Il est grand temps que je vous parle des gens du Tamil Nadu. J’aurai pu dire « les gens de Pondichéry », mais comme Gingee n’est pas dans le territoire de Pondy et que j’y ai fait des rencontres sympathiques, je généralise massivement en englobant tout l’état. Oui, j’ai envie de généraliser aujourd’hui, même si chacun s’accorde à dire que c’est une connerie. De la même manière que j’ai envie de généraliser en affirmant crânement que tous les garçons pré-pubères d’Hampi ont perdu leur innocence. Voilà, comme ça, cela fera deux conneries d’écrites pour le même prix.
Tout d’abord, sans vouloir généraliser (je suis en pleine contradiction d’avec moi même), les tamouls me paraissent mieux nourris que les gens d’Hampi ou la majorité de mes congénères de Santa Cruz (East) à Mumbai. Les hommes sont parfois même assez costauds et ventripotents, voir grassouillets ce qui est une marque de bonne santé. On aurait presque envie de leur pincer la joue. Ceci dit, la plupart des gens restent relativement frêles malgré une pilosité importante au niveau de la lèvre supérieure pour la gente masculine.
Ensuite, sans vouloir généraliser (maintenant que j’y suis), je trouve les filles de Pondichéry plutôt jolie. On pourrait presque en faire un titre de chanson d’ailleurs, ça sonnerait du tonnerre. Je ne sais pas trop pourquoi à vrai dire. Mangent elles à leur faim ? Sont elles légèrement métissée ? Est-ce le bon air marin ? Le mystère reste entier. Il faut dire qu’un nombre important d’entre elles, comme à Mumbai dans certains quartiers plus riches, s’habillent un peu à l’occidental. Je ne veux pas être désobligeant avec le sari, mais je fini par l’associer avec « vieille femme acariâtre ».
Voilà pour l’aspect physique. Mais qu’en est-il du comportement ? A ce propos c’est fatiguant de devoir vous souffler les questions en permanence. Et bien pour ce qui est du comportement, je vais vous parler des quelques rencontres sympathiques que j’ai pu avoir.
Premièrement, alors que je me reposait tout flasque assis sur un banc du parc Bharati, à l’ombre en train de lire sur la liseuse électronique un passage particulièrement original des aventures du capitaine Bolitho, qui devait sans doute ordonner une nouvelle fois de larguer les chaloupes avant un combat. Il n’arrête pas. On voit que ce n’est pas lui qui les paye, les chaloupes. Mais, bref. J’étais donc tout absorbé dans la manœuvre, quand je sens une nouvelle présence à ma gauche, partageant mon banc. Dans un pays de près d’un milliard d’habitant, je ne vais pas m’énerver parce que quelqu’un partage mon banc. Assez rapidement, mon voisin rompt le silence en me demandant si ce que je tiens dans la main est un téléphone portable. C’est vrai qu’on en fait maintenant des très gros. Je lui explique donc que c’est un livre, et le sentant curieux, on engage un peu plus la conversation avec, rappelez-vous, le classique questionnaire en trois questions : pays d’origine, nom, métier, âge, statut marital. Une vingtaine d’année, un peu maigre, une fine moustache naissant, habillé en jean et polo bleu, je découvre au fur et à mesure Satiraj, un jeune étudiant en mathématiques de l’université de Chennai, descendu à Pondy passer quelques vacances chez des amis. La conversation se fait dans un anglais imparfait car il n’a commencé à l’apprendre qu’à l’université. Il me raconte qu’il vient d’une famille pauvre du Tamil Nadu, non loin du Karnataka (je me crispe dés qu’on évoque un état de pauvreté, attendant une demande d’argent), mais que de ses frères, il est le seul à avoir pu faire des études supérieures. On parle futur et il m’explique qu’il va entamer à la rentrée deux années d’études de droit pour devenir juge, son ambition. Malheureusement, il va falloir qu’il potasse sérieusement son anglais, car à ma connaissance, c’est la langue officielle de toute l’administration. Pendant deux heures, on parle voyages, de Chennai et d’autres choses de la vie quotidienne mais je garde de Satiraj le souvenir d’un petit gars souriant et avec une ambition qui faisait plaisir à voir. Même si je regrette qu’il ai abandonné les mathématiques. Et en plus il ne m’a même pas demandé de l’argent. A vrai dire, il m’a même affirmé qu’il viendrait tout les jours à la même heure sur le même banc au cas où je serai là pour poursuivre la conversation. Chose que j’ai complètement oublié le lendemain, ingrat que je suis.
Une autre fois, alors que cette fois-ci je contemplai tranquillement l’agitation contenue de l’avenue Goubert en soirée (le front de mer, si vous avez bien suivi), assis sur un banc avec mon appareil photo prêt à mitrailler la moindre petite scène sympathique, je suis abordé par un larron, relativement jeune et non moustachu, muni de petits tambours pendant autour du cou. Je le regarde et il se met à jouer d’un tabla en faisant moduler la hauteur comme les pros. Moi la musique j’aime bien. Il me demande si je veux acheter une de ses percussions, mais je lui explique en rigolant que c’est trop gros et que ça ne rentrera jamais dans mon sac à dos. On papote alors qu’il tente régulièrement de me vendre une autre de ses percussions en précisant qu’elles sont faites maison, par ses soins, en peau de chèvre ou de touriste, qui sait. Comme je n’arrête pas de lui poser des questions sur comment il les fabrique, il fini par s’asseoir à côté de moi, et sentant qu’il commence tout doucement à lâcher sa démarche commerciale, je lui demande s’il est musicien, s’il joue dans des concerts et d’où il vient. Figurez-vous que Raj, car tel est son prénom, vient de Varanasi (donc au nord de l’Inde), la ville sacrée, qu’il joue des percussions (notamment le djembé honni depuis que tout le monde en France a décidé que c’était cool d’en jouer dans les parcs à toute heure) pour des mariages et autres événements mais qu’il gagne également de l’argent en vendant ses propres instruments à Pondichéry ou à Goa, deux endroits touristiques et assez festifs d’Inde. On a donc une joli conversation nocturne autour des percussions (c’est un grand fan des darboukas et autres percussions nord africaines) et finalement, avant qu’il ne se lève pour reprendre sa vente, je lui file 100 roupies car il faut toujours supporter les musiciens. Mais ses percus, il peut s’asseoir dessus même si j’adore le bruit qu’il fait avec ses tablas : pooïiii, pooïiii. D’ailleurs il m’en fait un rien que pour moi avant de partir en me saluant. Poooïiii, Brave gars ce Raj.
Encore plus exotique, alors que je cruisait nonchalamment en scoutaire au sud de Pondichéry, je décide de partir au hasard explorer la bande de terre séparant la grande route partant vers le sud et le front de mer. Je prends une première route à gauche et après quelques minutes rebrousse chemin. Rien à voir par là. Je retente un peu plus loin et après quelques méandres dans une sorte de village ou j’évite quelques poules et autres ralentisseurs, je retombe sur la grande route. Encore raté. Au troisième essai, me fiant à mon sens de l’orientation, à la direction du soleil et au hasard, je tombe sur un nouveau petit village muni de hauts-parleurs diffusant une musique festive. Voilà qui est curieux. Je progresse à vitesse réduite pour éviter quelques enfants qui me font « hello » et des vieilles qui me tirent la tronche et après un rebroussage de chemin devant un trio d’indiens qui m’avaient pourtant jeté des regards surpris et interrogatifs à l’aller (oui, bon, ça va, j’explore quoi!), je tombe sur une petite place donnant sur la plage. Une grande scène est en train d’être installée dos à la mer avec éclairages et amplification. Ceci explique donc l’ambiance festive : il se prépare quelque chose. Je pose mon scoutaire et, devant le regard de quelques villageois, me dirige vers la plage d’un pas assuré (toujours donner l’air de savoir où on va, c’est important). De multiples barques colorées jonchent le sable pendant qu’un groupe d’hommes bavarde à l’ombre des cocotiers en reprisant un filet. Je m’assois dans un coin à l’abri des barques pour tenter de photographier subrepticement les pêcheurs. Au bout d’un moment, alors que je contemplais une nouvelle fois la mer (j’ai l’impression de faire que ça en me relisant), des bruits de pas dans le sable m’alertent à ma droite. Je lève les yeux et un tamoul plutôt trapu et moustachu se dresse au dessus de moi en habit traditionnel. On se dit bonjour mutuellement via un échange cordial de vanakaams et s’engage alors une conversation en pseudo-anglais ultra simplifié soutenu par de multiples gestes. Pendant une heure on converse ensemble (je divulgue naturellement mon nom, mon pays d’origine et de toutes ces sortes de choses) et je comprends que mon interlocuteur est un pêcheur. Surpris de voir autant de barques sur la plage et personne en mer, il me réponds que le village est en train de préparer la grande fête du temple qui commencera demain après midi pendant trois jours. Les pêcheurs ne reprendront la mer que lundi (et oui, nous étions jeudi) et d’où l’agitation autour de la scène. Et bien figurez-vous que j’ai réussi à tenir une conversation ultra simplifiée avec lui sur l’influence de la mousson sur la pêche, sur le prix des poissons et divers autres petites choses malgré une barrière de la langue plutôt haute. Résultat, il m’a invité à venir à la fête le lendemain en me promettant qu’il y aurai plein de bonnes choses à manger. Si, si. Mais comme je suis un pleutre, que je ne me sentais ni de relouer un scooter une deuxième fois, ni de prendre un bus, ni d’y aller tout seul, je n’y suis pas allé. Peut être le regretterai-je un jour.
Jusqu’ici je ne vous ai parlé que de rencontres masculines notamment avec des moustachus. Mais il m’est également arrivé d’interagir avec des femmes. Tenez, pas plus tard que la fois où je déambulait un matin sur le front de mer de Pondichéry (encore???!) à la recherche d’une bouteille de Pepsi. A peine avais-je dévissé la sus mentionnée bouteille, qu’une petite bonne femme d’âge avancé en sari bleu et blanc me lance un « Vous êtes français ? » avec un merveilleux léger accent créolisant.
- Oui, tout à fait. Mais comment se fait-il que vous parliez si bien le français?
- Je suis créole. J’ai appris chez les bonnes sœurs.
Et voilà, encore un ordre religieux qui force les jeunes filles tamoules à apprendre le français. Bel esprit colonialiste, ça encore, pense-je. Et bien pas tout à fait. La dame en question, orpheline, fut recueilli (comme de nombreuses autres) par l’ordre de Saint Joseph de Cluny (l’autre grand propriétaire foncier de Pondy). On lui y donna une petite éducation, notamment un apprentissage du français totalement convaincant et y réside encore actuellement. Sentant qu’elle avait un certain plaisir à parler la langue de Jean Sarkozy (oui, Molière ça fait trop cliché), je la presse de quelques questions sur Pondichéry et, bien entendu, passage à Chalon-sur-Saône oblige, du lien entre Saint Joseph de Cluny et la ville de Cluny. Je ne sais pas si elle a bien compris ma question, mais si c’est le cas, il y a effectivement un lien, mais de quelle nature, je ne le sait point. Fort heureusement, Wikipédia est là pour vous.
Finalement, dans le chapitre rencontres notables avec les gens du Tamil Nadu (je vous parle des plus marquantes et passe sous silence les deux trois autres étudiants et autres vendeurs croisés), je ne peux omettre cet épisode incroyablement flatteur pour mon ego. Alors que je marchait au milieu des ruines du palais à Gingee (vous remarquerez que je passe mon temps à marcher, flâner ou déambuler), j’entends un « hello !» derrière moi, vers ma gauche. Il faut que je vous précise que cela faisait déjà au moins cinq fois que j’avais été interrompu par des « hellos » au cours de ma visite, toujours avec le sourire et toujours pour les mêmes questions. Sauf que cette fois-ci, je découvre deux jeunes femmes accroupies sur l’herbe, des cahiers devant elles. Voilà qui est moins commun. D’habitude je suis interpellé par des jeunes gars à peine moustachus ou de jeunes enfants curieux. Il m’est même arrivé à Gingee de devoir décliner (timing et soif oblige) une invitation à la conversation par un groupe de cinq jeunes gens, dont un habillé en femme dans un sari vert. Véridique. Mais revenons à nos deux jeunes femmes. Une des deux, en sari jaune, me répète l’invitation : « hello ». Je réponds avec le sourire et me dirige tranquillement vers elles, ayant un peu l’habitude maintenant. Quand on est une rock-star, il faut savoir donner à son public. D’un anglais plutôt bon, mais un peu hésitant, la moins farouche des deux me demande de quel pays je viens, si je suis à Gingee pour plusieurs jours, ce que je fait en Inde, bref, des questions un peu originales. Elle aussi a manifestement plaisir à tester son anglais sur un étranger (car tous les étrangers parlent anglais, bien évidemment). Assez rapidement, néanmoins, elle me pose LA question que ce posent tous les indiens : are you married ? A ma réponse négative, elle est toute surprise et me demande pourquoi. Je lui explique qu’en Europe, ce n’est pas comme ici, et que nous sommes tous des dépravés libertins depuis les années soixantes. Bien entendu, je simplifie pour que ça rentre dans notre champs lexical commun. A mon tour, je demande si elles sont étudiantes et la plus délurée (la seule qui me pose des questions, d’ailleurs) m’informe qu’elles sont encore au lycée mais qu’elles iront à l’université l’année prochaine. Elle est vraiment pas farouche pour une indienne, dites donc. Assez intriguée par mon statut marital, elle me demande si je vais me marier à mon retour de voyage auquel je réponds un « peut être, qui sait », bien normand. Ne lâchant pas l’affaire sur cette histoire de mariage, elle me demande si j’épouserai une indienne. Mais pourquoi pas, enfin pas une lycéenne, non ça c’est sur. Je leur avoue que je trouve les filles de Pondichéry particulièrement mignonnes (je généralise, rappelez-vous) et la jeune lycéenne en sari jaune me demande si j’aime les filles du Tamil Nadu. Tout ceci me fait gentiment sourire car cela vire tout doucement au flirt. Elle continu en me demandant si je l’inviterai à mon mariage. Et bien je ne sais pas, pourquoi pas. Finalement, je décide d’abréger poliment la conversation et leur souhaite la bonne journée avec le sourire. Avant que je parte, la jolie délurée me demande : « can I have your telephone number ? ». Décidément, elle n’est vraiment pas farouche pour une indienne. Je décline poliment et repart en marchant vers mon ascension de la deuxième colline.
A peine avais-je marché cinq minutes que j’entends un bruit de mobylette venant derrière moi. Je me retourne et reconnais mes deux lycéennes, avec la plus délurée au guidon. Elles descendent précipitamment et ma groupie me demande si j’accepterai d’être pris en photo avec elle. Ruisselant de sueur, mon polo me collant au torse, je cède à ma curiosité et lui demande pourquoi en rigolant. « Because you are so beautiful ! », me répond elle.
Ce n’est pas moi qui l’ai dit et je n’ai rien à ajouter.