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Les gens du Tamil Nadu

Il est grand temps que je vous parle des gens du Tamil Nadu. J’aurai pu dire « les gens de Pondichéry », mais comme Gingee n’est pas dans le territoire de Pondy et que j’y ai fait des rencontres sympathiques, je généralise massivement en englobant tout l’état. Oui, j’ai envie de généraliser aujourd’hui, même si chacun s’accorde à dire que c’est une connerie. De la même manière que j’ai envie de généraliser en affirmant crânement que tous les garçons pré-pubères d’Hampi ont perdu leur innocence. Voilà, comme ça, cela fera deux conneries d’écrites pour le même prix.

Tout d’abord, sans vouloir généraliser (je suis en pleine contradiction d’avec moi même), les tamouls me paraissent mieux nourris que les gens d’Hampi ou la majorité de mes congénères de Santa Cruz (East) à Mumbai. Les hommes sont parfois même assez costauds et ventripotents, voir grassouillets ce qui est une marque de bonne santé. On aurait presque envie de leur pincer la joue. Ceci dit, la plupart des gens restent relativement frêles malgré une pilosité importante au niveau de la lèvre supérieure pour la gente masculine.

Ensuite, sans vouloir généraliser (maintenant que j’y suis), je trouve les filles de Pondichéry plutôt jolie. On pourrait presque en faire un titre de chanson d’ailleurs, ça sonnerait du tonnerre. Je ne sais pas trop pourquoi à vrai dire. Mangent elles à leur faim ? Sont elles légèrement métissée ? Est-ce le bon air marin ? Le mystère reste entier. Il faut dire qu’un nombre important d’entre elles, comme à Mumbai dans certains quartiers plus riches, s’habillent un peu à l’occidental. Je ne veux pas être désobligeant avec le sari, mais je fini par l’associer avec « vieille femme acariâtre ».

Voilà pour l’aspect physique. Mais qu’en est-il du comportement ? A ce propos c’est fatiguant de devoir vous souffler les questions en permanence. Et bien pour ce qui est du comportement, je vais vous parler des quelques rencontres sympathiques que j’ai pu avoir.

Premièrement, alors que je me reposait tout flasque assis sur un banc du parc Bharati, à l’ombre en train de lire sur la liseuse électronique un passage particulièrement original des aventures du capitaine Bolitho, qui devait sans doute ordonner une nouvelle fois de larguer les chaloupes avant un combat. Il n’arrête pas. On voit que ce n’est pas lui qui les paye, les chaloupes. Mais, bref. J’étais donc tout absorbé dans la manœuvre, quand je sens une nouvelle présence à ma gauche, partageant mon banc. Dans un pays de près d’un milliard d’habitant, je ne vais pas m’énerver parce que quelqu’un partage mon banc. Assez rapidement, mon voisin rompt le silence en me demandant si ce que je tiens dans la main est un téléphone portable. C’est vrai qu’on en fait maintenant des très gros. Je lui explique donc que c’est un livre, et le sentant curieux, on engage un peu plus la conversation avec, rappelez-vous, le classique questionnaire en trois questions : pays d’origine, nom, métier, âge, statut marital. Une vingtaine d’année, un peu maigre, une fine moustache naissant, habillé en jean et polo bleu, je découvre au fur et à mesure Satiraj, un jeune étudiant en mathématiques de l’université de Chennai, descendu à Pondy passer quelques vacances chez des amis. La conversation se fait dans un anglais imparfait car il n’a commencé à l’apprendre qu’à l’université. Il me raconte qu’il vient d’une famille pauvre du Tamil Nadu, non loin du Karnataka (je me crispe dés qu’on évoque un état de pauvreté, attendant une demande d’argent), mais que de ses frères, il est le seul à avoir pu faire des études supérieures. On parle futur et il m’explique qu’il va entamer à la rentrée deux années d’études de droit pour devenir juge, son ambition. Malheureusement, il va falloir qu’il potasse sérieusement son anglais, car à ma connaissance, c’est la langue officielle de toute l’administration. Pendant deux heures, on parle voyages, de Chennai et d’autres choses de la vie quotidienne mais je garde de Satiraj le souvenir d’un petit gars souriant et avec une ambition qui faisait plaisir à voir. Même si je regrette qu’il ai abandonné les mathématiques. Et en plus il ne m’a même pas demandé de l’argent. A vrai dire, il m’a même affirmé qu’il viendrait tout les jours à la même heure sur le même banc au cas où je serai là pour poursuivre la conversation. Chose que j’ai complètement oublié le lendemain, ingrat que je suis.

Une autre fois, alors que cette fois-ci je contemplai tranquillement l’agitation contenue de l’avenue Goubert en soirée (le front de mer, si vous avez bien suivi), assis sur un banc avec mon appareil photo prêt à mitrailler la moindre petite scène sympathique, je suis abordé par un larron, relativement jeune et non moustachu, muni de petits tambours pendant autour du cou. Je le regarde et il se met à jouer d’un tabla en faisant moduler la hauteur comme les pros. Moi la musique j’aime bien. Il me demande si je veux acheter une de ses percussions, mais je lui explique en rigolant que c’est trop gros et que ça ne rentrera jamais dans mon sac à dos. On papote alors qu’il tente régulièrement de me vendre une autre de ses percussions en précisant qu’elles sont faites maison, par ses soins, en peau de chèvre ou de touriste, qui sait. Comme je n’arrête pas de lui poser des questions sur comment il les fabrique, il fini par s’asseoir à côté de moi, et sentant qu’il commence tout doucement à lâcher sa démarche commerciale, je lui demande s’il est musicien, s’il joue dans des concerts et d’où il vient. Figurez-vous que Raj, car tel est son prénom, vient de Varanasi (donc au nord de l’Inde), la ville sacrée, qu’il joue des percussions (notamment le djembé honni depuis que tout le monde en France a décidé que c’était cool d’en jouer dans les parcs à toute heure) pour des mariages et autres événements mais qu’il gagne également de l’argent en vendant ses propres instruments à Pondichéry ou à Goa, deux endroits touristiques et assez festifs d’Inde. On a donc une joli conversation nocturne autour des percussions (c’est un grand fan des darboukas et autres percussions nord africaines) et finalement, avant qu’il ne se lève pour reprendre sa vente, je lui file 100 roupies car il faut toujours supporter les musiciens. Mais ses percus, il peut s’asseoir dessus même si j’adore le bruit qu’il fait avec ses tablas : pooïiii, pooïiii. D’ailleurs il m’en fait un rien que pour moi avant de partir en me saluant. Poooïiii, Brave gars ce Raj.

Encore plus exotique, alors que je cruisait nonchalamment en scoutaire au sud de Pondichéry, je décide de partir au hasard explorer la bande de terre séparant la grande route partant vers le sud et le front de mer. Je prends une première route à gauche et après quelques minutes rebrousse chemin. Rien à voir par là. Je retente un peu plus loin et après quelques méandres dans une sorte de village ou j’évite quelques poules et autres ralentisseurs, je retombe sur la grande route. Encore raté. Au troisième essai, me fiant à mon sens de l’orientation, à la direction du soleil et au hasard, je tombe sur un nouveau petit village muni de hauts-parleurs diffusant une musique festive. Voilà qui est curieux. Je progresse à vitesse réduite pour éviter quelques enfants qui me font « hello » et des vieilles qui me tirent la tronche et après un rebroussage de chemin devant un trio d’indiens qui m’avaient pourtant jeté des regards surpris et interrogatifs à l’aller  (oui, bon, ça va, j’explore quoi!), je tombe sur une petite place donnant sur la plage. Une grande scène est en train d’être installée dos à la mer avec éclairages et amplification. Ceci explique donc l’ambiance festive : il se prépare quelque chose. Je pose mon scoutaire et, devant le regard de quelques villageois, me dirige vers la plage d’un pas assuré (toujours donner l’air de savoir où on va, c’est important). DSC_5315_DxODe multiples barques colorées jonchent le sable pendant qu’un groupe d’hommes bavarde à l’ombre des cocotiers en reprisant un filet. Je m’assois dans un coin à l’abri des barques pour tenter de photographier subrepticement les pêcheurs. Au bout d’un moment, alors que je contemplais une nouvelle fois la mer (j’ai l’impression de faire que ça en me relisant), des bruits de pas dans le sable m’alertent à ma droite. Je lève les yeux et un tamoul plutôt trapu et moustachu se dresse au dessus de moi en habit traditionnel. On se dit bonjour mutuellement via un échange cordial de vanakaams et s’engage alors une conversation en pseudo-anglais ultra simplifié soutenu par de multiples gestes. Pendant une heure on converse ensemble (je divulgue naturellement mon nom, mon pays d’origine et de toutes ces sortes de choses) et je comprends que mon interlocuteur est un pêcheur. Surpris de voir autant de barques sur la plage et personne en mer, il me réponds que le village est en train de préparer la grande fête du temple qui commencera demain après midi pendant trois jours. Les pêcheurs ne reprendront la mer que lundi (et oui, nous étions jeudi) et d’où l’agitation autour de la scène. Et bien figurez-vous que j’ai réussi à tenir une conversation ultra simplifiée avec lui sur l’influence de la mousson sur la pêche, sur le prix des poissons et divers autres petites choses malgré une barrière de la langue plutôt haute. Résultat, il m’a invité à venir à la fête le lendemain en me promettant qu’il y aurai plein de bonnes choses à manger. Si, si. Mais comme je suis un pleutre, que je ne me sentais ni de relouer un scooter une deuxième fois, ni de prendre un bus, ni d’y aller tout seul, je n’y suis pas allé. Peut être le regretterai-je un jour.

Jusqu’ici je ne vous ai parlé que de rencontres masculines notamment avec des moustachus. Mais il m’est également arrivé d’interagir avec des femmes. Tenez, pas plus tard que la fois où je déambulait un matin sur le front de mer de Pondichéry (encore???!) à la recherche d’une bouteille de Pepsi. A peine avais-je dévissé la sus mentionnée bouteille, qu’une petite bonne femme d’âge avancé en sari bleu et blanc me lance un « Vous êtes français ? » avec un merveilleux léger accent créolisant.

  • Oui, tout à fait. Mais comment se fait-il que vous parliez si bien le français?
  • Je suis créole. J’ai appris chez les bonnes sœurs.

Et voilà, encore un ordre religieux qui force les jeunes filles tamoules à apprendre le français. Bel esprit colonialiste, ça encore, pense-je. Et bien pas tout à fait. La dame en question, orpheline, fut recueilli (comme de nombreuses autres) par l’ordre de Saint Joseph de Cluny (l’autre grand propriétaire foncier de Pondy). On lui y donna une petite éducation, notamment un apprentissage du français totalement convaincant et y réside encore actuellement. Sentant qu’elle avait un certain plaisir à parler la langue de Jean Sarkozy (oui, Molière ça fait trop cliché), je la presse de quelques questions sur Pondichéry et, bien entendu, passage à Chalon-sur-Saône oblige, du lien entre Saint Joseph de Cluny et la ville de Cluny. Je ne sais pas si elle a bien compris ma question, mais si c’est le cas, il y a effectivement un lien, mais de quelle nature, je ne le sait point. Fort heureusement, Wikipédia est là pour vous.

Finalement, dans le chapitre rencontres notables avec les gens du Tamil Nadu (je vous parle des plus marquantes et passe sous silence les deux trois autres étudiants et autres vendeurs croisés), je ne peux omettre cet épisode incroyablement flatteur pour mon ego. Alors que je marchait au milieu des ruines du palais à Gingee (vous remarquerez que je passe mon temps à marcher, flâner ou déambuler), j’entends un « hello !» derrière moi, vers ma gauche. Il faut que je vous précise que cela faisait déjà au moins cinq fois que j’avais été interrompu par des « hellos » au cours de ma visite, toujours avec le sourire et toujours pour les mêmes questions. Sauf que cette fois-ci, je découvre deux jeunes femmes accroupies sur l’herbe, des cahiers devant elles. Voilà qui est moins commun. D’habitude je suis interpellé par des jeunes gars à peine moustachus ou de jeunes enfants curieux. Il m’est même arrivé à Gingee de devoir décliner (timing et soif oblige) une invitation à la conversation par un groupe de cinq jeunes gens, dont un habillé en femme dans un sari vert. Véridique. Mais revenons à nos deux jeunes femmes. Une des deux, en sari jaune, me répète l’invitation : « hello ». Je réponds avec le sourire et me dirige tranquillement vers elles, ayant un peu l’habitude maintenant. Quand on est une rock-star, il faut savoir donner à son public. D’un anglais plutôt bon, mais un peu hésitant, la moins farouche des deux me demande de quel pays je viens, si je suis à Gingee pour plusieurs jours, ce que je fait en Inde, bref, des questions un peu originales. Elle aussi a manifestement plaisir à tester son anglais sur un étranger (car tous les étrangers parlent anglais, bien évidemment). Assez rapidement, néanmoins, elle me pose LA question que ce posent tous les indiens : are you married ? A ma réponse négative, elle est toute surprise et me demande pourquoi. Je lui explique qu’en Europe, ce n’est pas comme ici, et que nous sommes tous des dépravés libertins depuis les années soixantes. Bien entendu, je simplifie pour que ça rentre dans notre champs lexical commun. A mon tour, je demande si elles sont étudiantes et la plus délurée (la seule qui me pose des questions, d’ailleurs) m’informe qu’elles sont encore au lycée mais qu’elles iront à l’université l’année prochaine. Elle est vraiment pas farouche pour une indienne, dites donc. Assez intriguée par mon statut marital, elle me demande si je vais me marier à mon retour de voyage auquel je réponds un « peut être, qui sait », bien normand. Ne lâchant pas l’affaire sur cette histoire de mariage, elle me demande si j’épouserai une indienne. Mais pourquoi pas, enfin pas une lycéenne, non ça c’est sur. Je leur avoue que je trouve les filles de Pondichéry particulièrement mignonnes (je généralise, rappelez-vous) et la jeune lycéenne en sari jaune me demande si j’aime les filles du Tamil Nadu. Tout ceci me fait gentiment sourire car cela vire tout doucement au flirt. Elle continu en me demandant si je l’inviterai à mon mariage. Et bien je ne sais pas, pourquoi pas. Finalement, je décide d’abréger poliment la conversation et leur souhaite la bonne journée avec le sourire. Avant que je parte, la jolie délurée me demande : « can I have your telephone number ? ». Décidément, elle n’est vraiment pas farouche pour une indienne. Je décline poliment et repart en marchant vers mon ascension de la deuxième colline.

A peine avais-je marché cinq minutes que j’entends un bruit de mobylette venant derrière moi. Je me retourne et reconnais mes deux lycéennes, avec la plus délurée au guidon. Elles descendent précipitamment et ma groupie me demande si j’accepterai d’être pris en photo avec elle. Ruisselant de sueur, mon polo me collant au torse, je cède à ma curiosité et lui demande pourquoi en rigolant. « Because you are so beautiful ! », me répond elle.

Ce n’est pas moi qui l’ai dit et je n’ai rien à ajouter.

Gingee

Non loin de Pondichéry, à quelques 70km au nord-ouest se trouve la ville de Gingee (que l’on prononce « jinji », je crois). Ça me fait une belle jambe me diriez vous, mais il se trouve que c’est également le lieu d’un ancien complexe de forts construit initialement au 9ème siècle et qui passa ensuite de mains en mains en fonction du pouvoir du moment. Initialement construit par l’empire Chola, il fut ensuite repris par l’empire Vijayanagar (oui, tout à fait, le même qu’à Hampi), puis Moghol (le Taj Mahal, c’est eux) et enfin britannique (Big Ben, c’est eux). Chacun apporta sa petit pièce à l’édifice, sauf les britanniques, car il faisait trop chaud. Mais surtout, l’histoire retiendra que ce fut l’occasion pour moi d’une petite sortie journée avec un mémorable aller-retour en bus.

Départ le matin relativement tôt car mine de rien, 70km en bus en Inde, ce n’est pas la porte à côté. Il faut compter facilement deux heures de trajet. On irait presque plus vite à vélo. Je m’apprête donc à entamer la première étape du voyage en demandant au propriétaire de la guest house (dont je vous parlerai sans doute dans un autre billet car il incarne à lui tout seul par son physique toute la noblesse indienne) son estimation d’une course de rickshaw vers la gare routière de Pondy. Pour avoir fait ce trajet deux fois à pieds, je le savais être de distance moyenne, proche de quarante minutes de marche. L’estimation tombe : autour de 60 roupies.

70 roupies plus tard, me voici arrivé à la gare routière où commence la sempiternelle période d’observation des lieux à la recherche d’un éventuel panneau « départs ». Non, je plaisante. Je ne cherche même pas, d’une part car je commence à avoir l’habitude et surtout car j’avais déjà repéré les lieux. Je me dirige donc directement vers un comptoir quelconque (oui car il y a plusieurs compagnies de bus), et interrompt le préposé dans ses travaux (dont je n’identifie pas la nature) en demandant, après un vanakaam d’usage, « Where is the bus to Gingee ? ». Je suis quand même poli. Au passage, « vanakaam » veut dire bonjour en tamoul. Je me rends compte assez rapidement que contrairement à ce que je vous ai dit plus haut, Gingee ne se prononce pas « jinji » car une incompréhension évidente se lit sur les traits de mon interlocuteur. Heureusement, j’avais été prévoyant, et sort mon petit carnet où j’avais inscrit les six lettres « GINGEE », carnet que je fourre dans le champs de vision du préposé. Il me fait un vague signe derrière moi à gauche en disant « tirouvanamalaï ». N’étant plus né de la dernière pluie, et ayant au préalable potassé le sujet, j’acquiesce et me dirige vers la plate-forme indiqué : Tirruvanamalai est la grande ville dans la direction de Gingee. Néanmoins, je constate que mon cerveau a toujours du mal à retenir ces noms de villes indiennes que je massacre encore de mémoire en tiruvanalaman ou tiruvaïlamanam. Si toutes les villes pouvaient s’appeler Gingee ou Goa, ce serait plus simple.

DSC_5347_DxOJe repère un bus garé, de marque Ferrari, avec un panneau derrière le pare brise indiquant en alphabet tamoul et latin ma destination. Les bus locaux ne sont pas de première jeunesse mais ça m’a l’air rustique et costaud. De plus, il me tarde d’entendre rugir le V12 atmosphérique de Maranello qui doit se cacher sous ce capot anodin. Je patiente donc en observant les gens, mon occupation favorite. Rapidement je constate des mouvements dans le bus. Des personnes commencent déjà à s’asseoir. Je DSC_5351_DxOprends donc les devants et m’approche d’un préposé non loin du bus en lui demandant « Gingee ? », un doigt pointé vers le bus. Affirmatif. Parfait. C’est presque trop facile que ça n’en devient plus drôle. Je monte donc et me pose à l’arrière afin de pouvoir mater mes congénères.

Quelques minutes plus tard, le bus au trois quart rempli, nous démarrons. Bon et bien c’est raté pour le V12. On est plus proche du gros mono cylindre quatre temps. Une douce musique pop indienne lutte contre le bruit du moteur pendant que nous quittons la gare routière. Je n’ai pas honte d’avouer que je ne déteste pas, surtout le deuxième morceau avec une montée de cordes que même John Barry ne fait plus depuis les années 60 et qui s’enchaîne avec une rythmique tabla / tambourin du tonnerre, le tout soutenant une mélodie chantée par une soprane doublement émasculée. Oui, je tapote du pied là dessus. Nous quittons péniblement Pondichéry en s’arrêtant tous les cent mètres pour laisser quelqu’un monter ou descendre. A ce rythme là, on n’est pas rendu.

Effectivement, quelques deux heures plus tard, nous n’étions pas rendu et c’est finalement plutôt après trois heures de trajet cahotant que nous parvenons finalement à la gare routière de Gingee. Je me béni de multiples fois d’avoir potassé mon Lonely Planet, car mon seul indice pour identifier l’arrêt est une ruine de ce qui ressemble à un fort, au sommet d’une colline au bord de la ville. Et puis d’abord même si ce n’est pas Gingee, vous n’en sauriez rien. A part ça, aucune annonce, rien du tout ou alors en alphabet tamoul.

Je descends du bus avec plusieurs autres personnes dans une ambiance poussiéreuse et suis assez rapidement mordu au mollet par la meute habituelle de conducteurs de rickshaws. Je décline, comme d’habitude et m’engage le long de la grande rue, à la cacophonie habituelle, en gardant à l’œil le fort sur sa colline, au loin à gauche. Ma tactique consiste à prendre la première grande rue à gauche pour se rapprocher du fort. Dix minutes plus tard, en nage, je décide d’abandonner n’ayant croisé aucune route digne de ce nom (justes quelques misérables allées sentant le cloaque). Je rebrousse chemin et me prépare mentalement à prendre un rickshaw.

DSC_5380_DxOAllégé de 100 roupies et après un minuscule trajet de cinq minutes (l’ordure!), le rickshaw me dépose sur une route, devant une grande allée de terre menant à la colline aperçu. C’est déjà assez impressionnant vu d’ici et l’ascension va être poisseuse, je le sens. En réalité le site regroupe trois collines d’une nature très proche de Hampi car également granitiques. De la même manière, de gros blocs habités par quelques singes parsèment le paysage.

DSC_5357_DxOLe premier fort visité, le moins haut, permet déjà d’avoir une superbe vue sur l’ensemble du complexe et sur la ville de Gingee (qui n’a pas énormément d’intérêt). L’endroit est vraiment sympathique et un petit air frais souffle au sommet. J’en profite du coupDSC_5365_DxO pour refroidir après une montée qui me laisse humide et collant. Je fini ma première bouteille d’un litre et attaque mon déjeuner consistant en un anodin sandwich fait maison pain en tranches, tomate et fromage sous plastique pour respecter le cesser le feu négocié avec mon estomac.

La deuxième partie du complexe se situe de l’autre côté de la route. Au pied de la colline on trouve les vestiges d’un ancien palais dans un très agréable espace paysagé. Au passage, les préposés à la billetterie se foutent de ma gueule en voyant mon ticket acheté au premier fort, désormais dans un état DSC_5385_DxOlamentable après les litres de sueurs absorbés pendant la première ascension. La deuxième est pas mal non plus d’autant plus que l’heure avance et le site ferme à 16h. Cette deuxième colline est encore plus haute et le fort plus important. Une petite heure plus tard, la vue est splendide eDSC_5391_DxOt la lumière devient intéressante. Malheureusement, on est rapidement invités à se hâter pour redescendre avant la fermeture du site. Je repart donc assez rapidement après avoir éclusé ma deuxième bouteille d’eau et me retrouve à sec.

Juste avant la fermeture je suis de nouveau en bas et me dirige directement vers un vendeur ambulant pour lui acheter une bouteille de Coca frais et un nouveau litre d’eau. Oui car au final, toute cette journée se résume à des histoires d’approvisionnement en boisson. Il me reste encore à retourner prendre le bus à Gingee pour être de retour à Pondy en soirée. Cette fois-ci, il est hors de question qu’un rickshaw me rackette et je part donc à pied vers la ville. Fort DSC_5390_DxOheureusement, le soleil étant un peu plus bas désormais, la ballade n’est pas désagréable, hormis quand j’arrive en ville ou je note quelques attroupements de gens à un croisement ce qui m’oblige à me frayer un chemin sur la route. J’ai envie de demander, et alors ?

Je me retrouve donc de nouveau à la gare routière de Gingee et sans perdre trop de temps dans des simagrées d’occidentaux pourris par le confort, je demande au premier type habillé en marron caca d’oie : « bus pondichéry ? ». Il me réponds par la négative puis me fait un signe par où je suis venu en me lançant un « crossroad, crossroad ». Ah. Je sens que ça va redevenir intéressant tout à coup. Je rebrousse donc chemin en espérant que l’arrêt de bus pour Pondy ne se trouve pas quelque part au niveau des attroupements que je venais de croiser. Premièrement, je note qu’il y a trois attroupements différents, espacés d’environ vingt mètres chacun, sans aucune indication particulière. Ce sera donc la loterie complète pour savoir où attendre. Deuxièmement, je note rapidement que chaque bus qui descend en dessous de cinq kilomètres heures à proximité d’un attroupement se fait littéralement assaillir. Et troisièmement, après trente minutes d’attente, force est de constater qu’aucun bus n’aborde une indication en alphabet latin, contrairement à ce matin à Pondy. Et pas de trace d’un bus Ferrari. Ca va être coton.

Je me résout donc à utiliser un joker et demande au premier quidam avec un vague air d’éducation (en espérant qu’il parle anglais) comment faire pour reconnaître le bus pour Pondichéry. Est-ce un coup de bol ou est-ce Vishnu qui me protège, le gentilhomme me répond avec un sourire « I go to Pondichéry. Follow me ». Le saint homme. Nous attendons donc quelques minutes pendant lesquels deux ou trois bus passent en lâchant et attrapant des grappes humaines. Un autre bus amorce sa décélération cinquante mètres en amont et mon bon samaritain se penche pour tenter de déchiffrer son panneau. Tout à coup il se retourne vers moi et me fait un signe. Nous nous mettons à jogger avec d’autres vers le bus qui s’arrête à vingt mètres devant un autre attroupement. On tente de s’insérer dans le bus bourré et je parviens plus ou moins à caser mon sac à dos entre mes pieds. Malheureusement, le trajet se fera debout et mon sauveur me fait un sourire suivi d’un haussement d’épaule. Je réponds par un sourire parce que, merde, on n’est pas des bourgeois quoi ! Si les indiens peuvent le faire, je peux le faire : trois heures de rodéo debout !

Au final, après une heure de trajet où chacun s’accroche comme il peut dans les cahots, freinages et accélérations du bus, quelques personnes descendent. Pour une raison que j’ignore (de la gentillesse sans doute et l’envie de satisfaire un étranger), deux ou trois indiens (en même temps, je suis le seul étranger) m’enjoignent de prendre une place assise libre, en insistant. Bon, bon et bien ssank you. Je m’assoit et profite des deux dernières heures à observer le paysage dans le brouhaha habituel des grincements mécaniques, de la musique et des conversations. Finalement on arrive à Pondy en début de soirée, alors que le soleil décline, et je me paye un dernier tronçon en rickshaw vers la guest house, au tarif de 80 roupies. Ça avait encore augmenté, les salauds !