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Une ballade en bus

Le lendemain matin, je me réveille de bonne heure après une nuit poisseuse dans le dortoir sur le matelas supérieur d’un lit jumeau. Aujourd’hui je vais participer à une visite guidée en mini-bus du parc national. Départ à 8h du Farm Stay. Vu le nombre de participants, nous sommes scindés en deux groupes (et donc deux mini-bus). Nous avons deux guides, Annah, une américaine, et Vo, un vitenamien, tout les deux relativement jeunes (je dirais moins de trente ans à vue de cernes). Coup de bol, j’hérite du bus d’Annah.

Nous partons donc joyeusement en direction des montagnes pendant qu’Annah nous pose le décor. Je vais essayer de vous résumer tout cela sans trop déformer ses propos. Vous allez voir, vous vous sentirez moins bête après. Enfin, moi en tout cas, j’ai appris plein de choses.

Comme je vous l’ai dit dans le billet précédent, le parc national de Phong Nha Ke Bang est réputé au Vietnam pour ses grottes magnifiques. Quand je dis magnifiques, au pluriel, c’est que cette région montagneuse fait partie d’une vaste chaîne de reliefs karstiques partant du sud du Vietnam et remontant jusqu’au sud de la Chine, dont fait notamment partie la baie d’Ha Long. Qui dit karstique, dit calcium et qui murmure calcium, hurle «GROOOOTTTES». Comme cette chaîne est extrêmement ancienne, les grottes ont eu largement le temps de se former. C’est aussi simple que ça. Si vous souhaitez des d’informations un tantinet plus scientifiques, ce n’est pas vers moi qu’il faut vous tourner. Je n’ai, par exemple, aucune idée de ce que peut bien être du « karste » pour qu’on le distingue du vulgaire calcaire, hormis que cela forme de très joli reliefs et que tout le monde devrait en avoir chez soi pour se payer le luxe d’une petite baie d’Ha Long dans son jardin. La voilà la belle idée de décoration, tiens. C’est moi qui voyage et c’est vous qui allez en profiter, bande de veinards.

Donc, dans ce parc national, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, excusez du peu (oui, comme Hampi et le Vieux Lyon. Je visite le gratin, moi), deux grottes sont accessibles au public bien qu’il y en ai de nombreuses autres mais uniquement ouvertes à quelques scientifiques triés sur le volet (et ça doit faire mal d’être trié là dessus). La première découverte, la grotte Phong Nha est accessible par bateau. La deuxième, astucieusement nommée « Paradise Cave » pour appâter le touriste, l’est à pied. Au cours de ce tour, il est prévu de visiter la deuxième et il me tarde de voir ça. La dame à la réception du Farm Stay m’a presque engueulé quand elle a cru que je ne comptais pas y aller. Ce qui était complètement mensonger. C’est juste qu’elle n’avait rien compris à mon planning.

Hormis ces superbes reliefs 100% pur karst troués comme du gruyère, le parc national a comme deuxième intérêt d’avoir été une zone stratégique lors de la guerre du Vietnam, habilement nommée guerre Américaine par les Vietnamiens, vu qu’ils en ont eu trois, eux, de guerre du Vietnam : une première contre les français, une deuxième contre les américains puis une troisième pour le plaisir contre les chinois. Cette zone du parc national servi de passage vers le Laos pour approvisionner les rebelles communistes du sud avant que l’armée du nord ne s’y mette. Vers la fin de la guerre, l’aviation américaine étendit sa zone de bombardement au Laos, toujours pour tenter d’écraser toutes tentatives de soutien, ce qui fait de ce pays celui qui reçu le plus de tonnage de bombe au monde toutes guerres confondues. Pas sur qu’ils soient heureux d’être les premiers sur ce coup. A propos, il serait d’ailleurs bon que je vous fasse un petit résumer d’histoire un de ces quatre. Vous serez gentils de m’y faire penser.

Il y a donc un certains nombres de sites d’importance se reportant à cette « route 12 » qui avec d’autres routes plus ou moins secrètes formèrent la fameuse « piste Ho Chi Minh ». L’aviation US s’est employée pendant toute la guerre a copieusement bombarder cette zone en tentant désespérément de tarir le flot d’approvisionnement vers le sud, sans succès. Comme il y a très peu de routes dans le parc, elles suivent quasiment toutes le tracé de cette ancienne route d’approvisionnement. Les premiers kilomètres dans le parc sont d’ailleurs l’occasion pour Annah de nous livrer quelques anecdotes hyper-croustillantes de la guerre Américaine (il faut vous y faire) à l’échelle humaine. Je vous en livre une car c’est la plus jolie et qu’en plus, chanceux que vous êtes, je m’en suis souvenu, fait assez rare pour le souligner.

A l’entrée du parc, qui correspond au début des reliefs, se trouve un pic rocheux (et karstique, bien entendu) légèrement solitaire. Les viet congs (les méchants communistes si vous êtes pro-américains ou les gentils libérateurs si vous êtes pro-vietnamiens. Pour les plus subtiles d’entre vous, juste un protagoniste de la guerre) y placèrent une batterie anti-aérienne (et non pas antivénérienne comme me le suggère mon correcteur orthographique) pour essayer d’abattre quelques avions de passage, qui je le rappel, passaient par ici quotidiennement. Malheureusement, une fois repérées (c’est à dire dés leur premier tirs), la plupart des batteries anti-aériennes isolées comme celles-ci avaient tendance à se faire dézinguer rapidement par quelques missiles envoyés subtilement par des F-4 envoyés en nettoyage. La durée de vie d’un opérateur de ces mitrailleuses au sol était donc relativement courte. Au mieux, on pouvait espérer une médaille à titre posthume si on avait eu la chance d’égratigner un bombardier au passage.

L’opérateur assigné à la batterie de ce pic solitaire à l’entrée du parc, lui, était moins con. Ou moins patriote. Voir les deux à la fois. Pour sauver sa peau, il avait pris pour habitude de rater méthodiquement tout les avions passant à proximité dans des proportions finement en équilibre entre ce qu’il faut pour ne pas se faire réprimander par ses supérieurs et ce qu’il faut pour ne pas effaroucher les pilotes US. Un véritable casse-tête. Fort heureusement, les pilotes américains ont vite constaté que cette batterie anti-aérienne ci était inoffensive car tirant dans la direction opposée de manière particulièrement ostentatoire. Ils ont donc pris pour habitude de saluer l’opérateur d’un subtile mouvement d’ailes à leur passage au-dessus. Pour l’histoire, l’opérateur de la batterie a survécu à la guerre ce qui est justice et récompense l’intelligence sur l’entêtement.

Annah nous gratifie ensuite d’un résumé de la guerre Américaine et notamment de son déclenchement. Je vous avoue que j’ai trouvé ça assez amusant qu’une jeune américaine vienne nous faire un résumé de la guerre du Vietnam au Vietnam. Sans rentrer dans les détails, car ce sera le sujet d’un autre billet, sachez qu’elle m’a encore plus surpris quand à la version nettement anti-américaine qu’elle nous a servie. En même temps, de nous jour, y compris monsieur MacNamarra qui a fait son méa culpa, je croit que plus aucun américain ne pense que c’était une bonne chose pour les États Unis.

Autre anecdote offerte par notre guide en rapport à la guerre, mais toujours dans la catégorie « logistique et approvisionnement » : les premières victimes de la guerre furent les éléphants. Et oui. Qui l’eu cru. Ils furent exterminés non pas car ils faisaient d’excellents agents d’infiltrations une fois grimés en éléphants d’Afrique, mais tout simplement car ils étaient particulièrement efficaces pour transporter des charges lourdes à travers la jungle. L’aviation US (encore elle) reçu donc l’ordre d’attaquer à vue tout pachyderme, à la mitrailleuse ou à aux bombes, le choix étant laissé au pilote. Si c’est pas beau l’humanité, hein ? Et ça, ils z’y disent pas dans Platoon ou Full Metal Jacket !

C’est donc charmées par ces divers anecdotes plus ou moins morbides que nous arrivons à un premier arrêt en plein milieu de montagnes escarpées recouvertes d’une dense jungle. Annah et Vo nous montre une falaise en face avec des traces d’impacts de bombes et de missiles. Pour couper l’approvisionnement, les américains essayait de détacher des pans entiers de falaises pour bloquer la route. Tout en finesse. Un travail de ballerines.

Nous repartons joyeusement et Annah poursuit ses explications. Figurez-vous que la construction de cette route numéro 12 fut un véritable chantier titanesque et mortel. Quand on voit la nature du relief et de la végétation on comprend pourquoi. D’ailleurs j’ai demandé à Vo si il y avait des treks d’organisé dans la région et je crois bien qu’il m’a regardé d’un air incrédule en riant très fort. Donc vous imaginez à l’époque y construire une route. Vous aviez le choix entre mourir mordu par un des nombreux serpents venimeux du coin ou bien déchiqueté par les bombardements quotidiens. A cause de tout ces risques, la durée de vie d’un travailleur sur ce chantier était de deux jours, en moyenne. Ce qui fait que si vous étiez réquisitionné / volontaire (la plupart du temps synonymes en tant de guerre), on vous fournissait un joli paquetage comprenant des sandales à semelles en pneu, un joli pyjama noir, un chapeau conique, une pioche ou une pelle, un hamac ainsi que deux jours de rations, pas plus. Ce qui fait que si vous surviviez au deux premiers risques vous étiez potentiellement bon pour mourir de faim. Bizarrement, sur toutes les photos aperçus dans les musées, les travailleurs sur cette route sont en train de sourire. C’est beau la propagande quand c’est bien fait, tout de même. Malgré toutes ces difficultés la route fut terminée en 212 jours (si mes souvenirs sont bon). Clap, clap, clap. Quoi le nombre de morts ? Ne soyez pas mesquins avec vos questions purement statistiques. Vous seriez pas du genre à demander le nombre de marches quand vous visitez la Tour Eiffel, non ?

Nous nous arrêtons une nouvelle fois devant un petit temple à flanc de montagne, cernée par la jungle. Cette fois-ci il s’agit d’un lieu de recueillement en mémoire de quatre femmes mortes de faim, bloquées dans une grotte suite à un bombardement. Il s’agissait de quatre personnes chargées de préparer à manger pour les travailleurs construisant la route. La cuisine se trouvait dans une grotte à côté pour cacher les fumées des feux. Malheureusement, le bombardement ce jour là fit tomber un gros bloc de pierre devant l’entrée et les quatre moururent de faim. Dans une cuisine. Je sais, c’est d’autant plus navrant. Tout ceci est un peu sujet à vérification car ces explications nous sont fourni par Vo qui, bien que charmant et souriant, pratique un anglais un peu hésitant et difficile à suivre usant de longues phrases sans ponctuations hormis de nombreux « however » qui me laissent le souffle court. Un peu comme vous en ce moment.

Après nous avoir narré cette anecdote, Vo nous propose d’aller nous recueillir au temple en nous fournissant chacun trois bâtonnets d’encens allumés. Les consignes sont strictes si on veut faire ça dans les règles de l’art et ne froisser aucun esprit : Entrer dans le temple par la gauche, s’arrêter devant l’autel puis faire trois saluts du buste en tenant les paumes l’une contre l’autre dans la position de la prière, ressortir à droite puis planter les trois bâtonnets dans l’immense chaudron rempli de sable posté devant. N’ayant pas très bien compris, je crois que j’ai planté les trois bâtonnets direct en rentrant par la droite puis ai salué deux fois en claquant des talons.

Pour que le recueillement soit total, nous effectuons le même manège dans la grotte en question (dégagée depuis du gros bloc bloquant l’entrée ce qui est nettement plus pratique) et je m’applique un peu plus en observant les autres. En m’éloignant pour laisser la place aux suivant je remarque la coque métallique de ce qui semble être une bombe suspendue à une branche par une chaîne. Je demande à Vo le rôle de ce montage et il nous explique qu’il s’agit d’un gong pour communiquer. Voilà un bel exemple de recyclage qui a du bien faire enrager les généraux US.

Pour finir sur le chapitre « guerre Américaine » nous passons un peu plus tard quelques instants sur un pont enjambant une rivière, toujours au creux de ces DSC_5716_DxOreliefs couverts de jungle. Annah nous raconte son histoire. Il s’agit encore d’une voie d’approvisionnement mais cette fois ci exclusivement destinée à l’essence. Les vietnamiens y laissaient dériver des barils de gasoil en provenance du Laos. Parfois des soldats vietnamiens était chargés de les acheminer attachés ensemble tels des radeaux. Bien entendu, les bombardiers adverses eurent tôt fait de remarquer ce petit manège et bombardèrent allègrement le cours d’eau. C’est donc pour cela que la rivière fut surnommée de manière complètement rock’n’roll la rivière « Diesel and blood ». Cela pourrait faire un superbe titre de chanson de Bruce Springsteen.

Nous repartons ensuite puis, après quelques dizaines de minutes de route en montagnes russes, rejoignons le parking pour visiter « Paradise Cave ». Une petite marche sur le plat suivi d’une ascension de 150 mètre par des escaliers permet d’atteindre l’entrée de la grotte. Au passage, je retrouve la sympathique famille avec qui j’ai partagé un compartiment dans le train vers Dong Hoi, celle-là même qui a tenté de me faire vomir. Mais emporté par le tourbillon de la visite en groupe, j’ai à peine le temps de faire un rapide signe de la main à la grand mère qui m’a reconnu en premier. Nous attaquons donc la montée dans une chaleur étouffante. L’endroit est assez touristique et nous croisons un flot régulier mais supportable de gens descendant l’escalier. En haut, essoufflés et en sueur, nous attendons notre tour, le flot de touristes étant régulé.

DSC_5720_DxOFinalement, c’est à nous et nous sommes tout de suite saisi par un air très frais débouchant de l’entrée de la grotte. Vo nous explique que la température à l’intérieure est de 18°C toute l’année. Il y a donc en ce moment au moins 15°C de différence avec l’extérieur. Nous descendons dans la grotte en empruntant un escalier en bois et très rapidement nous découvrons son ampleur. L’escalier en bois descend d’au moins 20m dans une gigantesque grotte, sans aucun doute la plus grande que j’ai jamais visité et sans doute une des plus grande au monde. Un subtile éclairage permet d’appréhender toute la majesté du lieu. Nous restons une DSC_5719_DxOpetite heure en découvrant une deuxième « salle » aux formations encore plus étranges que la première, puis une « troisième », toujours en empruntant un parcourt en bois. Au bout, la grotte continue mais nous ne pouvons pas y accéder. Vo nous explique que la zone explorée fait 8km de long mais que celle ouverte au public n’en fait qu’un peu plus d’un kilomètre. Nous rebroussons DSC_5721_DxOchemin.

Nous ressortons finalement, frappés par la chaleur et l’humidité, éblouis par le soleil et le spectacle vraiment impressionnant de cette grotte extraordinaire. Je redescend donc doucement en papotant avec Vo de la région (il est du coin) et de voyages en général. De retour au parking, nous retrouvons Annah à l’entrée pour le déjeuner. C’est l’occasion d’en apprendre un peu plus sur elle et de déguster encore un bon repas Vietnamien constitué d’un assortiment de mets et de riz. Au passage, j’effectue un dernier réglage de mon « sin tchao » en confrontant ma prononciation avec les autres.

Dernier étape de ce petit tour, une petite baignade dans une rivière de montagne. Ça tombe plutôt bien car nous sommes au pic de la chaleur et il fait particulièrement lourd. Nous reprenons donc la route. Après quelques kilomètres nous nous arrêtons et descendons. Je suit sans trop savoir ce qu’il y a à voir et m’approche de l’attroupement. En contrebas se trouve une sorte d’étang avec un grand bouillonnement au centre, étang qui donne naissance à une rivière tumultueuse. Voilà qui est assez étrange. Fort heureusement, nous avons des guides pour ce genre d’interrogations et ils nous apprennent qu’il s’agit d’une résurgence particulièrement puissante d’une rivière souterraine. A la saison des pluies le bouillonnement, qui est le point de résurgence, peut former un geyser de plusieurs mètres de haut. A la saison sèche, période actuelle, le débit est déjà impressionnant lorsqu’on on voit les rapides qui se forment dans la rivière à quelques mètres de la résurgence.

DSC_5725_DxOFinalement, après quelques nouveaux kilomètres de route nous nous arrêtons pour une petite baignade dans une petite zone d’éco-tourisme. Nous empruntons à pied un court chemin pendant quelques minutes avant d’atteindre le bord de la rivière. Le courant est relativement fort et des rochers bordent les rives. On se muni d’un gilet de sauvetage sous l’insistance des responsables vietnamiens du site et ensuite, chacun pour soit. L’eau est un peu fraîche venant d’un air à plus de 30°C mais c’est relativement agréable. Ce qui l’est moins c’est la sensation gluante des algues au fond alternant avec des petits rochers inégaux. Il vaut mieux faire la planche. Tout doucement je sens des gouttes sur la tête et la pluie s’invite à la fête. On est déjà mouillé, il fait chaud et la pluie est tiède.

Après une demi-heure de batifolage je ressort puis attend que tout le monde se lasse. Le groupe prend alors la direction d’un autre chemin pour un retour plus long à travers la végétation. Nous marchons en file indienne, la pluie tombant un peu plus dru sur les feuilles dans un crépitement mat et rapidement je me sens transporté en 1969 au sein de la compagnie Alpha, en marche pour reconquérir la colline 849 dans cette putain de guerre qui n’est pas la mienne. De retour au parking, encore dans mes rêves, je demande à mes voisins si eux aussi ils se seraient cru dans « Platoon » ou « Full Metal Jacket ».

« Pla quoi ? ».

Non, non, rien. J’ai tout le chemin du retour en bus pour ruminer sur l’inculture cinématographique de mes contemporains.

Un tour organisé, quatrième partie : Ha Long

Résumé des épisodes précédents : Un trajet en bus, un trajet en bateau, un trajet en kayak, un trajet en tuc-tuc et sinon, à parce ça, rien de spécial. Si, j’ai dormi. Et on a bien mangé.

Le lendemain, je me réveille vers 6h du matin après une nuit un peu agitée, chaleur oblige. Il fait déjà jour depuis une bonne demi-heure et le réveil se fait naturellement au son d’un coq et d’un début d’agitation dans la maison. Il faut dire que les vietnamiens sont plutôt matinaux. Je m’habille donc et embarque mon appareil photo. D’après Pi Loo, le matin très tôt a lieu le marché du village où se vendent les poissons fraîchement péchés.

Je me glisse donc dans la cour où j’échange un salut avec l’autre jeune de la famille, à moitié réveillé dans un hamac, caresse le jeune chien domestique et franchit la grille. Le village à cette heure-ci est déjà assez actif et je croise quelques personnes à pied ou à vélo. Toutes les DSC_5583_DxOmaisons ont leur salle de séjour grand ouverte et donnant directement dans la rue. Je peux donc constater que quasiment tout le monde est réveillé. C’est d’ailleurs assez amusant cette façon d’avoir le cœur de la maison directement en contact avec la rue. Il faudra que j’en touche deux mots à Pi Loo.

Je me retrouve assez rapidement de nouveau devant la pagode de hier soir, que je peux enfin admirer, et découvre un grand terrain vague en face où semble s’organiser le marché, la baie plus loin et une mangrove d’arbres bas intercalée. Je profite donc de l’activité et de la jolie lumière matinale pour prendre quelques photos.

DSC_5613_DxODSC_5610_DxO DSC_5605_DxO DSC_5601_DxO DSC_5591_DxO DSC_5593_DxO DSC_5595_DxO DSC_5589_DxO DSC_5586_DxO DSC_5614_DxO

Au bout d’une demi-heure je rentre à la maison où je retrouve le jeune homme dans son hamac, à peine plus éveillé mais qui cette fois-ci me demande d’où je viens. Encore une fois, je lui ‘avoue que je suis français et comme hier soir, cela permet d’entamer la conversation. Pour gagner du temps, je m’assois directement et on discute de l’apprentissage (difficile) du français, tâche qu’il vient de commencer il y a quelques mois. D’ailleurs, c’est l’autre jeune homme avec qui j’ai discuté hier au soir qui l’assiste et qui se trouve être un ami à lui qu’il héberge pour les vacances. Heureusement, il parle pas mal anglais car il est vrai que son français est vraiment débutant. Étudiant en marketing (encore, mais c’est fou) il vient de finir ses études et passe donc les vacances d’été chez sa mère. Il m’avoue quand même qu’il déteste ça, le marketing, mais que sa mère l’a obligé. Ah, tout de même, voilà qui me rassure un peu. Un peu taquin, je lui demande, puisqu’il n’a pas l’air d’aimer ça, pourquoi ne l’a t-il pas abandonné pour étudier une autre matière. Ce à quoi il me réponds : « ma mère m’aurait tué ». Ça n’a pas l’air de rigoler à Quan Lan.

Pendant cette conversation nous sommes petit à petit rejoint par Kelly et la marseillaise qui viennent s’asseoir à côté. On discute donc de nouveau apprentissage des langues et il nous explique qu’au Vietnam l’apprentissage se fait quasi exclusivement à l’écrit. Pour sur ils sont bons en grammaire et en lecture, mais pour ce qui est de parler ou de suivre une conversation, c’est l’hécatombe. Ce qui, il faut bien l’avouer, semble être la norme dans pas mal d’écoles du monde entier. En parlant de langues, on en vient à parler des ethnies vietnamiennes, au nombre officiel de 54 (chiffre que l’on retrouve précisément dans tous les musées et chez chaque vietnamien à qui on pose la question). Notre interlocuteur nous glisse d’ailleurs que notre maman adorée, Pi Loo, est une H’Mong de Sapa. Je note mentalement de vérifier si cette ethnie ne serait pas matriarcale et prompte à molester les étrangers. La conversation glisse ensuite sur les voyages (forcément, nous sommes touristes) et après que je lui ai demandé s’il comptait voyager, le fils de la famille me répond qu’il va faire le tour du Cambodge et de la Thaïlande, bientôt, avec des amis. Qui plus est, le garçon va couchsurfer. C’est même un pratiquant assidu aussi bien en tant que fournisseur et usager de canapé. Je lui parle de ma toute petite expérience ridicule de couchsurfing à Hanoi et avec enthousiasme (enfin, relativement à l’heure matinale) il m’encourage à poursuivre l’expérience. Quand je pense que j’ai découvert le CouchSurfing à Chambéry il y a quelques années alors que c’était encore un peu confidentiel et que maintenant un jeune vietnamien me vante ça, je commence à me rendre compte à quel point les jeunes de ce pays sont les deux pieds dans la mondialisation.

Nous sommes finalement interrompus par l’arrivée du reste de la troupe (les filles) mené par Pi Loo qui nous donne le signal du départ. Au passage je lui parle de cette histoire de maisons ouvertes sur la rue. Elle me réponds que c’est commun à tout le Vietnam et que ça correspond à une façon de vivre assez communautaire. C’est sur que ça change totalement du « chacun chez soi » à l’occidental (et encore plus à la française où c’est « chacun chez soi planqué derrière mon mur ou ma haie »). Notre cheftaine scout nous énumère ensuite le programme de la journée : lavage, départ pour une petite ballade à vélo à travers l’île jusqu’à une plage, baignade pour ceux qui veulent, petit déjeuner sur la plage, re-ballade à vélo jusqu’au bateau puis finalement retour au port initial pour repartir vers Ha Long. D’ailleurs elle se tourne vers moi pour me demander si je veux toujours faire mes trois jours exclusivement Bai Tu Long car dans ce cas je resterai ici en attendant de récupérer un autre groupe. Moi, je suis un gars qui m’attache donc sentant qu’il y avait un bon feeling qui commençait à se créer je décide de suivre la bande en partant voir la baie d’Ha Long. Au moins je pourrai me vanter de l’avoir vue à mon retour. Je vais vous décevoir mais il n’y a eu aucune explosion de joie avec moult embrassades à cette annonce pour me féliciter de ma décision. Les gens sont vraiment bien ingrats.

Après donc un rapide rangement de table, fermeture des sacs et aux revoir chaleureux à la famille, nous partons donc récupérer nos vélos à côté de la maison. Loin d’être des VTTs se sont plutôt des VTC vieillots mais rustiques. Ceci dit, Pi Loo nous assure que ce ne sera pas très difficile. Il vaut mieux car Manon n’a pas particulièrement le physique d’une marathonienne. Nous partons donc dans un concert de grincements et couinements à la suite de notre guide. Nous empruntons la rue perpendiculaire que j’avais arpenté hier soir (en même temps, il n’y a que trois directions possibles) et nous retrouvons très rapidement dans la campagne très verdoyante et légèrement vallonnée, sous le soleil, avec quelques petites rizières de part et d’autre. Nous croisons des maisons isolées, toujours aussi pimpantes avec leurs couleurs pastels soulignées de blanc, ainsi que quelques camions venant en sens inverse. Après une petite côte où je remporte le grand prix de la montagne au nez et à la barbe de Kelly et de Pi Loo (qui a craqué à mi pente, incapable de suivre ma terrible accélération en danseuse et en tong / schlappe / slache / gougoune / claquettes) nous descendons un long faux plat bordé de pins où nous laissons retomber notre température corporelle. Pi Loo de l’arrière nous cri alors « Right, right ! » et je freine en appelant Kelly qui avait pris la tête. Un petit chemin de sable s’enfonce entre les pins d’un côté et de petites dunes de l’autre. Après un pédalage difficile dans le sable, nous posons les vélos face à une grande plage à marée basse, un fort vent marin dans les cheveux et dans le fracas des vagues. En face, l’océan. Au dessus le soleil. En dessous le sable brûlant.

Une bonne baignade plus tard où on échappe de peu à la commotion cérébrale sous l’impact brutal et répété des vagues (ce dont je suis ravi car ça me permet de enfin déboucher mon oreille gauche), nous rejoignons Pi Loo, sereinement assise en tailleur à l’ombre des arbres, un grand chapeau en paille sur la tête et des lunettes de soleil à la Brigite Bardot (époque brune). Elle nous avait gentiment préparé le petit-déj’ à base de crêpes au sucre et jus de citron, DSC_5620_DxOmangues, pastèques et bananes fraîches. Je vous ai dit que c’était une mère pour nous ? Nous mangeons donc tranquillement face à l’océan.

Pleinement rassasiés (il y d’ailleurs du rab’ de crêpes si vous en voulez), nous repartons à vélos sous le soleil et poursuivons la route dans un paysage un petit peu plus sablonneux bordé de pins. La marée est basse et c’est l’occasion d’apercevoir des petites silhouettes aux chapeaux coniques ramassant des coquillages sur la baie avec en arrière plan des hautes collines pentues couvertes de végétation. Après une petite ballade, nous atteignons finalement le bout de l’île où est amarré le bateau. Un tuc-tuc s’étant chargé de ramener nos bagages, nous sommes parés pour appareiller. Sereinement, nous rebroussons chemin à travers Bai Tu Long, en ce glorieux milieu de mâtinée, pour rejoindre le port.

Quelques heures plus tard, et après un petit trajet en mini-bus, nous voici tous déposés devant le terminal marin de la baie d’Ha Long. C’est le moment de dire au revoir au couple marseillais, avec qui j’ai enfin pris le temps de faire connaissance pendant ce petit transfert. Déjà, elle est parisienne donc ça lève le voile de mystère sur leur côté calme. Les deux français parti, nous voyons arriver deux nouveaux couples que tout le monde salut. Nous repartons aussitôt à la suite de Pi Loo dans le hall du terminal, parmi la foule de touristes et de leurs guides respectifs, chacun attendant que ces derniers reviennent avec les tickets, l’accès à la baie étant payante.

C’est finalement notre tour et nous reprenons notre cheminement chargés comme des mules derrière Pi Loo qui fend la foule jusqu’à un embarcadère. Y sont attachés trois gros bateaux blancs de deux niveaux à l’aspect relativement cossus. Mais toujours pas de voiles. Nous montons donc dans un de ces bateaux étiqueté « Ethnic Travel » et déposons nos bagages dans la salle à manger, donnant sur le pont. Impressionnant, car je ne m’attendais pas ce DSC_5643_DxOniveau de prestation. Ce n’est pas luxueux mais c’est très confortable et il y a même une étagère avec des livres en anglais, français et allemand. Pi Loo nous distribue des clés de chambre et je me dirige vers la mienne. Trop la classe. J’adore. Du bois sombre partout, un lit double, le petit bruit ronronnant du moteur et même une salle de bain privée. J’ai comme l’impression que la séquence contact avec les habitants est fini. D’ailleurs quand je descends au pont inférieur à la recherche des toilettes (avant que Pi Loo ne me fasse remarquer que j’en avais dans ma cabine), j’aperçois les marins et Pi Loo en tailleur dans une pièce commune en train de manger. Dommage, j’aurais trouvé plus sympathique que l’on mange tous ensemble.

DSC_5645_DxOLe bateau quitte enfin le port et une fois chacun installé dans sa chambre, nous prenons nos places aux deux tables de la salle à manger, les françaises à l’une et Kelly, moi ainsi que les deux couples à l’autre. Comme d’habitude, au début personne ne dit rien, la faim étant l’obsession numéro une. Quand à la soif, je me dirige vers le frigidaire des boissons (payantes) pour m’attraper un Pepsi. La main sur la poignée, Pi Loo me réprimande et insiste pour me l’amener. En prime, je crois bien qu’elle me frappe sur le dos. Avec le sourire, bien sur. Nous prenons ensuite enfin connaissance de nos quatre nouveaux arrivant : un premier couple de cinquantenaires munichois en route pour une année complète de voyage à travers l’Asie et l’Australie (un très belle attitude puisqu’ils ont décidé de profiter de leur forme actuelle et de ne pas attendre leur retraite) et un jeune couple de la région de Bilbao ici pour deux semaines. C’est d’ailleurs l’occasion de les chambrer en rigolant car avec leurs deux semaines de voyage, ils sont ridicules parmi nous. Je sympathise assez rapidement avec les munichois. Le mari, souriant et aimant plaisanter, d’un contact très facile, est en année sabbatique. Quand à sa femme, moins à l’aise en anglais mais néanmoins sympathique, elle a carrément démissionné de son boulot. Je les recroiserai d’ailleurs quelques journées plus tard à Hanoi où j’apprendrai enfin leurs prénoms : Werner et Sabine. Les espagnols ne parlant pas aussi bien ont tendance à rester entre eux. On fini donc le repas assez plaisamment à papoter avec Kelly et les deux allemands, avec quelques interventions espagnoles.

La baie d’Ha Long est gigantesque et malgré un nombre important de bateaux de touristes nous profitons agréablement du paysage. Encore une fois Pi Loo nous détaille le planning et nous allons encore une fois éviter les coins les plus visités. Le programme consiste à rejoindre un village flottant puis poser l’ancre dans un endroit tranquille pour la nuit. C’est donc après quelques petites heures d’une traversée tortueuse entre les superbes îles karstiques que nous atteignons le village. On a beau dire, c’est vraiment superbe de slalomer (mollement, certes mais quand même) entre ces blocs rocheux, comme flottant sur l’eau, couverts d’une dense végétation bourdonnante. Parfois des petites plages de sable blanc viennent lécher le bas des rochers, les plus grandes étant accessibles par un embarcadère et couvertes de touristes.

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A proximité d’un village flottant au creux d’une anse, nous lâchons l’ancre et trois barques menées à l’aide d’une longue rame unique par des femmes portant le chapeau conique s’approchent. Nous nous distribuons dans les barques munis de gilets de sauvetage orange et je me retrouve fort heureusement avec le couple de Munich et Pi Loo à côté de moi. La DSC_5665_DxOrameuse nous donne chacun un chapeau conique, que j’accepte en place de ma casquette quand Pi Loo prend le sien et s’en couvre. Ce ne doit donc pas être que pour la photo. Effectivement, assez rapidement, malgré un soleil de fin d’après midi, la chaleur se fait sentir et la lumière réverbérant sur l’eau est par moment aveuglante. Ces chapeaux sont diablement efficaces et légers.

Nous faisons donc le tour du village où j’en profite pour poser plein de questions saugrenues (ou pas) à Pi Loo notamment sur l’approvisionnement en eau potable effectué régulièrement du continent par bateau là où dans le passé les populations allaient se servir dans les rares sources des les îles, désormais taries. Les maisons flottantes sont également tractées au port en cas d’alerte au typhon, événement qui a eu lieu une semaine avant notre venue. Malgré cela, la population du village reste stable et celui-ci possède même une école primaire, flottante. Je demande également à notre guide pourquoi les rameuses sont des femmes : « Parce que les hommes sont à la pèche ». Ah oui, ça c’était la question saugrenue. Pendant toutes mes questions, je sens Pi Loo légèrement déconcentrée et occupée à jouer avec son chapeau conique pour se protéger du soleil. Je fini donc DSC_5666_DxOpar lui demander si elle craint celui-ci. « Oui, ici les hommes n’aiment pas les filles à la peau sombre donc je ne veux pas bronzer », me répond-elle. Instantanément, Werner et moi nous empressons de lui expliquer qu’en Europe on trouve ça plutôt chouette les femmes à la peau hâlée mais ça n’a pas l’air de la convaincre. Elle passera la traversée en barque bien planquée sous son chapeau comme craignant que le ciel lui tombe sur la tête. Au passage je comprends maintenant pourquoi énormément de femmes vietnamiennes sortent complètement couvertes vêtues de gants, chaussettes, pantalons et capuches, masque même sous une chaleur à mourir. Finalement, nous remontons à bord de notre petit navire de croisière.

DSC_5668_DxOUne bonne heure plus tard, nous voici arrêtés à l’ombre d’une île percée d’une grotte. L’équipage s’occupe à mettre les kayaks à la mer pour une nouvelle sortie. Cette fois-ci je fais équipe avec Kelly et nous nous mettons rapidement d’accord pour ne pas jouer petit bras : nous visons une île très au loin dotée d’une arche naturelle. C’est donc l’occasion de discuter un petit peu plus avec la jeune américaine vraiment d’un esprit très sympa. Nous saluons au passage un pêcheur à bateau d’un monstrueux « sin cheu » tout pourri que je devrait avoir honte de déformer autant. Il nous répond malgré tout d’un sourire et d’un salut de la main. Nous atteignons puis traversons l’arche pour se retrouver DSC_5677_DxOquasiment face à la baie d’Ha Long et le port industriel du même nom. Nous contournons donc l’île pour repartir en sens inverse en espérant ne pas lutter contre un courant contraire, tout en continuant de papoter. Nous nous demandons notamment qu’elle est le sentiment des vietnamiens sur leur régime politique, chacun de nous deux n’ayant encore osé aborder le sujet avec des gens du cru.

C’est donc finalement après une heure d’une rame sans forcer que nous retrouvons le bateau. Nous profitons que la majorité sont encore en kayak pour plonger dans l’eau et se baigner. L’eau est d’une température magnifique et finalement très peu salée. Rapidement quelques DSC_5682_DxOautres personnes nous rejoignent. Le capitaine du bateau, tout en rigolant, fait mine d’attraper Pi Loo pour la jeter dans la baie. Ils sont vraiment déconneurs ces vietnamiens. Ceci dit, elle surprend tout le monde quelques minutes plus tard en sautant du pont en T-shirt et short dans un grand splash sonore. Voilà qui est bien sympathique.

DSC_5672_DxOLa soirée se termine agréablement dans une atmosphère digne du film « Indochine » ou progressivement l’activité lointaine de la baie ralenti au rythme des bateaux de croisière jetant l’ancre pour la nuit, lumières et formes plus sombres des îles se reflétant sur l’eau noire. Après un dîner convivial, je rejoint les autres sur le pont supérieur panoramique, chacun dans une chaise longue. Manon nous fait une démonstration de sa souplesse (quelques années de danse classique qu’un physique enrobé ne vient pas altérer) DSC_5685_DxOque Pi Loo essai de copier sans succès mais avec beaucoup de cris de douleur. Après dix minutes elle abandonne. Sentant le moment et le climat propice aux confidences, je décide de lui poser des questions plus personnelles.

« Et sinon, Pi Loo, tu as fais d’autres métiers autre que guide ?
<petit blanc>
– Non. Je ne suis pas allé à l’école.
<autre petit blanc>
– Ah.

A ce moment là, Kelly prend le relais, d’une question particulièrement frontale. Si j’avais été en train de boire, je crois que j’en aurai recraché ma boisson :
« Et sinon, Pi Loo, comment ça marche le régime politique au Vietnam ?
<léger petit blanc>

Je dois vous avouer que je ne me souviens plus trop de la réponse formulée par notre guide. Ça aurait tout aussi bien pu être un grognement ou un marmonnement. Toujours est-il que dans la minute qui suit, elle s’est excusée en nous souhaitant bonne nuit. Pour ce qui est de la diplomatie : France zéro, USA zéro.

DSC_5688_DxOLe lendemain matin, bien ragaillardi après un bon déjeuner de fruits et d’œufs au plat nous repartons tranquillement vers le terminal d’Ha Long pour reprendre la route vers Hanoi. Matinal, j’avais au préalable pu contempler un lever de soleil fugitif sur la baie, les nuages arrivant. Nous empruntons un autre chemin qu’à l’aller et chacun peut profiter des dernières heures à bord. Je profite de la présence de Pi Loo à côté de moi sur une chaise à l’ombre, un instant pendant lequel elle ne me moleste pas, pour lui poser des questions. A chaque fois ses réponses sont courtes et j’ai du mal à déterminer si je la gêne ou si elle est doucement somnolente. En tout cas j’apprends qu’elle travaille tout les jours et que ses seuls moments de vacances ont lieu lorsqu’il n’y a pas de client. J’ai parfois l’impression de poser des questions de riches. Des vacances ? C’est quoi ?

DSC_5695_DxONous quittons finalement, et avec regret en ce qui me concerne, la tranquillité du bateau et la majestueuse baie d’Ha Long pour remonter en mini-bus. Particularité par rapport à l’aller : nous sommes séparés en deux groupes et je me retrouve comme par hasard avec Kelly, Sabine et Werner. Nous alternons donc pendant les cinq heures de route de moments de rêveries, discussion, sieste et papotage. On discute d’ailleurs de l’Australie avec les munichois qui ont également prévu d’y aller.

En fin d’après midi, nous pénétrons dans Hanoi et le bus dépose Werner et Sabine à leur hôtel après de chaleureux au revoir. Kelly et moi descendons à l’agence où on se salut en se souhaitant bonne chance pour la suite. Bizarrement, j’ai un pincement au cœur à quitter comme cela ces personnes attachantes après seulement deux ou trois jours ensemble.
Je rentre dans l’agence pour récupérer des billets de train et retrouve Pi Loo en train de discuter assez vivement avec son patron. J’avais complètement oublié cette histoire avec les espagnoles et suis désolé pour notre guide, l’esprit sans doute occupé par tout ceci pendant nos trois jours. Profitant d’un moment d’accalmie, je retire un billet de mon portefeuille et m’approche de Pi Loo en la remerciant pour ces trois superbes jours. Je suis français donc je ne donne rarement des pourboires. Tout les deux un peu mal à l’aise et après un premier refus poli, Pi Loo accepte sous mes remerciements et compliments. Alors qu’elle se retourne je saisi fugitivement un début de sourire sur son visage. Je hisse donc mon gros sac à dos sur mes épaules pendant qu’elle s’installe déjà derrière son bureau pour s’occuper d’un nouveau couple de clients. Je sort de l’agence et, me retournant une dernière fois, lance un « Bye, bye Pi Loo ». Derrière la vitrine je la vois me faire un signe de la main, un grand sourire sur le visage, avant de se retourner vers ses nouveaux clients, tout sourire.

Catherine Deneuve tout doucement s’évanouie. J’ai maintenant d’autres images de la baie d’Ha Long.

Hanoi, de face, de profil

A Hanoi, il y a des bâtiments et temples anciens à la très nette influence chinoise.

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Mais il y aussi des jeunes en petites tenues, avides de modernité, qui tournent des clips musicaux à la très nette influence américaine.DSC_5523_DxO

En fin de journée, le soleil illumine timidement les immeubles d’habitation à travers les arbres.
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Mais les oiseaux en cage, eux, n’en profitent que très rarement. Pourtant ils sont sensés porter chance sauf à eux-mêmes.

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On croise aussi des artisans qui travaillent accroupies quasiment sur le trottoir, le ferronnier dans la rue des ferronniers, le tailleur de bambou dans la rue des tailleurs de bambou et les garagistes dans la rue des garagistes.

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Au détour d’une rue, il y parfois de petits temples tout discrets.

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Mais aussi de grands marchés couverts nocturnes qui le sont nettement moins.

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Et puis si on en a marre de l’agitation, il suffit de s’éloigner du centre pour trouver des ruelles calmes et étroites, uniquement dérangées par le bruit des oiseaux et des cigales.

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Chennai

Est-ce que je peux vraiment dire que j’ai vu Chennai? Sans doute pas. J’y suis resté deux nuits et environ une journée et demi avec déjà la tête ailleurs, impatient de changer de pays. Je me suis donc contenté de visiter le musée du Gouvernement, le vieux fort anglais (pour ce qu’on peut en visiter) et me balader dans les rues. La ville m’a laissé une impression légèrement différente de Mumbai, sans doute par la présence de vieux bâtiments à l’architecture originale autour du quartier de mon hôtel mais aussi par l’absence de grattes ciels.

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Malheureusement, c’est aussi à Chennai que j’ai vu la plus grande misère, crasseuse et dans un apparent abandon total de dignité. Un bidonville de tôles et de planches de bois longeant la rivière (qui comme toutes les rivières urbaines que j’ai croisé en Inde ressemble plus à un cloaque pollué, puant et stagnant qu’à un fier cours d’eau pressé de rejoindre l’océan) est quasiment mitoyen du quartier général de l’armée Indienne pour la région. De magnifiques panneaux 4 par 3 clament haut et fort sur des photos de soldats d’élite : « Pride of a Nation », fierté de la nation. Tu parles. Sur le pont menant à la base militaire, sous lequel commence le bidonville, des étrons humains jonchent le trottoir.

Mais pour ça, je vous épargne les photos.

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Gingee

Non loin de Pondichéry, à quelques 70km au nord-ouest se trouve la ville de Gingee (que l’on prononce « jinji », je crois). Ça me fait une belle jambe me diriez vous, mais il se trouve que c’est également le lieu d’un ancien complexe de forts construit initialement au 9ème siècle et qui passa ensuite de mains en mains en fonction du pouvoir du moment. Initialement construit par l’empire Chola, il fut ensuite repris par l’empire Vijayanagar (oui, tout à fait, le même qu’à Hampi), puis Moghol (le Taj Mahal, c’est eux) et enfin britannique (Big Ben, c’est eux). Chacun apporta sa petit pièce à l’édifice, sauf les britanniques, car il faisait trop chaud. Mais surtout, l’histoire retiendra que ce fut l’occasion pour moi d’une petite sortie journée avec un mémorable aller-retour en bus.

Départ le matin relativement tôt car mine de rien, 70km en bus en Inde, ce n’est pas la porte à côté. Il faut compter facilement deux heures de trajet. On irait presque plus vite à vélo. Je m’apprête donc à entamer la première étape du voyage en demandant au propriétaire de la guest house (dont je vous parlerai sans doute dans un autre billet car il incarne à lui tout seul par son physique toute la noblesse indienne) son estimation d’une course de rickshaw vers la gare routière de Pondy. Pour avoir fait ce trajet deux fois à pieds, je le savais être de distance moyenne, proche de quarante minutes de marche. L’estimation tombe : autour de 60 roupies.

70 roupies plus tard, me voici arrivé à la gare routière où commence la sempiternelle période d’observation des lieux à la recherche d’un éventuel panneau « départs ». Non, je plaisante. Je ne cherche même pas, d’une part car je commence à avoir l’habitude et surtout car j’avais déjà repéré les lieux. Je me dirige donc directement vers un comptoir quelconque (oui car il y a plusieurs compagnies de bus), et interrompt le préposé dans ses travaux (dont je n’identifie pas la nature) en demandant, après un vanakaam d’usage, « Where is the bus to Gingee ? ». Je suis quand même poli. Au passage, « vanakaam » veut dire bonjour en tamoul. Je me rends compte assez rapidement que contrairement à ce que je vous ai dit plus haut, Gingee ne se prononce pas « jinji » car une incompréhension évidente se lit sur les traits de mon interlocuteur. Heureusement, j’avais été prévoyant, et sort mon petit carnet où j’avais inscrit les six lettres « GINGEE », carnet que je fourre dans le champs de vision du préposé. Il me fait un vague signe derrière moi à gauche en disant « tirouvanamalaï ». N’étant plus né de la dernière pluie, et ayant au préalable potassé le sujet, j’acquiesce et me dirige vers la plate-forme indiqué : Tirruvanamalai est la grande ville dans la direction de Gingee. Néanmoins, je constate que mon cerveau a toujours du mal à retenir ces noms de villes indiennes que je massacre encore de mémoire en tiruvanalaman ou tiruvaïlamanam. Si toutes les villes pouvaient s’appeler Gingee ou Goa, ce serait plus simple.

DSC_5347_DxOJe repère un bus garé, de marque Ferrari, avec un panneau derrière le pare brise indiquant en alphabet tamoul et latin ma destination. Les bus locaux ne sont pas de première jeunesse mais ça m’a l’air rustique et costaud. De plus, il me tarde d’entendre rugir le V12 atmosphérique de Maranello qui doit se cacher sous ce capot anodin. Je patiente donc en observant les gens, mon occupation favorite. Rapidement je constate des mouvements dans le bus. Des personnes commencent déjà à s’asseoir. Je DSC_5351_DxOprends donc les devants et m’approche d’un préposé non loin du bus en lui demandant « Gingee ? », un doigt pointé vers le bus. Affirmatif. Parfait. C’est presque trop facile que ça n’en devient plus drôle. Je monte donc et me pose à l’arrière afin de pouvoir mater mes congénères.

Quelques minutes plus tard, le bus au trois quart rempli, nous démarrons. Bon et bien c’est raté pour le V12. On est plus proche du gros mono cylindre quatre temps. Une douce musique pop indienne lutte contre le bruit du moteur pendant que nous quittons la gare routière. Je n’ai pas honte d’avouer que je ne déteste pas, surtout le deuxième morceau avec une montée de cordes que même John Barry ne fait plus depuis les années 60 et qui s’enchaîne avec une rythmique tabla / tambourin du tonnerre, le tout soutenant une mélodie chantée par une soprane doublement émasculée. Oui, je tapote du pied là dessus. Nous quittons péniblement Pondichéry en s’arrêtant tous les cent mètres pour laisser quelqu’un monter ou descendre. A ce rythme là, on n’est pas rendu.

Effectivement, quelques deux heures plus tard, nous n’étions pas rendu et c’est finalement plutôt après trois heures de trajet cahotant que nous parvenons finalement à la gare routière de Gingee. Je me béni de multiples fois d’avoir potassé mon Lonely Planet, car mon seul indice pour identifier l’arrêt est une ruine de ce qui ressemble à un fort, au sommet d’une colline au bord de la ville. Et puis d’abord même si ce n’est pas Gingee, vous n’en sauriez rien. A part ça, aucune annonce, rien du tout ou alors en alphabet tamoul.

Je descends du bus avec plusieurs autres personnes dans une ambiance poussiéreuse et suis assez rapidement mordu au mollet par la meute habituelle de conducteurs de rickshaws. Je décline, comme d’habitude et m’engage le long de la grande rue, à la cacophonie habituelle, en gardant à l’œil le fort sur sa colline, au loin à gauche. Ma tactique consiste à prendre la première grande rue à gauche pour se rapprocher du fort. Dix minutes plus tard, en nage, je décide d’abandonner n’ayant croisé aucune route digne de ce nom (justes quelques misérables allées sentant le cloaque). Je rebrousse chemin et me prépare mentalement à prendre un rickshaw.

DSC_5380_DxOAllégé de 100 roupies et après un minuscule trajet de cinq minutes (l’ordure!), le rickshaw me dépose sur une route, devant une grande allée de terre menant à la colline aperçu. C’est déjà assez impressionnant vu d’ici et l’ascension va être poisseuse, je le sens. En réalité le site regroupe trois collines d’une nature très proche de Hampi car également granitiques. De la même manière, de gros blocs habités par quelques singes parsèment le paysage.

DSC_5357_DxOLe premier fort visité, le moins haut, permet déjà d’avoir une superbe vue sur l’ensemble du complexe et sur la ville de Gingee (qui n’a pas énormément d’intérêt). L’endroit est vraiment sympathique et un petit air frais souffle au sommet. J’en profite du coupDSC_5365_DxO pour refroidir après une montée qui me laisse humide et collant. Je fini ma première bouteille d’un litre et attaque mon déjeuner consistant en un anodin sandwich fait maison pain en tranches, tomate et fromage sous plastique pour respecter le cesser le feu négocié avec mon estomac.

La deuxième partie du complexe se situe de l’autre côté de la route. Au pied de la colline on trouve les vestiges d’un ancien palais dans un très agréable espace paysagé. Au passage, les préposés à la billetterie se foutent de ma gueule en voyant mon ticket acheté au premier fort, désormais dans un état DSC_5385_DxOlamentable après les litres de sueurs absorbés pendant la première ascension. La deuxième est pas mal non plus d’autant plus que l’heure avance et le site ferme à 16h. Cette deuxième colline est encore plus haute et le fort plus important. Une petite heure plus tard, la vue est splendide eDSC_5391_DxOt la lumière devient intéressante. Malheureusement, on est rapidement invités à se hâter pour redescendre avant la fermeture du site. Je repart donc assez rapidement après avoir éclusé ma deuxième bouteille d’eau et me retrouve à sec.

Juste avant la fermeture je suis de nouveau en bas et me dirige directement vers un vendeur ambulant pour lui acheter une bouteille de Coca frais et un nouveau litre d’eau. Oui car au final, toute cette journée se résume à des histoires d’approvisionnement en boisson. Il me reste encore à retourner prendre le bus à Gingee pour être de retour à Pondy en soirée. Cette fois-ci, il est hors de question qu’un rickshaw me rackette et je part donc à pied vers la ville. Fort DSC_5390_DxOheureusement, le soleil étant un peu plus bas désormais, la ballade n’est pas désagréable, hormis quand j’arrive en ville ou je note quelques attroupements de gens à un croisement ce qui m’oblige à me frayer un chemin sur la route. J’ai envie de demander, et alors ?

Je me retrouve donc de nouveau à la gare routière de Gingee et sans perdre trop de temps dans des simagrées d’occidentaux pourris par le confort, je demande au premier type habillé en marron caca d’oie : « bus pondichéry ? ». Il me réponds par la négative puis me fait un signe par où je suis venu en me lançant un « crossroad, crossroad ». Ah. Je sens que ça va redevenir intéressant tout à coup. Je rebrousse donc chemin en espérant que l’arrêt de bus pour Pondy ne se trouve pas quelque part au niveau des attroupements que je venais de croiser. Premièrement, je note qu’il y a trois attroupements différents, espacés d’environ vingt mètres chacun, sans aucune indication particulière. Ce sera donc la loterie complète pour savoir où attendre. Deuxièmement, je note rapidement que chaque bus qui descend en dessous de cinq kilomètres heures à proximité d’un attroupement se fait littéralement assaillir. Et troisièmement, après trente minutes d’attente, force est de constater qu’aucun bus n’aborde une indication en alphabet latin, contrairement à ce matin à Pondy. Et pas de trace d’un bus Ferrari. Ca va être coton.

Je me résout donc à utiliser un joker et demande au premier quidam avec un vague air d’éducation (en espérant qu’il parle anglais) comment faire pour reconnaître le bus pour Pondichéry. Est-ce un coup de bol ou est-ce Vishnu qui me protège, le gentilhomme me répond avec un sourire « I go to Pondichéry. Follow me ». Le saint homme. Nous attendons donc quelques minutes pendant lesquels deux ou trois bus passent en lâchant et attrapant des grappes humaines. Un autre bus amorce sa décélération cinquante mètres en amont et mon bon samaritain se penche pour tenter de déchiffrer son panneau. Tout à coup il se retourne vers moi et me fait un signe. Nous nous mettons à jogger avec d’autres vers le bus qui s’arrête à vingt mètres devant un autre attroupement. On tente de s’insérer dans le bus bourré et je parviens plus ou moins à caser mon sac à dos entre mes pieds. Malheureusement, le trajet se fera debout et mon sauveur me fait un sourire suivi d’un haussement d’épaule. Je réponds par un sourire parce que, merde, on n’est pas des bourgeois quoi ! Si les indiens peuvent le faire, je peux le faire : trois heures de rodéo debout !

Au final, après une heure de trajet où chacun s’accroche comme il peut dans les cahots, freinages et accélérations du bus, quelques personnes descendent. Pour une raison que j’ignore (de la gentillesse sans doute et l’envie de satisfaire un étranger), deux ou trois indiens (en même temps, je suis le seul étranger) m’enjoignent de prendre une place assise libre, en insistant. Bon, bon et bien ssank you. Je m’assoit et profite des deux dernières heures à observer le paysage dans le brouhaha habituel des grincements mécaniques, de la musique et des conversations. Finalement on arrive à Pondy en début de soirée, alors que le soleil décline, et je me paye un dernier tronçon en rickshaw vers la guest house, au tarif de 80 roupies. Ça avait encore augmenté, les salauds !