Le grand jour enfin arriva, le jour ou je devais quitter la bruyante cacophonie de Mumbai pour me lancer dans la grande aventure du voyage ferroviaire.
Mon train, le prénommé « Dadar – Tirunelveli Express » (oui, tout les trains ont un nom genre l’Orient Express ou le Mumbai Mail. C’est la classe), part à 21h30 de la gare de Dadar à Mumbai. Malheureusement, je dois rendre les clés de l’hôtel à midi dernier délai. J’ai donc neuf heures à glander dans Mumbai avec mes deux sacs à dos (photo et autres). La bonne nouvelle c’est que la gare de Dadar est sur la ligne de train express que je prends tous les jours, notamment pour aller à Churchgate. Après un faux départ, où je me rends compte que l’employé de l’hôtel ne m’a pas rendu ma carte bleue après avoir réglé les quatre nuits, je me dirige une dernière fois vers ma petite gare de quartier dans l’indifférence générale du brouhaha quotidien. Ingrats. Ceci dit, quel plaisir de constater que certaines choses deviennent familière comme aller directement à la plateforme 2 de la gare de Santa Cruz avec son billet 1st classe acheté avec le compte juste au guichet tel un véritable commuter indien, pour attraper le « Slow train » pour Dadar. Le tout le plus naturellement du monde.
Bref, après quelques heures longues et poisseuses à se promener entre la gare et le front de mer, à se restaurer dans un petit restaurant, à faire des petites courses dans un supermarché pour éviter de mourir de faim (pour la soif, considérez que j’ai en permanence au moins un litre d’eau dans mon sac) dans le trajet qui va durer 14h, je rentre dans la gare pour me mettre au pseudo-frais dans un grand hall de réservation. Ça me permet de lire un peu avec la Kobo (c’est vraiment très bien pour lire un roman, je l’avoue) et observer quelques moments incongrues de la vie indienne (notamment ma petite vieille balayeuse qui m’engueule pour que je bouge).
Finalement, vers 20h30, j’embarque mes affaires et me décide à aller repérer la plate-forme du train. Je fais deux fois l’allée retour dans la passerelle qui dessert les voies à la recherche de son numéro mais ne repère que des trains locaux (oui car maintenant j’arrive plus ou moins à déchiffrer le symbole A01F128 comme étant le « fast train » qui part de Churchgate et s’arrête à Andheri, à ne pas confondre avec le B02S101 qui est le « slow train » mais qui lui s’arrête à Bolivari). Pourquoi est-ce que tout ceci ne me surprend pas ni ne m’agace ? Ce doit être la spiritualité indienne qui me gagne. Je retourne donc au hall où je venais de poireauter pour regarder les grands panneaux imprimés (donc pas peints à la main, ceux là, c’est moins joli) listant tous les trains en partance de Dadar (avec des noms exotiques comme le Gujarat Express ou l’Hyderabad Mail). Il y a trois panneaux, mais aucune trace de mon train. Aaah nonn. Pas comme à Heathrow !
Très légèrement angoissé, je me met dans une file avec mon billet et mon tour arrivant, je demande en anglais de plus en plus simplifié (maintenant je fais encore moins d’efforts de syntaxe ou de style, de toute façon ça change rien) où je peux trouver mon train. L’employé, avec une absence de grâce et de chaleur, me réponds : « plate-forme 7 ou 8 ». Mmmmh, voilà qui est précis, dites moi. Pour mettre toutes mes chances de mon côté en s’assurant qu’il m’a bien compris, je lui demande pourquoi mon train n’est pas marqué sur les panneaux. Il me réponds avec une légère pointe d’agacement : « c’est parce qu’il est nouveau celui là ». Oui. Ca ce tiens. C’est pas très pratique alors leurs panneaux. Mais bon. Je commence à m’habituer au flou. Si ça avait été à la Part Dieu j’aurai gueulé comme un putois en traitant les employés de la SNCF de sales fonctionnaires parasites. Non, je plaisante, même pas vrai. J’ai d’ailleurs de plus en plus d’admiration et de respect pour la SNCF depuis mon passage en Inde.
Je part donc à la recherche des plate-formes 7 ou 8 et les découvrent, l’une ou l’autre, légèrement à l’écart en compagnie de leur copine, la plate-forme 9. A tous les coups mon train part de la plate-forme 7, 8 ou 9. Encore légèrement sous influence de la SNCF, je parcours le petit hall commun à ces trois quais à la recherche d’un panneau d’affichage « Départ » pour trouver mon train. J’abandonne assez rapidement la quête et me remet à fouiller autour des quais à deux doigts de redemander à quelqu’un (mais ça, c’est tricher). Mon œil, ou mon cerveau, accroche de manière subliminal le numéro de mon train sur un panneau tout en longueur. Le temps que je tourne la tête pour me concentrer dessus, j’y lis une indication en hindi (avec l’alphabet idoine). Mince, aurai-je rêvé ? Je patiente en petit peu puis après quelques minutes, effectivement, je vois réapparaître mon numéro de train avec son joli nom et un numéro de plate-forme. Ce sera la 8. Aha, les choses se précisent !
Une fois sur le quai, je suis rapidement rassuré sur l’identité de mon train grâce à son nom inscrit sur tous les wagons. Il est déjà à quai mais les portes sont encore fermées. En face de chaque wagon sont placé des afficheurs électronique indiquant : S7, S6, S5, B2, B1. Mon wagon étant le A1, j’en déduis que ce sont la position des wagons et remonte le train à sa recherche. J’en profite pour découvrir les wagons à best… euh… non climatisés de troisième et de seconde classe. Il n’y aucune fenêtre, mais juste des ouvertures avec des barreaux et c’est tant mieux me dis-je. Passer quatorze heures dans un wagon fermé avec une foule de gens, ce doit être un enfer. Ils ont été un peu chiche quand à la taille des ouvertures quand même, mais bon. Quand à moi, j’ai réservé une place dans un wagon de deuxième classe climatisé donc j’espère secrètement qu’il ne s’agit pas de ceux-là, surtout qu’une foule compacte de gens avec leurs bagages et enfants se masse déjà sur le quai.
Après un moment de marche (mais c’est qu’il est sacrément long ce train, dites moi), je repère un wagon marqué « 2AC-Tiers » avec un discret indicateur « A1 ». Ce pourrait bien être lui, mon wagon. Juste à côté se trouve un groupe de gens massés devant le wagon « S1 » de seconde classe non climatisé. Je demande quand même confirmation du wagon auprès d’une famille (d’une part parce qu’il y avait une contradiction entre l’afficheur électronique qui indiquait S2 et le panneau sur le wagon qui indiquait A1, mais également parce qu’en cas d’erreur, je me voyais mal devoir remonter trois wagons surpeuplés avec mon sac à dos de montagne dans le dos et mon sac photo en ventral). C’était bien lui. Je me pose donc gentiment et attends l’ouverture des portes.
Quelques minutes plus tard, un coup de sifflet retentit à ma gauche. Instantanément, la foule précédemment d’humeur badine se transforme en foule excité digne des pires pillages de magasin Virgin : les portes viennent de s’ouvrir. Chacun se met à la queue leu leu sous l’encadrement d’employés de chemin de fer. Je reste en retrait, digne, en comprenant que ce va être du chacun pour soi, et m’apprête à sortir mon couteau Leatherman (courtesy, S. Bernard). Après analyse de la situation, je comprends que la queue ne se forme que devant les wagons « S » non climatisés. Soit il n’y a aucune place réservée et chacun lutte pour se mettre du côté des fenêtres, soit ils sont surexcités à l’idée de prendre le train. Devant mon regard ahuri, un homme dans la queue me fait un sourire amusé. Je lui demande par signe si la queue est pour le wagon S1 et il acquiesce. Ouf. Un peu gêné, je prends mes sacs et contourne la tête de queue pour entrer dans le wagon A1. Une esclandre me fait tourner la tête. Une femme est en train de s’engueuler avec deux personnes devant. Je me doute qu’il s’agit d’une histoire de place dans la file et me glisse dans le wagon. Prochaine étape, trouver la place 46.
Je suis tout d’abord surpris en constatant que c’est un wagon couchettes. Bon, admettons. Tout est relativement sombre, d’une fade couleur kaki et un peu vieillot. Un peu de lumière entre par les petites fenêtres et le reste est à la charge de petits néons au plafond. La disposition des couchettes est comme suit : à gauche, quatre couchettes en largeur sur deux niveau, se faisant face. De l’autre côté de l’allée une autre paire de couchettes en longueur cette fois-ci. Des rideaux permettent « d’isoler » les quatre couchettes du couloir alors que les deux couchettes en longueur ont chacun leur rideau. Tout ceci forme une joli ambiance de dortoir.
Je repère rapidement ma place et fait la moue en constatant qu’il s’agit d’une des couchettes du dessus parmi les quatre à gauche. Philosophe, je pose mes sacs dessus en attendant que chacun se pose pour voir si je pourrai m’asseoir sur la banquette du dessous avant de dormir. Rapidement, je constate que je gêne un peu tout le monde dans l’étroit passage et donc grimpe sur ma couchette, en me courbant pour ne pas m’exploser le sommet du crâne au plafond. Au moins la température est agréable. Après quelques instants, je repère la famille à qui j’avais demandé confirmation du wagon, entrer et s’installer dans les trois places à côté de la mienne. Les enfants et le père me font des sourires alors que la mère me tire une tronche de digne austérité (A ce propos, je suis à deux doigts d’établir un principe qui affirme que femme mûre en sari, jamais ne sourit). Moi je sourit aussi. J’ai l’impression qu’on va bien s’amuser quand chacun aura un coussin. J’hésite à consulter le Kobo pour traduire « bataille de polochon » en hindi.
Après un court moment, la jeune fille de la famille, arrive et me demande dans un anglais touchant de quasi compréhension si cela me dérangerai d’échanger ma place car ils sont quatre (ça je le savais) mais une des places est quelques « blocs » plus loin. Bon prince, j’accepte, et descend de ma couchette. Un autre homme arrive et me demande également si je voyage seul et si ça dérangerai d’échanger ma place avec quelqu’un pour qu’il soit ensemble avec sa famille. Non mais je suis une star ultra demandée !! J’hésite à faire monter les enchères histoire de me venger des vendeurs de bouteilles d’eau de Mumbai, mais mon éducation distinguée me force à refuser la deuxième proposition. Premier arrivé, premier servi. Question de principe, monsieur. Ceci dit, cette joyeuse discussion souriante avec tout ce petit monde là créer un petit lien de complicité. Je sens qu’on va vraiment se poiler quand les lumières seront éteintes. Concours de pets et rires garanti ! Wouhou !
J’effectue donc mon transfert vers une autre couchette (également en hauteur, donc pas de jaloux) et regrimpe à l’étage, en essuyant les remerciements chaleureux de la famille. Enfin, en tout cas du père et des enfants parce que la mère continue à tirer une tronche. Je l’allume en premier à la bataille de polochon, celle-là. Non, ne me remerciez pas. C’est la France qui vous remercie. Serviteur ! Sauf toi, la vioque. Bref, je me ré-installe pendant qu’à l’étage d’en dessous ils continuent de discuter au sujet des places à échanger et suis interrompu dans ma contemplation par mes nouveaux compagnons de chambrée, une mère et sa petite fille, qui de leur banquette du dessous me demande si je peux enlever mes chaussures car ça fait tomber de la poussière. Le tout sans un sourire. Mais c’est pas vrai ! Tiens, elle est en sari, la mère. J’obtempère en me jurant de les bombarder de bouts de pain humides dans leur sommeil. Là haut sur mon perchoir, je m’installe plus ou moins avec mes deux sacs et me pose pour lire (les passionnantes aventures au 18ème siècle de l’officier de marine, Richard Bolitho, pour les curieux). Pendant que tout le monde s’installe, un préposé vient nous distribuer couvertures, draps et coussin. Sympa.
Finalement, le train s’ébranle. J’espérai en profiter pour apercevoir la campagne aux alentours de Mumbai. Peine perdu car d’une part il fait nuit et d’autre part d’où je suis, je n’aperçoit que le bout des traverses qui défilent à travers la petite fenêtre. Du coup, j’ai la sensation d’être dans un avion en vol, avec une bande son légèrement différente et sans « on board entertainment ». Tout doucement les gens se posent et sortent leur casse croûtes, de magnifiques petites cantines remplis de riz et de sauces qu’ils attaquent à l’indienne, avec les doigts. Moi, je me bricole mes sandwichs en essayant de ne pas saupoudrer mes voisins du dessous de miettes. Pas tout de suite en tout cas. Je reprend ma lecture.
Je suis interrompu quelques minutes plus tard par un homme en costume sombre et cravate, muni d’une sorte de listing. Après les salutations d’usages il me demande mon ticket et mon passeport, traitement que je suis le seul à avoir droit. Je lui explique rapidement l’échange de place en compagnie du père de famille qui s’était déplacé, le sympathique bonhomme. Visiblement satisfait, l’officiel coche quelque chose sur sa liste et me rend mon passeport. Je reprend ma lecture.
Régulièrement de jeunes employés des chemins de fer passent le long du couloir avec des timbales en fer et un stock de gobelets en plastique tout en psalmodiant d’une voix monotone: « tchaï, tchaï, abilambilabalbilambalimbalaba, tchaaaïÏ, tchaaaÏÏ ». Sans trop de difficulté (je commence à les connaitre mes amis indiens) je comprend qu’il vend du thé au lait sucré (ou si vous avez tendance à boire votre thé non sucré, du sucre au lait théié) et un autre truc dont je ne comprends pas la signification. Le bon sens commerçant voudrait que ce soit quelque chose de solide à ingérer pour compléter la boisson. Je reprend ma lecture.
Au bout d’un moment je me rend compte qu’il fait diablement froid dans ce wagon. Un souffle glacé m’arrive sur les cuisses et je constate que je suis à moins d’un mètre de la bouche de climatisation au plafond. Je me couvre avec les draps et la couverture sous le regard abasourdi de mes voisines du dessous. M’en fout, je me les caille. Ils ne savent pas régler une climatisation ou quoi ? Ou alors c’est pour qu’on consomme du tchaï fumant pour se réchauffer. Je reprend ma lecture.
Rapidement, tout le monde se met en position nuit puis vient l’extinction des néons. Plongé dans mon livre, je prolonge un peu la lecture à la faible lueur de la veilleuse. Finalement, je tente de trouver le sommeil en bricolant quelque chose avec mon gros sac à dos et le coussin. Ça devrait le faire, comme on dit.
Je me réveille dans la nuit en me disant qu’il fait quand même drôlement froid ici. C’est pas possible. Je me rendors.
Je m’éveille à la lueur du jour naissant (que c’est beau) et reprend ma lecture. Oui, le temps passe tranquillement mais j’attends que mes voisines du dessous manifestent un signe de vie pour descendre. Je suis trop respectueux des autres, je le sais. Je résiste à la vision fugitive d’un puissant jet de coussin en pleine face de la voisine en sari. Je reprend ma lecture.
Finalement, la vie reprend doucement dans le wagon et chacun se réveille en se grattant l’un le ventre l’autre la nuque, mais les siens. Je décide de ranger mes affaires et de quitter le wagon frigorifique pour la plate-forme entre les deux wagons. Là au moins, on ne risque pas d’attraper une pneumonie en juin, au pire une maladie tropicale, mais j’ai promis d’en ramener une. J’en profite pour enfin apercevoir la morne campagne défiler tranquillement (oui, ce n’est pas un TGV). Cette position stratégique entre le cœur du wagon et les toilettes me permet d’échanger des sourires avec mes collègues de chambrées venu se soulager mais également d’engager un peu la conversation avec les deux jeunes de la sympathique (sauf la mère) famille. On parle vacances, trajets en Inde, d’où je viens, … J’ai la nette impression qu’ils prennent plaisir à exercer leur anglais hésitant mais c’est bien agréable de papoter. Le père s’y met à un moment lorsque je lui demande s’il connaît le nom de la gare juste avant Hubli Junction, celle où je dois descendre. On est rejoint par l’autre père de famille qui voulait échanger nos places et, alors que le premier retourne à sa couchette (tout ceci ressemble à une pièce de vaudeville avec ces entrées et sorties), on discute de nouveau de mon voyage en Inde. Bref, c’est le moment du papotage et me dit que décidément, les toilettes, c’est un chouette endroit pour engager la conversation.
Finalement, avec tout ça, le train ralenti une nouvelle fois (oui car toute la nuit il n’a en vérité pas cesser de s’arrêter à quasiment toutes les gares) et le sympathique père de famille sort la tête du couloir et me fait signe que c’est ici pour Hubli. Merci beaucoup. Finalement je descends du train sous les au revoir réciproques des enfants et des deux pères. J’espère que vous avez suivi le casting ?
Sur le quai d’Hubli Junction, je reprends ma chasse au infos pour trouver ma correspondance pour Hospet. Mais je crois que vous avez saisi le principe maintenant.