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Un tour organisé, première partie : Sur la route

Chaque type de voyage dans un pays influence la façon dont vous le découvrez. Suivant que vous préférez le visiter seul, en mode routard, ou bien à plusieurs, en mode organisé, vous ne verrez pas les mêmes choses ou ressentirez différemment les mêmes lieux. Après un mois en Inde en mode autonome foutez moi la paix bandes de touristes, j’avais envi de retrouver un peu la vie en groupe (mais pas trop quand même) et j’étais curieux de goûter aux visites organisées, n’ayant quasiment jamais tenté l’expérience. Le Vietnam sera donc mon champ d’expérience en la matière.

Comme je suis néanmoins légèrement réfractaire aux ambiances « Club Méditerranée, tarladirladada », j’ai décidé de commencer doucement en passant par une agence recommandée par le Lonely Planet, Ethnic Travel, prônant une attitude « responsable » avec découverte du pays au plus proche des gens. Enfin, dans la limite de la distance d’intimité. C’est pour ça que je n’ai pas fait ça en Inde, on se serrait mis en tas les uns sur les autres. Hors de question. Surtout avec la nourriture qui ne m’assurait d’aucune tranquillité digestive.

Me voilà donc, un matin tôt dans le hall de mon hôtel, attendant que le bus du tour organisé auquel je m’étais inscrit vienne me chercher. Au programme, trois jours et deux nuits dans la baie de Bai Tu Long, petite sœur de la célèbre baie d’Ha Long, moins courue touristiquement le tout avec couchage chez l’habitant et cours de cuisine. La totale. Il doit même y avoir moyen de bénéficier du droit de cuissage et de participer à la vaisselle pour encore plus de proximité avec l’habitant mais je me contenterai déjà du programme, pour un début.

A huit heures, un mini-bus orné du logo « Ethnic Travel » s’arrête devant le hall et une petite jeune vietnamienne dynamique descend, se dirige vers l’accueil et entame une conversation en vietnamien avec la préposée. On me pointe du doigt. C’est pas sympa. La fille émotive de l’hôtel me dit dans un grand sourire « It’s for you ! », à la limite de l’excitation. Je prends donc mes deux sacs à dos que je dépose à l’arrière du van et me glisse à l’intérieur, seul, sans oublier de dire au revoir à la fille de l’hôtel (qui me réponds d’un coucou frénétique de la main enrobé d’un grand sourire) pendant qu’on referme la porte coulissante dans un claquement militaire. L’affaire est rondement menée en deux minutes et nous repartons dans le trafic, encombré de multiples autres mini-bus semblables au notre qui font le tour des hôtels. Le lundi à 8h, c’est l’heure de pointe pour amener les touristes à la baie d’Ha Long. Pendant le trajet je soutire le nombre de participants au tour organisé : neufs personnes. Ok, ça me paraît beaucoup mais comme je suis novice en la matière, j’en reste là.

Nous faisons un premier arrêt à l’agence où nous récupérons cinq jeunes filles dont je devine sans difficulté la nationalité, française, et une sixième jeune femme, américaine. Nous repartons et un peu plus tard, récupérons deux nouvelles participantes, espagnoles cette fois ci. Bref, pour un premier tour organisé, ça commence plutôt bien. En dehors du chauffeur du van, je suis le seul homme.

Pendant que le dit chauffeur nous engage dans le trajet de cinq heures qui doit nous amener à Bai Tu Long en circulant comme un dingue dans le trafic de Hanoi, notre guide assise côté passager se retourne et se présente d’une voix forte avec un charmant petit accent vietnamien :

« Hello, ma name is Pi Loo. Can everyone present imself ? »

Nous entamons donc le traditionnel tour de présentation pendant lequel je parviens à peine à retenir les prénoms de mes co-touristes plus de dix secondes. Rappelez-vous, j’ai une mémoire débilitante des noms (Mais vous avez peut être une mémoire débilitante des histoires qu’on vous raconte). Le seul que je retient est celui de l’américaine à ma gauche, Kelly, car Pi Loo, notre guide, l’écorche instantanément en Kaï Li. Au passage, elle martyrise le mien. Je resterai pour le restant du tour, Olivia. Mais peu importe. Pour les françaises il y a une Manon (appelée Manou par Pi Loo) et une Charlotte. Et pour les autres, point de souvenir. Quand aux espagnoles, leur prénom importe peu car ce sont des personnages de second rôle qui meurent dés le début. Non, non, rassurez vous. C’est une métaphore. Personne ne décède réellement, que je sache.

La guide enchaîne alors en nous expliquant le déroulement des trois jours avec notamment la durée de ce premier trajet. Elle nous demande alors qui parmi nous effectue la visite de deux jours et ceux qui effectue la visite de trois jours. Je lève la main pour trois jours. Elle nous demande ensuite si tout le monde fait le tour comprenant la visite de Bai Tu Long suivi de celle d’Ha Long. Les espagnoles lui répondent exclusivement Ha Long et moi exclusivement Bai Tu Long. Ça va être un joyeux méli-mélo si chacun fait à la carte mais bon, après tout, c’est eux les organisateurs. Moi je suis là pour être guidé. En plus, je suis complètement zen en toutes circonstances depuis l’Inde. M’en fout, je verrai le moment venu.

Nous poursuivons la route dans le silence pendant que nous traversons la banlieue d’Hanoi. Tout ça est très plat mais entremêlé de cours d’eau, les bras du fleuve Rouge qui coule à Hanoi. Après un pont, nous apercevons des rizières de chaque côté. Je demande à la guide si nous sommes encore dans Hanoi, histoire de faire le fayot (d’autant plus que je me suis mis au premier rang avec Kaï Li et les deux espagnoles). Réponse affirmative. Diable, c’est vaste comme ville.

Nous replongeons dans un silence pudique. Ça met toujours un peu de temps à se mettre en route une vie de groupe. Il faudrait que quelqu’un face un bruit corporel ridicule ou quelque chose pour détendre l’atmosphère. Fort heureusement, le chauffeur choisit cet instant là pour tenter un dépassement de la mort face à un bus venant en sens contraire. Attitude tout à fait normale et typique au Vietnam et un Inde mais j’entends les cinq françaises derrière passablement effrayées commencer à commenter « la conduite de malade mental » de notre chauffeur. J’en profite pour glisser un « I thought we were going to die on this one » à ma collègue américaine qui renchérit. C’est parti, la conversation est débloquée. On papote donc un peu avec Kelly pendant une bonne demi-heure. Moi, je lui explique que j’ai « fait » l’Inde (j’allais pas me vanter d’avoir vu Mirepoix et Montauban, tout de même) et elle me raconte qu’elle s’est baladée un peu à Bali et Kuala Lumpur. On discute un peu de l’Inde (mon sujet favori à cette époque), destination qu’elle hésite à choisir en place de la Birmanie pour la suite de son périple en Asie du sud-est, après le Vietnam. Elle se donne quelques mois de voyage avant de rejoindre Oxford en septembre, pour un semestre d’échange avec son université en Floride. Tout ça permet à chacun de discuter à haute voix avec ses voisines, les espagnoles avec les espagnoles, les françaises avec les françaises et le chauffeur avec Pi Loo. Manifestement les cinq françaises, que j’entends vaguement d’une oreille (oui car j’avais réellement l’oreille gauche bouchée suite à un zèle excessif d’avec un coton tige le matin même), sont cinq copines de fac en maraude dont la Manon, la grande organisatrice (dans un groupe, il y a toujours un grand organisateur qui veut absolument tout prévoir. Dans mon groupe, par exemple, c’est moi).

Deux heures plus tard, ça commence déjà à chouiner derrière dans le camp français à propos du temps de trajet (Aaaah, la râle, l’odeur du pays. Que c’est bon), lorsque Pi Loo, jusqu’ici en grande conversation téléphonique dans un vietnamien assez agressif (on aurait presque l’impression qu’elle engueule son interlocuteur), raccroche et se retourne vers nous pour nous annoncer que l’on va s’arrêter quelques instants. Un couple d’un précédent groupe a oublié ses valises dans notre van et ils sont en route pour nous rejoindre et les récupérer. Cela prendra environ trente minutes. Consternation dans l’équipe de France féminine : ça râle de plus belle entre elles. Il ne me manque plus que l’odeur du pastis et je suis de nouveau au pays. Kaï Li tente un modeste : « Je serai content que l’on m’attende avec mes bagages si j’étais à leur place », en anglais, bien évidemment, mais la pauvre n’a manifestement aucune expérience du chouinage à la française pour penser que cela les calmera. Moi je ne dis rien, mais je n’en pense pas moins.

Finalement, après quelques minutes d’attente, un 4×4 « Ethnic Travels » arrive sur notre tribord arrière (pardon, pardon. Il faut que je m’y fasse) et on vient récupérer les deux sacs à dos oublié. Nous repartons finalement. Incident clos. Place au rêve, maintenant. Une heure plus tard, le camps français grogne et s’interroge sur le temps de trajet vraiment long (ça ne faisait que deux heures de route). Moi je regarde le paysage, papote un peu avec Kelly ou lance quelques questions de fayot à Pi Loo. J’ai payé pour avoir un guide, j’en profite.

Nous nous arrêtons à point nommer pour que mes jeunes compatriotes se dégourdassent les jambes devant un vaste magasin, au parking déjà encombré par trois mini-bus à destination de la baie d’Ha Long. A l’intérieur nous découvrons plein de choses hyper-indispensables aux touristes, selon les critères vietnamiens, tels des poteries, des soieries, des peintures, des chapeaux ainsi qu’à boire et à manger. Mais surtout, des toilettes. J’en fait donc le tour et commence un peu à m’ennuyer en attendant que l’on reparte. Une demi-heure plus tard, Pi Loo sonne le rappel et nous reprenons la route, un peu dégourdis.

Finalement, après une nouvelle heure, nous apercevons de magnifiques formations calcaires au loin et « les filles » (le club des cinq français) s’excitent alors, sentant enfin arriver la fin de leur intolérable supplice. Effectivement, une petite heure plus tard, nous nous arrêtons au terminal des bateaux pour la baie d’Ha Long (au loin, malheureusement) où nous récupérons deux nouveaux touristes qui se serrent un peu dans notre mini-van surchargé. Encore des français, un couple de Marseille, qui viennent de faire la baie d’Ha Long et enchaînent par Bai Tu Long. Ça fait beaucoup de Long, tout ça. Nous repartons sur la route de Bai Tu Long, donc, la bande au complet, au nombre de onze touristes (si vous avez bien compté), pour encore une heure de route avant de prendre un bateau qui nous amènera dans la baie, de Bai Tu Long, si vous suivez bien. Nous roulons donc pendant une demi-heure.

Si vous êtes attentifs vous avez du remarquer qu’il y a quelque chose qui cloche. Avec onze touristes, le compte n’est pas bon. Je vous laisse trente secondes pour relire ce billet du début et m’expliquer pourquoi. C’est bon ? Vous avez trouvé ?

Parmi ces onze personnes restent nos deux espagnoles, inscrites pour un tour exclusivement baie d’Ha Long. Hors nous venons de la quitter, la baie d’Ha Long. Une des deux hispaniques, visiblement inquiète, en arrive à la même conclusion et interpelle Pi Loo en lui tendant ses billets de réservation. Consternation. Notre guide découvre avec horreur que nos deux ibériques (tel un commentateur sportif, je connais plein de synonymes pour les nationalités) ne font absolument pas parti du tour, et pour cause, elles sont passées par une autre agence concurrente. Les cruches. Ou la cruche si notre guide est responsable. Pendant dix minutes elles tentent de comprendre ce que leur dit Pi Loo, et inversement, car elles n’ont pas l’anglais facile et Pi Loo, aucun espagnol. Quand à moi je me contente de savoir commander une bière en castillan, toujours fort utile à Barcelone, Madrid ou Mexico. En arrière plan, les petites françaises commencent à balancer des commentaires à voix basse entre elles. La tension monte.

La guide prend son téléphone et, de manière encore plus agressive, discute avec quelqu’un. Elle raccroche et explique aux deux espagnoles qu’un taxi va venir les prendre pour les ramener au terminal d’Ha Long. Pendant ce temps là nous continuons notre route vers Bai Tu Long et une des espagnoles fait des signes pour qu’on s’arrête. Le camps français désapprouve en sourdine rapport au planning. Cerise sur le gâteau, la chef espagnole (celle qui parle le moins pire anglais) exige d’être certaine que le taxi sera payé par son agence touristique. Jusqu’ici, je compatissais. C’est vrai quoi. Pris dans l’excitation du matin, pas bien réveillé, on peut tous faire la connerie. Mais ne pas vouloir payer le taxi alors qu’on est un peu responsable de sa bêtise, je trouve ça particulièrement mauvais joueur. D’ailleurs l’équipe de France féminine est du même avis.

Pi Loo alterne donc entre le téléphone ou elle s’engueule avec quelqu’un (pour de vrai, j’ai l’impression cette fois-ci) et les espagnoles, avec qui le ton commence à monter, le tout pour tenter d’arranger la situation. Je me jure de ne jamais de ma vie sous aucune circonstance et quelque soit le montant de la compensation financière m’occuper d’un groupe en voyage. En fond sonore, le club des cinq commence à faire des commentaires négatifs à voix haute, histoire d’ajouter encore un peu plus de tension dans le mini-bus de 6m2. Un peu agacé par les belettes de derrière, mais maître de mes nerfs (vétéran de l’Inde, je vous le rappelle), je fais le geste de se calmer à mes compatriotes doublé d’un petit « chuuuuuuut » et avec le sourire pour faire passer la pilule. Heureusement ça fonctionne. Elles se taisent. Merde. Ça marche. Et en plus Kelly me gratifie d’un pâle sourire en guise de soutien. Faut que je fasse ça plus souvent. On évite donc l’empoignade générale par les cheveux et c’est tant mieux. Ça fait super mal. Pendant tout cet incident, le couple de marseillais reste silencieux, et c’est un signe de sagesse.

Finalement, le mini-bus s’arrête et Pi Loo descend avec son téléphone portable et les deux espagnoles. Nous sommes donc frustrés de la fin de l’épisode. Néanmoins, l’arrivée d’un taxi et l’extraction de leurs bagages par le chauffeur augure d’une fin heureuse de leur côté.

Pendant ce temps, Manon, l’organisatrice suprême des franchouillardes, profite de l’arrêt pour sortir fumer une clope. Je lève les yeux aux ciel. Il y en a qui font tout pour que ça parte en cacahuète ce tour. Du coup je lance en français, à la cantonade: « Manquerait plus qu’on l’oubli », avec le sourire. Rire chez les filles et une de ses amies réponds: « Ah ça il n’y a pas de risque qu’on l’oubli Manon. On l’entendra crier si ça arrive ». Il faut dire que Manon ressemble à une solide petite matrone italienne. Dans l’adversité, la sauce du groupe commence à prendre.

Quelques minutes plus tard, notre chauffeur remonte suivi de notre guide. Nous repartons dans le silence et roulons quelque temps. Je vous rassure, Manon est à bord. Un téléphone sonne et Pi Loo décroche. De nouveau j’ai la nette sensation qu’elle est en train de s’engueuler avec quelqu’un mais avec l’accent vietnamien tonal, j’ai toujours un doute. Elle raccroche et chacun profite du silence non pas reposant, car la route tortueuse et le rythme effréné du chauffeur (qui doit bien ramer pour rattraper le retard cumulé depuis la récupération des bagages et la bourde hispanique) ne fait rien pour aller dans ce sens, mais bienvenu car quand Pi Loo elle s’énerve, Pi Loo elle envoi les décibels. Va falloir tâcher d’être sage pendant les trois jours et deux nuits.

Je me félicite d’avoir été fayot avec elle mais une inquiétude sourde commence à poindre. Est-ce que j’ai vraiment réservé pour trois jours et deux nuits à Bai Tu Long ?

(suite au prochain épisode)

Deux femmes à Hanoi

Jusqu’ici je ne vous ai point parlé des différentes rencontres, nombreuses, z’effectuées z’au Vietnam. Pour ne point déflorer le suspens, cantonnons nous déjà à Hanoi (je crois qu’il y a beaucoup de trop de N et de A dans cette phrase). Vous aviez le décor (en partie), place aux acteurs. Ou plutôt, place aux actrices.

A Hanoi (n’oubliez pas d’aspirer votre H sinon ça n’a aucun sens), il y a quelques musées. Nous parlerons une autre fois des numéros 2 & 3 mais je me dois d’évoquer le numéro 1 : le musée d’Ethnographie, avec un E majuscule. Une fin de matinée, de retour à l’hôtel de la sérénité (de son nom officiel Hanoi Serenity Hotel, là où tout le monde sourit), j’interroge la charmante demoiselle souriante derrière le bureau de l’accueil à quelle heure le musée 2 (d’Histoire) ouvre l’après midi. Mon guide Lonely Planet indiquait 14h00 mais pour avoir constaté quelques changements depuis l’édition du guide, je souhaitai m’en assurer. Je n’allais pas marcher jusque de l’autre côté du lac et me faire agresser par des xe oms, cyclos, marchands et guides handicapés pour me retrouver devant une grille fermée. Manifestement, le livre était bien à la rue car la fille de l’accueil m’assura que le musée étaient ouvert entre midi et quatorze heures. Ou bien elle n’avait pas compris ma question.

A cet instant, une jeune femme assise devant un des ordinateurs en libre service du hall d’entrée se retourne et me demande, en anglais : « Vous voulez aller au musée d’Ethnographie ? Ça tombe bien j’y vais cet après midi. On peut partager le taxi ! ». Euh, oui, enfin c’est à dire que je voulais voir le musée d’Histoire, moi, cette après midi. Le musée d’Ethnographie il est à l’autre bout de la ville et je voulais y aller demain. Bon et puis finalement, après réflexion, aujourd’hui ou demain, j’accepte sa proposition. L’hôtesse d’accueil nous regarde alors en souriant, limite en tapant des mains comme une petite fille excitée, « Super, vous vous êtes fait une amie! ». Elle est bien émotive, dites moi.

Nous nous retrouvons donc une demi-heure plus tard devant l’hôtel où un taxi nous attends. Pendant le trajet, j’ai le temps de faire connaissance avec Jin Ling (si j’ai l’audition bien en place), chinoise du nord, thésarde en ethnologie. Alors que moi, touriste, je visite les musées pour le plaisir (et pour m’entraîner à rester debout pendant des heures sans tétaniser), elle y va pour travailler sur sa thèse dont le thème est les minorités ethniques du nord du Vietnam, frontalière du sud de la Chine (Si, si. La géographie est formelle sur ce point. Le nord du Vietnam est attenant au sud de la Chine). Comme elle parle un excellent anglais, elle m’apprend qu’elle a passé quelques années à Ithaca dans l’état de New York travaillant pour un laboratoire d’ethnologie avec qui elle collabore encore. Du coup, je lui apprend que moi aussi, j’ai vécu dans l’état de New York étant petit et on discute de New York, New York, la grosse pomme. A ce propos, je reste dubitatif quand elle m’avoue préférer Shanghai à New York car elle trouve la seconde plus sale. Tout cela mérite investigation. Bref, finalement, arrivé au musée nous réglons la note, que Jin Ling tente de négocier à la baisse. Oui car physionomiste qu’elle est, elle n’a pas manqué de remarquer que le chauffeur de taxi était le même que celui qui l’avait amené au musée hier. Sauf que le prix de la course avait pris 20 kilo-dongs entre temps.

Je la laisse donc retrouver ses collègues de travail et j’attaque la visite du musée. Mais ceci est une autre histoire. Sachez juste, car le thème du transport me passionne, que ma course de retour par taxi m’a coûté environ 30% plus cher qu’à l’aller. Une histoire d’heure de pointe, parait-il.

Quelques jours plus tard, je me retrouve devant l’entrée du petit pont rouge menant au temple du lac Hoan Kiem, balayant les vendeurs de babioles tel des mouches. J’attends l’arrivée d’une certaine Thuy, vietnamienne contactée via le site CouchSurfing. J’avais envie de rencontrer un véritable habitant de Hanoi et il se trouve que Thuy venait de rentrer d’un mois enthousiaste à Paris. Nous avions donc chacun de quoi répondre aux questions de l’autre. Nos premiers échanges en anglais par mail me laisse présager d’une conversation fluide dans la langue de David Beckham (Shakespeare c’est un peu cliché aussi, comme Molière). Avec un peu de retard, je vois arriver une vietnamienne trentenaire plutôt grande habillée en tailleur blanc, un smart phone et un sac à main, juchée sur des chaussures à talon. Une sorte d’executive woman classe à la sauce Hanoi.

Elle commence par s’excuser de son quart d’heure de retard. Ce n’est point grave, je viens de Toulouse vous savez, le retard des autres, ça me connaît. Ensuite nous décidons d’aller boire un café vietnamien pour se mettre au frais. Chic, il paraît que c’est une spécialité. Je vais donc pouvoir tester cela. Rapidement au cours de ces premiers échanges, je me rends compte que son anglais oral n’est absolument pas à la hauteur de son anglais écrit. Ça ne va pas être si fluide que ça, et même plutôt heurté comme conversation. Nous nous installons finalement au premier étage d’un établissement un peu classouille surplombant le lac Hoan Kiem et je commande un milk shake au café, à défaut de café vietnamien. Le lieu en question est plus un café à l’occidental servant des boissons à l’occidental qu’un repère de spécialités locales. Mais peu importe.

Nous entamons donc la discussion et je parle de mes premières impressions de Hanoi et du périple que j’ai prévu jusqu’au sud du pays. J’évite de poser des questions trop compliquées car son français est quasiment inexistant et son anglais, très perfectible. Je découvre rapidement la source de son excellent niveau d’anglais à l’écrit en la regardant sortir son smartphone et tapoter dessus pour trouver la traduction d’un mot. Forcément, ça ne rend pas la discussion plus fluide. Malgré tout, tout cela est assez intéressant car elle m’apprend qu’elle est partie un mois à Paris dans le cadre d’une formation de marketing à Science Po (rien que ça, même si on se demande se que vient faire le marketing à Science Po). Après avoir vécu quelques jours à Anthony chez des amis (aaah, la diaspora vietnamienne) elle est parti habiter dans un petit appartement dans Paris même, du côté de République. Manifestement, financièrement elle était drôlement aidée, mais je n’ai pas réussi à comprendre si c’était grâce à une bourse, sa société ou via ses propres deniers.

Finalement, je dois interrompre la conversation car j’ai un train à prendre dans une heure pour quitter Hanoi. Très gentiment elle me propose de m’amener à la gare avec sa moto. Waouuh ! C’est complètement sexy ça de se faire amener en moto à la gare piloté par une jeune et jolie vietnamienne ! Ceci dit, j’avais beau me triturer le cerveau, je ne voyais pas trop comme on pouvait tenir à deux avec un gros sac à dos de 40 litres bourré à craquer et un deuxième plus petit pesant 10kg sur un scooter. Mais à l’époque je découvrais à peine le Vietnam. Depuis j’ai vu des vietnamiens transporter six carcasses de cochons adultes sur une mobylette hors d’âge ou carrément un congélateur. Du coup, j’ai décliner l’offre malgré son insistance en lui expliquant que j’étais vraiment chargé et que c’était beaucoup beaucoup trop dangereux. Non, mademoiselle, soyez raisonnable, enfin.

Manifestement, elle ne voyait pas trop où il était, le danger. Et elle a du me prendre pour une poule mouillée.

De l’art de choisir son guide

Le lac Hoan Kiem à Hanoi, c’est un peu la place Bellecour de Lyon, la place du Capitole à Toulouse ou encore le Vieux Port à Marseille : le centre touristique de la ville. De fait le nombre de touristes décroit de façon inversement proportionnelle à la distance au lac. Selon la loi corollaire, le nombre de vendeurs ambulants, xe oms, cyclos et autres guides factices décroit également de la même manière suivant la même distance. Vous imaginez donc que vouloir faire le tour du lac en marchant, c’est s’exposer à un harcèlement soutenu.

Alors que je me reposai sur un banc, face au fameux lac où vit une tortue géante solitaire (une descendante de la tortue géante qui sortie une épée magique sur son dos et l’offrit à je ne sais quel individu il y a fort longtemps, si la légende est vrai), je fut interrompu dans mes rêveries par un « hello » féminin à l’accent vietnamien. Encore une fois interrompu dans mes rêveries, remarqueriez-vous. La plupart des gens semble ne pas apprécier que l’on rêve car on est invariablement interrompu dans ces moments là. Triste époque. Je me tourne donc lentement dans la direction de l’interpellation.

Une femme d’âge moyen me sourit, avec un présentoir accroché au cou contenant des babioles dont je ne me souviens pas de la nature car je n’en avait aucunement l’utilité. Étant particulièrement observateur, je ne manque pas de noter une très légère omission chez mon interlocutrice. Elle a une jambe en moins que moi. Oui car n’étant pas regardant quand à mon lectorat, je m’abstiendrai d’estimer que vous en avez forcément deux. En tout cas, moi, jusqu’à nouvel ordre, j’en ai une paire. Fort heureusement, deux béquilles lui assure un équilibre stable. Je lui retourne donc son salut. Commence alors la conversation proprement dite :

« We are you fram ?

  • From France.
  • Ahh, Paris ? (forcément)
  • No, Toulouse. (déception)
  • Je parle un peu français, vous savez.
  • Aaaaah, bonjour alors.
  • Bonjour. Vous voulez un guide ?
  • Non, non. Merci.
  • Si moi je peux faire guide. Je connais autour du lac.
  • Non, non. C’est pas la peine.
  • Mais si, mais si. Pas cher. 30 minutes pour 20000 dongs.

Forcément, une petite dame d’âge moyen unijambiste qui me propose de faire guide pour une de mes premières sorties à Hanoi, j’ai beau être endurci par l’Inde, je l’imagine tout de suite jouant avec une mine anti-personnelle en étant gamine. Je repense également à tous ces jeunes étudiants qui ont moult fois tentés de me convaincre de souscrire un versement mensuel à Handicap International et je décide qu’il est temps d’agir pour aider les enfants handicapés. Et par extension les dames d’âge mûr vu que nous avons tous été des enfants même si ce n’est pas évident pour tout le monde.

Sentant que j’hésite, elle ajoute :

« Tour du lac, une heure pour 40000 dongs, si vous voulez. Je connais histoire.

  • Bon d’accord pour une heure à 40000 dongs. Allons-y

Je me lève donc et avec le sourire, nous partons tout les deux d’un pas décidé (surtout moi) le long du chemin alors qu’elle commence son laïus sur l’histoire du lac et de la tortue géante (que je savais déjà plus ou moins car je l’avais au préalable lu dans le Lonely Planet). Son français est un peu hésitant est approximatif, mais la plupart du temps, je comprends ce qu’elle veut me dire. Je tente de relancer par quelques questions mais atteins les limites de son français. Assez rapidement, je me contente donc d’écouter en poussant à intervalle régulier des « Aaah » (ravissement) et des « Oooh ? » (intérêt). Je suis assez doué pour ça. A ne pas confondre avec le « Aaaah ? » (surprise) et le « Oooh » (incrédulité).

Cinquante mètres plus tard, nous avions fait le tour de l’anecdote sur la tortue et l’épée. J’attends donc impatiemment que l’on arrive à un nouvel élément marquant pour avoir le droit à une nouvelle intervention de ma guide. J’aperçois cent mètres plus loin à droite une petite place certainement notable et riche en information, mais à l’allure où nous avançons, il fallait m’armer de patience. Je fais donc silence et ralenti mes pas, histoire de ne pas distancer ma guide.

Nous arrivons donc finalement à hauteur de la place et feignant la surprise je lance un « Mais dites moi, qu’est-ce donc là que cette place à notre tribord avant ? ». Oui, je suis encore en DSC_5500_DxOtrain de lire les passionnantes aventures de Richard Bolitho, capitaine de frégate de Sa Majesté George III. En vérité c’était plutôt une intervention du type « Et c’est quoi, ça, là bas ? » avec pointage de doigt. Elle s’arrête un instant et, cherchant ses mots, me décrit sommairement la statue du mandarin postée au milieu de la place. Malheureusement, je l’avais précédemment croisé, cette statue. J’apprends donc peu de choses.

Nous continuons notre ballade, en douceur. Tous ceux qui ont déjà effectué une promenade avec une personne âgé souffrant d’arthrite auront une vision assez claire du rythme de ce tour du lac. J’étais bien à l’abri d’une crampe et même ma guide avait l’air de pouvoir maintenir le rythme. Elle me parle du quartier français et de l’architecture. Bien, bien. Intéressant mais pas passionnant. Je n’hésite donc pas à la bombarder de questions sur le moindre truc que je vois et j’ai l’impression d’avoir de nouveau cinq ans « et là c’est quoi ? », « et ça ? », « et pourquoi là-bas ? ». C’est que j’en veux pour mon argent, moi ! Elle est guide, ou elle ne l’est pas ?

Un peu plus tard, on s’approche d’un nouveau groupe de bancs et elle s’assoit pour se reposer, en posant ses béquilles à côté. Obéissant, je m’assoit également et attend qu’elle reprenne un peu ses explications. Décidément, c’est pas d’un rythme effréné, aussi bien en terme de déplacement que d’informations délivrés. Pour combler le silence, je lui demande si elle fait souvent guide comme ça. Sans surprise, la réponse est « un peu ». Elle complète ses revenus de la vente des babioles par cela mais elle y arrive difficilement. Je vois, je vois. Bon, bon. Elle se lève, et nous repartons tranquillement. Régulièrement, nous croisons des touristes ou des vietnamiens (forcément, c’est l’endroit le plus touristique d’Hanoi) et je sens des regards mi-interrogatifs mi-dubitatifs oscillant entre « mais quel homme généreux » et « mais quel couillon ce touriste ». Ma guide reprend un peu ses explications en rebondissant sur un bâtiment que nous abordons à un train de sénateur.

DSC_5499_DxOCeci continue quelques temps et nous arrivons finalement à la petite île au nord du lac qui héberge un temple relié à la terre par un très charmant pont de bois rouge. A l’entrée du pont est dressé une sorte de petit obélisque orné d’inscriptions en caractères chinois. Ma guide commence alors son explication du monument effilé en m’expliquant que c’est un stylo et qu’il est dédié à l’instruction. Traditionnellement, au Vietnam, il y a toujours eu un grand respect pour les études et l’instruction. Je veux bien le croire au vu de l’anormale réussite scolaire constaté chez les quelques français d’origine vietnamienne que je connais.

Ma guide unijambiste me propose d’aller visiter le temple sur l’île. Me doutant bien qu’il va falloir que je lui paye l’entrée et que cela va considérablement nous faire baisser notre moyenne, je décline l’invitation. J’irai voir le temple une autre fois. A mon rythme.

Nous reprenons donc notre parcours en discutaillant à propos du temple puis croisons une nouvelle fois un banc. « On se repose ? », me demande-t-elle ? N’étant pas non plus cruel, je m’assoit une nouvelle fois à côté d’elle, très légèrement impatient, sans rien laisser paraître. Elle me demande alors si je voudrais qu’elle soit mon guide demain pour visiter d’autres endroits. Une vision s’imprime dans mon cerveau : « Hanoi à deux à l’heure ». Je réponds qu’à priori ce ne sera pas nécessaire. Elle insiste néanmoins un peu en me demandant le nom de mon hôtel pour qu’elle puisse m’y retrouver. Non mais, je vous jure, ce n’est pas nécessaire.

Finalement, n’y tenant plus, je regarde ma montre. Trois quart d’heures et on n’a à peine fais la moitié du tour de lac. Non, ça va être trop pénible de tenir encore quinze minutes et je doute que l’on parte en sprint pour finir le tour. Après une variante simplifiée de « Ah ben c’est pas tout ça mais c’est qu’le temps passe vite ! », je me lève en la remerciant et lui tends ses 40 kilo-dongs puis part en lui disant au revoir. Franchement, c’était pas très intense à tout les niveaux ce petit tour au point que je ne me souviens quasiment d’aucune des informations transmises. Ah si. Après vérification, ce n’était pas un stylo, le monument, mais un pinceau. N’importe quoi. Et ne me dites pas que c’est un problème de vocabulaire.

Donc, un conseil d’ami. Si vous devez choisir un guide, tant qu’à faire, demandez lui de marcher quelques mètres avec vous. S’il adopte un rythme similaire au votre, adoptez le. Sinon, fuyez.

Hanoi, de face, de profil

A Hanoi, il y a des bâtiments et temples anciens à la très nette influence chinoise.

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Mais il y aussi des jeunes en petites tenues, avides de modernité, qui tournent des clips musicaux à la très nette influence américaine.DSC_5523_DxO

En fin de journée, le soleil illumine timidement les immeubles d’habitation à travers les arbres.
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Mais les oiseaux en cage, eux, n’en profitent que très rarement. Pourtant ils sont sensés porter chance sauf à eux-mêmes.

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On croise aussi des artisans qui travaillent accroupies quasiment sur le trottoir, le ferronnier dans la rue des ferronniers, le tailleur de bambou dans la rue des tailleurs de bambou et les garagistes dans la rue des garagistes.

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Au détour d’une rue, il y parfois de petits temples tout discrets.

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Mais aussi de grands marchés couverts nocturnes qui le sont nettement moins.

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Et puis si on en a marre de l’agitation, il suffit de s’éloigner du centre pour trouver des ruelles calmes et étroites, uniquement dérangées par le bruit des oiseaux et des cigales.

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La vie dans la rue

Ce que je trouve très sympathique à Hanoi c’est que tout ce passe dans la rue ou bien dans des échoppes au rideau métallique grand ouvert sur la voie. Si ce n’est pas le cas c’est que vous fréquentez des établissements classes ou climatisés, ce que je peux comprendre, chaud qu’il fait.

Tiens, justement, en parlant de chaleur, vous n’avez pas soif, là maintenant, à l’instant où je vous écrit ? Ça tombe bien. Quasiment tout les cent mètres, voir tout les dix mètres à certains endroits, on trouve des gens assis sur le trottoir, les fesses posées sur de minuscules tabourets bleus à quatre pieds en plastique moulé, un verre d’un liquide jaunâtre posé sur une table également minuscule de la même matière, bavassant avec leurs amis les jambes croisés, la claquette (tong, gougoune, schlappe ou slache, suivant l’endroit d’où vous venez) pendant mollement au bout de l’orteil. Portez votre regard sur le liquide sus mentionné. Vous découvrirez alors qu’il s’agit d’une bière légère et qui a le bon goût de ne coûter quasiment rien puisque de l’ordre de huit kilo-dongs. Si ces gens sont assis sur le trottoir c’est qu’il s’agit soit de citoyens souhaitant se détendre devant chez eux avec leur voisin et dans ce cas n’essayez pas de vous asseoir à côté en lançant un péremptoire « Bia hoï, siouplait msieurs dames ! » (oui car la bière se dit bia, ici au vietnam, et hoï veut dire fraîche. Merci wikipédia). L’autre possibilité est qu’il s’agit d’une dame (très souvent) proposant de sa propre bière en vente mais dans un cadre quasi identique. Dans ce cas, asseyez-vous. Il est parfois très difficile de distinguer les deux situations. Donc mon petit truc de baroudeur niveau 2 consiste à observer la quantité de petite table bleue. Au delà de une table, je considère que c’est un débit de boisson et ne me dérange pas pour écraser le tabouret de mes 80 kg (à peu près, quoi) en lançant un « bia hoï » assuré à la dame sous le chapeau conique à côté. Mon accent étant détestable, je double la mise en pointant du doigt le verre de mon voisin. Mais toujours avec le sourire.

Bon, maintenant qu’on s’est jeté de la cervoise dans l’estomac, vous n’avez pas faim ? C’est encore plus simple. Des grillades de porcs ou de bœufs provenant d’un vendeur ambulant vous sont proposés pour une paire de kilo-dongs, que vous pourrez déguster instantanément sur le petit tabouret bleu qu’on vous aura glissé d’un air désolé sous l’arrière-train, mais sur le trottoir. Alternativement, vous pouvez acheter un sandwich à un autre vendeur ambulant fait avec un petit pain ovoïde à l’allure de baguette. Merci la colonisation française. A vous de choisir vos ingrédients et votre sauce en les pointant du doigt. Il devrait être évident pour vous depuis tout ce temps qu’il est quasiment indispensable d’avoir au moins un index en bon état de marche pour pouvoir s’en sortir en Inde ou au Vietnam. Je n’ose imaginer comment je m’en serai sorti en étant manchot.

Si vous êtes un peu plus bourgeois et n’aimez pas avoir le ciel au dessus de votre tête, vous aurez éventuellement la possibilité de quitter le trottoir pour une salle donnant grand ouverte sur la rue (et parfois débordant sur le trottoir) en choisissant une échoppe de bun (boune) ou de pho (fa). La plupart du temps il n’est même pas utile de commander quoi que ce soit. Il suffit juste de vous installer à un petit tabouret bleu de libre à une des petites tables pour qu’on vous serve un bol dans les minutes qui viennent. N’oubliez pas de vous nettoyer les dents avec les cure dents fournis gracieusement.

Vous aurez remarqué, si vous êtes un tant soit peu attentif, la présence systématique de ces petits tabourets à quatre pattes bleus. Mais pourquoi tant de tabourets ? Je n’en sais strictement rien. Les chaises sont réservés pour les restaurants. Toujours est-il que ça a le don d’enlever toute forme de chi-chi et de rabattre tout le monde au même niveau. Ça DSC_5533_DxOdemande juste un peu de souplesse pour s’asseoir et se relever. Et comme je ne suis pas salaud, je vais même partager avec vous quelques trucs et astuces glanés de mon expérience personnelle concernant l’usage de ces tabourets. Tout d’abord, lorsque vous vous relevez, vérifiez bien qu’il n’y a pas de seau d’eau bêtement laissé juste derrière, surtout si vous avez des voisins. Avoir le pied mouillé c’est une chose, mais asperger la jolie vietnamienne à votre gauche, une autre, notamment lorsqu’elle est accompagné d’un gars. Ensuite, préférez nettement le short, la jupe ou éventuellement un pantalon très large. Une fois assis vous aurez les jambes passablement écartées et votre vêtement subira une très forte tension à l’entrejambe. Surtout sous l’effet de la transpiration qui aura tendance à transformer vos cuisses en champs de glu. Un déchirement est si vite arrivé. Finalement, soyez conscient de votre poids. Inutile de faire la coquette (ou le coquet), la pesanteur et l’épaisseur de plastique bleu se chargeront de rappeler au monde entier votre véritable masse. Ces tabourets sont conçus pour un physique asiatique moyen, pas pour un américain élevé aux hormones ou un savoyard nourri au fromage fondu et à la patate.

Vous venez donc de déchirer de nouveau votre pantalon et il vous faut dans la minute un vêtement de rechange. Autre possibilité, vous avez terriblement chaud et vous n’en pouvez plus de faire une lessive tout les deux jours. Dans tout les cas, à quelques encablures vous trouverez des vendeurs de vêtements débordant sur le trottoir, la vendeuse souvent assise sur un petit tabouret en plastique bleu, muni de quatre pattes (je parle du tabouret, bien entendu). Inutile de faire le difficile car il s’agit vraisemblablement d’articles fait à la chaîne dans des sweat shops du pays. Soyez déjà heureux qu’elle ait votre taille, occidental pourri gâté.

Vous êtes maintenant de nouveau présentable (et surtout prêt pour une nouvelle flexion des jambes) mais cette chaleur continue de vous accabler méchamment. Il y a fort à parier qu’au détour d’une de vos pérégrinations en ville vous apercevrez deux ou trois coiffeurs de rues, installés sur le trottoir, un miroir piqué accroché à la grille d’un bâtiment officiel. Un petit ratiboisement capillaire pourrait bien être une solution à vos problèmes de chaleur. Vous vous asseyez donc, de nouveau, cette fois-ci sur une chaise. Et ben oui, pas con le coiffeur. Ce n’est pas lui qui va se casser en deux pour atteindre votre cuir chevelu, tout de même ? Sans même vous tendre un catalogue de coiffures exotiques, il attaque son travail d’éclaircissement au rasoir électrique, la main légèrement tremblante. Il enchaîne ensuite aux ciseaux, toujours tremblant puis finalement sort un coupe choux qu’il aiguise comme une brute sur une lanière de cuir. Vous avez un petit mouvement de glotte d’appréhension. Fort heureusement, il ne s’agit que d’affiner son travail d’orfèvre autour des oreilles, mais toujours la main tremblante. Voilà, vous êtes tout frais coupé et sortez d’urgence une main de sous le tablier qu’on vous aura préalablement noué autour du coup pour signifier catégoriquement votre refus d’attaquer votre moustache. Si vous en avez une, bien entendu. N’oubliez pas de tendre un billet de vingt kilo-dongs au gentil artisan en le régalant de votre plus beau sourire.

Avec tout cette activité, on se demande bien à quoi ça sert de s’embêter à construire des trottoirs vu que personne ne peut les emprunter.