Laissez moi vous présenter le Phong Nha Farm Stay car ce n’est pas qu’un simple hébergement et tout l’intérêt du lieu ne réside pas uniquement dans sa proximité du parc national et les différents tours guidés qu’il propose. Pour vous dire, lorsque j’ai réservé mes nuits par mail une semaine avant d’y arriver, Hannah m’a répondu (car en plus de faire guide en bus et guide en vélo, elle s’occupe aussi des réservations, mais vous comprendrez pourquoi plus tard) en commençant par un petit texte d’avertissement concernant la nature du lieu. C’est un lieu tourné sur les gens, la culture et les paysages. C’est un havre de confort occidental au milieu de la campagne vietnamienne et les tarifs sont plus élevés qu’ailleurs. C’est un lieu où il ne faut pas avoir peur d’être réveillé par le beuglement d’un veau ou le cri d’un coq. C’est un lieu aimé par ceux qui veulent faire des rencontres et explorer. Et pour finir, elle me précise que dorénavant ils refusent les réservations pour une durée inférieure à deux nuits pour que les gens puissent vraiment sentir l’esprit du lieu. Toujours partant ?
Initialement j’avais demandé une chambre simple avec climatisation mais comme il n’y avait pas de disponibilité, je me suis rabattu sur un lit en dortoir, sans climatisation. C’est pour vous dire comme j’étais partant. Je ne le regrette pas et j’aurai même pu rester une nuit ou deux de plus si je n’avais pas déjà réservé la suite ailleurs.
Mais qu’est ce qui fait que ce lieu est si spécial ? Tout d’abord, une petite introduction. C’est avant tout une histoire de personnes. Le Farm Stay a été créé il y a un peu plus de deux ans (seulement) par Ben, un australien, et Binh, une vietnamienne dont la famille est de Cu Nam, le village en quesion. Ben et Binh, je sais, c’est amusant. Ben est un grand gaillard costaud, blond et un peu rougeaud d’environ 45-50 ans qui a fait carrière dans le BTP, notamment à Da Nang où il rencontra sa future femme, Binh. Je le sais car la première nuit, alors que je trainai dans l’espace commun une bière à la main, il est venu vers moi en me lançant un « how’s it going ? ». Nous avons donc entamé une discussion pendant un petit quart d’heure, le temps d’apprendre que le gars a beaucoup voyagé notamment à cause de sa mère, véritable globe trotteuse. Ils ont habité à Vienne, en Autriche et sa mère est actuellement dans un village du Languedoc à trente minutes de Toulouse où elle a retapé une vieille maison pour la location. Autant vous dire que nous avons un peu parlé de sud ouest. Bref, c’est ce monsieur qui a construit le bâtiment du Farm Stay avec comme idée de faire décoller le tourisme étranger dans la région, vu le potentiel du parc national. Mais comme son truc, ce sont les gens, il a fait ça un peu à sa manière. En plus des deux propriétaires, au Farm Stay on trouve quelques membres de la famille de Binh qui s’occupent de la cuisine et du ménage, Denise une américaine de 40 ans en charge de la réception et des réservations, Hannah que vous connaissez qui fait guide ainsi que les réservations, Michael un anglais d’une trentaine d’année qui s’occupe aussi de la réception et des réservations mais est également photographe et finalement une troisième personne que je n’ai pas côtoyé mais qui fait également guide. De temps en temps Vo vient se rattacher pour faire guide lors des tours. Ce qui est amusant c’est que tout ces gens résident sur place (hormis Vo) et donc sont présents même s’ils ne sont pas « en service » (Vo passe parfois ses soirées au Farm Stay d’ailleurs). On peut donc très facilement boire un verre avec Hannah le soir ou discuter avec Michael de ses photos lorsqu’il est en repos.
Le lieu en lui même est assez simple. Il y a deux bâtiments dont un abritant des chambres ainsi que l’habitation de Ben et Binh (ainsi que leur fils de 3 ans qui fait du vélo comme si de rien n’était parmi trente étrangers qui changent tous les deux jours. En voilà un qui va finir hippie lui aussi). Sur le toit quelques tables et chaises permettent de profiter du coucher de soleil. Le bâtiment principal est lui composé au rez de chaussé d’un vaste espace commun grand ouvert à la fois côté chemin et côté cour intérieure. Dans cet espace on trouve des tables et des chaises pour manger, boire, travailler, un bar où commander des boissons et des plats ainsi que le guichet de réception et de réservation des tours. La cuisine est attenante à cet espace commun et à l’étage se trouve d’autres chambres. Dans la cour intérieure a été construite une petite piscine de 5-7m mais on y trouve également sous un préau une table de billard. De l’autre côté de la cour, un troisième bâtiment abrite le dortoir ainsi que deux salles de bains. Entre quasiment chaque poteau disponible du Farm Stay sont pendus des hamacs. Dans la cour extérieure donnant sur le chemin, d’autres tables et chaises permettent de prendre l’air le soir. Si avec tout ça vous n’arrivez pas à vous détendre…
Voici pour les acteurs principaux et le décor. Mais l’intérêt du Farm Stay, pour moi, c’est avant tout les gens qu’on y rencontre. Pour tout vous dire, la première soirée après ma ballade à pied, je me suis retrouvé un peu perdu au milieu d’une trentaine de personnes qui pour la plupart voyagent en groupe, en famille ou en couple. Il est un peu délicat de s’immiscer dans la conversation des gens et hormis un très court papotage avec la fille que j’avais croisé à mon départ de ballade et la présentation avec Ben, je suis resté un peu sur ma faim. Le deuxième soir, après la ballade en bus, j’ai eu quelques conversations avec quelques gens croisés dans mon groupe mais ce n’était pas encore ça. Mais le troisième soir, après la ballade en vélo, ce fut vraiment très sympathique.
Ce dernier soir, alors que je lisais mon Bolitho journalier en attendant que l’on me serve mon cheeseburger fait maison (oui, oui, ça va. On a le droit parfois), une femme s’assoit à côté de moi avec un guide. Il me semble la reconnaître du groupe en bus. Je lui demande donc ce qu’elle a fait aujourd’hui car au Farm Stay, la plupart des gens font une des excursions proposés (payantes, bien sur). Je ne me souviens plus de la réponse mais un peu plus tard son copain la rejoint et nous discutons tout les trois en mangeant. Comble de ma joie, ils sont Irlandais, de Limerick. Voilà qui est original et sympathique à mes yeux. Oui, tout ce qui est un tant soit peu celtique bénéficie d’un bonus sympathie de ma part. Je sais, c’est du racisme à l’envers. On a donc parlé pendant plus d’une heure de voyages, d’Irlande, sa situation économique et beaucoup de rugby, lui étant un supporter du Leinster qui venait de se faire battre par Clermont-Ferrand en coupe d’Europe. Sa copine, elle, est la grande voyageuse du groupe et a fait la traversée des Amériques latines du Mexique à Ushuaïa. Bref des gens charmants, chaleureux et vraiment sympathiques comme je les aime. Nous sommes interrompus malheureusement par un concert en live donné par un copain de Ben seul à la guitare. Je n’ai pas eu la présence d’esprit de demander leur nom. Ça m’arrive trop souvent.
Ensuite, parlons d’Hannah. Imaginez une blonde d’environ 27 ans ayant, pendant la journée, les cheveux ramenés dans une natte et habillée d’une chemise « safari » griffé « Phong Nha Farm Stay » qui lui confère une autorité officielle et le soir portant ses longs cheveux libres et habillé d’une jupe noire ce qui lui donne un style beaucoup plus détendue. Donc Hannah est américaine mais loin de tout les stéréotypes qu’on en a. Je dirais même plus, elle est Texane, mais sans l’accent. Cela fait prêt de deux ans qu’elle est partie, voyageant à travers le monde au gré de ses envies. Elle a vu l’Inde, elle a vu le Nicaragua, elle a vu le Cambodge et encore d’autres pays dont ça se trouve je ne connais même pas le nom, à chaque fois dans une sorte de déambulation ou au cours de missions pour des ONG. Elle est tellement habituée au pays en voie de développement qu’elle trouve les pays développés bizarres tellement tout est efficace, propre et rangé. Bizarrement, maintenant que je suis en Australie (et oui, il y a un sacré décalage à l’écriture) je comprends maintenant ce qu’elle veut dire. Hannah a un regard très critique vis à vis de son pays et en plus a de l’humour. Je lui ai d’ailleurs demandé comment elle avait atterri au Farm Stay. Tout simplement, alors qu’elle était au Cambodge elle a rencontré quelqu’un qui été passé par le Vietnam et le Farm Stay. Celui-ci lui en a parlé en précisant qu’ils cherchaient peut être quelqu’un pour un job. Un mail plus tard envoyé à Ben, elle se retrouvait en partance pour le Vietnam et y est depuis trois mois. Si c’est pas un esprit libre, ça !
Puis, il y a eu cette rencontre avec le grand brun et le blond, anglais tous les deux, de Bristol. Fort heureusement, je leur ai demandé leur prénoms, respectivement Daniel et John. Comme quoi je m’intéresse à des personnes de tous les âges, ils m’ont estomaqués lorsqu’ils nous ont annoncé qu’ils avaient 17 ans tous les deux. Par réflexe, je leur parle des groupes Massive Attack et Portishead, tout les deux de Bristol, mais les deux garçons se regardent en m’avouant ne pas connaître. Non, eux leur truc c’est plutôt le ska australien (c’est hyper-pointu) et ils me donnent presque un coup de vieux en avouant ne pas connaître. Daniel a un père belge de Namur donc parle un peu le français et avec sa coupe new wave qui ressemble à une banane aplati, il détonne avec tout le monde. C’est un passionné de funambulisme, jonglage et piano jazz avec un petit air cool quand il parle qui me rappel un certain grand échalas chambérien en version blond. Il m’apprend qu’il s’est cassé les poignets en Lituanie un mois plus tôt, lors d’un festival après avoir séjourné quelques semaines en Pologne. Quand à John, il se ballade en Asie du sud-est un mois avec son pote Daniel avant de poursuivre avec ses parents en Indonésie. Les deux entament leur première année d’université à la rentrée. Ce sont mes deux héros car ils ne voyagent qu’avec un petit sac à dos d’école et les fringues qu’ils portent. Daniel doit être le plus chargé car il trimbale ses trois boules de jonglage en plus. J’adore leur esprit, surtout pour cet âge, absolument sans craintes. Malheureusement, je dois bien leur avouer que j’ai du mal à les comprendre parfois, surtout Daniel car, malgré leur parfait accent british (notamment John), ils ont tendance à marmonner certains mots.
Par contre, je sais que c’est mal, mais j’avais un à priori négatif sur les trois zigotos décontractées de mon tour à vélo. J’ai eu de longues conversations en pédalant avec Daniel et John et ce n’est qu’arrivé au déjeuner que j’ai pris le temps de découvrir les trois autres en leur lançant l’entame imparable « and where are you guys from ? ». Canada, Montréal. Ah ben ça tombe bien, j’y suis en octobre. Comme je vous l’ai dit, à partir de là nous avons parlé de plein de choses. Encore une fois je n’ai pas demandé leurs noms mais des trois, j’ai surtout discuté avec un gars. Je me souviens que le deuxième était d’origine marocaine et le troisième très discret. Finalement, en discutant avec eux je me suis rendu compte qu’ils étaient fort sympathiques et pas forcément des joyeux branleurs fêtards comme leur accoutrement pouvait le laissait penser. Eux aussi étaient en Asie du sud-est pour trois mois et devait partir en Thaïlande ensuite. Hormis cette discussion du déjeuner, j’ai eu l’occasion de reparler avec le premier d’entre eux le soir, une bière à la main, notamment de la situation au Québec avec la nouvelle première ministre. Étant anglophones tous les trois, ils étaient un peu critiques vis à vis de certaines de ses mesures, pour ne pas dire plus. J’ai également eu droit à leur point de vue sur les mouvements étudiants de l’automne dernier, selon eux un coup d’épée dans l’eau puisque les frais d’inscriptions ont finalement été mis au tarif prévu. Bref, c’était très intéressant d’avoir un avis parfois contraire (et bien sur subjectif) sur des événements relatés par les médias français. Pour finir, ils m’ont balancé quelques tuyaux sur les bons restaurants de Montréal mais je crois avoir la mémoire qui flanche. Le seul dont je me souviens est le « Patapi, patapa » où ils servent de la nourriture sur du papier journal. C’est vraiment des bûcherons arriérés au Québec. En tout cas, ils étaient enthousiastes sur leur ville.
Pendant cette troisième soirée, je me suis également retrouvé à regarder une affreuse partie de billard complètement soporifique et interminable, de celles où les deux équipes sont incapables de rentrer une boule. D’un côté Daniel et John, de l’autre Hannah et un grand barbu blond inconnu d’environ 25 ans. De guerre lasse Hannah me propose de prendre sa place et j’accepte. Je me retrouve donc avec mon nouveau coéquipier et nous nous présentons. Olivier. Putpa. Tiens, voilà qui est original comme nom. D’où venez-vous ? Finlande. Voilà qui n’est pas commun et il m’est d’autant plus sympathique qu’il est assez souriant. Mon arrivée n’a pas accéléré de beaucoup la vitesse de la partie mais j’en profite pour interroger mon coéquipier car son histoire est assez intéressante.
Tout d’abord il nous apprend qu’il est parti pour un voyage de deux à trois ans. Nous sommes tous battu à plates coutures et je lui demande ce qui l’a motivé pour entamer un périple d’une si longue durée. Très honnête il nous dit qu’après ses études il se sentait sans but, tournant en rond, et au cours d’un voyage il s’est rendu compte que c’est se qu’il voulait faire. Il a donc tout lâcher pour parcourir le monde. Pour le moment il voyage à travers l’Asie du sud-est (encore) en moto, seul. Dingue ! Mais dans quelques mois il devrait être rejoint pendant une courte période par son père. Quand je lui apprend que je suis français, il pousse un long soupir et sourit. Le gars avec un petit air romantique nous apprend qu’il a croisé une jolie française il y a deux semaines. Il me passionne de plus en plus ce garçon avec son air d’aventurier viking zen. Ensuite il m’explique qu’à chaque fois qu’il rencontre quelqu’un d’une nationalité, il demande à cette personne si elle connaît un film de son pays que Putpa a vue, car en plus, l’animal est cinéphile. Je lui demande donc d’envoyer la sauce. C’est bien ma veine si je ne connais pas un film français qui fut diffusé en Finlande. Il dit « La Reine ». Mmmmmh. La Reine Margot ? Non, non. La Reine. Ben mince, je ne connais pas de film français de ce nom là. Pour m’aidez il me donne des indices: un film en noir et blanc de Matthieu Kassovitz. Aaaaaaaaaah, La Hhhhhaine, avec un H ? Oui, c’était bien ça. Incroyable, un finlandais qui a vu et adoré La Haine de Kassovitz. Il faut aller au Vietnam pour voir ça. Pour finir il m’apprend que sa moto a un nom. Ah bon ? Lequel ? « Rachelle la magnifique », me répond-il avec un grand sourire en français dans le texte. « Ce ne serait pas le prénom de la fameuse fille rencontrée il y a deux semaines ? ». Il acquiesce silencieusement avec un sourire. Ce doit être le dernier romantique restant sur terre et il est à moto. Dingue. Nous continuons donc la partie (je devrais dire LES parties, et notamment une dernière où les perdants ont du payer les bières. Ce fut nous) tout en poursuivant notre conversation entre John, Daniel, Putpa et moi. D’ailleurs je me sens moins con lorsque Putpa, en apprenant qu’ils viennent de Bristol demande à Daniel et John s’ils connaissent Massive Attack. Donc en fait c’est eux qui sont un peu ignares. Voilà qui me rassure.
A ce moment là nous sommes interrompus par Ben car il cherche à rassembler tout le monde pour une annonce. Nous nous retrouvons donc tous devant l’espace commun pendant que Ben prend la parole au micro. Aujourd’hui est l’anniversaire de sa femme ainsi qu’une de ses amies venue spécialement de Da Nang. Accessoirement c’est également la fête nationale américaine. L’assemblée applaudit, chante un « Happy Birthday » et Ben invite tout le monde à boire un shot d’alcool de riz offert par la maison. Il en faut pas plus parce que c’est pas franchement bon, mais c’est fort. Pour une dernière soirée, ça fini avec le sourire et je suis presque déçu de partir le lendemain.
Finalement, chacun décide d’aller ce coucher (ici les journées commencent tôt) et Putpa de repartir à son hôtel à Son Trach. Nous nous disons adieux chaleureusement. J’ai juste la présence d’esprit avant de se quitter de lui demander s’il a prévu d’écrire un livre sur son périple. Il nous apprend, à Daniel, John et moi qu’il est déjà en train de négocier avec un éditeur. Génial, j’adore ce type. Prenez en de la graine les p’tits anglishes !
Tout ça pour vous dire, bienvenue au Phong Nha Farm Stay.
PS: J’suis qu’un con, je devrait faire des photos portraits de toutes ces formidables personnes. Allez, dites le moi que je suis qu’un con.