Avertissement préalable pour les personnes malentendantes ou dénuées de hauts-parleurs: ce billet est sonore. Accessoirement, il devrait également avoir l’odeur du chanvre, de la poussière et d’une douce lumière matinale filtrant à travers des vitres ouvragées. Mais ça, c’est beaucoup plus difficile à rendre.
Je dois bien avouer que, pour certains aspects, je commence à apprécier le principe des auberges de jeunesse, notamment l’espace commun et la cuisine, où il est facile de croiser des gens. De plus, les personnes qu’on y trouve sont souvent dans un état d’esprit plus ouvert qu’à l’hôtel où chacun, y compris moi, finalement, reste dans sa bulle.
Pour m’héberger à Arcata, je suis donc parti à la recherche sur booking.com, un de mes sites de base lors de ce demi-tour du monde, pour rapidement me rendre compte que l’offre en la matière d’auberge était inexistant. Seuls quelques motels ou hotels aux tarifs plus conséquents étaient disponibles. Je me replie sur le site de couchsurfing, espérant trouver quelques plans, bien que la destination ne soit pas commune. Rapidement, je tombe sur le billet d’un couchsurfeur parlant d’une sorte d’auberge maison d’hôte écologique venant de se créer, le Redwood Lily guesthouse.
La chose est effectivement récent puisqu’aucun site web n’existe hormis une courte page Facebook où je trouve un numéro de téléphone. Quelques minutes de conversation téléphonique plus tard, je viens de réserver trois nuits en chambre individuelle pour un tarif à mi-chemin entre un hôtel et une auberge de jeunesse.
Le Redwood Lily guesthouse, c’est une maison de style victorien en bois, typique d’Arcata, restaurée depuis quelques mois, transformée en lieu de résidence. Les réservations, l’entretien et les travaux de restauration en cours sont effectués par des bénévoles ainsi que par deux étudiants de l’université d’Humboldt, logés à plein temps ici en contrepartie. L’intérieur est extrêmement chaleureux, meublé en bois, avec un grand et petit salon commun ainsi que la cuisine où chacun peut se préparer un repas. L’ensemble est construit et entretenu dans un esprit de développement durable, servant également de base d’expérimentation pour les étudiants d’Humboldt. Je vous invite à aller voir leur site web (nouvellement créer) pour avoir quelques images.
A mon arrivée, on m’octroie un des trois lits « alcôves » situés sur le palier du premier étage, à côté d’un étudiant chinois et d’une jeune femme mutique. Pour ce qui est de la chambre individuelle, c’est raté. Le prix, du coup, devient un peu excessif, payable uniquement en liquide. Il doit y avoir en tout une petite dizaine de pensionnaires dont quelques uns qui campent dans le jardin. Je discute un peu avec un des deux étudiants résidant qui gère l’endroit, pour le compte de la véritable propriétaire que j’aperçois de loin le lendemain.
Je croise les autres résidents avec un sourire poli et un calme « hi ». Bizarrement, chacun est un peu sur sa réserve, notamment moi, un peu échaudé pour le coup du lit en alcôve à 40$ la nuit, hormis un petit groupe de jeunes que j’écoute d’une oreille distraite discuter dans la cuisine. Tout ce monde semble être à mi-chemin entre un mode hippie et touriste difficile à trancher, surtout que je découvre qu’une partie des gens que je croise sont également des bénévoles travaillant en journée sur le chantier. Ceci dit, la population est encore plus variée qu’en auberge de jeunesse, allant d’une vingtaine d’année à la soixantaine pour deux des pensionnaires.
C’est finalement, le deuxième matin, alors que j’avais décidé de quitter Arcata une journée plus tôt (je crois que le temps gris commençait à me taper sur le système), que j’ai véritablement fait connaissance. Dans la cuisine, alors que je mâchonnait mon sandwich pain fromage tout en profitant du café gracieusement mis à disposition, je fus rejoint par une des jeunes puis par une femme brune plus âgée. Je décide de briser la glace en demandant si l’une d’elle connait le temps nécessaire pour rejoindre en voiture le mont Shasta, un volcan plus à l’intérieur des terre.
Quelques minutes plus tard, nous papotons gentiment. La plus jeune, Sabita, une suissesse alémanique (encore une, c’est fou ça. Les seuls suisses que je croise sont allemands) rousse d’une petite vingtaine d’années est en ballade de plusieurs mois en mode routard en Californie. Christine, la brune d’une trentaine d’année est une new yorkaise pur jus effectuant un road trip en tente et voiture de location entre Portland (Oregon) et le nord de la Californie. Chacune a découvert la Redwood Lily guesthouse un peu comme moi, par hasard. Chacun raconte un peu ses aventures, le tour du monde faisant toujours un peu son petit effet.
Une demi-heure plus tard, une dame plus âgée, autour de la soixantaine, cheveux longs, entre dans la cuisine et se joint à la conversation. Tout doucement, elle dévie du sujet et parfois de manière presque incohérente insère des anecdotes de sa vie passée. A bout d’un certain temps, nul doute n’est permis, elle est un peu perchée, mais gentiment. Mes certitudes se confirment au fur et à mesure : c’est une ancienne hippie avec un passif pour ce qui est des drogues psychédéliques. Ne croyez pas que je sois choqué, pas du tout. Bien qu’un peu dérangeant au début (elle partait vraiment dans tout les sens, sautant du coq à l’âne) je suis rapidement captivé de rencontrer quelqu’un ayant vécu au cœur de la révolution des années 60-70 autour de San Francisco. De manière totalement nonchalante (mais sans doute sans innocence) elle nous glisse avoir vécu à Palo Alto (en plein cœur de l’actuelle Silicon Valley) dans les années soixante où elle avait profité des expériences d’un certain laboratoire de chimie de l’université de Stanford (ce qu’il faut comprendre comme ayant profité de LSD). Toujours aussi nonchalamment, elle nous parle de Jerry Garcia, guitariste décédé des Grateful Deads, croisé à ce moment là.
On a beau savoir qu’on est à deux relations de n’importe qui, rencontrer pour la première fois de ma vie quelqu’un ayant connu une des figures majeures du mouvement rock de San Francisco en pleine flower power, moi, ça me fait tout drôle. Par contre, je ne connais absolument pas leur musique, ce qui est totalement ridicule, je le concède. Rapidement, notre hippie monopolise la conversation. Il faut dire qu’on est tous un peu curieux et mine de rien, subjugués. A l’heure actuelle elle habite Hawaï et j’avoue n’avoir pas bien retenu ce qu’elle venait faire ici.
Pendant ce temps là, nous avons été rejoint par une cinquième personne, un homme émacié cheveux gris et mi-longs d’une bonne soixantaine également. Sans trop de difficulté je devine que c’est un ancien des années psychédéliques, bien qu’il ai beaucoup moins souffert que notre amie, intime de Jerry Garcia. On sent comme une certaine affinité entre eux, d’ailleurs. Notre homme, quand à lui, vient de Santa Barbara, juste au nord de Los Angeles ce qui ne manque pas de lui attirer une remarque de ma part. Je vous avoue que j’ai eu une période de mon adolescence où j’étais totalement accroc au « soap opera » « Santa Barbara », sorte de mélange entre « Dallas » et « Les Feux de l’Amour » totalement débile. Du coup, je ne peux résister à l’envie de lui expliquer qu’en France on ne connait Santa Barbara qu’à travers cette minable série télévisée, ce qui ne donne pas un aperçu très positif de l’endroit. Fort heureusement, il me détrompe. Santa Barbara, d’après lui, était jusque dans les années 80 un havre de la contre-culture, sorte d’Arcata du sud, si j’ai bien compris. Ce n’est que bien plus tard que de riches familles de Los Angeles y envoyèrent leurs riches rejetons y étudier dans l’université locale, pourrissant un peu l’atmosphère. Néanmoins, d’après lui, ça reste un endroit calme et libéral (au sens américain du terme, encore une fois). De la même manière, je ne me souviens plus ce qui l’a poussé à remonter plus au nord pour séjourner à Arcata.
C’est donc pendant une bonne heure autour d’un petit déjeuner presque commun, certains assis à la table et d’autres adossés aux buffets, que je découvre ces personnages étonnants. Pour vous dire à quel point l’ambiance était bonne, je fini par échanger mes coordonnées avec Christine, qui me propose de me sous louer son appartement pendant mon séjour final à New York mais également, je propose à Sabita de l’accompagner à Mount Shasta. Figurez-vous que cette petite suissesse souhaite participer à un « Rainbow Gathering», communauté éphémère, spontanée, baba-cool et alternative, justement en cours de réunion au pied du Mount Shasta. Qui a dit que les hippies et beatniks étaient morts?
Encore un peu plus et l’amie de Jerry Garcia nous proposait de l’herbe qui fait rire ou des pastilles qui font planer. Ce qui est un peu tôt pour le petit déjeuner. Sur ce, je vous laisse avec Jerry Garcia et sa bande. Il n’est jamais mal de replonger dans l’utopie de cet univers.