Une journée plus tard, j’ai déjà quitté le nord de la Californie et les forêts de pins pour revenir dans la région de la baie de San Francisco. Je dois déjà rendre la voiture de location le surlendemain et me rapproche donc pour éviter toute course de dernière minute. C’est donc dans un motel glauque de Vallejo que je planifie les journées qui viennent. D’ailleurs, à ce propos, je me demande si le terme « glauque » n’est pas finalement indissociable du terme « motel ». Après le Motel 6 de Weed, l’America’s Best Value Inn de Vallejo et même le Quinta Inn d’Annaheim, je viens à conclure que nos Formule 1 français sont riants et joyeux à côté. Sans trop rentrer dans les détails, les chambres sont sombres, les fenêtres bloquées et surtout, une odeur prégnante et entêtante de déodorant bon marché, à défaut de rassurer, provoque l’effet contraire.
Pour commencer, je part explorer la vallée de Napa, non loin de là. C’est d’ailleurs le but de la région, les vallées viticoles de Napa & Sonoma au logement malheureusement inaccessible d’un point de vue financier. Suite à mon séjour de 3 ans en Bourgogne, je garde une affection particulière pour les régions à la forte tradition viticole. Je m’attaque donc en voiture à la Napa vallée avec un sentiment de forte curiosité et de joie. Je m’imagine emprunter des petites routes de campagnes bordées de vignes voir de me poser dans un champs pour pic-niquer, la baie de San Pablo et de San Francisco au loin. Oui, car pour ceux qui n’auraient pas la curiosité d’ouvrir leur atlas, les vallées de Napa et Sonoma sont directement au nord de la baie.
Tout d’abord, force est de constater que le commerce du vin a l’air d’être florissant par ici. Le meilleur indicateur est la taille des propriétés et l’aspect cossu des maisons (ou manoirs, par moment). Tout ceci respire les dollars à plein nez. Ce n’est d’ailleurs pas surprenant, ces deux vallées étant parmi les plus réputées des Etats-Unis. En Bourgogne ou dans le Bordelais, voir même dans les vallées viticoles autour d’Adélaïde en Australie, ce n’est pas si différent. Les maisons y sont également fort bien entretenu. La différence, par contre, c’est que cette richesse est ici beaucoup plus tape-à-l’oeil est ostentatoire.
De plus j’ai l’habitude de belles maisons anciennes accolées à des parcelles modestes. Ici, les parcelles sont relativement grandes et les maisons, plus loin, regroupées entre elles. A mon grand désespoir, la quasi-totalité des parcelles sont clôturées, et les chemins privés. Impossible d’aller se perdre dans des petits chemins montant dans les collines comme en Bourgogne. Tout est inaccessible. Mis bout à bout, tout ceci m’évoque une culture plus industrielle et moins artisanale du vin.
Je tente pendant quelque temps de trouver une route montant dans les collines boisées mais sans succès. Comme à chaque fois que je tente cette approche dans cette région, je constate qu’il y a une stricte séparation entre les zones habitées et les zones sauvages, contrairement à la France. C’est assez frustrant lorsqu’on n’est pas habitué.
Je me rabat donc vers la ville de Napa, centre de la région. Celle-ci porte également des marques de richesse et de haut embourgeoisement : voitures haut-de-gamme, bâtiments impeccables, restaurants chics à la clientèle portant lunettes de soleil et habits classes. L’architecture n’est pas particulièrement intéressante et hormis un jardin aromatique cultivé par un des chef fameux de la ville, bordant la mince rivière de Napa (ils ne se foulent pas trop pour les noms ici), je ne note rien de particulier. En désespoir de cause, je me gare à côté d’une halle couverte à côté duquel se tient un autre « farmer’s market ». De nouveau, j’ai un sentiment de tendresse en constatant que les californiens redécouvrent les plaisirs simples du marché à l’ancienne. Je déambule donc à travers les quelques stands, toujours estampillés majoritairement « organic ». Un panneau d’interdiction d’accès au chien pour des raisons hygiéniques me fait de nouveau réfléchir au côté parfois totalement irrationnelle des risques sanitaires. Aurait-on l’idée d’interdire aux mamies d’amener leur chien au marché du mercredi en France ?
Alors que je m’apprête à repartir après avoir acheté quelques pêches locales, un « hello » féminin m’interpelle. Je me tourne vers l’origine de cette interpellation, certes amicale, mais tout de même.
<Ralenti et musique genre « Take My Breath Away » de Top Gun>
Une femme sublime aux cheveux roux tirés en arrière et aux lumineux yeux verts me sourit chaleureusement d’un sourire étincelant digne d’une publicité de dentifrice. D’une voix exquise, elle m’invite à gouter un échantillon de son produit, une sorte de pain d’épice révolutionnaire que l’on peut toaster. Je lui répond « Glumpfxxsh rhreeuh, glups » et prend machinalement le morceau qu’elle me temps, hypnotisé par son regard. Je mâche toujours en mode automatique avec un grand sourire pendant qu’elle m’explique très très très loin, le son de sa voix richement nappée d’une réverbération cathédrale, les avantages de son produit fait artisanalement par elle même avec ses propres mains sublimes. Au prix d’un contrôle mental surhumain, je parvient à retrouver une syntaxe acceptable et un esprit plus clair.
<Fin du ralenti et de la musique>
Je l’écoute attentivement, toujours un sourire aux lèvres en l’encourageant à continuer pendant que je la regarde. Elle est vraiment magnifique et touchante car elle se lance manifestement toute seule dans cette aventure. Par contre, je tente de me concentrer sur le goût de son pain d’épice pour être un minimum sincère. Peine perdu. Je lui lance donc un banal « no, its good, really » un tantinet hypocrite. Totalement sous le charme, je m’arrache malgré tout à son stand en lui souhaitant bonne chance. Après quelques renseignements (internet fait des miracles, signe qu’il faut faire très attention à ce qu’on y met), je découvre que c’est une ancienne actrice d’Hollywood qui après quelques années de second rôles, a décidé de commercialiser une recette de pain d’épice qu’elle a elle même créée.
N’empêche que c’est fou, ce n’est pas au marché local de Lavaur, dans le Tarn, qu’on croiserait des actrices sublimes vantant les mérites des grattons de canard ! C’est aussi ça la Californie.