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Accéder et quitter un port à pied

Au risque de me répéter, un port industriel, et à fortiori un port de containers, n’est pas fait pour les êtres humains. En tout cas, pas pour des piétons. Accéder au pied d’un porte container est déjà presque une aventure en soit, surtout si l’on souhaite limiter les frais.

Déjà, à Fos-sur-Mer, les choses se sont avérées légèrement plus compliquées que prévu. Venant de la gare Saint Charles à Marseille, je rejoint le village de Fos par un petit train surplombant la mer. Malheureusement, le centre du village où je dois séjourner les quelques jours avant le départ est à quelques kilomètres de l’autre côté d’un étang. A priori, sur la carte, une unique voie rapide automobile permet d’y accéder. Je tente de joindre des taxis par téléphone mais personne ne répond ou n’est disponible. A côté de moi, une femme accompagnée de son fils de dix ans tente de repérer un chemin piéton sur son smartphone. Nous décidons donc d’unir nos forces et partons à pied dans la direction de l’étang. Arrivé à un rond point, le constat est sans appel : aucun trottoir ne permet de marcher en toute sécurité. A ce moment là, une voiture s’arrête et un homme nous demande où nous allons. C’est donc en stop, conduit par notre bienfaiteur qui s’avère être brésilien, que nous rejoignons le village en constatant qu’il aurait été suicidaire de marcher le long de la voie rapide. Première embuche.

Quelques jours plus tard, je réserve un taxi, recommandé par l’agent local de la CMA CGM, pour rejoindre le bateau. Le terminal porte-container a beau faire partie de la commune de Fos, y accéder du village nécessite de faire tout le tour du port industriel, soit une bonne vingtaine de kilomètres et 25 euros de taxi. Au poste de sécurité du terminal, coaché par mon chauffeur qui a l’habitude, des employés blasés me demandent vaguement mon passeport et le nom du bateau. Finalement, mon taxi me dépose au pied du Columba, après avoir suivi un parcourt alambiqué dans le terminal. Rétrospectivement, c’est sans doute l’accès le plus aisé au cargo que j’ai eu, mais aussi le plus couteux.

Je passe l’accès au port de Gènes que j’ai déjà relaté dans un précédent billet mais à Malte, le Freeport se trouve juste en face d’une petite station balnéaire prénommée Il-Brolli. Les baigneurs ont d’ailleurs une vue imprenable sur la poignée de cargos qui y transitent et cela ajoute sans doute un divertissement gratuit ainsi que quelques reflets irisés d’hydrocarbures. Quelques heures avant l’arrivée au port, alors que nous sommes toujours en mer, on me fait signer une décharge de responsabilité puis on m’informe que je dois payer une taxe de 30€ auprès de l’agent local afin de pouvoir débarquer. Sympa.

Bien évidemment, la somme n’est payable qu’en liquide et je me retrouve donc sans le moindre sous à avant d’arriver à Malte. Heureusement, Doug me rembourse une partie des frais commun de taxi de Gênes avec un billet de 20€. Hormis l’attente de la navette qui nous permet de rejoindre le poste de sécurité du bateau, puis l’attente de la confirmation que nous faisons bien parti de l’équipage du Columba, nous parvenons à sortir du port sans aucun frais. Les marins du Columba nous avaient indiqué qu’un bus, le 82, permettait de relier la capitale, La Valette, du Freeport en une heure environ pour une somme modique. Nous marchons donc avec Doug et Mary jusqu’à l’arrêt du bus et je propose de payer les trois billets de bus avec le seul billet de 20€ en poche.

Assez rapidement, le bus arrive et nous montons, souriant avec de chaleureux « Good evening ». Je tend le billet de 20 et à sa vue, le chauffeur, visiblement agacé, me fait signe qu’il ne rend pas la monnaie sur ce montant, peu ou prou égal à 5€. Malgré son anglais peu clair et son ton désagréable, je comprend qu’il veut que je descende à un magasin dans 100m afin que j’y fasse la monnaie. Il s’arrête donc un peu plus loin, je lui demande si c’est bien ici et agacé me répond oui. Je descend donc rapidement avec mes deux sacs à dos et me rue dans un restaurant chinois. N’y voyant personne je ressort et repart rapidement jusqu’à une pâtisserie qui accepte de me faire la monnaie. Je court vers le bus que je trouve finalement garé à 10m de là, visiblement à l’arrêt, avec Doug et Mary à l’extérieur, le chauffeur leur ayant intimé l’ordre de sortir. Un beau trou du cul celui là.

Finalement, je rentre dans le bus et lui prend ses trois billets. Nous nous posons et le bus attend quelques minutes avant de repartir. J’ai alors tout le loisir de m’interroger sur l’attitude ultra-désagréable du chauffeur. Surtout, pourquoi nous avoir pressé d’aller chercher de la monnaie si c’est pour aller se garer un peu plus loin et attendre ? Bref, pour un premier contact avec des maltais, c’était loin d’être positif. Heureusement, nous atteignons finalement La Valette sans encombre et ruminons cet incident avec mes deux compagnons. Déjà que ce n’est pas évident pour les marins de quitter le port mais si en plus ils ont droit à ce traitement quand ils vont en ville, la réputation de Malte doit en souffrir.

Une grosse semaine plus tard je fait le chemin inverse. Ce jour-ci il y a fête religieuse dans le village en face du port et le bus s’arrête plusieurs arrêts avant celui prévu. Ce n’est pas très grave, j’ai deux heures d’attente avant l’arrivée du bateau et j’avais prévu de dîner sur le bord de mer. Le repas terminé, je part en marchant jusqu’au poste de sécurité où nous étions sorti en me présentant ainsi que mon passeport. On me demande, dans un anglais très approximatif, le nom du bateau mais celui-ci leur est inconnu. L’anglais a beau être la deuxième langue officielle du pays, il ne semble pas vraiment parlé par la majorité des habitants. C’est d’autant plus surprenant quand ces personnes travaillent dans un port international. Mais, bref. Je comprend donc que le bateau a un peu de retard, chose confirmée lorsque je rappel l’agent local.

Mon interlocuteur me fait alors difficilement comprendre que ceci est une entrée secondaire et qu’il faut que je me présente à l’entrée principale du port, qu’il m’indique avec de grand gestes comme étant vaguement derrière à gauche. Je le remercie donc et repart à pied avec mes deux sacs à dos dans la direction indiquée pour constater qu’il s’agit d’un grand parking avec un grand bâtiment blanc sur les hauteurs derrière. Ayant un doute, je revient le voir, et je crois comprendre qu’il s’agit bien du bâtiment blanc.

Je repart donc en marchant et après cinq minutes et une petite montée tourne autour de ce bâtiment à la recherche d’une entrée. Je tombe sur deux agents de sécurité à qui j’expose mon problème. Ils sont assez interloqués et avec un anglais simplifié leur fait comprendre que je cherche l’entrée principale. Finalement, je comprend que celle-ci est beaucoup plus loin, à au moins 10mn à pied. Après un soupir de lassitude, je repart en marchant dans la direction indiquée. Je longe alors une route sans trottoir, croissant quelques camions et quelques minutes plus tard arrive sur une entrée routière avec un bâtiment attenant.

Je pénètre dans le bâtiment et derrière un hygiaphone, un groupe d’hommes visiblement détendus discutent entre eux. Je leur explique – difficilement – que je suis un passager du Gemini, bateau qui est encore au large. Ils me demandent interloqués ce que je fais là, car pour eux, j’aurais du entrer par l’autre entrée, prévu pour les piétons. Un peu agacé, je leur répond que j’en viens et qu’ils ont insisté là bas que je me présente ici. Qui plus est, il n’y a aucune trace dans leurs ordinateurs de mon enregistrement en tant que passager. C’est d’autant plus étrange qu’une semaine avant, j’avais envoyé une copie de mon passeport à l’agent local afin que celui-ci fasse les démarches nécessaires. Je reprend donc mon téléphone afin d’éclaircir ceci auprès de ce dernier et il me promet d’envoyer un mail dans la foulée. Quelques minutes plus tard, on me dis que tout est validé et on me prie enfin d’attendre l’arrivée du bateau. C’est finalement une heure plus tard, vers 22h, qu’à bord du pickup d’un des employé locaux, je suis amené au pied du Gemini.

Finalement, à mon arrivée à Valence, les choses se sont encore une fois avérées un peu plus compliquées que prévu. J’avais quelques jours avant demandé à l’agent local de Valence (encore et toujours ces foutus agents locaux) les coordonnées GPS de la sortie du port de Valence la plus proche du quai où le Gemini devrait accoster. Je comptais m’y faire récupérer en voiture par mon père et sur le plan, le port de Valence semblait bien être également d’une grande complexité. On me répondit en m’annonçant que ce sera l’entrée principal en me précisant qu’il faudra que je prenne un taxi pour la rejoindre du bateau. Sans doute que ma question ne fut pas très clair, mais arrivé à Valence, l’officier du Gemini qui s’occupait de mon débarquement m’avait prévu une navette pour rejoindre la sortie du port. Il n’était donc plus question de taxi. Une fois descendu du bateau, je rejoint donc une camionnette et celle-ci me dépose quelques minutes plus tard à portée de marche d’une entrée ressemblant à un péage. Le chauffeur me rappel qu’il va falloir que je passe par un bureau chargé de l’immigration avant de pouvoir sortir. Je récupère donc mes sacs, remercie le chauffeur et part en marchant vers la sortie.
A part un grand bâtiment vaguement préfabriqué, je ne vois rien qui ressemble à un bureau d’immigration et décide donc de passer le péage à pied. On verra bien si on m’interpelle.

Effectivement, une fenêtre à glissière s’ouvre au poste de sortie et on me demande en espagnol où je vais. J’explique alors que j’attends quelqu’un qui vient me chercher et on me laisse continuer. Bonjour la sécurité. Je pénètre donc en territoire espagnol en toute illégalité.
Une fois dehors, je comprend assez rapidement qu’il ne s’agit absolument pas de la sortie spécifié par l’agent local. Une grande route de deux fois deux voies empruntés par des voitures et des camions dessert l’entrée du port, sans indication de rue. Je retourne au poste de sécurité pour tenter d’avoir les coordonnées GPS où l’adresse de l’entrée. On me donne un petit papier avec un nom de rue mais manifestement, l’indication est trop vague pour qu’on puisse me trouver. Un vague trottoir permet de longer la route et après une heure, je décide de repartir à pied vers ce qui me semble être la ville pour y voir plus clair. Quelques centaines de mètres plus loin, le trottoir s’arrête sur un petit terrain vague et la route devient rapidement impossible à poursuivre à pied. J’erre un petit peu quand finalement une voiture de la Guardia Civil s’arrête à ma hauteur, me demandant ce que je fait là. Après moult tentatives de communication, l’officier ne parlant ni anglais ni français et moi pas vraiment l’espagnol, il m’invite finalement à monter dans sa voiture avec me sacs et me dépose un bon kilomètre plus loin à un arrêt de bus. Muchas gracias la Guardia Civil.

Bref, pour moi tout ceci reste dans le domaine de l’anecdote et j’en ris maintenant de bon cœur avec vous. Mais je conçoit aisément que pour des marins philippins qui ont finalement très peu de temps à chaque escale, ainsi qu’un porte feuille limité, la complexité et le coût nécessaire à une petite escapade en ville devient parfois dissuasif. Pour eux, ça rigole moins. Quand à nous, les simples passagers, espérons que les choses soient plus simples lorsqu’il s’agit de monter à bord d’un paquebot.

CC Gemini

Finalement, je suis assez content d’avoir découpé ce voyage en cargo en deux parties. Après avoir effectué le trajet Fos-sur-Mer vers Malte à bord du CC Columba, je monte à bord du CC Gemini, son sister-ship, afin de rallier Valence en Espagne. Les deux bateaux sont donc identiques et je ne suis pas dépaysé par l’agencement mais cela me permet de constater que l’ambiance à bord est très différente.

Cette fois-ci, les officiers sont entièrement roumains même si l’équipage reste philippin. Le capitaine, lui, est plus jeune, autour de la cinquantaine et un peu plus avenant. Surtout, il semble beaucoup plus proche de ses officiers. L’ambiance aux repas est presque chaleureuse, pleine de camaraderie et on n’y ressent aucune hiérarchie entre eux. On plaisante d’égal à égal, en roumain, et on rigole parfois. Une petite table à part est occupée par les trois aspirants, également roumains, mais ceux-ci sont également apostrophés lors de certaines discussions voir gentiment charriés. De manière encore plus appréciable, je suis assis à un bout de la table des officiers, entre le deuxième officier mécanicien et l’officier sécurité. En face de moi, à l’autre bout, est assis le deuxième surnuméraire, un sympathique et souriant croate de 60 ans aux cheveux blanc, ancien officier mécanicien embarqué pour former de jeune officiers.

A vrai dire, j’ai senti la différence d’atmosphère dés mon arrivé. L’officier en second, un athlétique roumain entre 30-40 ans, au look de bellâtre italien, m’a chaleureusement invité à bord d’une vigoureuse poignée de main, non sans m’indiquer qu’il m’attendait plutôt le lendemain matin (il faut dire que j’avais embarqué vers 22h, mais plus de détails dans un autre billet). Un aspirant m’emmena voir le capitaine au bureau administratif, sur le pont F, tout en sourire, en papotant dans l’ascenseur. Le capitaine me serre la main avec le sourire. Tout le monde me dit bonjour en me serrant la main, etc…

Le lendemain matin, je m’assoie à la petite table excentrée comme sur le Columba avant que Jerry, le steward, d’un geste un peu agacé me montre le bout de la table des officiers. J’obtempère et suis rejoint rapidement par un officier qui vient s’asseoir à ma gauche et entame spontanément la conversation, pendant laquelle j’apprends que c’est un ancien policier. Bref, ici, on est entre gens courtois et chaleureux.

Néanmoins, il faut bien l’avouer, il m’était toujours un peu compliqué de m’immiscer dans les conversations pendant les repas. Tout d’abord, l’essentiel de la conversation en anglais avait lieu à l’autre bout de la table entre le formateur croate, le capitaine et l’officier mécanicien principal, sur des sujets plutôt professionnels, tel que j’ai pu le comprendre. Difficile dans ce cas d’intervenir de manière pertinente. Seul le matin lorsque j’ai pu croiser le formateur croate arrivé lui aussi tôt au petit-déjeuner avons nous pu discuter un minimum. Il m’apprend qu’il avait commencé sa carrière sous Tito et la Yougoslavie communiste au sein de la compagnie nationale, avant de partir travailler il y a 20 ans pour la CMA CGM. Il me parla même de sa fille, également informaticienne, bientôt parti à Munich pour son travail. A l’arrivée du capitaine et de l’officier mécanicien (ils avaient l’air copains comme cochon ces deux là), alors que nous étions quatre à table avec moi seul à mon bout, ai-je pu intervenir un petit peu alors qu’ils parlaient de l’ère communiste et de la possibilité de voyager à cette époque.

L’autre frein à la conversation, en plus de mon incapacité à trouver une accroche suffisamment pertinente, fut que les autres officiers avaient tendance à parler entre eux en roumains. Manque de pot, mes deux voisins de table étaient sans doute les plus timides de la bande, notamment l’officier de sécurité qui, pour que vous vous fassiez une image, ressemblait de manière frappante à Lionel Messi. Je n’ai jamais osé lui en faire la remarque.

Malgré tout ça, de bout en bout, j’ai pu glaner quelques informations que je vous livre tel quel, vous sachant friand de la vie des autres. Tout d’abord, il semblerait qu’une minorité d’employés à bord de ces bateaux soient des amoureux de la mer. A vrai dire, l’attrait principal pour cette vie réside dans le salaire généreux. A l’instar de l’ancien policier qui me fit ces confidences, la plupart ne font ça que pour le fric. C’est moche. Un mythe s’effondre. Mais je peux les comprendre. Ils n’ont que des contrats de courte durée à statut international, de trois mois pour les officiers, qu’ils enchaînent si tout se passe bien. La conjoncture est à grappiller le moindre coût. Le rapatriement aérien à la fin de leur contrat à tendance à se faire de plus en plus à partir de ports proches de leur lieu de résidence, prolongeant du coup légèrement la durée à bord. Des obscures conversations professionnelles, j’ai vaguement compris que les critères d’obtention de certaines primes avaient été modifiés. Et surtout, il se pourrait que la compagnie, notamment sur les lignes Asie, souhaite remplacer les officiers roumains par des officiers chinois, cantonnant les premiers à des postes administratifs à terre, mais du coup sans nul doute moins rémunérateurs. Bref, ce n’est plus ce que c’était.

Alors, malgré l’ambiance fort sympathique, notamment au vu de celle à bord du Columba, n’allait pas croire que tout se fini par de joyeuses ripailles et tapages de cuisses. Après tout, lors de ces trajets à bord de cargos, nous restons, nous les passagers, des intrus dans un espace de travail. Plusieurs fois j’ai ressenti une ambiguïté, une gène, comme la sensation de déranger. Mais sans doute est ce aussi du à mon caractère. J’aurai du avoir le courage, entre deux yeux, de demander au capitaine si, au final, ça ne le ferait pas un petit peu chier tout ces surnuméraires à bord.

Se divertir sur un cargo

Tout les chafouins à qui j’avais exprimé mon souhait de réaliser un trajet à bord d’un cargo ont invariablement soulevé le sujet des activités à bord. Qu’allais-je faire pendant ces jours à bord de ce bateau, sans internet, télévision, cinéma, concerts, bref, sans divertissement ? N’allais-je pas mourir d’ennui ? A croire que le risque majeur dans cette société moderne est de se retrouver tout seul face à soi et la douleur suprême de devoir passer une heure sans qu’un quelconque média passif vienne nous stimuler sans effort le cerveau.

Alors pour les plus hyper-actifs d’entre vous, vous pouvez aller vous dépenser dans la salle de gymnastique, à soulever des altères ou pédaler sur le vélo d’appartement. Enfin, en ce qui concerne ce dernier, encore faut-il comprendre les instructions en chinois. Moi, j’ai abandonné et me suit rabattu sur le tapis roulant, plus simple à comprendre. Si ça ne vous suffit pas, allez donc plonger dans la piscine, s’il y a de l’eau, bien entendu.

Pour peu que vos co-passagers soient en condition ou que vous croisiez un membre de l’équipage qui ne travaille pas, vous pouvez toujours l’inviter à une petite partie de ping-pong au pont C, dans la sus-mentionnée salle de gymnastique. En ce qui me concerne, j’ai réussi à motiver un officier chinois sur le Columba puis un membre d’équipage philippin sur le Gemini. Je ne suis pas peu fier de vous avouer que j’ai sèchement battu 3 sets à 0, le jeune officier chinois. La deuxième séance avec mon adversaire philippin a consisté uniquement en des échanges, juste pour la beauté du sport et le rapprochement entre les peuples.

Si les activités physiques ne vous intéresse pas, allez donc faire un petit tour du bateau. En tant que passager, on est relativement libre de nos mouvements. Seuls sont exclus la salle des machines et certaines zones techniques. Pour la première on peut néanmoins demander l’autorisation au chef mécanicien et jeter un œil au cœur du vaisseau, accompagné d’un des responsables bien entendu. Moi, sur le Columba on ne me l’avait pas proposé. Sur le Gemini, bien que le second officier mécanicien m’ait demandé si cela m’intéressait le premier matin à bord, je n’ai jamais osé vu que que nous étions à quai (pas le bon moment) mais aussi parce qu’un formateur mécanicien était à bord et que j’en ai déduit qu’ils étaient tous fort occupés. J’avoue aussi que je n’étais pas plus intéressé que ça. Si mon séjour c’était prolongé, au large, sans doute aurais-je émis le souhait.

Pour rappel, on peut aussi se balader sur le pont extérieur, muni d’un casque à condition d’en avertir quelqu’un au « ship central office », le bureau central du bateau situé sur le pont supérieur (qui bizarrement se trouve être le pont le plus bas de l’espace d’habitation). Ceci dit, le peu de fois où je suis allé voir si quelqu’un s’y trouvait, il était désert. Il n’y a qu’à quai qu’un officier de garde était présent, la plupart du temps pour attendre l’arrivé de ces foutus agents locaux de la CMA CGM. Dans le « ship central office » on peut jeter un œil aux différents écrans affichant les retours des caméras de surveillance sur le pont extérieur ou des diagrammes ésotériques représentant, je crois, la répartition des charges sur le bateau. Bref, rien qui puisse nous occuper des heures.

Si vous avez de la chance, le capitaine décide d’effectuer un exercice de sécurité. Dûment prévenu à l’avance, en tant que passager, vous êtes néanmoins tenu de participer. C’est à bord du Gemini, une fois en mer, un après midi vers 15h30 que celui-ci fut programmé. Comme prévu, une alarme générale retenti. Je monte donc calmement à la passerelle, mon point de rassemblement, un étage et demi au dessus. J’avoue, j’ai un peu triché car j’avais déjà mis des chaussures couvertes comme préconisé ainsi qu’un pantalon. J’assiste pendant une demi-heure, via les conversation en talkie-walkie, à une simulation d’alerte incendie. Finalement, le capitaine déclenche l’alarme d’abandon du navire et je suis invité par le steward, Jerry, en bleu de travail et casque à le suivre. Nous passons à ma cabine ou je récupère ma combinaison étanche attitré, dans son sac sous scellé. Je descend en sa compagnie calmement mais vivement les escaliers jusqu’au pont A afin d’enfiler un gilet de sauvetage que l’on nous distribue tous. Ensuite direction bâbord où tout le monde se regroupe autour de l’officier en second sous le bateau de sauvetage principal. On nous compte et pendant une demi-heure nous avons le droit à un petit rappel sur les devoirs de chacun en cas d’évacuation, sur le déclenchement des radeaux de sauvetages, utilisés lorsque le bateau sombre, ainsi qu’une demi démonstration sur comment libérer le vaisseau de sauvetage insubmersible. Tout ça se fait, bien entendu dans un anglais à l’accent très aléatoire et je suis toujours à me demander si en cas de panique général tout ceci s’avérera aussi fluide.

Non, il faut bien avouer que les trois activités principales à bord du bateau, en dehors des repas, restent la lecture, le bavardage et la contemplation. Au frais dans sa cabine, dans l’espace de détente commune des passagers (pas plus confortable) ou bien dehors sur les ponts (pour peu que vous ayez une petite chaise pliante planquée quelque part dans votre cabine), vous avez tout loisir d’avancer dans votre liste de lecture estivale. Si d’autres passagers sont présents, vous pouvez vous retrouver pour un café papotage dans l’espace de détente. Sur le Gemini, il y avait même une console de jeu Playstation 3… mais sans jeux. Et puis les cabines sont munies de prises électriques donc si vous avez un ordinateur portable, il est parfaitement utilisable.

Ponctuellement, pour rompre la monotonie ou récupérer un peu de chaleur absorbé par la climatisation parfois exagérée, vous pouvez aller jeter un œil dehors. A quai, le spectacle de containers volants parfois à quelques mètres de soi et un spectacle sans cesse renouvelé. En mer, l’excitation est à son comble lorsqu’on aperçoit un bout de terre, comme le premier aperçu des falaises de l’île maltaise de Gozo ou lors de notre passage entre Majorque et Ibiza à bord du Gemini. Le jeu consiste alors à essayer de deviner l’identité de ces bouts de terre puis, si on l’ose, de monter à la passerelle demander à l’officier de garde de confirmer. A bord du Gemini, celui-ci m’a même gentiment conduit jusqu’à la table des cartes pour me montrer la carte marine papier sur lequel était indiqué notre trajectoire et le contour du littoral.

Manger à bord

Il est donc venu le moment de parler de la nourriture à bord de ces beaux cargos. Oui, car grâce à de magnifiques ellipses temporelles que seuls permettent la littérature et d’autres formes narratives plus mineures tels que le cinéma et la chronique livestyle sur Youtube, je vais combiner en un seul présent les multiples épisodes gastronomiques à bord des deux fiers vaisseaux de la CMA CGM, compagnie française basée sur Marseille (main sur le cœur et menton en l’air, avec des cigales au fond), dont j’ai eu l’opportunité de fréquenter les cuisines.

Roulement de tambours, halètements de suspens puis soudain coup de cymbales : c’était fort mauvais.

Voilà, la messe est dite. La fière réputation gastronomique de tout un pays durement portée au plus haut s’en trouve éclaboussée d’excréments mais, oui, il faut bien l’admettre : c’est franchement extrêmement désappointant. Mary et Douglas furent les premiers à exprimer tout en chuchotements complices afin de ne pas être entendus du capitaine, que non, ils attendaient mieux d’une compagnie française.

Maintenant que l’artillerie lourde a tonné, tentons de tempérer mes propres propos (Tiens, en voilà une bien belle allitération en « p » et « pr », soit dit en passant). Quand je dis que c’est fort mauvais, disons que c’est plutôt dans l’esprit cantoche : saucisse purée haricots verts et flamby au dessert. Mais sans imagination et plutôt grossier.

Par sans imagination j’entends qu’à chaque repas c’est invariablement une soupe du jour qui, dans les mauvais jours du chef, peut tomber aussi bas qu’une soupe aux tripes, suivi d’un plat principal qui dans les moments de grâce s’avère être une pizza surgelée mais au quotidien est plutôt un steak brocolis à la vapeur. Le tout s’achève par un fruit mais si on est gentil parfois on a de la glace recongelée légèrement pailletée à l’intérieur. C’est rigolo, c’est froid, ça croustille mais ça fait comme des micro coupures sur la langue. Moi, je mange car comme le dit si adroitement ce court mantra bourguignon du 21ème siècle, copyright Gabriel Bloch : « On te demande pas d’y aimer, on te demande d’y bouffer ». Point d’exclamation. Sont déjà bien gentils de nous accepter à bord.

Ceci dit… je ne voudrais pas barbouiller le tableau tout en noir. Il nous est aussi servi invariablement des crudités. Parce que c’est bon pour la santé et que ça aide au transit. Comme chacun sait, transit libéré égal esprit libéré. La salade est présentée non assaisonnée, certes, mais comme l’huile et le vinaigre balsamique sont à disposition sur la table, il ne tînt qu’à nous que nous nous sortîmes les doigts du fondement. Ce que fit Mary qui fut la première à craquer en nous préparant une petite vinaigrette en live. Après tout, on est finalement ici comme à la maison, bien que servi par un jeune philippin timide.

Hormis ce louable dessein digestif, nous avons eu un soir sur le Columba une fort convenable à bonne goulasch, parfaitement assaisonnée et composée de tendres morceaux de viandes qui nous souleva tous les sourcils d’étonnement. Alors, effet de contraste après deux jours de nourriture insipide ou réussite culinaire ? Soyons sport et penchons pour le deuxième. Ceci dit, la chronologie exacte de tout ces repas se brouille dans mon esprit, mais il me semble bien qu’en entrée ce soir là, le chef avait tenté de nous refourguer le reste de soupe aux tripes, grossièrement transformée par l’ajout de gélatine en une sorte de fade pâté de tête encore plus inintéressant. Moi qui suit bien élevé, j’y est prélevé une tranchette à fin d’examen. J’en ai conclu donc que le chef ce soir là nous avait clairement dit « merde » avec ce qu’il avait sous la main. C’était donc de l’art dans sa définition moderne : l’expression d’un message par le biais d’une technique maîtrisée. Il ne manquait juste que la note d’intention pour qu’il puisse exposer.

Autre moment de désillusion, d’un autre acabit : ce soir là, à bord du Gemini était inscrit au tableau de la salle à manger des officiers un mystérieux « cheese pie » en dessert concluant un « schnitzel » en plat principal. On n’était pas loin d’espérer du repas convenable surtout que vu l’anglais cassé parlé à bord de ces navires, l’esprit qui est le mien avait tôt fait de visualiser un « cheese cake » sous la dénomination de « cheese pie ». Qui plus est, un des officiers roumains avait discrètement demandé deux parts à Jerry, le serveur, avec un regard complice. Je m’en pourléchais les muqueuses d’expectative.

Bon je passe sur le schnitzel, une vague escalope panée mollassonne qui n’avais jamais connue Vienne et encore moins l’Autriche. Cantine, vous dis-je, pensez cantine. Le « cheese pie » c’est avéré être une sorte de feuilleté au fromage dont je ne parvient toujours pas à trancher s’il était salé ou sucré. J’peux rien affirmer, m’sieur l’commissaire. J’ai envie de dire que ça dépendait des bouchées même si aucune n’était ni franchement mauvaise ni franchement délicieuse. Il faut croire que c’était une spécialité roumaine vu l’enthousiasme apparent de mes collègues. Mais enfin, qui sommes nous pour juger du bien du mal, du bon du mauvais ? Après tout, nous vivons dans la décennie des chaussettes-claquettes, alors… un feuilleté mi-gras-sucré-salé-mi-bon-mi-mauvais…

Comme me l’a confirmé le capitaine du Gemini, plus loquace que celui du Columba, le cuistot sur un bateau, c’est hyper important. Je crois qu’il était conscient de la qualité un peu moyenne de son staff. Malheureusement, de ce que j’ai pu comprendre, il n’est pas responsable du recrutement de celui-ci. Les deux cuistots que j’ai côtoyé à bord des deux bateaux étaient tout les deux philippins, sans doute peu familiers de la cuisine européenne exigée par les officiers, sans parler qu’il devait très certainement se coltiner des consignes diététiques d’un pseudo CHSCT à Marseille. D’ailleurs, sur le Columba, nous avions chaque jour à notre table une feuille avec les menus du jours, séparé en deux colonnes : la première pour les officiers et la deuxième pour les membres de l’équipage. La plupart du temps l’équipage, majoritairement philippin, faut-il le rappeler, avait droit à des plats plus asiatiques. Avec Mary on regrettait parfois de ne pas pouvoir choisir l’autre menu ou de bouffer avec l’équipage. Les pauvres officiers chinois qui devaient eux aussi avoir une autre idée de la nourriture, se faisaient parfois des bols de nouilles dans la cuisine.

Ça plus l’ambiance contenue dans la salle à manger, rien d’étonnant que Douglas ait demandé discrètement à chaque dîner auprès de Rey, notre serveur, pour qu’il nous serve une bouteille de vin histoire d’ajouter un peu de joie au repas. Arrivé à Malte, on avait déjà sifflé toute la maigre réserve, rouge ET blanc. Du Rioja Marquis de Caceres espagnol, pour ceux que ça intéresse.