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La pizza d’un poète

Au cours de ce long voyage, et je ne parle pas seulement de l’étape néo-zélandaise, il m’est arrivé d’être surpris par l’environnement traversé. Que ce soit des paysages, des villes ou des gens, ces moments là sont les moments de grâce du voyage, ce dont on se souvient le plus. De plus, lorsqu’on voyage seul, ce qui a de vraiment satisfaisant, c’est qu’on est en grande partie responsable du contenu. Si c’est ennuyeux, on ne peut s’en prendre qu’à soit même et si on passe des moments géniaux, on se félicite de s’être foutu un grand coup de pied au cul, métaphoriquement parlant, pour s’être forcé à faire deux heures de bus pour voir des ruines dans une chaleur apocalyptique. Corollaire de tout ceci, on s’en veut parfois de ne pas s’être fait violence et ne pas avoir assisté à une fête de pécheurs alors qu’on y était cordialement invité.

Et puis parfois, on se surprend soit même. Tout ces déplacements nous conduisent dans des situations que le vocabulaire branché qualifierai « d’improbable » alors que, lorsqu’on est confortablement chez soi dans la routine du travail, jamais ceci n’aurait pu arriver (ou alors, justement, de façon peu probable). Tout ces voyages, ces changements de cultures nous ont finalement changé d’une façon subtile, peut être pas irrémédiablement, mais dans le contexte de ce périple on sent qu’on a atteint un certain degré de compétence, d’agilité et de détachement. A ce moment là, certaines choses que l’on n’avait pas prévu nous arrive.

Je sens que vous ne voyez pas trop où je veux en venir. L’introduction est longue, permettez moi donc de revenir un peu en arrière. Et pour que ce soit plus vivant, passons au présent narratif. Ça ne coute pas plus cher, et ça m’évite de désagréables ennuis de concordance des temps.

Le YMCA d’Auckland est un grand bâtiment austère à plusieurs étages identiques. Sur chacun, un long couloir droit donne accès aux multiples dortoirs alors que deux salles de bains et deux salles de toilettes procurent le restant de confort moderne abrité derrière des fenêtres en simple vitrage. En dehors de cela, point de fioriture. On se croirait dans une résidence étudiante des années 60.

Après m’être enregistré à l’accueil, de manière fort sympathique, je monte au quatrième étage et remonte le couloir à la recherche de ma chambre, mes sacs à dos sur les épaules. Ce moment là est toujours un peu spécial. J’imagine qui seront mes collègues de chambrées, deux allemands en vadrouille ou un camionneur de cinquante ans, et de vieux réflexes casaniers me font discrètement rêver d’un dortoir vide. Ça c’est déjà vu. J’ouvre la porte et rentre.

Raté. Ce ne sont pas deux sœurs suédoises en visa tourisme-travail. En fait, je n’en sais trop rien car la chambre est vide même si des signes évidents d’occupation m’ôtent tout espoir d’être seul. Une cafetière électrique, des biscuits sur les casiers ainsi que plusieurs gros sacs et une guitare sur un des lits superposés me font supposer que mon collègue est ici installé. Je pose donc mes affaires sur le lit en face, en bas, histoire de marquer mon territoire. Je m’installe et sort ma liseuse électronique pour me détendre sur le lit.

Quelques minutes plus tard, la porte du dortoir s’ouvre et un type de taille moyenne, cheveux courts, barbe naissante, petits yeux, portant un haut de survêtement à capuche et dans la trentaine tardive, entre de manière dynamique. On s’échange des « Hi » dans des demi-sourires. Histoire de ne pas faire l’ours je lui demande confirmation que le lit est libre. Pas de soucis, c’est bien le cas et il enchaine en me demandant d’où je viens. Je réponds et ravi, il m’apprend que les précédents occupants étant espagnoles, il trouve cela formidable toute cette diversité. Ben merde, j’aurai bien voulu voir ça. Ça m’aurait changé des allemands.

Il faut indéniablement que je fasse des efforts de mémorisation ou au minimum que je sois rigoureux dans mes prises de note car je n’ai aucune trace du nom de ce personnage. Pour fluidifier la narration (et je crois bien avoir déjà usé de ce subterfuge), prénommons le Jack, même si tel n’est pas sa véritable identité. Hors donc, Jack s’exprime de manière relativement rapide et euphorique avec une certaine volubilité. Généralement, je trouve ça suspect et fatiguant. Magie des circonstances, est-ce parce que je viens de passer sept jours en bagnole ? En tout cas, je relance la conversation sur les sujets classiques.

Jack est de Wellington. Nous parlons donc de sa ville et je partage avec lui le peu de choses que j’ai pu apprendre là bas. En parallèle, je le vois en train de s’activer à ranger des affaires dans la chambre, signe supplémentaire qu’il est bien installé. Au cours de cette rapide conversation, je découvre un garçon sympathique mais bavard avec ce mélange étonnant d’ouverture et de méfiance que traduisent, pour moi, ces demi-sourires.

Je me remet alors à lire (toujours du Richard Bolitho, ça ne change pas). Du coin de l’oeil je le vois attraper sa guitare, la brancher sur un petit ampli et se coiffer d’un casque. Avec entrain, assis sur son lit, il se met alors à slapper ce qui s’avère être en réalité une basse dans un curieux silence hormis les petits claquements sourds de ses doigts sur la corde. Je tente de me re-concentrer sur la manœuvre en cours de mon héros favoris, occupé à abattre de deux rumbs avant d’engager l’ennemi par le flanc babord.

Quelques minutes plus tard, il repose sa basse et je ne résiste pas à ma curiosité. Je lui demande s’il est musicien. Jack me répond par la négative et m’explique qu’il est poète mais qu’il apprend la basse depuis quelques temps. Très gentiment, il me demande si cela m’a dérangé. Non, non, point du tout. C’est amusant, il se comporte comme s’il était chez lui, ici, mais tout en s’attachant à ne pas trop déranger. Tout naturellement, nous parlons un peu musique.

Alors que nos relations deviennent cordiales, il me demande si j’ai déjà mangé. Effectivement ce n’est pas le cas. Voilà, il s’apprêtait à descendre acheter une pizza et si ça me dit de l’accompagner, ce sera avec plaisir. En peu embêté, je lui explique que ç’aurait été avec plaisir si je n’avais pas des problèmes de soucis d’argent qui m’oblige à rester frugal le temps que mon p***** de banquier daigne me donner de ses nouvelles. Je doit donc refuser.

Magie, c’est à toi, là, maintenant. Jack, sans une hésitation, propose de me l’offrir. On se connait à peine depuis un quart d’heure et il m’invite à venir partager une pizza sur ses deniers personnels. Il faut bien avouer que je ne suis pas très habitué à ces mœurs ! Je lui explique de nouveau que je ne pourrais pas forcément le rembourser vu que je part dans quelques jours mais malgré cela, il insiste de manière très naturelle. Ma curiosité prenant un peu le dessus, j’accepte.

En attendant, chacun n’ayant pas encore faim, Jack me demande si ça ne me dérangerait pas de l’écouter déclamer un de ses poèmes. Dans quelques jours il va participer au deuxième tour d’un concours de poésie, et il souhaiterai s’entrainer et avoir un avis extérieur. Tout surpris et bafouillant presque, j’accepte. Je me lève donc et m’assoie sur le rebord de fenêtre alors que Jack se place debout à deux mètres de moi. Il se lance alors dans sa tirade dont je ne me souviens plus des mots même si c’était drôlement imagé, métaphorique et renvoyant fichtrement à notre condition mortelle, le tout me fixant intensément dans les yeux avec de grands gestes un peu forcés et de timides envolées puissantes de la voix. Moi, je passe d’un état d’extrême concentration afin de pas rire à une sorte d’abandon, captivé par l’énergie et la flamme qu’il met. C’est certes perfectible, maladroit mais c’est particulièrement sincère et courageux. Je suis admiratif et tente quand bien que mal, avec la même sincérité de lui donner mon avis, notamment sur son interprétation, point sur lequel il doit travailler, d’après lui. Moi, je trouve qu’il devrait encore un peu forcer sur la dynamique, alternant les moments doux et les moments forts. La dynamique, c’est l’émotion, aussi bien en musique qu’en théâtre. Le plus fou, c’est qu’il est d’accord et m’avoue qu’au premier tour du concours, c’est la remarque qu’on lui a fait. Je vais peut être devenir critique de poésie, moi, tiens ?

On se donne donc une dizaine de minutes pour s’occuper de diverses petites affaires puis nous voici tout les deux quittant le YMCA dans la nuit, sous une petite pluie fine bretonne bien que pourrie. Nous descendons la rue en direction du centre ville. Aujourd’hui c’est le jour de la promotion chez Pizza Hut, la pizza classique pour 5$ (soit à près 3€), m’explique t-il. Nous reprenons donc la discussion en marchant et je commence à questionner Jack sur ses occupations. Je suis comme cela, j’aime bien savoir à quoi les gens s’occupent. De plus en plus curieux, il me révèle qu’il est en train de changer de vie. Sans trop rentrer dans les détails, il m’avoue être juste sorti d’une grosse période de galère personnelle. D’ailleurs, ce soir, après la pizza, il doit assister à sa réunion hebdomadaire des alcooliques anonymes.

Voilà. C’est aux alentours de ces moments là que je me surprend. Je me surprend a être intensément passionné par la vie de ce garçon, a être heureux d’avoir accepté de l’accompagner et, quelque part, je suis également flatté qu’il me parle de tout cela, moi, quasi-inconnu. La conversation se poursuit alors que nous arrivons devant le petit stand Pizza Hut où se pressent une poignée d’étudiants sans le sou et d’autres individus en recherche de bons plans. Un peu mal à l’aise, j’attend que Jack achète la pizza et le remercie chaleureusement. Il n’y a pas de quoi. Ben si, mon gars, j’insiste.

Nous allons nous poser un peu plus loin sur un banc en bord de trottoir luisant de pluie, les lumières multicolores se réfléchissant sur le bitume humide alors que de rares passants se hâtent vers des lieux plus cléments. Ce n’est pas luxueux mais les Alcooliques Anonymes sont à deux pas et moi, je trouve qu’on est dans le ton. Nous reprenons notre conversation et Jack me parle de son projet de devenir acteur ou poète pendant que nous mâchonnons nos parts. Il y a des gens que je trouve admirable par leur envie, leur rêve et leur détermination. On discute du milieu culturel et artistique d’Auckland qu’il me dit plein d’opportunités. Moi qui ne suit pas très branché poésie, je me surprend une nouvelle fois à trouver cela fascinant. A mon tour je lui explique mon tour du monde, ma situation d’indépendant, mon envie de dégager du temps, de réaliser mes propres projets et advienne qui pourra. Nous parlons même religion et partageons une vision commune sur le sujet.

Finalement, nous finissons notre repas et repartons vers le YMCA. En route, j’abandonne Jack a sa réunion et me retrouve seul dans le dortoir. En voilà une soirée vraiment étonnante.

Le lendemain matin, Jack me propose des biscuits et un café. Aujourd’hui, il quitte le YMCA pour un autre endroit moins cher. Etonnant personnage. J’aimerai bien savoir ce qu’il adviendra de lui. Nous nous quittons en se serrant la main chaleureusement, je ne manque pas de le remercier une nouvelle fois pour la pizza et surtout, je lui souhaite toutes les chances possibles pour son concours. Il y a des dîners fast-foods qui valent de grandes soirées au restaurant.

Romain et Veronika

J’étais arrivé à Sydney un samedi après midi. Le samedi soir je retrouvais Romain et sa femme, Veronika, que je ne connais pas, à l’intersection d’Oxford street et de Crown street. Depuis mon départ, ce sera la première fois que je croise quelqu’un que je connais.

Pour bien situer le personnage, j’ai croisé Romain lors de ma période chalonesque. J’étais ingénieur de recherche et vaguement donneur de cours. Il était étudiant en stage puis au mastère. Après plusieurs années à Paris et Marseille à se faire licencier par des boites d’effets spéciaux en difficultés financières, il accepte un poste à Sydney dans une grande société du domaine. Ça doit faire maintenant plus de cinq ans qu’il y est. Pour vous dire à quel point c’est parti pour être du temporaire qui dure, il s’y est marié.

C’est donc à la nuit tombée, assis au coin de la rue, que je vois arriver le Romain, toujours portant bouc, et orné d’une superbe casquette et veste en cuir digne des pionniers de l’automobile. A ses côtés, souriante, Veronika, petit bout de femme indonésienne d’origine chinoise. On se serre la main et se fait la bise, chaleureusement. Ça fait bien plaisir de le revoir après toutes ces années d’expérience hors de France. Après quelques minutes de marche, on se pose dans un bar pour boire un verre et entamer sérieusement les retrouvailles.

C’est toujours amusant de voir comment de jeunes étudiants innocents, quelques années plus tard, se retrouvent plein d’assurance, les idées un peu plus arrêtés sur certains points voir un poil plus cynique. C’est d’autant plus le cas que Romain avait à l’époque de son passage à Chalon-sur-Saône un enthousiasme et une certaine naïveté qui faisait plaisir à voir.

Nous poursuivons dans un restaurant thaïlandais et c’est l’occasion de faire un peu plus connaissance avec Veronika. J’apprend notamment que la population indonésienne est constituée d’une minorité d’origine chinoise, souvent propriétaire d’entreprises ou de commerces. Régulièrement, des vagues de xénophobie à leur encontre provoquent des tensions voir escaladent en de véritables pogroms. C’est à l’occasion d’un de ces pics de violence que les parents de Veronika décidèrent d’envoyer leur deux filles et leur fils poursuivre leurs scolarités en internat à Hong-Kong, puis plus tard, leurs études à Sydney alors qu’eux restent en Indonésie. Du coup, Veronika parle un anglais parfait mais également le cantonais et, pour être encore plus polyglotte, c’est mis au français, avec un résultat étonnant. Elle insiste d’ailleurs pour que nous discutions en français pour la faire travailler. Résultat, nous mélangeons allègrement la langue de Shakespeare et de Molière.

Ce qui est très intéressant c’est de confronter les points de vues de Romain et Veronika sur la situation particulière en Indonésie. Alors que Veronika a une vision très négative des indonésiens, les considérants presque dans leur majorité comme fainéants, Romain a une attitude très classique pour un français qui consiste à tempérer et à chercher des excuses / explications sur la situation. Quand à moi, je m’abstiens de tout jugement, ne connaissant absolument pas le dossier. Néanmoins, sans surprise j’apprend que l’Indonésie est gangrénée par la corruption.

A la fin de la soirée, nous nous quittons en nous donnant rendez vous pour le lendemain, pour ce qui est de Romain. Rappelez-vous, c’est le dimanche à Bondi. Le lundi, je dois retrouver le couple chez eux pour y être gentiment hébergé jusqu’à mon départ le vendredi. Bien qu’il faisait plutôt doux et chaud dans la journée, la nuit, il fait presque frais. J’en profite donc pour commencer tout doucement à attraper froid.

Le lundi, alors que je me ballade du côté de Rose bay, je m’arrête à un marchand de vins, histoire de venir avec quelque chose à partager chez mes hôtes du soir. Je profite de la présence d’un vendeur pour demander un Gewurtztraminer. D’une part, j’aime bien mon Gewurtz, mais en plus, Romain étant alsacien, je prévois de lui arracher une larme de nostalgie. Contrairement à ce que j’imaginais, le vendeur ne se démonte pas et, ouvrant une armoire climatisée, me tend une bouteille. Allons bon, c’est quoi ces histoires ? Il est australien votre gewurtz, monsieur ! Oui, oui, on en fait ici, également. Je ne suis pas un grand spécialiste mais je suis tout même bien étonné qu’ils emploient la même dénomination. Curieux, j’accepte la bouteille et l’amène avec moi pour le soir.

DSC_7836_DxOAprès un trajet en bus de la gare centrale, je descends à Maroubra Junction, non loin de l’appartement de mes hôtes. Le quartier est assez excentré du centre ville mais possède néanmoins une grande quantité de commerces. Ici, les immeubles sont plutôt bas, pas plus de trois ou quatre étages. Un bon deux kilomètres vers l’est se trouve Maroubra beach, une grande plage nettement moins couru que Bondi surtout DSC_7834_DxOlorsqu’on y va au milieu de la semaine.

Après quelques hésitations, je trouve l’adresse et est accueilli par Veronika. J’avais été prévenu, l’appartement est encombré de cartons, . D’ici quelques semaines, ils déménageront dans leur maison qu’ils ont acheté il y a quelque temps plus à l’ouest. D’ailleurs, histoire de rester en famille, l’appartement qu’ils louent appartient au frère de Veronika. Un peu plus tard Romain rentre et je sort la bouteille. On rigole et Romain part à la recherche d’un tire-bouchon. On se verse des verres. On goutte.

Bon. Moi j’ai une idée très précise de ce que doit être un Gewurtztraminer que je conçois plutôt comme un vin demi-sec penchant vers le doux qui se boit en traitre comme du jus de fruit. Ici, nous avons plutôt affaire à un vin sec, tendance bourgogne aligoté. Rien à voir. Après, ce n’est pas mauvais non plus. Ce n’est pas aujourd’hui que j’arracherai une larme de nostalgie à mon alsacien.

Je resterai donc quatre nuits chez Veronika et Romain, partageant le soir leur repas souvent concoctés par la première qui prend un grand plaisir à découvrir la cuisine française. Pour faire bonne mesure, l’avant dernier soir, je me colle aux fourneaux et leur bricole un seau de lasagne de mon cru. Pour finir, la veille de mon départ, ils m’amènent à un petit restaurant populaire indonésien, histoire de me faire découvrir cette cuisine. Pas mal.

Au rayon culinaire, c’est d’ailleurs chez Veronika et Romain que je goute pour la première fois au fruit à la plus effroyable réputation, le durian. Pour ceux qui ne connaissent pas la-dite réputation de ce met, sachet qu’il est autant haï qu’il est adoré. Certains ne jurent que par lui, sa saveur et son odeur unique alors que les autres ne ressentent que répugnance et dégoût pour le fruit. Soyons franc, c’est extrêmement difficile d’en décrire le goût si ce n’est que c’est justement, indescriptiblement, à la limite du dégueulasse. On s’attend à quelque chose de doux et sucré. Ce n’est certainement pas sucré mais en ne peut pas nier qu’il y ait une certaine douceur, à la manière d’une « vache qui rit » pourrissante. Si vous vous ôtez de la tête que c’est un fruit, que vous parvenez à faire le vide au prix d’un effort mental de bonze tibétain, l’expérience passe nettement mieux. Sinon, attendez vous à des réflexes nauséeux. Etant particulièrement doué pour faire le vide dans ma tête, je suis parvenu à en manger deux morceaux tout en y prenant un certain intérêt la deuxième fois. La troisième par contre eu été de trop. Bien entendu, Veronika gobait cela comme si c’était des moitiés d’abricot avec de grands « mmmmh » alors que Romain soutenait que c’était super bon, tout en avouant, l’hypocrite, que, certes, l’apprentissage est difficile. Pour vous dire à quel point ce fruit est étrange, il est interdit d’en amener dans certains lieux publics en Asie, de peur d’indisposer certaines personnes.

En tout cas mon séjour chez ces deux exilés fut fort intéressant notamment grâce aux discussions que nous avons eu avec Veronika. Indéniablement, sa culture chinoise amène à des façons d’envisager certaines choses de manière notablement différente. Voilà qui est bien vague, vous dites-vous. Je le conçois. Pour avoir discuter du rôle et de la place de la famille avec elle, par exemple, je retrouve certains points communs avec la culture vietnamienne. Je retrouve également cette importance et ce respect fondamental pour les études, non pas comme un moyen d’épanouissement intellectuel ou comme voie menant vers un métier qui nous passionne mais comme un moyen pragmatique d’ascension social et de confort financier. En cela, c’est sans doute moi qui me fait des illusions, étant habitué à travailler dans des milieux de passionnés. D’ailleurs, ces frères et sœurs ont tous fait des études supérieures pragmatiques, elle étant experte comptable. Ce n’est pas dans ces familles d’origine chinoise ou vietnamienne qu’on verra des musiciens ou des poètes, ça j’vous l’dit ! Tas de fainéants, prenez exemple !

Pour changer de sujet, avec ces rafraichissements le soir, je crois bien que j’ai attrapé un mal de gorge carabiné.

Papotages en soirée

Le seul problème lorsqu’on traverse un pays en voiture personnelle est que l’on ne croise pas grand monde. C’est d’autant plus rare car j’y suis également légèrement hors saison. Ici, c’est la fin de l’hiver austral, je vous le rappel. Néanmoins j’ai eu l’occasion de papoter avec un petit nombre de personnes pendant ce périple automobile. Rien d’extravagant mais c’est toujours amusant de constater que le fait de dire que l’on vient d’un pays étranger éveille la curiosité. Il est vrai également que la plupart des gens rencontré sont plutôt sociables.

Tenez, par exemple, puisqu’on parle d’australien, j’ai été abordé lors de ma soirée de camping au sud de Port Augusta (ce qui remonte déjà à deux ou trois jours) par un néo-zélandais d’âge moyen. C’est fou, quelle idée de venir passer ses vacances ici alors qu’on habite en Terre du Milieu ? Encore plus dingue, il se déplaçait ici en moto avec sa femme. Pour encore plus de folie, je précise qu’ils n’en avait qu’une seule, de moto. Ce n’était d’ailleurs pas leur première expérience du genre puisqu’ils avaient déjà parcouru la côte ouest. C’est des fanas d’Australie mais à moto, ça ne doit pas rigoler tout les jours.

Si ça vous tente, je vais partager avec vous quelques aspects pratique que j’ai pu glaner avec lui. Non, parce que moi aussi, ça m’intéresse. Surtout, d’où sort cette moto ? Ils l’ont amené en bateau ? Point du tout, ils l’ont acheté sur place, d’occasion. C’est d’ailleurs une solution retenue par de nombreuses personnes, comme je vous le démontrerai de manière empirique par un second exemple relaté plus loin. Comme nous vivons dans un monde de profit, l’idée est bien entendu de la revendre en repartant, de préférence sans décote.

Quelques jours plus tard, à Mount Gambier, j’ai donc l’occasion de papoter longuement avec mes deux vieux australiens à 4×4, originaire de Nouvelle Galle du Sud. D’ailleurs, maintenant que j’y pense, j’ai surtout papoté avec l’un deux, le deuxième étant beaucoup plus taiseux. Nous avons donc mené une discussion sur tout, passant de douces transitions en douces transitions vers des sujets divers, particulièrement au sujet de l’Australie. C’est d’ailleurs eux qui m’ont parlé de la mission des Royal Flying Doctors notamment car ils se déplacent dans un gros 4×4 suréquipé pour la survie en milieu hostile avec téléphone satellite, jerrican d’essence et tout le bazar. Ils étaient actuellement en vadrouille et avec eux, ça ne plaisante pas côté logistique.

En parlant de la situation économique du pays (ce qui est un de mes lancements favoris lorsqu’il y a un blanc), ils ont enchainé spontanément vers la fin du boom minier et de l’immigration illégale par voie maritime. Ce sont des sujets qui reviendront assez souvent dans les discussions que j’aurai avec des australiens, peut être parce que nous sommes en pleine campagne pour l’élection du premier ministre.

Le lendemain matin, alors que je redescendais de ma petite ballade sur la crête du cratère de Mount Schank, j’ai repéré un vieux break bleu appartenant à un jeune couple. Après nous avoir salué poliment, je suis reparti pour poursuivre mon chemin. Toute la journée, de look out point en look out point, je n’arrêterai pas de les repérer de loin et eux de même. Le soir arrivé au camping de Peterborough, je pénètre dans le bâtiment commun abritant la cuisine et, devinez quoi, je rencontre de nouveau le jeune couple. Nous étions destinés à nous parler. A vrai dire, étant peu physionomiste, ce sont plutôt eux qui m’ont reconnu. Seuls pensionnaires du camping, nous avons donc devisé tranquillement pendant qu’ils finissaient leur maigre repas et que je confectionnait le miens, également maigre. Ce soir là, c’était des pâtes, postérité.

Ils sont allemands ce qui est d’une vulgaire banalité. Je n’arrête pas d’en croiser en Australie. Rappelez-vous, ce sont eux qui se font le plus bouffer par les crocodiles et malgré cela, on en croise partout. Si mes souvenirs sont bons, ils étaient également sous visa touriste-travail mais, manque de chance ou retournement économique, ils n’avaient pas réussi à trouver de boulot. Ayant mis cela en second plan, ils se consacrent donc au voyage, au volant de leur vieux break aménagé, acheté également d’occasion. D’ailleurs, ils m’ont proposé de le racheter car ils sont très proche de la fin de leur séjour. J’ai bien entendu décliné. Moi, propriétaire d’un break, et puis quoi encore ?

Les gens

L’intérêt des tours guidés est multiple. Premièrement, il évite de devoir se coltiner des tonnes de lecture car un autre être humain doté d’une connaissance à priori supérieure à la vôtre sur le sujet de votre tour est spécialement présent pour vous la déverser dans le cerveau. Souvent ça déborde, en plus. Deuxièmement, la plupart du temps, vous n’avez pas à conduire / pédaler / ramer / marcher ou alors c’est que vous êtes particulièrement malchanceux ou consentant. Toute votre énergie est donc concentrée sur l’absorption de cette information vous arrivant dessus par courts jets haute pression mais également sur la contemplation du paysage, la nuque en arrière, la bouche ouverte et les paupières closes. Malheureusement, comme la vie est injuste, pour des questions budgétaires, vous êtes fréquemment contraint de partager le dit guide et le dit moyen de transport avec un certain nombre d’autres individus (je part du principe que mon lectorat est de classe moyenne. Si vous vous sentez plutôt de classe supérieure, envoyez moi un chèque et je vous écrirai une version spécialement adaptée pour vous, de ce billet). La bonne nouvelle est que vous pouvez du coup rencontrer des gens. La mauvaise nouvelle est que vous devez supporter leur présence pendant la durée du tour.

Si je devais comparer ce tour Kakadu – Litchfield avec celui, similaire dans la durée, de Ba Tu Long – Ha Long, il me vient deux différences majeures qui me sautent aux yeux. C’est reparti pour une nouvelle énumération. Déjà, mon guide est un guide alors qu’au Vietnam, ma guide était une guide. Ça change pas mal de choses, figurez-vous. Entre une jolie petite femme aux lunettes de soleils à la Brigite Bardot et un grand quasi-quinquagénaire sec à la coiffure ras, je choisi la première, même si le deuxième m’a permis de me découvrir un certain goût pour le léchage de cul d’insecte. Mais surtout, et là ça dépend vraiment de la compagnie qui organise et de la mentalité du pays, au Vietnam l’accent était mis sur les activités et les paysages alors qu’à Darwin, Adam nous a fait tout un discours sur la nécessité que chacun discute avec chacun pour qu’il y ait une bonne osmose de groupe, lui n’étant pas disponible en permanence pour que les gens fassent connaissance. En même temps, je ne lui avais rien demandé de ce côté là, moi.

Fort heureusement, l’incitation à la sociabilisation s’est arrêté là mais ce que j’en déduis est que notre guide australien attachait beaucoup d’importance à cette ambiance de groupe afin d’en faire partie et d’en profiter. En clair, une partie de son plaisir dépendait des rencontres que lui allait faire. Pi Lu, aussi sympathique soit-elle n’avait pas forcément un désir aussi féroce de nous connaître. En plus de nous inciter à parler entre nous et de boire, Adam demandait également régulièrement que chacun change de place dans le camion afin de se mélanger. La place de choix, d’après moi, était bien entendu le poste de copilote, à l’avant à côté d’Adam. Les gens étant ce qu’ils sont (et surtout comme ils sont éduqués), une bonne moitié restaient accrochés à leur siège et peu de monde osait monter à l’avant. Moi, je crois bien avoir fait tout les sièges possibles, hormis ceux occupés en permanence.

Je confirme, le plus amusant est à l’avant surtout qu’il permet de bavarder avec un grand australien pilotant un haut camion de plusieurs tonnes à 80km/h sur des pistes gravillonneuses. De manière assez surprenante, on arrive à avoir une conversation assez large avec lui, y compris sur des sujets plus personnels. La plupart des guides gardent une distance professionnelle. Adam, non. Il faut dire que le gars a de la bouteille et, ce qui ne fini jamais de m’étonner, moi, a changé de métier plusieurs fois. Pour tout vous dire, puisque je vous sait curieux de la vie des autres, il s’est marié, il a divorcé, il a deux petits garçons qui font du motocross, il a rencontré sa copine lors d’un tour, il a une maison à Bondi qu’il a construit lui même mais qui est maintenant à son ex, c’est un fan de sports mécaniques, il a un 4×4 tout équipé avec téléphone satellitaire pour passer des jours dans le bush, c’est un audiophile qui a tendu des câbles en or dans sa maison (maintenant à son ex), il a visité une partie de la France, adore les Gorges du Verdon et il bosse six mois de l’année en tant que guide et l’autre partie du temps aide son père qui est dans la construction immobilière.

Avec tout cette sociabilisation, il s’est rapidement dégagé pendant ces trois jours un groupe de gens que j’appellerai les « couche tard », non pas que ce soient de gros fêtards (on se lève quand même avant l’aurore) mais parce que lors des soirées glamping, c’étaient les seuls à rester autour des tables à discuter pendant quelques heures en sirotant des bières, moi compris. En voici donc les membres et fort agréablement, Adam en faisait parti, malgré les tâches ménagères qu’il prenait en charge.

Mon collègue d’hostel, Phil, le jeune ORL américain, occupait le rôle d’électron libre, papotant plus ou moins avec tout le monde. On a plutôt bien sympathisé, au point de partager un dernier petit-déjeuner au soleil sur la marina de Darwin, le lendemain de notre retour. Son histoire récente consistait en une année de post-doc à Melbourne en charge d’étudier les différents grands systèmes de santé mondiaux. Avant de commencer son premier boulot dans un hôpital du Texas, il s’est payé un petit mois de vacances.

Max, le troisième célibataire, un peu plus discret et réservé initialement, s’est avéré assez passionnant lorsque j’ai découvert son métier, lobbyiste à Washington D.C. Tout d’abord, ce n’est pas commun d’en croiser un mais surtout un de 35 ans dirigeant une équipe de plusieurs personnes au sein d’une organisation a but non lucratif qu’il a lui-même créé. J’étais un peu méfiant initialement car j’imaginais que son activité de lobbying portait sur le pétrole ou les armes à feu, mais nous avons pu rapidement engager la conversation sur des sujets plus neutres lorsqu’il m’a appris qu’il s’agissait du domaine de la santé. Toute la majeure partie de son activité de l’année passé portait sur la réforme de santé d’Obama que son organisme tentait de soutenir. Il y a quelque chose d’incroyablement passionnant de discuter avec quelqu’un fréquentant d’aussi près les arcanes du pouvoir et habitué aux basses tractations politiciennes. Comme il a conclut lui-même, y compris pour un domaine comme la santé : « it’s all about jobs ». Convainquez un député que votre idée lui apportera des emplois dans sa circonscription, et vous l’aurez dans votre poche. C’est quasiment aussi simple que ça. Autant dire que ça ne se prête pas forcément à des réformes sur le long terme. Bref, Max après une période assez intensive a décidé de quitter son boulot, de lâcher son appartement et de partir un an en voyage.

Martins et Aija, le couple lituanien, qui se trouvent être de jeunes économistes furent également présent lors de ces longues discussions nocturnes. Parlant un excellent anglais à l’accent américain, ils étaient particulièrement agréables et souriants. Il était d’ailleurs surprenant et rigolo de les entendre parfois soutenir des thèses économiques assez libérales, pour des citoyens d’un ancien pays communiste. Il faut dire que le rejet anti-russe doit jouer un rôle dans cette affaire. A côté de cela, ces opinions étaient contrebalancés par un regard positif sur les pays scandinaves, notamment sur leur couverture sociale, abordé lorsque Phil, selon la caricature américaine, c’est insurgé contre le taux astronomique d’impôts en Suède. Venant d’un citoyen du pays qui s’est révolté parce que l’impôt sur le thé était trop élevé, ça n’a rien d’étonnant. Du coup, c’était agréable de constater comme certains pays restent historiquement et culturellement proches malgré des années de séparation lors de la guerre froide. En discutant avec Martins et Aija, je découvre à quel point la Lituanie et les états baltes sont notamment tournés vers la Suède. Au passage, pour les plus intéressés d’entre vous, j’apprend que les derniers calculs de PIB incluent le secteur public. C’est fou, non?

Pour finir sur les « couche tards », parlons de Nick et Jane, un couple de néo-zélandais installés à Sydney dans le quartier de Bondi. Soyons honnête, mon premier contact, timide, avec Nick s’est fait autour du rugby, fatalement. A l’évocation de Toulouse, il m’a tout de suite parlé des deux ou trois All Blacks jouant dans le championnat français. Manque de bol, moi, le championnat français de rugby, je le suis de loin. La conversation c’est donc arrêtée un peu tôt. Fort heureusement, lors de nos discussions du soir nous avons pu continuer un peu à faire connaissance. Le garçon est banquier dans la haute finance. Ah. Mince. Personne n’est parfait. C’est con, pour une fois, voilà un métier pour lequel je n’ai pas particulièrement de curiosité, ou alors pour poser des questions délicates et joyeusement provocantes (Non mais pourquoi t’as choisi ce métier, dis moi ? J’veux dire à part pour l’argent?). Quand à sa femme, Jane, elle met au point des recettes de yaourts pour un gros fabricant. Ah. Mince. Décidément, l’un bosse dans la haute finance et l’autre dans l’industrie agro-alimentaire. Voilà qui n’est pas très « paix et amour ». A part ça, ils sont assez sympathiques et parlent assez lentement avec un accent néo-zélandais que je découvre pour la première fois de près. Quoique, Nick mais un peu moins sympathique lorsque lors d’une dernière soirée (voir plus bas) il nous montre fièrement une photo de sa voiture, une Ferrari des années 80. Il a de la chance que je n’avais pas de smartphone. J’aurais pu lui montrer en retour une photo de mon Opel Astra bringuebalante.

Au final tout ce petit monde est fort agréable même si les liens se tissent plus entre la bande d’anglo-saxons, et notamment entre l’australien et les néo-zélandais. La preuve, ils sont tout le temps à l’avant du camion ou à côté de lui lorsqu’on marche, à papoter avec notre guide. Résultat, vers la fin du tour, j’avais presque peur de les déranger en posant une question à Adam.

Le soir de notre retour à Darwin, après ce lamentable épisode de ratage d’avion, toute cette bande c’est retrouvée dans un restaurant asiatique recommandé par Adam. Les hollandais étaient restés entre eux et les français étaient fâchés (bizarrement, je m’exclus du terme français). Notre guide nous rejoint sur le tard, après avoir du ranger et vider le camion puis essuyer quelques foudres de son employeur, rapport à l’incident franco-aéronautique. C’est donc légèrement sur les nerfs et en demande de bière qu’il s’est lâché gentiment et sauf mon respect sur l’attitude « typiquement frenchie ». Que pouvais-je répondre à cela? J’étais même particulièrement gêné et tentait de prendre timidement la défense d’Emilie et Gustave. Peine perdue.

Vous devez vous dire que tout ceci est vraiment fort gentil et vous devez vous réjouir que je vous décrive mes copains de vacances. En vérité, je garde un souvenir humain de ce tour et notamment de cette dernière soirée légèrement teinté de quelque chose de désagréable. Je crois que c’est du en partie à l’incident de l’avion, mais aussi par un « je ne sais quoi » (en français dans le texte) de malaise dans ma perception du niveau d’intimité entre ces gens. Les deux lituaniens et Phil exclus, que je trouvais vraiment sympathiques et dotés d’un sourire franc, je ne savais toujours pas après ces trois jours et trois nuits (avec le restaurant) si c’était devenu des gens qui m’appréciait et que j’appréciai. Mettez cela sur la soi-disante « hypocrisie » anglo-saxonne, mais il y avait toujours une retenue ou quelque chose de forcé dans nos relations. J’espère pas que c’était du à ma nationalité.

Soirée tchèque

Il pleut encore à Da Lat et quand ce n’est pas le cas, il fait gris. Et comme nous sommes toujours à environ 1400m d’altitude, avec cette météo, les températures sont un peu fraîches. Après une bonne douche à mon retour de cette marche dans la jungle, j’attends que les deux anglaises, Gilly et Anne-Marie, passent me prendre pour aller prendre un verre en ville. Mon seul soucis est que je suis obligé de me chausser de mes gougounes / schlappe / slache / claquettes / tongues sous ce temps breton. Mon autre paire de chaussure est généreusement couverte d’un centimètre de glaise humide que j’hésite encore à nettoyer dans la douche de ma chambre de peur de boucher les tuyauteries.

A l’heure prévue, je suis récupéré par le duo britannique (encore un bon synonyme pour les deux anglaises. A ce rythme je suis bon pour devenir journaliste sportif) et nous nous dirigeons vers la sorte de place centrale de la ville pour rencontrer un trio que Gilly et Anne-Marie ont rencontré dans leur bus en provenance de Ho Chi Minh. Je suis difficilement avec mes chaussures inadaptées sous la pluie et le froid. Mais nous voici rapidement six et, après les présentations d’usage, partons à la recherche d’un quelconque bar un peu sympathique.

Je vais donc tenter de vous décrire ce petit monde. Premièrement, car c’est un peu l’organisatrice de la soirée, Gilly, cheveux blonds mi-courts, taille moyenne, dynamique. Nous avons ensuite sa comparse, Anne-Marie, cheveux châtains longs, taille moyenne, boulote et beaucoup plus enjouée et bavarde maintenant qu’elle est en territoire familier. Voici pour le quota grands-bretons de la soirée. L’autre consiste en trois tchèques, un gars et deux filles. Pour commencer, Eva, la plus jeune, une grande et costaude jolie blonde aux cheveux longs en queue de cheval, d’allure sportive. Ensuite, Susanna, une aussi grande brune aux cheveux mi-courts avec un petit air de garçon manqué. Pour finir, David, un autre grand brun, cheveux courts et petites lunettes intellectuelles.

Après un début de bavardage un peu timide pendant lequel Anne-Marie, avec un enthousiasme proportionnel au soulagement d’y avoir survécu, commence à raconter sa journée de randonnée, nous nous posons dans un bar désert. On ne peut pas dire que Da Lat soit le rendez-vous des fêtards et la plupart des établissements ferment relativement tôt. Nous commandons des bières (entre des tchèques et des anglais, ça semble relativement naturel) et entamons enfin les véritables présentations.

Dans la catégorie « personnes étonnantes », en voici encore trois des plus sympathiques. Mais avant de commencer, j’apprends que Gilly a effectué, il y a quelques années, deux mois de volontariat humanitaire au Cambodge pour faire de la rééducation de personnes handicapées. Encore quelqu’un qui force le respect.

Revenons donc à nos trois tchèques. Tout d’abord David et Susanna sont ensembles. Quand à Eva, c’est une jeune copine de leur club d’escalade de Prague. Il est vrai qu’elle a l’air un peu plus timide que les deux autres qui ont, soyons clair, chacun un aspect de vieux baroudeur malgré leur petite trentaine d’années d’âge. Alors que nous nous vantons d’avoir traversé la jungle hostile pendant notre journée, ils nous annoncent avoir parcouru environ 150km sous la pluie sur des motos louées, autour de Da Lat, le tout avec de grands sourires. « C’était amusant », conclut Susanna. En voilà trois pour qui le sens de l’aventure ne fait pas défaut. D’ailleurs en continuant à parler de moto, David et Susanna nous racontent quelques anecdotes en deux roues vécus en Iran, pendant un précédent voyage. « L’Iran, voilà qui est original », fais-je remarquer.

  • Pourquoi pas ?, demande Susanna, un brin sur la défensive
  • Non, mais il faut bien avouer que ce n’est pas non plus une destination touristique majeure, ajoute avec un sourire Gilly
  • Oui, peut-être, conclut Susanna en regardant David avec un petit sourire fier.

Ces deux là m’ont l’air de vrais aventuriers, et notamment Susanna qui nous liste ses pays visités : Inde, Syrie, Iran, Bulgarie et Roumanie. Pour les deux derniers, je me doute qu’il s’agit d’une destination naturelle car limitrophe pour des tchèques. Par contre, pour la Syrie, voilà qui est encore original. Inutile de préciser que chaque voyage se fait dans des conditions routards et pendant un mois minimum. Toujours avec un air mi-modeste, mi-espiègle, elle nous raconte la fois où elle a fait de l’auto-stop en Iran en se faisant récupérer par un camion de marchandise. Le chauffeur, un peu fatigué, lui a laissé le volant. Admettez que ça change de l’anecdote un peu plus convenu concernant un incroyable restaurant où on vous a servi du saumon avec du ketchup (Non mais du « ketchup » ?! Je rêve !). Tout de suite, c’est difficile de rivaliser. Néanmoins, j’arrive à les faire rire quand je leur raconte mon accident et ma panne d’essence d’il y a deux jours. Comme quoi, encore une fois, la vie n’est qu’une collecte d’anecdotes à partager avec les autres. A condition qu’elle ne vous tue pas, bien entendu.

Pour ce qui est de leur occupation, car il faut bien avouer que, moi, je trouve ça toujours intéressant de savoir ce que font les gens pendant la plus grosse partie de leur journée, j’arrive à glaner que David est psychologue et Eva étudiante en dernière année de mathématiques (une tête bien faite, en plus). Quand à Susanna, au cours de la conversation, j’apprends qu’elle a arrêté ses études et qu’elle travaille dans le milieu de l’informatique à faire des tests. Voilà qui rajoute un peu à son côté rebelle.

Cette soirée s’annonce terriblement intéressante et nous changeons de bar en quittant me deux collègues de randonnées. La fatigue se fait sentir et Anne-Marie commence à se ressentir de sa terrible journée. Je leur souhaite bonne chance pour la suite et poursuit avec le trio tchèque vers un autre bar un peu plus animé. Selon toute vraisemblance il est tenu par un anglo-saxon et la clientèle, un peu plus nombreuse. Pendant encore quelques heures nous discutons de tout, un sujet menant à l’autre, et je suis périodiquement impressionné par l’incroyable absence de peur et d’angoisse de David et Susanna. Peut-être est-ce de la bravade mais je trouve ça rafraîchissant. Eva, quand à elle, semble beaucoup plus raisonnable et timide en comparaison, mais à côté des deux autres, tout le monde le serait. Pour ajouter encore à cette ambiance cosmopolite et rebelle, nous sommes rejoint pendant un moment par la serveuse qui nous apprend être américaine. En vacances pendant quelques mois au Vietnam, elle aussi en mode improvisation, elle s’est arrêté à Da Lat après un coup de cœur pour le bar et la ville. Elle ne semble pas pressée de continuer, en tout cas.

Finalement, vers minuit, légèrement éméchés, alors que tout les autres bars et restaurants sont fermés depuis deux heures, nous décidons de rentrer. Après de sympathiques aux revoir et remerciements, je repart vers mon hôtel. Une bien jolie soirée.

Mais je crois bien que je m’y suis pris à deux fois pour retrouver mon chemin.