et se baigner. L’eau est d’une température magnifique et finalement très peu salée. Rapidement quelques DSC_5682_DxOautres personnes nous rejoignent. Le capitaine du bateau, tout en rigolant, fait mine d’attraper Pi Loo pour la jeter dans la baie. Ils sont vraiment déconneurs ces vietnamiens. Ceci dit, elle surprend tout le monde quelques minutes plus tard en sautant du pont en T-shirt et short dans un grand splash sonore. Voilà qui est bien sympathique.

DSC_5672_DxOLa soirée se termine agréablement dans une atmosphère digne du film « Indochine » ou progressivement l’activité lointaine de la baie ralenti au rythme des bateaux de croisière jetant l’ancre pour la nuit, lumières et formes plus sombres des îles se reflétant sur l’eau noire. Après un dîner convivial, je rejoint les autres sur le pont supérieur panoramique, chacun dans une chaise longue. Manon nous fait une démonstration de sa souplesse (quelques années de danse classique qu’un physique enrobé ne vient pas altérer) DSC_5685_DxOque Pi Loo essai de copier sans succès mais avec beaucoup de cris de douleur. Après dix minutes elle abandonne. Sentant le moment et le climat propice aux confidences, je décide de lui poser des questions plus personnelles.

« Et sinon, Pi Loo, tu as fais d’autres métiers autre que guide ?
<petit blanc>
– Non. Je ne suis pas allé à l’école.
<autre petit blanc>
– Ah.

A ce moment là, Kelly prend le relais, d’une question particulièrement frontale. Si j’avais été en train de boire, je crois que j’en aurai recraché ma boisson :
« Et sinon, Pi Loo, comment ça marche le régime politique au Vietnam ?
<léger petit blanc>

Je dois vous avouer que je ne me souviens plus trop de la réponse formulée par notre guide. Ça aurait tout aussi bien pu être un grognement ou un marmonnement. Toujours est-il que dans la minute qui suit, elle s’est excusée en nous souhaitant bonne nuit. Pour ce qui est de la diplomatie : France zéro, USA zéro.

DSC_5688_DxOLe lendemain matin, bien ragaillardi après un bon déjeuner de fruits et d’œufs au plat nous repartons tranquillement vers le terminal d’Ha Long pour reprendre la route vers Hanoi. Matinal, j’avais au préalable pu contempler un lever de soleil fugitif sur la baie, les nuages arrivant. Nous empruntons un autre chemin qu’à l’aller et chacun peut profiter des dernières heures à bord. Je profite de la présence de Pi Loo à côté de moi sur une chaise à l’ombre, un instant pendant lequel elle ne me moleste pas, pour lui poser des questions. A chaque fois ses réponses sont courtes et j’ai du mal à déterminer si je la gêne ou si elle est doucement somnolente. En tout cas j’apprends qu’elle travaille tout les jours et que ses seuls moments de vacances ont lieu lorsqu’il n’y a pas de client. J’ai parfois l’impression de poser des questions de riches. Des vacances ? C’est quoi ?

DSC_5695_DxONous quittons finalement, et avec regret en ce qui me concerne, la tranquillité du bateau et la majestueuse baie d’Ha Long pour remonter en mini-bus. Particularité par rapport à l’aller : nous sommes séparés en deux groupes et je me retrouve comme par hasard avec Kelly, Sabine et Werner. Nous alternons donc pendant les cinq heures de route de moments de rêveries, discussion, sieste et papotage. On discute d’ailleurs de l’Australie avec les munichois qui ont également prévu d’y aller.

En fin d’après midi, nous pénétrons dans Hanoi et le bus dépose Werner et Sabine à leur hôtel après de chaleureux au revoir. Kelly et moi descendons à l’agence où on se salut en se souhaitant bonne chance pour la suite. Bizarrement, j’ai un pincement au cœur à quitter comme cela ces personnes attachantes après seulement deux ou trois jours ensemble.
Je rentre dans l’agence pour récupérer des billets de train et retrouve Pi Loo en train de discuter assez vivement avec son patron. J’avais complètement oublié cette histoire avec les espagnoles et suis désolé pour notre guide, l’esprit sans doute occupé par tout ceci pendant nos trois jours. Profitant d’un moment d’accalmie, je retire un billet de mon portefeuille et m’approche de Pi Loo en la remerciant pour ces trois superbes jours. Je suis français donc je ne donne rarement des pourboires. Tout les deux un peu mal à l’aise et après un premier refus poli, Pi Loo accepte sous mes remerciements et compliments. Alors qu’elle se retourne je saisi fugitivement un début de sourire sur son visage. Je hisse donc mon gros sac à dos sur mes épaules pendant qu’elle s’installe déjà derrière son bureau pour s’occuper d’un nouveau couple de clients. Je sort de l’agence et, me retournant une dernière fois, lance un « Bye, bye Pi Loo ». Derrière la vitrine je la vois me faire un signe de la main, un grand sourire sur le visage, avant de se retourner vers ses nouveaux clients, tout sourire.

Catherine Deneuve tout doucement s’évanouie. J’ai maintenant d’autres images de la baie d’Ha Long.