Dans le précédent épisode, alors que je cruisais mollement en scooter au sud de Nha Trang, j’ai eu un, hum, hum, petit soucis à ma jambe gauche. Disons que je répandais mon fluide vitale sur la terre vietnamienne, qui en a vue d’autre, par de multiples ouvertures de mon épiderme et derme. Fort heureusement, cette fuite est endiguée par un gros morceau de coton habillement tenu à ma jambe par quatre petits sparadraps. A l’heure où nous reprenons le court de l’histoire, je retourne sur Nha Trang sur mon scooter.
Comme il est à peine la mi-journée, j’hésite drôlement à rentrer si tôt. En plus, je ne peux pas vraiment dire que je suis parvenu à apercevoir une jolie montagne de près. La douleur à la jambe s’étant maintenant mue en un lancement sourd mais régulier et le pansement de fortune tenant plus ou moins malgré le vent relatif, je décide de continuer mon périple en deux roues. Avec la chaleur, tout cela va bien sécher. Cette fois-ci, j’ai bien envie de tenter ma chance au nord de Nha Trang.
Après une nouvelle traversée de la ville le long de la plage, je retrouve le pont enjambant la rivière, les ruines Champa et le quartier des pécheurs. En continuant sur la route Ho Chi Minh (encore elle) je quitte finalement la zone urbaine. Je suis la mer et prend progressivement un peu de hauteur ce qui me permet d’avoir un début d’aperçu du panorama côtier. Enfin, ça commence à être sympathique.
Peu de temps après, je sens la faim poindre et profitant d’une aire touristique le long de la mer, décide de m’arrêter pour manger. Légèrement stressé, je m’engage tout en douceur sur le parking en terre. J’enlève mon casque, ajuste mon t-shirt et recolle mon pansement pour être présentable. Le restaurant est quasiment vide et on se retrouve à trois à manger face à la mer, couverte ici de petits bateaux de pêche.
Une fois calé, je reprends la route en recollant le pansement de fortune tout les quarts d’heures. Mon 60 km/h de moyenne commence à mettre l’adhésif des sparadraps à rude épreuve. Après une nouvelle petite montée, la route redescend vers une large vallée inondée et nous quittons la mer. Pendant plusieurs kilomètres je traverse des rizières et des champs. Grâce à un plan fourni par l’hôtel je parviens malgré tout à me repérer et après la ville de Ninh Hoa tente ma chance sur une route partant vers la droite, soit d’après mes calculs, vers la mer. Un panneau indique « Terminal Hyundai » dans cette direction. Ça va être super chouette.
C’est effectivement assez agréable car je quitte instantanément le trafic modéré de la route Ho Chi Minh pour me retrouver quasiment seul sur une longue ligne droite ondulant en bas d’une colline. Des rizières couvertes de fleurs de lotus ajoutent une touche pittoresque avant que le paysage ne se transforme et devienne un peu plus sec. J’ai presque l’impression d’être dans un paysage provençal si ce n’est la végétation plus luxuriante.
Après de longues minutes, j’aperçois un début de lotissement en construction à gauche, vide, comme abandonné. Décidément, ils ont du mal à finir leurs projets ou quoi ? Finalement, la route oblique vers la droite et retrouve la mer en face, la montagne à droite. Parfait, c’est exactement ce que je veux. Je continue et aperçoit le fameux terminal Hyundai. On dirait un terminal dédié aux matières premières comme du sable ou des graviers mais l’effet est étrange de voir ce gros complexe industriel au milieu de nul part. Je serai curieux de connaître les détails de la planification économique, ici.
En continuant je commence à voir apparaître une zone un peu plus habitée et croise une dame marchant sur le bas côté qui me fait signe. Tout doucement, pour ne pas bloquer cette foutue roue avant, je m’arrête et me retourne. Elle arrive vers moi en trottant et, une fois à ma hauteur, me fait signe qu’elle veut aller plus loin, sans aucun doute sur mon scooter. Chic, je vais jouer au xe om. Je lui fait signe de monter avec un sourire puis bascule mon sac à dos en position ventrale pour la laisser monter à l’arrière.
C’est parti. Bizarrement, je ne la sens quasiment pas et je suis obligé de jeter de rapides coups d’œil dans mon rétroviseur valide pour m’assurer qu’elle est encore là. On sent qu’elle a l’habitude. Nous poursuivons comme cela quelques petites minutes pendant lesquels j’adopte une conduite coulée à vitesse un peu plus réduite. La route n’est pas non plus lisse comme un billard et je serai navré de l’envoyer valdinguer dans le décor. Tout à coup je sens qu’elle me tapote l’épaule et me retourne brièvement pour la voir pointer du doigt vers l’arrière. Arrêt demandé manifestement. Je m’arrête donc tout doucement et lâche ma passagère qui me remercie avec un grand sourire. Finalement, c’était pas si dur que ça. Je repart donc, fier d’avoir rendu service à une autochtone.
Quelques minutes plus tard, dans un village, je décide de faire une petite pause. Je m’engage donc vers la mer et pose mon véhicule à l’ombre d’une sorte de halle couverte. Devant moi, un petit port, à droite une sorte de café où sont massés une poignées d’hommes discutant bruyamment et à gauche une petite épicerie. J’enlève mon casque et rentre dans le magasin pour acheter une bouteille d’eau. S’hydrater, c’est la clé de la survie, ça et un freinage équilibré. Il faut dire que ça continue de cogner sec. Après quelques photos, je repart.
La route ensuite devient vraiment magnifique. Serpentant à flanc de montagne, elle s’élève progressivement en montagnes russes tout en surplombant la mer. La vue et superbe malgré la brume de chaleur et je croise quasiment personne. Après quelques minutes de longues montées et de petites descentes, la route oblique à droite et j’entame une longue chute vers une superbe péninsule. Une bande de terre la reliant au massif où je me ballade et parsemé de champs. Une plage borde la mer alors qu’un petit village de l’autre côté est niché dans une baie faisant quasiment face au sud et Nha Trang, au-delà.
Rapidement, je passe sous l’arche signalant l’entrée du village. J’emprunte ce qui ressemble à la rue principale en passant à côté d’un petit café improvisé à l’ombre, encore une fois rempli d’une grosse poignée de consommateurs. Des regards me suivent. Au bout de la rue, je m’arrête ayant atteint la baie et le port. Pendant un bon quart d’heure je reste là, à l’ombre, profitant d’un quasi silence hormis le léger vent et ressac. Des femmes (visibles à leur chapeau conique mais surtout à leur manière de se couvrir de pied en cape contre le soleil) travaillent à récolter des algues et quelques enfants passent à vélo.
Je m’extrait finalement de ma torpeur pour prendre le chemin du retour. Avec tout ce trajet il n’est pas loin de 15h et il me semble plus raisonnable de rentrer avant la tombée de la nuit, ayant deux petites heures de route pour revenir à l’hôtel. Je remonte donc la rue, repasse devant le café et ses habitués puis m’approche de l’arche à l’entrée du village, avant d’entamer la longue montée.
Tout à coup, je sens mon scooter perdre en puissance pour finalement s’arrêter dans un toussotement. J’ai une vague intuition et regarde la jauge d’essence, toujours au milieu. Mon intuition me hurle d’ouvrir le réservoir et je constate avec fatalisme qu’il est à sec. Mais c’est quoi ces véhicules avec une autonomie de papy incontinent ?! Et surtout c’est quoi ces scooters pourris avec une jauge d’essence défectueuse ?!
Je descends donc de mon véhicule et fait demi-tour en le poussant, clopinant légèrement. Arrivé devant le café, ma dignité complètement évaporée, j’interpelle les clients d’un souriant « sin tchao » en montrant mon réservoir. Inutile de dire que ça rigole gentiment mais sans méchanceté, on m’indique la rue de gauche. Je guide donc mon scooter dans cette direction.
Le village n’étant pas très grand, je n’aperçoit aucune station service. Un peu dubitatif, je m’arrête devant une maison avec cour et après les bonjours d’usage aux personnes à l’intérieur, remontre mon réservoir. Une vieille dame me fait signe que c’est au fond. Voilà qui est surprenant. Je fais confiance et pousse le deux roues au fond de la cour. Tout le monde se met autour de moi et un homme en marcel s’approche en me montrant une bouteille en plastique d’un litre vide. Après quelques gestes je comprend qu’il me demande la quantité que je souhaite. Je fais un rapide calcul en estimant la consommation de mon véhicule pourri. En même temps, je ne voudrais pas leur piquer tout leur essence. Euh, trois ?
Il s’en va donc remplir la bouteille et la verse dans mon réservoir. Encore ? Allez, encore. Même manège. Je sens quand même que j’abuse et il me suffit d’assez d’essence pour rejoindre la ville de Ninh Hoa où je sais y avoir une station. Je lui fait donc signe que ça suffira. C’est à cet instant que quelqu’un aperçoit ma jambe gauche ensanglanté avec le coton imbibé de rouge, depuis le temps. Je ne vous cache pas que ça a légèrement rigolé dans les chaumières. Il vaut mieux rester philosophe et rire aussi même si ce n’est pas non plus la blague du siècle. Je règle la facture en étant quasiment certain que ce sont les litres d’essences les plus chers du Vietnam, mais à qui la faute, hein ?
Je remercie encore une fois mes sauveurs (vous ai-je dit que les vietnamiens étaient sympathiques) et redémarre mon scooter. Plus exactement, je tente de redémarrer mon scooter car il décide encore une fois de récalcitrer. Il commence à me fair ch***, lui. Le garagiste s’approche et sortant le kick, le démarre manuellement. Oui, bon ça va. Depuis le temps que je dit qu’on ne peut pas faire confiance en la technologie quand ça va mal. Je repart donc en remerciant encore une fois l’assemblée et reprend la montée du retour.
Pendant une heure, en rebroussant chemin, je me cale le plus bas possible en rentrant les bras histoire de minimiser mon coefficient de pénétration. Je tente d’adopter un rythme constant à vitesse réduite étant hanté par l’idée de retomber en panne, cette fois-ci en dehors d’un village. Il y a bien quarante kilomètres jusqu’à la prochaine station service. Autant dire que je me tape l’heure de conduite la plus longue et angoissante de ma vie. Surtout que dans la dernière ligne droite le temps se couvre, le vent se lève puis finalement une petite pluie épaisse et fraîche vient gentiment me marteler ma chair exposée. Mais c’est quoi cette journée !?
Avec un énorme soulagement, j’aperçois une station service alors que la pluie redouble d’intensité. Je m’arrête et fait la queue. Mon tour arrivée, je demande le plein. C’est fou comme on se sent mieux avec le plein d’essence. Aaaaaaaaaaaaah. Après deux ou trois démarrages ratés sous les regards encore une fois narquois des clients, je repart donc pour le dernier tronçon le long de la route Ho Chi Minh. Cette fois-ci, la pluie est quasiment diluvienne et glaciale. Les voitures et camions qui me doublent ajoutent encore un peu de sel à ce final épique.
Après une demi-heure à ce régime, je quitte enfin l’orage et retrouve des ciels plus cléments. Je me détend… légèrement. Le trajet se fini par une petite séquence en heure de pointe dans Nha Trang pour finalement retrouver l’hôtel vers les 17h. Pas mécontent de rentrer. Ouf.
Je gare donc le scooter en lui jetant un dernier regard haineux puis pénètre dans le lobby. Ma réceptionniste me voit arriver et son regard s’agrandit au fur et à mesure qu’elle discerne ma jambe ensanglantée, le coton pendant mollement en ne faisant plus aucun effort pour couvrir ma blessure.
« Euh, j’ai eu un petit accident avec le scooter. Le rétroviseur gauche est brisé, le carter éraflé. Ah, et puis la jauge d’essence ne marche pas. Mais sinon, ça va »
Je n’ai pas honte de dire que je me suis couché tôt ce soir là.