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Se sustenter

J’ai une grande nouvelle à vous annoncer. Après un mois d’entraînement à la dure, je suis parvenu à descendre ma consommation d’eau à deux litres par jour. Une réduction drastique d’un tiers, on ne pourra pas dire après ça que je ne fait pas d’effort pour la planète. Inutile de vous mentir, il y a une deuxième explication à ça. Je mange relativement liquide le midi et le soir.

Au Vietnam, comme je suppose dans beaucoup d’autres endroits en Asie, on se nourrit assez souvent de soupes et surtout de grands plats de nouilles de riz arrosés d’un bouillon. Il y en a deux sortes : le phở (incorrectement prononcé « fa » par moi même) et le bún (prononcé aussi salement par votre serviteur « boune »). Ne me demandez pas de vous expliquer la différence entre les deux car après plus de deux semaines, je ne parviens pas à les discerner. Je sens que ça va hurler dans les chaumières franco-vietnamiennes. Mon référent vietnamien, monsieur K.N. Tran (inutile que je donne son nom complet. Je ne suis pas là pour faire de la pub à un fumeur de cigare), à cette question me répondit avec son doux accent de Saint Cloud, Hauts de Seine, « ben t’as qu’à essayer les deux de suite et tu verras la différence ! ». A cette remarque mi-sarcastique, on devine qu’il est beaucoup plus parisien que vietnamien. Je fit donc une étude comparative en allant deux soirs de suite au même endroit en demandant un bun bô (c’est à dire un bun au bœuf) le premier soir et un pho (fa) bô le deuxième. Résultat : match nul. Ou alors si vraiment on cherche la petite bête, le bun a des pâtes rondes et le pho (fa) des pâtes plates mais quelque chose me dit que c’était une pure circonstance d’approvisionnement.

La bonne nouvelle c’est que bun ou pho (fa) sont également délicieux à mes papilles usées par un mois d’épices. J’ai une petite préférence émue pour le bun bô car ce fut le premier plat vietnamien pris à Hanoi le soir de mon arrivée et il était particulièrement bon. Et pas trop cher. Pensez que pour 30-50 kilo-dongs suivant l’endroit, vous avez un grand (très grand) bol de pâtes arrosé d’un bouillon (mais ça, vous le sauriez si vous lisiez attentivement), avec des éclats de cacahuètes suivant l’endroit et surtout aromatisé aux herbes. Là plupart du temps, on vous met également à disposition des quartiers de petits citrons verts, des pousses de soja et une assiette d’herbes et de plantes pour aromatiser encore plus à votre convenance. Les plus sadiques fournissent également des petits piments rouges à l’aspect terriblement menaçant dont j’évite de croiser le regard.

Pour moi, le secret et la jouissance d’un bon bun bô (très belle allitération en « b ») ou d’un pho (fa) réside dans ces fameuses herbes qui parfument subtilement le plat. Ça change du tapis de bombes des épices indiens. A ce propos, il est fort probable que je m’appuie sur des images de guerre et de bombardement tout au long de ces billets sur le Vietnam. Je vous jure que c’est inconscient. C’est vous qui avez l’esprit mal tourné. Manger un pho (fa) ou un bun (boune) c’est redécouvrir le plaisir du goût, de discerner de nouveau chaque petit composant d’un plat et de savourer l’alliance du liquide, du croquant et du mou. On est vraiment dans une tout autre école esthétique et culinaire plus proche de mon penchant naturel pour le zen où le moins et le mieux. Laissons parler les ingrédients en harmonie au lieu de les mélanger brutalement dans une boue piquante. Je dis ça, mais j’aime toujours le curry de banane que fait ma sœur.

Mais qu’ont-elles ces herbes pour provoquer en moi tout cet émoi ? Point d’interrogation. C’est une symphonie douce et subtile d’anisé, de citronné, de ciboulette ou d’oignons, voilà ce qui provoque la chose. C’est toute cette fraîcheur végétale qui vient transformer ce qui n’est après tout, si on veut être méchant, qu’un bête plat de noodles instantanées. Hors je ne souhaite pas l’être, méchant. Les vendeuses de pho (fa) et de bun (boune), bien que rarement souriantes, connaissent leur boulot et c’est toujours un plaisir de les voir saisir les morceaux de bœuf ou de porc dans un wok, de les jeter dans le bol pour ensuite les ébouillanter d’un bouillon, de les étouffer d’un entrelacs de pâtes brûlantes (je vous averti qu’il vaut mieux éviter de laisser choir une pâte sur la jambe alors que le plat vient juste de vous être servi. C’est d’une douleur atroce, collante et persistante), pour finalement y jeter une poignée d’herbes préalablement hachées.

A ce propos, lorsqu’on vous dit « pho au poulet » ou « pho au porc », il faut prendre cela au pied de la lettre. Si vous êtes particulièrement malchanceux ce jour là (mauvais karma à force de critiquer la cuisine indienne), il est possible que vous vous retrouviez avec un pho (fa) ou un bun (boune) contenant que des os, peau ou gras de porc. Ne soyez pas de mauvaise foi, personne ne vous a dit que c’était un pho (fa) à la VIANDE de porc. Satané touriste, va. Fort heureusement les probabilités sont faibles pour que la totalité du porc ou du poulet soit des abats. Ou alors vous avez été particulièrement désagréable avec la vendeuse.

Les cuistres de Hué et de la région centrale du Vietnam, eux, dans un excès baroque y ajoutent un soupçon d’épice piquant. Si c’est pas foutre en l’air un plat, ça ? Est-ce qu’on rajoute de la dorure à une calligraphie japonaise ? Foutez moi le camp avec ça. Il faut dire qu’ils font pousser des petits piments rouges (ceux à l’aspect belliqueux) à côté des rizières et plants de cacahuètes. Ce serait con de les jeter.

Lorsque vous avez la chance d’être dans un groupe avec un vietnamien (par exemple, un guide) qui peut dialoguer efficacement avec un restaurateur (à supposer que ce soit un vrai restaurant et non pas des petites échoppes comme précédemment pour le pho et le bun), vous aurez sans doute l’occasion de goûter à un vrai repas familial constitué d’une multitudes de mets disposés au centre. Muni de votre petit bol attitré et de vos baguettes (je constate d’ailleurs que la très grande majorité des touristes occidentaux maîtrisent les baguettes, ce qui doit être profondément désolant pour les asiatiques qui devaient bien se marrer il y a trente ans), vous faites le plein de riz dans le plat adéquate puis allez picorer à droite et à gauche. C’est très convivial sauf quand il ne reste qu’une seule de ces délicieuses boulettes de patate douce. Dans ce cas, tels les cerfs en période de rut, vous êtes bon pour un combat de baguette. Invariablement dans ces repas on vous sert du « water spinachs », épinard d’eau une fois traduit en français. Je ne sais pas si ce sont véritablement des épinards mais en tout cas, doucement relevé à l’ail, c’est très agréable et frais. C’est lors de ce type de repas que l’on sent nettement l’influence chinoise sur la cuisine vietnamienne.

Pour finir sur cette note culinaire (qui doit être un de mes sujets favoris avec le transport. Comme quoi voyager se résume à se déplacer, bouffer et dormir), parlons d’un sujet qui fâche. Au détour d’une ballade à pied dans Hanoi, je suis interpellé par une série d’étals de bouchers servant toutes de curieuses carcasses rôties. Ce pourrait être des petits cochons de lait si ce n’était leur dentition munie de proéminentes canines ainsi qu’un museau beaucoup plus allongé. Je ne suis pas vétérinaire, mais je crois reconnaître un corps de chien qu’en j’en vois un. Quelques jours plus tard, alors que je séjournais dans un endroit un peu plus reculé du centre du pays, je constate nombres de chiens dans les campagnes mais tous d’une taille moyenne et d’un âge relativement jeune. Un peu curieux, et sentant une relation de causalité entre la jeunesse des chiens et une possible consommation de leur chair, je pose donc la question à une guide. Loin d’infirmer la chose elle me raconta que la ferme où je résidait avait effectivement vu trois de leurs sept chiots disparaître avant d’ajouter : « ici, quand les gens ont faim, ils mangent de tout ».

Voilà. Amis des chiens, vous savez à quoi vous en tenir maintenant. En ce qui me concerne, un doute permanent m’étreint. Lors d’un repas organisé par un guide nous avons mangé une chair délicieuse. Celle-ci à notre question sur sa nature nous répondit « dog » suivit quelques secondes plus tard par « no, its joke ». Hahaha. Je crois que j’en ai repris.

J’aime les pâtisseries indiennes

Côté nourriture, s’il y a une chose que je garderai en Inde, ce sont les pâtisseries. Toutes ces histoires de plats en sauce épicé, moi je trouve qu’ils en font trop. De toute façon on ne sent plus rien avec tout ce goût piquant. Non, non, la véritable perle culinaire de l’Inde, c’est les incroyables petites pâtisseries d’une finesse exquise et notamment celles confectionnées par la chaîne de magasin Sri Krishna Sweets, dont une succursale se trouve en bas de ma guest house en traversant la rue. Si vous y allez le matin, commandez quelques sonpapdi natures et une poignée de burfis à la mangue, le tout avec un petit café. Mazette, ça claque sa reum.

Je vais tenter de vous décrire l’expérience culinaire qui consiste à déguster un sonpapdi (nature ou au chocolat, bien que je préfère le nature). Imaginez un petit cube de 5cm de long, 5cm de large et 2cm de haut de couleur beige. Vous le prenez délicatement entre votre pouce et votre index. Vous percevez une douce sensation légèrement sablée. Vous humez son parfum qui exhale très légèrement la cardamone et le ghee. Vous portez sans plus tarder le sonpapdi directement à la bouche car il est huit heures du matin et vous n’êtes plus qu’un ventre. Sur la langue, vous sentez la matière sucrée commencer à fondre tout doucement. Vous croquez dans le cube et vous poussez un petit cri de surprise. La texture est fibreuse mais sablée à la fois. Chaque petit fibre du biscuit vient fondre sur votre langue tel un Immodium lingual, laissant un agréable goût sucré. Vous refrénez un rire de plaisir et mordez une nouvelle fois dans la pâtisserie. De nouveau vous poussez un cri, plus long cette fois ci et lâchez un éclat de rire hystérique. Finalement vous attrapez les deux autres cubes en vous les fourrant à pleine main dans la bouche, mâchez comme une bête décérébré, émerveillé par la sensation fibreuse à chaque mastication et poussant des hurlements de loups tout en dardant des regards possessifs aux gens alentours.

Respirez.

Faites passer le tout avec un petit café. N’oubliez pas de vous brosser les dents.

Mes cantines

Et voici de nouveau le moment de parler nourriture. Ça faisait quelques temps que je n’en parlait plus. A Mumbai, pris dans la joie de la découverte, j’expérimentais les restaurants un peu au hasard. Quand à Hampi, on ne peut pas vraiment dire qu’il y ai eu d’expérimentations vu le nombre relativement faible de restaurants et surtout de leurs cartes très similaires. Disons que c’était bon, sans plus, mais là n’étais pas l’intérêt (rappellez vous, le but était surtout de se mettre à l’abri de la pluie). J’attendais donc avec impatience Pondichéry pour découvrir une cuisine un peu différente et un choix plus conséquent (région différente et surtout fusion potentiellement créole entre la cuisine française et indienne. Oui, j’avais des fantasmes de tartiflettes byrianni au garam masalla et de dahls au vin rouge).

Mais commençons par le commencement : le sud de l’Inde et le Tamil Nadu en particulier est une région particulièrement végétarienne. On peut même dire que c’est la norme. Les quelques plats carnés sont le fait de la communauté musulmane ou venus du nord. Bien entendu prêt de la côte il y a également quelques produits de la mer mais au quotidien, beaucoup de gens mangent des préparations végétariennes. Si vous êtes végétariens et que vous vous lassez des salades vertes voir de tofus au restaurant en France, this is the place to be, à condition, bien sur, de supporter la cuisine épicée. Pendant mes dix jours sur place j’ai eu largement le temps de prendre mes habitudes et je vais donc vous parler de mes petites gargotes à moi que personne d’autre ne connais à part une poignée de milliers d’indiens.

En premier lieu, le Surguru de Mission Street, limite côté tamoul, restaurant exclusivement végétarien. C’est ma cantine, quasiment. Et pour cause : c’est à quelques encablures de ma guest house. Au programme, une carte sur une feuille A4 plastifiée avec une bonne cinquantaine de plats aux noms mystérieux et quelques « Lunch Specials », le tout servi dans une grande salle climatisée à l’aspect de cantine scolaire mais occupé par un peloton de serveurs en tenu marron ou chemise blanche / pantalon noir. J’ai appliqué ma désormais éprouvée (quoique) technique de sélection aléatoire (étant donné ma mémoire atroce des noms, surtout étrangers), toujours ponctué de regards surpris voir interrogatifs des serveurs (j’ai sans doute mélangé des desserts et des plats principaux en divers occasions et oublié régulièrement de commander du riz). Le « Lunch Special » fut testé également. Sur un plateau métallique sont servis divers petits bols remplis de substances diverses avec deux chapatis au milieu. De temps en temps un serveur s’approche avec une cantine métallique et une louche en demandant un truc incompréhensible, auquel je réponds un coup sur deux « yes » ou « no » suivant tout un ensemble de paramètres qu’il me serait difficile d’expliquer (mais dont la sensation de satiété occupe la première place et l’état de mon tube digestif, la deuxième). Si la réponse est positive, il déplace un des petits bols du plateau pour y mettre une petite louchée d’une autre matière à la place. Auquel cas je réponds « merci » puis m’empresse d’y plonger un bout de cuillère dés qu’il a le dos tourné, pour vérifier la nature du met. Le Surguru est un restaurant bon marché (autour de 100 roupies) et de bonne qualité. Néanmoins l’attitude des serveurs un peu guindé dans un décor quelconque laisse une impression amusante.

Il faut que je vous précise que je ne suis toujours pas très doué pour manger à l’indienne, c’est à dire rien qu’avec la main droite (la main gauche étant réservée pour la coloscopie) en prenant une boulette de riz ou un morceau de chapati pour éponger les plats en sauce. Invariablement, le morceau arrive à ma bouche en ayant perdu les trois quarts de son contenu. De nombreuses fois j’ai utilisé ma main gauche. C’est mal et c’est sale. En désespoir de cause, j’avais recours à la cuillère fourni pour transférer les mets des petits bols dans la chapati au centre. Mais invariablement, je finissais mon plat en ayant constellé les environs de petits grains de riz collés et de gouttelettes de sauce. Autant vous dire qu’à l’arrivé du serveur venu s’enquérir de ma volonté de poursuivre le repas, je constatait souvent sur son visage une furtive mimique d’horreur très similaire à celle du G.I. découvrant le charnier d’Auschwitz. Notez que je ne pousse pas la provocation jusqu’à pousser un rot sonore (souvent latent du fait de ma consommation de Pepsi) qui n’est sans doute poli qu’au moyen orient.

Un peu moins fréquemment et toujours pour les mêmes raisons (sa proximité), je vais souvent au restaurant « The Olive Garden ». L’ambiance est complètement différente du Surguru, hormis la climatisation. Le décor est légèrement tamoulisant avec des peintures représentant un Paris imaginaire (c’est à dire bloqué aux années vingts avec la Tour Eiffel quasiment à deux pas de Notre Dame) mais sans grande prétention. Par contre, je m’y retrouvait souvent seul ce qui est toujours très amusant. J’espérais une cuisine un peu fusion mais en réalité la carte se limitait à quelques plats indiens (d’un bon niveau standard) et ensuite quelques plats un peu plus occidentaux (pâtes à la bolognaise, au pesto et pizzas) que je n’ai pas essayé. Côté prix, c’est un poil plus cher que le Surguru, mais pas de beaucoup. D’ailleurs les plats « occidentaux » sont en général deux fois plus cher. Par contre, comme j’étais le seul client, c’était également l’occasion, au moment de payer, de poser quelques questions sur ce que j’avais vu (et pas compris) dans la journée. Par exemple, les indiens ont des mots pour cent mille roupies et dix millions de roupies, respectivement lakh et crore (si je ne dis pas de bêtises). Donc quand on vous demande votre salaire (ce qui peut arriver relativement fréquemment, surtout avec les étudiants) vous pouvez répondre deux lakhs par mois, c’est très classe. Bien entendu pour deux crores par mois, c’est encore plus classe mais vous risquez de vous faire taper de quelques lakhs au passage. Mais je digresse (encore).

Par ordre de fréquentation vient ensuite le bar / restaurant du « Quality Hotel » situé juste au sud du parc Bharati dans un très joli bâtiment colonial jaune et blanc du quartier français dont le grand intérêt est sa sélection de bière (Notamment trois types de Kingfisher dont mon Ultra habituelle), ainsi que son menu proposant, en plus des plats indiens, des plats simples un peu plus occidentaux (escalopes de poulet farci). Arrêtez de crier au scandale. Il y a toujours un moment ou on a envie de quelque chose de non épicé sans prétention. Malheureusement, la seule fois où j’y ai pris un plat indien, ça m’a atomisé la flore intestinale tellement c’était épicé. D’où l’intérêt combiné de la Kingfisher Ultra et de l’escalope de poulet. Autre particularité du « Quality » : sa faune. Comme c’est un des rares endroits où on sert de l’alcool, c’est le coin de rendez vous de certains indiens légèrement plus aisées qui veulent s’en jeter une (ou dix) après une journée torride. Coup de chance, ou conséquence de leur niveau social, je comprends ce qu’ils racontent donc c’est également pour moi l’occasion d’écouter discrètement leur conversation éméchée. L’ambiance sympathique est renforcée par de grandes fenêtres ouvertes (donc plus probablement une absence de fenêtres), de grands ventilateurs tournant paresseusement au plafond et un grand néon « Budweiser » toujours du meilleur effet. Le coût est par contre en conséquence de tout ça, largement deux à trois fois plus cher que le Surguru ou l’Olive Garden. Autre point négatif, le bar / restaurant ferme à 22h30 pour une raison législative qui reste à déterminer. En même temps, après la deuxième Ultra, un air à 32°C, une humidité à 50%, la sensation d’ivresse arrive très vite.

C’est le moment de vous avouer un terrible secret qui sera sans doute très mal perçu par certains : voilà, euh… comment dire sans froisser personne. Ecoutez, la meilleure chose, je crois, c’est d’être franc : J’EN PEUX PLUS DE LA CUISINE INDIENNE ! Voilà qui est dit. Je me sens mieux. Oui j’avoue qu’autour de mon vingtième jour en Inde, je n’avais plus beaucoup de plaisir à manger indien et chaque matin, midi et soir cela devenait presque une corvée. Ne nous trompons pas, j’aime bien la cuisine indienne mais celle que je mangeais me semblait légèrement peu variée, répétitive et finalement, dans un sens, peu subtile : riz, chapati, plat épicé en sauce. Et surtout je n’ai pas trouvé cette cuisine typique de Pondichéry. Sauf…

Avec un repas à 100 roupies, on s’en tire pour 2-3 euros, autant dire que c’est ridiculement bas. J’ai donc décidé de changer de catégorie et d’aller tâter du poids lourd. Pour quelques soirées, habillé de mon magnifique polo blanc acheté 110 roupies sur Mission Street et du guide Lonely Planet, je suis allé dans les meilleurs restaurants de Pondy. Enfin, je crois.

Juste à côté de la guest house, de l’autre côté de l’active et commerçante Mission Street, dans une rue paisible aux maisons coloniales, j’ai osé pénétré dans « La Maison Tamoule » au nom appétissant. Pour vous dire, je n’ai aucun souvenir de ce que j’y ai mangé. Ce ne devait pas être mauvais. Ce ne devait pas être excellent. Ce devait être cher et plutôt indien, sans doutes 500 roupies. Sans parler du fait que j’étais seul, encore, et pour le coup c’est beaucoup moins amusant dans un restaurant un peu guindé. Néanmoins, je dois avouer que le décor était assez sympathique : murs blancs et colonnes de bois exotiques sombres sculptés.

Deuxième tentative au restaurant de l’hôtel « The Promenade », sur les toits, juste sur l’avenue Goubert, c’est à dire sur le front de mer. Ambiance classieuse avec une adorable petite électro muzak en fond sonore emportée par la brise marine, donc parfaitement inoffensive. Je commande un mojito pour faire ton sur ton et décide de faire abstraction du prix de la carte. Ce soir c’est fête, ce sera donc homard. Malheureusement, la bête n’est pas disponible et je part à la recherche d’un autre plat de fruit de mer. Le serveur, sournois me suggère le plat de fruit de mer ultra luxe à un lakh. Chenapan, va. Je me replie plutôt sur un plat de poisson et prend une Kingfisher Ultra pour le consoler. En attendant, je pousse un soupir de contentement et profite de cette décadence en goûtant à la brise marine, chaude comme un séchoir à cheveux, la Kingfisher régulièrement portée aux lèvres. Je crois même que je tapote les doigts au rythme de la muzak. Mais ce doit être l’ivresse de la demi quart de pinte de bière.

Finalement le plat arrive et je dois dire que j’ai bien apprécié : cuisson parfaite, goût, léger épice. Très bien, merci. Le gredin de serveur me suggère un dessert et, souhaitant prolonger l’instant, j’acquiesce et porte mon auguste doigt de détenteur d’euros forts sur une glace à la mangue flambée. Trop la classe. Quelques instants plus tard (ou je suis toujours à pousser des soupirs de contentement), deux serveurs arrivent avec une assiette argentée, deux boules de glaces au milieu, une saucière d’alcool chauffé à blanc et un petit lance flamme portatif. Cérémonieusement, ils mettent le feu à ma glace en me posant délicatement le résultat devant moi puis s’effacent dans un sublime mouvement coulissant arrière dont l’absence de couinement de roulettes continu de m’enchanter. Je porte une cuillerée de la glace à ma bouche et, alors que la brise marine continue de me souffler dans l’oreille, suis bien obligé de conclure qu’il s’agit d’une glace de supermarché dont il ne reste absolument aucune trace de la moindre molécule d’alcool en goût ou en odeur. Déception. Je me contente du froid. J’ai d’ailleurs une deuxième dose de froid quand je reçois la note : 1000 roupies.

Pour conclure, parlons du « Shanti House », le quasi restaurant fantôme tant vanté par le Lonely Planet. Sensé se situé sur la rue Mahé de la Bourdonnais (j’adore ce nom), j’ai eu un mal fou à la trouver. Je parle de la rue donc le restaurant, vous pensez bien. Pourtant l’urbanisme du quartier français est relativement simple mais rien n’y a fais, cette rue m’a échappée pendant deux nuits. Je suis même tombé dessus par hasard en journée en notant bien mon point de sortie pour ne plus la retrouver la nuit tombée. Magie de l’orient… Toujours est-il que j’y suis quand même parvenu (sans doute en faisant le vide dans ma tête) et suis donc entré dans le restaurant du Shanti House, hôtel. Le décor est superbe puisque situé dans une cour intérieure d’un bâtiment à l’architecture coloniale. Couleurs claires, mur végétal, plantes exotiques, ventilateurs, meubles également exotiques, on y est. Au passage, le restaurant est également décoré de quelques clients ce qui est toujours rassurant. Je m’assois et un serveur classe mais dans la limite acceptable du « prout-prout » et surtout, dans un anglais compréhensible, me tend une carte. Je m’attendais à ces prix (suite à l’expérience de la terrasse du « Promenade ») donc ma sudation ne subie aucune variation. Je commande une Kingfisher en apéro (ça devient une habitude) et choisi ensuite un plat de homards cuits dans une feuille de bananier. J’ai une vision de quatre homards du Maine cuits à la vapeur dans une feuille géante. Après quelques minutes pendant lesquels ma bière tente de me rafraîchir, on m’apporte le plat… de taille normale. Manifestement, le mot « lobster » en anglais englobe également les écrevisses. Toujours est-il que le plat est délicieux et subtile. Enfin, un vrai plat un peu fusion et travaillé. Et en plus pour 800 roupies le repas, c’est complètement pas beaucoup très cher !

Le lendemain, je suis de nouveau parti me retourner le bide au Surguru parce que ça ne peut pas être tous les jours fête mais j’ai fini les trois derniers jours à Pondy sous la menace d’un Immodium.

La boustifaille de Mumbai

Qu’est-ce que t’as mangé là bas ? Voilà une question récurrente que l’on peut poser à un voyageur de retour de voyage. Notez qu’un voyageur qui ne retourne pas de voyage se fait beaucoup moins emmerdé par des questions. Donc bien évidemment, la question de la nourriture est un sujet primordial de notre quotidien à la maison et forcément c’est encore plus primordial en voyage. Et bien figurez-vous que ça ne me tracasse pas tant que ça jusqu’ici et ceci pour plusieurs raisons.

Premièrement, je prends le petit déjeuner à l’hôtel en room service. Alors n’allez pas croire que c’est parce que je fais ma star. C’est juste qu’il n’y a pas moyen de faire autrement. Soit c’est du room service, soit tu vas bouffer dehors. Et moi bouffer dehors dés le matin… j’hésite encore. Donc le matin je mange des œufs à la poêle ou en omelette, des toasts ou des tartines non toastées, avec un petit gâteau ou de la confiture et un café au lait. Pourquoi toute cette variété me demanderez-vous ? Certainement pas parce que je suis super instable pour ce qui est de mes habitudes alimentaires matinales. Non c’est tout bonnement car quand je compose le 555 (room service, j’écoute?) je ne comprends rien à ce que me dit le gars au bout du fil donc j’ai tendance à dire « yes » quand il me reprend. Résultat, une fois sur deux j’ai mes œufs brouillés ou à la poêle, mes tartines grillées ou pas mais j’ai tout le temps du café, préparé avec du lait (alors que j’ai rien demandé, mais ça, c’est culturel donc j’admets). Bref tout ça pour dire que le matin je mange plutôt pas mal mais à l’hôtel c’est souvent le cas.

Ensuite arrive le midi. Le midi je viens la plupart du temps de me coltiner une heure ou deux de marche dans une chaleur de sauna et donc la faim arrive souvent vers le tard. Du coup, il y a forcément se moment d’angoisse ou on se demande s’il faut osez commander ces petites boulettes ou samosas frits qui ont l’air tellement appétissants dans la devanture crasseuse du vendeur de rue, au risque de se torturer le bide (bien que depuis le Mexique, je suis capable de me faire vomir en catastrophe si l’alerte se déclenche. Un super pouvoir dont je ne suis pas peu fier). Sans parler du sketch anglo-gestuel qu’il faut effectuer pour désigner au vendeur de manière insistante qu’on veut manger ce truc là alors que lui essaie patiemment de te faire comprendre en hindi que ça, monsieur, c’est ce qu’on donne aux chiens pour qu’ils s’éloignent (voir billet sur les animaux, d’ailleurs). La première journée à Mumbai je n’ai pas eu faim avant la soirée donc la question ne s’est pas posée.

Le deuxième midi je suis rentré après un peu de déambulations et d’hésitations dans un petit troquet à côté de Churchgate. D’aspect « qui ne paye pas de mine » mais donnant sur une avenue principale et muni de quelques clients indiens (plutôt rassurant), grand ouvert vers l’extérieur avec des tables et des chaises tout à fait banals et des ventilateurs qui tournent mollement au plafond. Je me suis donc posé avec résolution à une table en attendant qu’un frêle serveur (voir le billet sur le physique des indiens) vienne me tendre une carte puis plus tard… un verre d’eau (qui est bien resté là, loin, sans bouger). Je constate que la carte en hindi et en anglais se compose pour moitié de plat végétariens, notamment des dahls à foison. Sympa. Le choix et vaste donc je prends un truc au hasard (en espérant que ce n’est pas un amuse gueule) dont je ne me souviens plus du nom. Le serveur me demande si je veux du riz. Je lui réponds non d’un vague air connaisseur que l’on pourrait méprendre pour de l’hésitation. Il me demande un peu surpris si je veux des naans. Je réponds d’un air un peu moins hésitant que l’on pourrait méprendre pour de l’expertise, oui, mais nature. Je précise qu’encore une fois tout ceci est romancé car en vérité il m’a dit un truc vaguement anglais que j’ai vaguement reconnu comme « rice » puis un autre truc vaguement anglais que j’ai compris comme « naan », c’est à dire que c’était pas de l’anglais d’où ma réponse plus rapide. Résultat des courses j’ai mangé un délicieux plat, bien sur épicé, avec des naans légèrement croustillants, servi séparément avec des tranches d’oignons et un petit demi-citron pour assaisonner à sa convenance. Et tout ça en finissant avec un thé sucré au lait que je commence à bien apprécier. Je vous le fait pour 130 roupies indiennes.

Le lendemain midi, j’étais un peu en vadrouille à un musée et en repartant je commençai à avoir faim. Malheureusement, pas de restaurants pas trop pouilleux aux alentours (quand je dis ça, je cherche pas un grand resto mais un minimum d’hygiène, bien que ce soit subjectif). Je décide de prendre le risque d’acheter un truc à un vendeur au coin de la rue. Je minimise un poil le risque (enfin vraiment un poil) en m’arrêtant à un kiosque « en dur » où je vois marqué, entre autres, bhel puri, 30 roupies. Je ne connaissait pas mais le LP en parlait positivement comme un plat typique « à la sauvette ». Je demande donc ça et repart avec deux petits plats en cartons serrés par des élastiques. Je m’éloigne un peu pour ne pas faire le morfal et je découvre une sorte de riz composé avec ce qui ressemble à un fromage râpé, du riz soufflé et je ne sais pas trop quoi. N’ayant pas été proposé de cuillère je saisie une première bouchée avec les doigts et suit agréablement surpris par le goût épicée et légèrement sucré à la fois. Ca va peut être me tuer mais entre temps, c’est bon. J’ai depuis relu le passage du Lonely Planet concernant les bhel puri (je ne pense pas qu’il faille dire bheaux puris au pluriel, même si c’est tentant). Ils parlent de beignets frits. Ah. Rien à voir. Il est donc fort possible que je me sois fait refilé la nourriture du chien. Mais si c’est le cas, heureux chien.

Ayant survécu pendant la nuit, le midi suivant, toujours en fonction de la faim je choisi de m’arrêter dans une boulangerie / restaurant « Sassanian », piqué de curiosité par un nom arménien. L’intérieur du restaurant semble être de la même classe que celui de Churchgate, sans prétention façon troquet, de frêles serveurs et une vieille dame à l’aspect possiblement occidental qui doit être la patronne. Derrière son comptoir elle semble jauger du regard ses serveurs indiens mais leur parle en hindi. Au plafond toujours des ventilateurs qui tentent mollement d’apporter un peu de fraîcheur à un temps lourd qui sent l’orage (oui car la mousson approche). Je m’assois à une table au hasard en jetant un œil et je découvre une photo du monsieur Sassanian fondateur du restaurant en 1913. La classe. J’aperçois accroché au mur un carton proposant une formule « Parsi » (c’est à dire Perse) à 130 roupies avec deux kebabs, du poulet et un Pepsi. J’opte pour ça, aimant particulièrement arroser mes plats par du Coca ou du Pepsi histoire d’aider ma digestion en cas de pépins. Le serveur m’apporte un verre d’eau (qui lui aussi va rester bien sagement à sa place sans bouger. En même temps ça se trouve c’est fait pour se laver les doigts) et je lui demande la formule Parsi. Un peu plus tard il arrive avec un bol contenant le poulet dans une sauce épicée ainsi qu’une assiette contenant une bonne plâtrée de riz et deux boulettes ainsi que le désormais (après deux je généralise) traditionnel accompagnement de tranches d’oignon et demi citron. J’en déduis que les boulettes sont les « kebabs » et c’est plutôt une bonne surprise. Résultat des courses ? Et bien c’était très bon et juste copieux comme il faut. Du coup j’ai fini avec un lemon cheese cake trèèès jaune (et plutôt bof en fait mais il n’y avait rien de typique en dessert) et un autre thé sucré au lait. Le tout pour 175 roupies.

Et pour le soir alors ? Je m’explose le bide dans les meilleurs restaurants de la ville ? Et bien non. Le soir j’ai jamais faim. Faut dire qu’avec cette chaleur… La seule exception fut le premier soir vu que je n’avait rien mangé le midi. Comme j’étais rentré vers 22h de mes pérégrinations ferroviaires je décidai de me faire le restaurant indiqué à l’hôtel comme étant son restaurant attitré. Oui et bien je comprends pourquoi. Ambiance classe, décoration à l’occidentale, frêles serveurs en habits qui vous servent et vous resservent à la moindre élévation de sourcil. Bref, tout ce qui me met mal à l’aise. Mais vu l’heure je n’ai pas envie de me prendre la tête et avec mes Euros, je leur achète leur resto s’ils me cassent les pieds. Le maître d’hôtel me demande si je viens pour manger. Je lui réponds que oui et pour déconner et faire couleur locale je commande une Kingfisher, à la pinte. Un peu plus tard il m’amène la bière avec un assortiment de petites chose à grignoter très bonnes (carottes et concombres en long dés avec une sorte d’épice, pois chiches demi-secs je crois, des sortes de pignons de pins et des sortes de naans très secs avec un assortiment de sauces épicées). Je commence à grignoter en me demandant s’il m’a bien compris quand à mon intention. Au bout de quelques minutes n’y tenant plus, je lui re-précise que j’ai vraiment faim et que ses apéricubes il peux aller se les foutre (de la main gauche) là où je pense. Mais je brode, je brode. Il rigole et me rassure en m’apportant la carte. Du coup pour faire le malin et l’original je prends du mouton à l’afghane et recommande une deuxième pinte de Kingfisher car ces petites choses m’avaient bien aiguisés la soif. Le plat servi fut très bon, servi dans une sauce épicée à l’ail et aux épinards je crois (en tout cas c’était vert), accompagné de riz et je crois même que je n’ai pas fini. C’est mal. L’addition arrive et je serre un peu les fesses : 810 roupies. Ah quand même, 12€. Mais c’est hors de prix ! Un rapide calcul mental me confirme que bien que coûtant plus de cinq fois mon déjeuner du midi ça reste assez accessible aux standards européens. Et puis de toute façon je ne ferai pas ça tous les jours.

Bref, oui maman, j’ai bien mangé.