La mer, c’est super mais la montagne, ça vous gagne. C’est en ayant cette maxime de publicitaire en tête que j’envoi un jour un mail afin de réserver une place pour un trek à travers l’île. Si vous vous rappelez bien, j’avais astucieusement attrapé un flyer à l’aéroport d’un homme en dreadlocks proposant des randonnées accompagnées. Le prénommé « Pa », natif de l’île, promet une démarche éco-touristique qui cadre beaucoup plus à mes aspirations qu’une bruyante et bourrine sortie organisée en quad. Sur le site web du sieur Pa, je lis la présentation qui précise bien que le trek (car telle est sa dénomination officielle, The Cross Island Trek, avec moult majuscules) nécessite une bonne condition physique (400m de dénivelé), de l’eau, des chaussures de marche et un répulsif à moustique. Ça tombe bien, j’ai tout à disposition. Au passage, je note le prix de la sortie, 70$ NZ. Tout de même, 42€, ce n’est pas donné. Allez, au diable l’avarice, on ne vit qu’une seule fois et ça soutiendra l’économie locale. Et puis je mangerai que des kumaras et des pâtes pour compenser.
Je ne vous cache pas qu’il m’est venu un petit sourire narquois à la lecture des recommandations pour ce trek. Devoir préciser qu’il faille se munir d’eau et de chaussures de marche (avec la précision « sans talons hauts ») en dit long sur la candeur / bêtise / confiance (rayer les mentions inutiles) de certains touristes. Quand à l’indication « bonne condition physique », elle est malheureusement peu porteuse d’information, tout dépendant de la personne qui vous le dit. Lorsque Catherine Destivelle m’affirme qu’il faut une « bonne condition physique » pour grimper en haut de cette montagne, je m’inquiète. Si c’est mon voisin obèse, je souris. Je précise donc dans mon mail qu’à Toulouse, je fait régulièrement de la randonnée en montagne, en omettant que, depuis quelque temps, je le fait cent mètres derrière mes compagnons de ballade, la bouche grande ouverte.
Deux jours plus tard, à 7h du matin, je me retrouve donc à la position indiquée, en bord de route devant mon hôtel, équipé de pied en cape : chaussure de marche (mais pas de randonnée, même si je n’ai pas de talons hauts), short, t-shirt (la base dans ce pays), chapeau (un nouveau acheté à Auckland après avoir oublié l’initial dans un bus à Sydney) et sac à dos contenant une bouteille d’eau d’un litre et demi et mon spray anti-moustique à la douce odeur de citronnelle, recommandé par le centre de vaccination de Toulouse comme mesure préventive anti-malaria (bien que je me sois fait troué la peau au moins cinq fois avant mon départ pour divers vaccins). Accessoirement, je m’en sert comme parfum.
Un mini-bus arrive, s’arrête et Pa descend, un grand sourire à la main et me tendant son visage. Ou est-ce l’inverse ? Attardons nous sur le personnage, voulez-vous. Vous pourriez taper « pa trek rarontonga » sur Google et avoir en un clic une photo de lui. Laissez moins néanmoins l’occasion de vous le croquer par quelques mots maladroitement choisis. Imaginez un polynésien solidement charpenté d’1m85, d’âge mur, que l’on devine anciennement très musclé, portant de longues dreadlocks blondes de la taille de cordelettes. Votre regard s’attarde discrètement sur son accoutrement et vous notez une sorte de short pagne noué que l’on pourrait confondre avec des couches et un débardeur très lâche bleu. Pour des raisons certainement mystico-spirituelles, des bracelets végétaux sont noués autour de ces coudes et genoux. Accessoirement, il est nu pied. Une sorte d’homme des bois baba-cool new age, en quelque sorte.
Fort heureusement, il me sert la main vigoureusement avec un sourire simple et chaleureux que ne dément pas son regard. Dans mes souvenirs, il me lance même un « kia orana », le bienvenu local, en me mettant un collier de fleurs exotiques autour du cou. Mais là, je crois que j’invente.
Comme il se doit (je commence à avoir l’habitude), nous commençons par collecter tout le groupe, chacun à son hôtel et c’est finalement à deux mini-bus que nous remontons une petite route en direction du centre de l’île. Bien entendu, nous en profitons pour décliner nos nationalités et, une fois n’est pas coutume, je suis le seul français parmi des australiens, néo-zélandais, américains et canadiens.
Au point de départ, nous nous mettons en groupe autour de Pa qui nous réitère les recommandations de base : boire, se mettre du répulsif et marcher à son rythme. Pendant ce temps, le couple canadien en profite pour se fumer une cigarette. Je lève un sourcil. Globalement chacun est habillé en mode sport avec des chaussures de jogging. Néanmoins quelques indices me laisse croire que le niveau de pratique est assez hétéroclite. L’américaine semble tout droit sorti de Beverly Hills et son copain a jugé pratique de porter une grosse bouteille d’eau en bandoulière.
Alors que chacun se oint ou se vaporise de répulsif anti-moustique, Pa commence son show. Déjà, il nous apprend qu’il a 70 ans. Surprenant, mais admettons. Il connait par cœur ses montagnes, qu’il parcourt depuis qu’il est enfant. Il connait également par cœur les plantes de la jungle et leur utilité. D’ailleurs, il nous propose de nous frotter avec une plante qu’il vient ramasser, un anti-moustique naturel. Une poignée de touristes ayant omis leur propre produit s’y collent pendant que je me parfume à la citronnelle.
Nous commençons enfin la marche à un rythme tranquille par un large chemin en pente douce. Pa continue de parler de son histoire et ses croyances, son public tentant de se mettre à son niveau pour l’écouter parler. Il faut dire que le bonhomme est charismatique avec son pagne, ses dreadlocks et ses pieds nus.
Nous abordons le sujet de la spiritualité (enfin, c’est lui qui l’aborde vu que c’est lui qui parle). A l’entendre, il semble croire en une sorte de syncrétisme bouddhisme / animisme un peu new age, ce qui me semble beaucoup moins hostile que le monothéisme dominant. C’est lui qui nous apprend que l’île de Rarontonga abrite toutes les fois du monde. La seule exception, d’après lui, concerne la Scientologie, qui s’est fait récemment refuser la construction de son église. Comme Pa n’est que paix et amour avec des bracelets végétaux aux articulations, il avoue être peiné de ce refus.
Régulièrement, il s’arrête pour nous montrer une plante en nous citant les bénéfices qu’elle procure. Le petit jeu consiste à deviner le nom de la plante et certains reconnaissent des petit piments sauvages ou, un peu plus tard, de la belladone. A ce sujet, Pa nous précise qu’il s’agit d’un excellent stimulant pour l’effort. Un touriste anglais passionné jusqu’ici par ce que notre guide raconte sur les plantes, semble surpris. Je m’attarde à côté de lui en marchant et commence à discuter. Ce médecin généraliste m’affirme que la belladone est une plante dangereuse qui provoque des tachycardies et, à haute dose, des hallucinations voir la mort. Je lève le deuxième sourcil. Dis donc… Pa… tu te foutrais pas un peu de notre gueule ?
A partir de là, c’est avec circonspection que j’écoute notre guide alors que le reste du groupe, dans une hypocrisie que l’on pourrait juger toute anglo-saxonne, l’écoute avidement en l’encourageant ponctuellement de « waah », « great » et autres « awesome ». Moi, dans un renfrognement que l’on pourrait juger très français, je ne dis rien mais n’en pense pas moins.
Finalement, nous atteignons l’embouchure d’un petit chemin à travers la végétation qui s’enfonce en montant au cœur de l’île. Pa nous convie à marcher à notre rythme jusqu’à un gros rocher sur une crête où nous ferons une pause. J’attaque la montée et ne tarde pas à me retrouver seul devant. Le chemin étroit grimpe dans les sous-bois suivant une pente un peu raide.
Une demi-heure plus tard, je m’arrête à côté d’un gros rocher planté au milieu du chemin. Ce doit être là le point de rendez-vous. Quelques minutes plus tard je suis rejoint par mes premiers poursuivants puis, à la queue leu leu, le reste du groupe dans différents états de rougeur. La règle de base pour se sentir fort est de toujours faire du sport avec des gens moins bons que soit. Pa arrive, accompagnant les derniers, à peine essoufflé et toujours pied nu. Dans le lot, les canadiens allument de nouvelles cigarettes malgré une condition physique qui ne me semble pas exceptionnelle.
Pendant cette pause, Pa en profite pour nous distribuer des boites en plastiques remplies de succulents quartiers d’orange et de mangue fraîches. Voilà un des avantages de vivre dans une île tropicale. C’est également l’occasion pour lui de nous expliquer l’importance de ce fameux rocher dans l’histoire traditionnelle de ce pays. Malheureusement, je n’en garde aucun souvenir si ce n’est qu’après son explication, il s’est mis devant, les mains jointes en marmonnant une prière tout en se balançant doucement d’avant en arrière. Dans un silence teinté de gêne respectueuse, chacun attend qu’il finisse.
Nous repartons enfin (n’allez pas croire que je soit impatient mais nous approchons du sommet et de sa vue que je rêve d’être sublime) de nouveau à la queue leu leu. A un embranchement, nous prenons à droite en direction de « The Needle », le long d’une courte montée étroite et raide. Enfin, nous débouchons hors de la jungle et grimpons au pied d’un haut éperon rocheux, le fameux Needle, l’aiguille. La vue est fort sympathique, et bien que ce ne soit pas le point le plus haut de l’île, il est relativement central. Un peu plus loin, une petite via ferrata permettent de grimper vers un point encore plus en altitude et accessoirement, vertigineux. Je part voir ça avec deux autres touristes.
Finalement, cette montée est relativement courte, bien qu’intense. Il n’empêche que, par voie de conséquence, je suis passé totalement à côté des commentaires de Pa, pour avoir tracé le chemin devant. Une partie de moi me dit que je n’ai rien perdu au change mais ce doit être la moitié la plus noire et désagréable de moi même. Je l’ignore.
Nous commençons la descente et notre guide nous recommande la plus grande prudence. Oui, bon, ça va. C’est une descente quoi. N’empêche que nous avons notre quotas de fesses par terres, notamment l’américain qui se borne toujours à porter son litre et demi de flotte en bandoulière. Déjà qu’il n’est pas très adroit mais en plus ça le déséquilibre totalement. Finalement, devant l’insistance de Pa, il se décharge de son eau dans le sac à dos du guide. Au cours de cette descente nous traversons de nombreuses petites rivières et torrents, parfois à guet mais la plupart du temps en enjambant des rochers plus ou moins mouillés. C’est l’occasion de quelques glissades sans conséquences. Je vous rassure, j’ai fait honneur à la France en régalant l’assemblée de légers et élastiques bonds de chamois nonchalant, sautant sans encombre de rochers en rochers, pendant que certains de mes compagnons anglo-saxons s’abandonnaient lâchement à de bêtes traversées les chaussures dans la flotte. Ceci dit, je ne dément pas ne pas être passé une ou deux fois proche de l’humiliation.
Enfin, nous atteignons notre point de rendez vous pour la fin de cette traversée au niveau d’un parking donnant sur une très jolie cascade. Un bassin d’eau clair donne lieu à des baignades et Pa nous invite à y plonger, pendant qu’il prépare le déjeuner. Quelques uns de mes compagnons obtempèrent alors que je regrette d’avoir oublié mon maillot de bain. Je regarde ma montre, il est à peine midi. Pour un trek, c’est un peu court.
Finalement, c’est le clou du spectacle. Pa nous invite à nous servir en sandwichs, amené par les mini-bus dans de grands bacs en plastique. On sait ce que représente la nourriture pour les français. Je m’apprête donc à être critique. Et bien figurez-vous que c’était absolument délicieux. Oui. J’emploi un superlatif. Dans de petits pains ronds et moelleux, la femme de Pa a placé du thon haché avec une très légère mayonnaise, quelques fins quartiers de pomme, le tout généreusement parfumé d’une herbe doucement anisée. Avec la permission du bonhomme, j’en reprend un deuxième.
Nous repartons ensuite chacun dans un des deux mini-bus en fonction de notre hôtel. Le même manège que ce matin reprend en sens inverse. Le bus s’arrête devant un hôtel, des touristes descendent, Pa les rejoint et leur sert la main. La seule différence, notable, est qu’il y a échange d’argent. C’est vrai, je n’ai toujours pas payé. Si ce n’était pas déjà assez pénible, Pa demande à chaque client s’ils ont apprécié cette demi-journée. D’ailleurs, selon lui, nous ne sommes pas obligé de payer si nous ne sommes pas satisfait. Bonjour, le malaise.
Arrive enfin mon tour. Je descend, rejoint par Pa.
« Alors, ça t’as plu ce trek ?
- Euh… oui, oui. C’était une chouette MARCHE. Et les sandwichs étaient délicieux.
- Ah, parfait. Ça me fait plaisir.
Comme je suis lâche, je lui ai filé 70$ NZ et suis parti. J’aurai pu lui dire que c’était un peu cher pour ce que c’était et que son show spiritualo-écolo-mystique, je n’ai pas particulièrement adhéré. Sans parler que prendre un guide alors que le chemin était particulièrement balisé, ça me fout les boules. Le pire dans cette histoire est d’entendre le concert de louanges des autres touristes et les remarques péremptoires sur l’absolue nécessité de passer par un guide sans quoi c’est la mort assurée par déshydratation. Décidément, il y a des gens pour qui la moindre nature hors d’un parc municipale est l’aventure du siècle.