Indubitablement, l’importance du rituel et du religieux en Inde n’est pas surfait. A la Kailash Guest House où je réside à Pondichéry, les occasions sont nombreuses pour le constater. Hormis les multiples tableaux et affiches représentant tout le panthéon, dans la petite pièce au rez de chaussée qui sert de bureau, on peut entendre et apercevoir une petit boite à prière électronique. Provenant certainement en Chine de la même usine qui fabrique des poupées qui parlent, son principe est relativement simple : une petite boite en plastique de la taille d’un demi carton de lait, décorée sur sa face avant d’une représentation de votre déité hindou préférée (ici, Shiva ne dansant pas, je crois) diffuse en permanence des mantras d’une voix nasillarde et robotique. Tout ceux qui ont déjà joué à la « Dictée Magique » dans leur enfance auront une idée assez précise de la qualité sonore. A propos de la représentation des déités hindous multicolores, je me dit régulièrement que ce ne doit pas être facile pour les musulmans, pour qui la représentation de dieu est interdit, de cohabiter avec tout ces idolâtres. Mais loin de moi l’idée de vouloir attiser un conflit religieux. Moi, ce que j’en dit…
En ce qui concerne le patron à l’aspect noble (physique bien proportionné, traits fins, cheveux, barbe et moustache blanche parfaitement entretenue, nez droit et peau sombre. Toujours habillé en chemise et pantalon. La classe indienne. Son fils est encore plus impressionnant car il fait facilement 1m80, des épaules de nageur et arbore en plus un léger catogan ce qui lui donne un air de pirate quand il est en short long. Doublement la classe indienne), chaque matin il effectue son petit parcours habituel consistant à rallumer les bâtons d’encens (notamment devant un autel dédié à Ganesh, le dieu qui barri) et les petites bougies à chaque étage, puis à redescendre au rez de chaussé pour effectuer une courte prière devant la photo d’un homme âgé et souriant à la barbe blanche (qui n’est PAS le père Noël), pour finalement toucher le portrait avec une rapide courbette. Seulement à ce moment là est-il disponible pour me donner une explication valable à la disparition d’une de mes paires de chaussettes et son remplacement par une autre plus pourrie à la dernière lessive.
Si vous sortez de la guest house vers ces heures vous noterez juste devant l’escalier sur la rue un joli motif symétrique tracé avec ce qui ressemble à de la craie. Vous pensez bien que j’évite soigneusement de marcher dessus, premièrement, pour ne pas abîmer cette très jolie œuvre dont l’aspect change tous les jours, mais également de peur que ce soit un puissant talisman anti-con qui me vaporiserai instantanément dans les limbes. Assez rapidement, on constate que cette lubie artistique n’est pas l’apanage de la Kailash Guest House mais est partagée par de nombreux habitants de Pondichéry. En voici notamment un petit aperçu.
J’ai donc demandé un soir au propriétaire ce que tout cela signifiait. L’origine provient d’une tradition hindou qui consiste à partager sa nourriture avec tous les êtres vivants de la création en déposant un petit tas de poudre de riz ou d’autres nourritures devant sa maison. Au fur et à mesure les gens se mirent à tracer des formes alambiquées, histoire de foutre la grosse tehon à son voisin, pour finalement laisser tomber le fond et ne garder que la forme. De nous jours, tout le monde utilise de la craie. Au moins, ça n’attire pas les fourmis. Cela fait lever les yeux au ciel sur la véritable profondeur spirituelle des gens « religieux ». Mais bref, le cynisme sur la religion, je le réserve pour un peu plus tard.
A ce propos, si vous vous baladez le soir vers 19h30 du côté du temple Manakula Vinayagar (ne croyez surtout pas une seule seconde que j’ai mémorisé ce nom), là où opère l’éléphant Lakshmi, vous ne manquerez pas d’observer plusieurs scènes amusantes. Tout d’abord, notre pote l’éléphant est occupé à bénir les passants en leur donnant une petite tape de sa trompe, ce qui provoque quelques commotions cérébrales. Puis ensuite, vous noterez un curieux attroupement de gens en deux roues à la sortie du temple. Une fois l’éléphant parti, des prêtres torses nus en dhoti safrans (un habit traditionnel consistant en un long tissus que l’on noue autour de la taille et qu’on repli au niveau de l’entre jambe, porté notamment par les pêcheurs et les gens pauvres) entament une séance de bénédiction des deux roues avec une lampe à la fumée grasse. Autant vous dire que, vu le monde, le processus prend du temps. C’est sans doute moins cher que de prendre une assurance tout risques mais je ne jurerai pas de son efficacité.
Finalement, chacun se représente les indiens avec une tâche sur le front et ils ont bien raison. Ce n’est pas forcément systématique mais c’est très très fréquent. Il peut également s’agir d’un ou plusieurs traits horizontaux ou verticaux, de couleur blanche ou jaune, qui pourraient aussi bien, pour ce que j’en sais, être des traces préalables à une future lobotomie. Ce qui est amusant c’est de constater les degrés de fraîcheur de ses marques en fonction des fêtes religieuses. Avant, elles ressemblent à une croûte dé-séchée et effritée mais après elles resplendissent de leur couleur vive. En tout cas, du fait de leur banalité, j’ai complètement oublié de demander leur signification. Assez surprenant pour moi, j’ai pu apercevoir également de nombreux enfants et femmes le crâne rasé. Il me semble que pour les enfants il s’agit d’une sorte de rite de passage mais pour les femmes je n’en ai strictement aucune idée.
Pour conclure, je me dois de partager avec vous cette remarque glanée au détour d’un musée à Mumbai concernant l’apport de l’Inde au monde moderne. Selon l’auteur de cette remarque, l’Inde nous apporte une vision holistique du monde par opposition à une vision rationnelle de l’occident. Voilà. Donc je ne connaissait pas vraiment la signification de ce mot « holistique » mais si ça n’implique pas « rationnel », je ne peux être que d’accord. Hors, je viens d’en lire la définition. Une démarche holistique est une démarche qui tend à comprendre les phénomènes dans leur ensemble. Donc pour comprendre l’Inde il ne faut surtout pas essayer de comprendre chaque petit fait et geste mais la prendre dans son ensemble. Ce qui est doit être considérablement épuisant vu la taille et le nombre. Ça ressemble aussi un peu à une excuse facile, si vous voulez mon avis :
« Mais dis moi, pourquoi le monsieur fait caca sur le trottoir ?
- Non mais cherche pas. Tu es trop rationnel. Adopte une démarche holistique et voit plutôt ça dans son ensemble en te mettant à une échelle cosmique.
- Ah. N’empêche que cosmiquement parlant, il fait caca sur le trottoir.
Non, décidément, cette Inde est vraiment mystérieuse.