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Bilan gastronomique

Je crois qu’il est grand temps de reparler nourriture. En plus ça tombe bien, à l’heure où je vous écris, j’ai l’estomac plombé par une pizza vraiment pas exceptionnelle. Si je me permet un petit saut temporel complètement révélateur de la vitesse à laquelle je rempli ce blog, ce n’est pas la peine d’aller se déplacer jusqu’à Rotorua en Nouvelle Zélande pour manger une pizza au poulet. Mais oubliez vite ce que je viens de dire. Ne vous laissez pas distraire.

Hors donc, la cuisine de rue étant toujours mon alimentation de base (et ma digestion s’en porte très bien, c’est vous dire) j’ai néanmoins décidé en quelques occasions de tenter un véritable restaurant avec des tables à l’intérieur et de serviles employés chargés de prévenir mes moindres désirs, du moment qu’ils sont à la carte.

Pour commencer, à Hué (et hop, flashback), j’ai réussi à extraire de mon Lonely Planet version électronique, après un gros effort de manipulation, l’adresse d’un restaurant de cuisine vietnamienne de grande classe nommé Anh Binh. Les rédacteurs du guide sont dithyrambiques : explosion de papilles, syncope gustative, tout le vocabulaire permettant de décrire des chocs émotionnels y passe. En plus, c’est vraiment un signe d’une quelconque déité Hindou, il se trouve dans une ruelle parallèle à mon hôtel. Je m’habille donc sur mon 31 en fouillant dans ma garde robe. Que vais-je bien mettre. Rhaaa, j’hésite. Après deux secondes d’hésitation je met mon polo blanc « made in Pondichéry » et mon pantalon de randonnée le moins sale. Avec les claquettes pour faire couleur locale, j’espère bien ne pas me faire jeter.

Je me retrouve devant un bâtiment standard tout en hauteur avec le restaurant sur trois étages. Une charmante serveuse en habit traditionnel vert (ce magnifique habit qui dévoile deux triangles de peau, un sur chaque hanche) me guide au premier étage. L’ambiance est un peu plus guindée que dans mes gargotes de rue mais ça reste acceptable. Je commande une soupe en entrée et un plat principal. Ma mémoire me fait défaut quand à la nature exacte de ces plats. Ce dont je me souviens c’est d’avoir été un peu déçu. Attention, ne nous trompons pas, c’était bon mais je dois dire que la qualité ne m’a pas estomaqué par rapport à ce que l’on peut commander dans des petites échoppes. Le prix lui, est assez différent puisque un repas coûte environ le double, mais rien d’étonnant vu le service.

Je retente donc l’expérience à Hoi An car c’est manifestement le lieu. De nombreux chefs étrangers se sont installés dans la ville, profitant de l’affluence, et proposent des cuisines d’influence vietnamienne. Je note donc un restaurant, son adresse, et part à l’aventure dans la vieille ville. Après une grosse demi-heure de déambulation, j’arrive devant un restaurant dans une grande maison ancienne, comme de nombreux autres d’ailleurs, mais fait rapidement demi-tour lorsqu’on m’annonce qu’il n’y a plus de places avant deux heures. En plus, un rapide coup d’œil à la carte m’apprend qu’ils ont sérieusement gonflés les prix depuis la publication de mon guide.

Je repart donc et tente ma chance au hasard dans un restaurant / bar à vin. La carte à l’air sympathique et originale. Le prix est raisonnable pour un repas de qualité. On me propose donc une table à l’étage dans cet étroit restaurant à la décoration classe situé lui aussi dans une maison ancienne. Les fenêtres grandes ouvertes permettent de profiter de l’ambiance nocturne de la rue et une petite musique branchouillette nous transporte presque dans un quelconque lieu un peu trendy d’une grande ville internationale. Je repère un superbe menu dégustation à cinq plats pour un prix raisonnable (genre 300 Kdongs, soit environ 15€). Manque de bol ou complot à tendance socio-politique, on ne le sert qu’à partir de deux personnes. Je me rabats donc vers trois plats, car le choix est vraiment trop tentant : une salade et un plat principal. Pour arroser le tout, une bonne vielle bia fraîche.

Je vais être clair, ça a commencé très très fort. Une petite salade servie dans trois petits ramequins où sont posés trois morceaux de porcs grillés et relevés. On a donc quasiment cinq bouchées d’un délicieux cocktail de saveurs entre la salade faite d’un mélange croquant de légumes râpés (je crois reconnaître d’ailleurs un cœur d’ananas râpé complètement génial en salade) plutôt doux et la viande superbement relevée et presque croustillante. J’ai pris mon temps tellement c’était bon. Ou alors j’étais sérieusement bourré avec la bière.

Arrive ensuite le plat principal, de nouveau du porc servi avec un légume exotique que je n’ai jamais mangé. Pour vous dire à quel point ma mémoire est défaillante, je ne me souviens plus du nom de ce légume. J’en ai comme un morceau sur le bout de la langue, pourtant. Comme souvent, du riz cuit à la vapeur accompagne le plat. Je me prends donc un premier morceaux de ce fameux légume. Malgré la cuisson, cela reste relativement croquant et frais. Je goutte donc à la viande. Et merdeuuuuh. C’est piquant. Quel est le sagouin qui s’est senti obligé de mettre du piment là dedans? Il se croit en Inde, peut être ? Résultat, même si ce plat n’était absolument pas mauvais, il m’a été gâché par le piquant qui tranchait avec la subtilité du premier plats. Il faut dire aussi que j’avais été un peu ambitieux côté appétit et la fin du repas s’est terminé au ralenti. La facture bien que somptueuse à l’échelle vietnamienne reste complètement raisonnable en euros, de l’ordre de 14-15.

A Da Lat, sous la pluie, j’avais besoin de réconfort. Je me suis donc dirigé vers un autre restaurant, dont je ne me souviens plus du nom, mais si vous voulez, je peux vous indiquer où c’était. Je me rends compte à quel point c’est pathétique cette façon de raconter mes aventures en oubliant les trois quarts de noms. En tout cas, j’y choisi un plat au hasard : du bœuf La Lot. On me l’apporte : du bœuf cuit dans des feuilles d’une plante dont je ne me souviens pas du nom, pour changer. De la même manière que précédemment, six exemplaires sont disposés en cercle. Les feuilles enrobent la viande à la manière de petits nems aplatis et sont cuites ensembles. Je me saisis du premier avec mes baguettes et y goutte. C’est encore une fois positivement agréable. La viande à l’intérieure est tendre et surtout juteuse avec un nouvel assaisonnement subtile mais délicieux. Il faut toute ma concentration pour ralentir ma dégustation et ne pas me jeter sur les cinq autres morceaux. Pour vous dire, j’en ressent encore le goût dans ma bouche.

Un midi à Ho Chi Minh Ville, complètement à l’intuition et au hasard (ce qui est parfois la même chose), je rentre dans un petit restaurant inconnu, un endroit tout en longueur propret mais sans chichi tenu par une bande de jeunes souriants. D’autres clients déjà présents mangent des choses posées sur de grandes feuilles de bananiers dans un plat métallique circulaire. Je commande la même chose et on m’apporte mon plat rempli de feuilles aromatiques ainsi que des mets : des petites tranches de porcs cuites, des boulettes de noddles, des morceaux d’omelette et des petits cubes de ce qui est avéré être du soja fumé. Bien entendu, le tout est accompagné d’une portion de riz cuit à la vapeur et disposé sur les susmentionnées feuilles de bananiers. C’était extraordinairement surprenant et délicieux. Chaque plante, légèrement anisée, mentholée ou citronnée mélangée avec un met produisait des sensations différentes. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, je suis tombé fou dingue de ces petits cubes de soja fumé à la consistance d’un flanc crémeux et au goût puissant.

Pour finir, et pendant que vous salivez salement en pensant à un gros cube de soja fumé bien mou (mais si, ça vous fait saliver, laissez vous aller), voici une petite ambiance sonore que vous pourrez vous passer en boucle la prochaine fois que vous mangerez un plat de nouilles instantanées. Dites vous que c’est du pho (fa) et imaginez vous assis sur une minuscule chaise de plastique bleue. Mieux, achetez en une (se trouve communément au rayon jouets pour enfants). Munissez vous de quelques accessoires indispensables tel qu’une bouteille de bière et des baguettes. Fermez les yeux. Vous êtes au Vietnam.

Le vin vietnamien le plus cher du monde

Au Vietnam j’ai pu constater que l’on sert très souvent de la bière. Je ne vous apprend rien en vous écrivant cela. On peut également trouver ce qu’ils appellent en anglais du « rice wine » que je traduirait directement par « alcool de riz » vu le degré d’alcoolémie de ce breuvage, plus proche de la vodka que du vin. Ces deux alcools sont également produits localement. Mais quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’un soir à Nha Trang (encore un flashback), après avoir bu une petite bière fraîche en soirée, j’aperçois une bouteille marqué « Da Lat Wine » contenant un liquide rouge sombre à l’aspect rappelant du vin. Je commande donc un verre de ce breuvage, curieux, et le goutte. Bon tout ça pour vous dire que je viens d’apprendre qu’ils font du vin à Da Lat. Incroyable, non ? Quoi ? Le goût ?… Disons qu’ils font du vin à Da Lat et c’est déjà énorme comme nouvelle.

Arrivé dans là dite vile de Da Lat, je me suis donc arrêté chez un marchand de vin afin d’offrir une bouteille à une personne de ma connaissance (un certain Michel D. de Vendée ou de Nantes, suivant la météo), grand amateur et spécialiste de ce breuvage. J’étais quasiment persuadé qu’il ne savait pas qu’on faisait du vin au Vietnam, et donc par conséquent, qu’il n’en connaissait pas le goût. Contrairement à moi. Les blagues les meilleures étant celles qui respectent la santé de leur victime, je choisi une bouteille de rouge cuvée « Excellence », en espérant que ce sera d’un meilleur niveau que celui échantillonné quelques jours plus tôt. Je ne me souviens plus du prix, mais il était loin d’être excessif, aux alentours de 100 kDongs, je dirais, pour une bouteille de 75ml.

Pour l’anecdote, cette culture du vin au Vietnam fut introduite par des viticulteurs languedociens. Je ne sais pas s’il faut s’en féliciter. En tout cas, j’étais un petit peu interloqué lors de mon choix par la non inscription de l’année de la cuvée sur les bouteilles. Ceci dit, j’imagine très bien que le consommateur vietnamien, n’ayant pas vraiment l’habitude d’en consommer, se fiche pas mal de savoir l’âge qu’il a. Je prends donc un bouteille « Excellence » et en arrivant au comptoir pour payer, demande à la vieille dame âgée, en anglais, l’année du vin. L’échec est total vu qu’elle ne parle pas anglais. Heureusement, elle se tourne vers un jeune homme à côté et je lui répète la question. L’échec est de nouveau total vu qu’il n’en comprends pas le sens. Je me demande même s’il ne me confirme pas qu’il n’est pas périmé. Je me rétracte donc en leur assurant que ça n’a pas d’importance et repart avec ma bouteille en les remerciant.

Le lendemain, je pénètre dans la poste centrale de Da Lat pour tenter d’envoyer cette bouteille par avion, en France. Au guichet, je présente donc l’objet et demande à la préposée le tarif pour poster cela à l’étranger. « Ce n’est pas possible. On ne peut pas l’envoyer par la poste », me dit-elle dans un petit anglais.

  • Comment-ça, on ne peut pas ? De toutes les postes, même à Ho Chi Minh City ?; lui demande-je en retour.
  • Oui, oui.
  • Mais pourquoi ?
  • On ne peut pas.

On étais arrivé à un point où la poursuite de la conversation aurait exigé un niveau d’anglais supérieur de la part de mon interlocutrice. Je repart donc avec ma bouteille sous le bras.

Quelques jours plus tard, à Ho Chi Minh Ville, je pénètre dans la poste centrale de la ville, au passage, fort belle et immense. Avec un peu de chance, ils ont plus l’habitude de traiter avec des touristes qui veulent envoyer des chapeaux coniques ou des tuniques de soies par la poste. Je me met donc dans la queue et mon tour arrivé, pose ma bouteille sur le guichet et demande s’il est possible d’envoyer cette chose à une adresse en France. Malheureusement, la réponse est encore négative. Franchement, je ne comprends pas ce qui pose problème mais je sens bien qu’il est inutile d’insister.

Le lendemain, après un idée lumineuse, je me mets en marche vers un magasin dépôt UPS pour envoyer ma bouteille par une société renommée internationalement et qui a sans doute l’habitude d’envoyer des trucs autrement plus compliqués qu’une bouteille. Fichtre, je suis quasiment sur qu’ils sont partenaires des Jeux Olympiques ou d’un truc planétaire de cette démesure. Devant le magasin, je constate que la grille est fermée. Pourtant, les horaires semblent indiquer que ce ne devrait pas être le cas.

Un peu plus loin dans la rue (qui donne sur l’arrière de la poste centrale, en plus), j’aperçois un panneau FedEx. Même topo, la grille est tombée. Il doit avoir un truc que j’ai du mal comprendre par rapport aux horaires d’ouverture. De plus, je trouve que ça devient un peu compliqué pour une blague. Je me demande si je vais pas me l’enfiler moi même cette bouteille ? Heureusement, encore plus loin se trouve un dernier panneau indiquant cette fois-ci « DHL ». Je me dirige devant la porte et constate avec joie qu’il y a de la lumière à l’intérieur.

Je rentre donc dans la petite office et souhaite le bonjour à la jeune dame au comptoir. La bouteille posée dessus (sur le comptoir, pas sur la jeune dame), je lui demande s’il serait possible d’envoyer ce magnifique objet contenant un liquide non périssable, en France, par ses services. Oh surprise, sans hésitation elle réponds par l’affirmative. Je pousse un soupir de soulagement et lui explique, en rigolant, qu’à la poste ils refusent de l’envoyer. Je crois même que je sous-entends « ces nazes ». Après un moment d’hésitation, elle me demande ce qu’il y a dans la bouteille. « Du vin de Da Lat » lui dis-je avec un petit sourire pour lui montrer comme elle peut être fière que j’exporte un produit de son pays. « Du vin, mais ce n’est pas possible ». Hein ? Après un soupir de désespoir, un sursaut de volonté m’impose de lui demander des explications pour ce refus. Son anglais n’ayant pas l’air trop mauvais, je me dis que c’est jouable.

Pendant cinq minutes, on échange difficilement. Pugnace, j’insiste et je parviens plus ou moins à comprendre qu’il s’agit d’un problème de droit de douane et de taxe. Les détails sont encore complètement flous dans ma tête mais, finalement, je lui demande de faire une simulation tarifaire avec le coût de l’envoi additionné du coût des droits de douane payés à la douane française. Elle tapote sur son clavier pendant quelques minutes puis finalement, commence à m’inscrire le tarif sur un petit bout de papier. Je pousse un cri d’exclamation : plus de deux méga-dongs. Soit plus de 100€. Pour une bouteille. D’un probable mauvais vin. Inutile de dire que je suis reparti avec ma bouteille complètement abasourdi par le prix.

Quelques jours plus tard, alors que je m’apprêtai à quitter définitivement Ho Chi Minh Ville et le Vietnam, j’offre la bouteille aux employés de l’hôtel. « Qu’est-ce que c’est ? » me demande un des jeunes hommes d’un air suspicieux. Je leur explique que c’est du vin, de Da Lat, attention, c’est pas n’importe quoi. En plus il vaut quasiment 100€. « Moi je préfère la bière. Le vin je trouve ça trop alcoolisé », me dit-il alors. Oui, ben c’est un cadeau et même si c’est de la piquette, tu vas pas faire ta fine gueule, petit con.

La folie des grandeurs

Je ne sais pas si vous vous rendez compte mais en réalité je vous manipule. D’une part car à l’heure où j’écris ces billets (au présent la plupart des fois, en plus, histoire d’entretenir une confusion chronologique permanente) je suis loin, très loin du lieu de l’action (magie de la narration et de l’imagination réunie) mais également car je distille les informations au rythme que je le souhaite. Par exemple, je ne vous avais point dit que Da Lat était également la résidence d’été des empereurs Nguyen. Quoi ! Des empereurs aine guyenne, tu dis ? Tu nous l’avais caché ! Mais plus jamais tu fais ça, espèce de dingo ! J’imagine votre réaction indignée et outrancière. Je vous ferai dire que si vous êtes si avide de connaissances ayant trait à l’empire, vous aviez qu’à vous sortir les appendices et aller voir sur l’internet. Je part donc du principe que je suis votre unique source d’informations, ce qui m’arrange bien car elles sont particulièrement erronées et parcellaires.

Hors donc, Da Lat est la résidence d’été des empereurs Nguyen et je ne veux entendre aucun bruit dans la salle. Je devrais même dire « fut la résidence d’été », car bien entendu, si vous avez un tant soit peu suivi l’histoire, il n’y en a plus à l’heure où je vous cause. Le dernier représentant de cette dynastie et d’ailleurs mort il n’y pas si longtemps en exil à Paris. On comprends mieux pourquoi ils ont fuit leur pays : ils étaient sérieusement acoquinés avec le gouvernement français, ce qui, à l’époque, était une sérieuse tare pour un quelconque avenir politique dans le Vietnam communiste. Mais arrêtons de vous assommer de faits historiques et géopolitiques qui n’intéresseront de toutes façon que les personnes brillantes et cultivées (Il est toujours bon de piquer régulièrement l’amour propre de son lectorat).

Ce charmant décédé parisien (même si ce n’était que de façon temporaire qui dure) nous intéresse particulièrement dans le cas présent car c’est justement lui qui construisit un palais sur les hauteurs de Da Lat. Moi, toujours en mission internationale de collecte d’idées décoration, je suis allé y voir de plus près. En plus, c’était drôlement bien pratique car la visite publique était autorisé moyennant un modeste tarif d’entrée.

De l’extérieur, soyons sincère, le bâtiment ne paye pas de mine. Point de statues de lions rugissants (alors que c’est prouvé que cela augmente notablement la valeur de votre bien immobilier) ni de colonnades torsadées. Le palais est sobre, tout en angle et d’une couleur jaune pâle, si ma mémoire ne me fait pas défaut. Il n’est pas non plus particulièrement grand, tout au plus un grand manoir bourgeois des années vingt. En tout cas, on est en plein dans cette époque. Autant vous dire que vue d’ici, on y voit aucune trace de culture vietnamienne. L’influence occidentale sur le jeune empereur, éduqué dans la modernité de l’époque, y est pour beaucoup. Mazette, ça aurait été bête d’être jeune, riche et puissant dans les années folles et de ne pas en profiter. Le bâtiment est situé au milieu d’un petit parc où pousse des pins, surplombant la ville.

DSC_6119_DxODans la cour, on peut admirer une petite sportive décapotable en piteux état ayant appartenu à l’empereur. Cela me rappelle la collection de véhicules automobile de Ho Chi Minh, visible à Hanoi. C’est curieux cette fascination pour les voitures des puissants, tout de même ? En terme de véhicule, vous pouvez également emprunter une calèche à cheval pour faire un petit tour.

Rentrons plutôt dans le palais. Vous aurez tout le temps pour faire un tour en calèche après, si vous le souhaitez. Avant toute chose, vous êtes prié de chausser des patins, ou plutôt des gros chaussons que vous enfilez par dessus vos chaussures. Ça donne l’air ridicule à tout le monde tout en accentuant le caractère digne de la demeure. C’est une idée qui mériterait d’être mis plus souvent en pratique, d’ailleurs. Si vous souhaitez avoir l’air digne, ridiculisez vos invités en les forçant à porter un accoutrement clownesque. Par effet de contraste, vous aurez automatiquement un aspect noble et impérial.

Et cet intérieur, alors ? Qu’en est-il ? Et bien il est du même acabit que l’extérieur, c’est à dire particulièrement sobre et art déco. Ça tombe bien, j’adore l’art déco mais je trouve néanmoins qu’il est particulièrement très sobre, jusqu’à en devenir quelconque. J’ai du mal à croire que ce palais est un jour été somptueux. En vérité, on a plutôt l’impression que c’était une maison familiale, simple et sans fioritures doté du confort moderne, certes, mais sans chaleur. C’est peut être impressionnant pour un vietnamien, mais pour un européen, c’est particulièrement décevant.

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Heureusement, il reste quelques meubles d’époque ainsi qu’un grand nombre de photos permettant de se replonger dans l’ambiance. Je dois avouer que ce fameux « dernier empereur », bien qu’étant très légèrement joufflu, avait la grande classe. Des photos de lui habillé en costume blanc et Ray Bans, cheveux gominés en arrière sous un panama clair sont particulièrement avantageuses. Aaah, on savait s’habiller à l’époque. Ceci dit, sous une chaleur tropicale, ça ne devait pas rigoler tout les jours.

Donc, pour ce qui est de l’ostentatoire et de l’extravagant, il ne faut pas se tourner vers l’empereur, pas assez décadent à mon goût. Je peux donc vous proposer d’aller faire un petit tour à l’autre site d’intérêt architectural de Da Lat, « Crazy House », nettement plus baroque. Crazy House, pour faire simple, est l’œuvre d’une architecte vietnamienne contemporaine (l’endroit est d’ailleurs toujours en construction) qui se trouve être la fille d’un important cacique du parti communiste. L’anecdote n’est pas anecdotique car les méchantes langues disent que si elle a pu pendant toute ces années construire son horreur en toute impunité, c’est un peu la faute à papa. Pour ceux qui connaissent « La Demeure du Chaos » dans les environs de Lyon, c’est quelque chose d’un peu similaire dans la démarche bien que le style soit différent.

DSC_6128_DxOLaissez moi réfléchir. Comment décrire la chose? On pourrait voir ça comme un croisement entre la maison d’Hansel et Gretel, la Demeure du Chaos et la reine dans Alien. Geiger rencontre Grimm rencontre Thierry Ehrmann, vous voyez ? Fort heureusement, j’ai pris quelques photos car comment dire l’indicible, je vous le demande ? Bon, soyons franc, c’est un style que l’on pourrait qualifier de tranché. Il n’est pas rare que l’on déteste mais il n’est pas inconcevable que l’on aime. En ce qui me concerne, je pense qu’encore une fois, dans l’ensemble, il y a bien une ou deux idées décorations à picorer à droite, à gauche,DSC_6132_DxO en haut ou en bas. Oui car cette maison (je ne vous l’ai pas dit?) est faite de multiples petits recoins joins entre eux par des escaliers ou des passerelles qui forment un perturbant dédale en trois dimensions. J’adore le concept des petits recoins (sans vouloir me vanter j’en avais parlé à une amie architecte il y a dix ans) où se planquer pour lire un bouquin mais j’avoue être moins fan de sa transcription.

Fait amusant, il est possible de louer une chambre pour une nuit. Je pense qu’il vaut mieux éviter de s’y réveiller de peur de mourir terrorisé à la vue des sculptures d’animaux au regard dément qui DSC_6130_DxOse trouvent dans chacune des chambres d’amis. C’est d’ailleurs comme cela qu’on les repère : la chambre de l’ours, la chambre du rêne et ainsi de suite. Je vous rassure, la propriétaire n’est pas une perverse sadique (pas en public en tout cas) et a charitablement inclus un cabinet de toilette dans chaque chambre. Je n’ose imaginer le nombre de visiteurs qui déféqueraient dans les-dits recoins, à bout après deux heures de déambulations fiévreuses à la recherche des toilettes, si ce n’était pas le cas. J’entends les mauvaises langues persifler qu’un ou deux étrons ne changeront rien à l’affaire.

L’ensemble, et je vous l’ai déjà dit, est toujours en cours d’évolution. Je me suis donc trouvé nez à nez avec un ouvrier, dans un chantier en traversant un pont en planches, alors que je cherchais la sortie. Ce fut ma fois fort intéressant au demeurant car j’ai pu constater que l’ensemble était construit en briquettes et béton sur armature métallique. De la très belle ouvrage. Là encore, transposons ça en France et imaginons les hoquets d’horreur de la commission sécurité en charge de la validation pour ouverture au public du lieu. Moi, je vous le répète : d’autres lieux, d’autres angoisses.

Soirée tchèque

Il pleut encore à Da Lat et quand ce n’est pas le cas, il fait gris. Et comme nous sommes toujours à environ 1400m d’altitude, avec cette météo, les températures sont un peu fraîches. Après une bonne douche à mon retour de cette marche dans la jungle, j’attends que les deux anglaises, Gilly et Anne-Marie, passent me prendre pour aller prendre un verre en ville. Mon seul soucis est que je suis obligé de me chausser de mes gougounes / schlappe / slache / claquettes / tongues sous ce temps breton. Mon autre paire de chaussure est généreusement couverte d’un centimètre de glaise humide que j’hésite encore à nettoyer dans la douche de ma chambre de peur de boucher les tuyauteries.

A l’heure prévue, je suis récupéré par le duo britannique (encore un bon synonyme pour les deux anglaises. A ce rythme je suis bon pour devenir journaliste sportif) et nous nous dirigeons vers la sorte de place centrale de la ville pour rencontrer un trio que Gilly et Anne-Marie ont rencontré dans leur bus en provenance de Ho Chi Minh. Je suis difficilement avec mes chaussures inadaptées sous la pluie et le froid. Mais nous voici rapidement six et, après les présentations d’usage, partons à la recherche d’un quelconque bar un peu sympathique.

Je vais donc tenter de vous décrire ce petit monde. Premièrement, car c’est un peu l’organisatrice de la soirée, Gilly, cheveux blonds mi-courts, taille moyenne, dynamique. Nous avons ensuite sa comparse, Anne-Marie, cheveux châtains longs, taille moyenne, boulote et beaucoup plus enjouée et bavarde maintenant qu’elle est en territoire familier. Voici pour le quota grands-bretons de la soirée. L’autre consiste en trois tchèques, un gars et deux filles. Pour commencer, Eva, la plus jeune, une grande et costaude jolie blonde aux cheveux longs en queue de cheval, d’allure sportive. Ensuite, Susanna, une aussi grande brune aux cheveux mi-courts avec un petit air de garçon manqué. Pour finir, David, un autre grand brun, cheveux courts et petites lunettes intellectuelles.

Après un début de bavardage un peu timide pendant lequel Anne-Marie, avec un enthousiasme proportionnel au soulagement d’y avoir survécu, commence à raconter sa journée de randonnée, nous nous posons dans un bar désert. On ne peut pas dire que Da Lat soit le rendez-vous des fêtards et la plupart des établissements ferment relativement tôt. Nous commandons des bières (entre des tchèques et des anglais, ça semble relativement naturel) et entamons enfin les véritables présentations.

Dans la catégorie « personnes étonnantes », en voici encore trois des plus sympathiques. Mais avant de commencer, j’apprends que Gilly a effectué, il y a quelques années, deux mois de volontariat humanitaire au Cambodge pour faire de la rééducation de personnes handicapées. Encore quelqu’un qui force le respect.

Revenons donc à nos trois tchèques. Tout d’abord David et Susanna sont ensembles. Quand à Eva, c’est une jeune copine de leur club d’escalade de Prague. Il est vrai qu’elle a l’air un peu plus timide que les deux autres qui ont, soyons clair, chacun un aspect de vieux baroudeur malgré leur petite trentaine d’années d’âge. Alors que nous nous vantons d’avoir traversé la jungle hostile pendant notre journée, ils nous annoncent avoir parcouru environ 150km sous la pluie sur des motos louées, autour de Da Lat, le tout avec de grands sourires. « C’était amusant », conclut Susanna. En voilà trois pour qui le sens de l’aventure ne fait pas défaut. D’ailleurs en continuant à parler de moto, David et Susanna nous racontent quelques anecdotes en deux roues vécus en Iran, pendant un précédent voyage. « L’Iran, voilà qui est original », fais-je remarquer.

  • Pourquoi pas ?, demande Susanna, un brin sur la défensive
  • Non, mais il faut bien avouer que ce n’est pas non plus une destination touristique majeure, ajoute avec un sourire Gilly
  • Oui, peut-être, conclut Susanna en regardant David avec un petit sourire fier.

Ces deux là m’ont l’air de vrais aventuriers, et notamment Susanna qui nous liste ses pays visités : Inde, Syrie, Iran, Bulgarie et Roumanie. Pour les deux derniers, je me doute qu’il s’agit d’une destination naturelle car limitrophe pour des tchèques. Par contre, pour la Syrie, voilà qui est encore original. Inutile de préciser que chaque voyage se fait dans des conditions routards et pendant un mois minimum. Toujours avec un air mi-modeste, mi-espiègle, elle nous raconte la fois où elle a fait de l’auto-stop en Iran en se faisant récupérer par un camion de marchandise. Le chauffeur, un peu fatigué, lui a laissé le volant. Admettez que ça change de l’anecdote un peu plus convenu concernant un incroyable restaurant où on vous a servi du saumon avec du ketchup (Non mais du « ketchup » ?! Je rêve !). Tout de suite, c’est difficile de rivaliser. Néanmoins, j’arrive à les faire rire quand je leur raconte mon accident et ma panne d’essence d’il y a deux jours. Comme quoi, encore une fois, la vie n’est qu’une collecte d’anecdotes à partager avec les autres. A condition qu’elle ne vous tue pas, bien entendu.

Pour ce qui est de leur occupation, car il faut bien avouer que, moi, je trouve ça toujours intéressant de savoir ce que font les gens pendant la plus grosse partie de leur journée, j’arrive à glaner que David est psychologue et Eva étudiante en dernière année de mathématiques (une tête bien faite, en plus). Quand à Susanna, au cours de la conversation, j’apprends qu’elle a arrêté ses études et qu’elle travaille dans le milieu de l’informatique à faire des tests. Voilà qui rajoute un peu à son côté rebelle.

Cette soirée s’annonce terriblement intéressante et nous changeons de bar en quittant me deux collègues de randonnées. La fatigue se fait sentir et Anne-Marie commence à se ressentir de sa terrible journée. Je leur souhaite bonne chance pour la suite et poursuit avec le trio tchèque vers un autre bar un peu plus animé. Selon toute vraisemblance il est tenu par un anglo-saxon et la clientèle, un peu plus nombreuse. Pendant encore quelques heures nous discutons de tout, un sujet menant à l’autre, et je suis périodiquement impressionné par l’incroyable absence de peur et d’angoisse de David et Susanna. Peut-être est-ce de la bravade mais je trouve ça rafraîchissant. Eva, quand à elle, semble beaucoup plus raisonnable et timide en comparaison, mais à côté des deux autres, tout le monde le serait. Pour ajouter encore à cette ambiance cosmopolite et rebelle, nous sommes rejoint pendant un moment par la serveuse qui nous apprend être américaine. En vacances pendant quelques mois au Vietnam, elle aussi en mode improvisation, elle s’est arrêté à Da Lat après un coup de cœur pour le bar et la ville. Elle ne semble pas pressée de continuer, en tout cas.

Finalement, vers minuit, légèrement éméchés, alors que tout les autres bars et restaurants sont fermés depuis deux heures, nous décidons de rentrer. Après de sympathiques aux revoir et remerciements, je repart vers mon hôtel. Une bien jolie soirée.

Mais je crois bien que je m’y suis pris à deux fois pour retrouver mon chemin.

Marcher dans la boue

Il pleut. Il crachine. Il drache. Il bruine. Bon ceci dit, ce n’est pas une raison pour se laisser abattre, nom d’une pipe ! Fallait bien que ça arrive un jour ou l’autre, surtout que la mousson, on ne peut pas dire qu’elle soit hyper-présente jusqu’ici. Alors qu’est-ce qu’on fait dans ces cas là, lorsqu’on est dans une station climatique et qu’il fait un temps dégueulasse ? Hein ? Oui. Ok. On va au casino. Certes. Là, ça n’est pas possible car il n’y en a pas. Moi, j’ai décidé d’aller faire une randonnée à la journée dans les hauteurs environnantes. Tant qu’on y est, autant y aller à fond. De plus, je vous ai légèrement menti par omission, mais Da Lat, de nos jours, est également une destination pour toutes sortes de sports d’aventures et d’extérieurs, saut à l’élastique exclu.

Pour être tout à fait exhaustif dans mon exposition des faits, ma première intention, louable et originale, j’estime, était de faire une randonnée équestre dans les environs. Avec un tibia gauche un peu amoché, je trouve que c’était drôlement raisonnable car mon choix initial, mûrement planifié la semaine précédent cette fameuse sortie scooter, se portait plutôt sur une ballade en VTT. Je me suis donc arrêté chez un des nombreux organisateurs de sorties qui ont pignon sur la même rue pour réserver une petite balade équestre. Manque de pot, il se trouve que j’étais manifestement le seul pour qui l’idée de se balader à dos de canasson avait le moindre attrait et la charmante dame du magasin à du annuler la sortie, faute de participants. Je me suis donc rabattu sur une « bête » sortie à pied autour d’un lac et dans la jungle, de difficulté moyen / débutant, histoire de ne pas prendre trop de risques. Pour être encore plus prudent, je demande l’état du chemin avec la pluie pour éviter la rando galère sur terrain glissant. Elle me rassure. Les pluies ne sont pas très fortes donc le chemin devrais être parfaitement praticable. Si elle le dit.

Le matin de la sortie, le ciel est bas, gris et menaçant. Mais il ne pleut pas. J’attends dans le hall de l’hôtel qu’on vienne me chercher, portant pour la première fois depuis mon départ mon pull en polaire et mon blouson. A l’heure prévue, un mini-bus s’arrête devant et un jeune vietnamien dynamique, à l’allure sportive descend et pénètre dans le hall. C’est mon guide. Je monte donc dans le mini-bus et nous repartons. Pour une fois, j’ai été laxiste et faute d’avoir noté son nom, je ne parviens pas à me souvenir de son prénom. Appelons-le Vu, et ne cherchez pas, il n’y a aucun jeu de mot. Un deuxième guide, en plus du chauffeur est également présent. De la même manière, je ne me souviens plus de son nom. C’est lamentable et inexcusable. Appelons-le donc Tien. Voilà. Ou Justin si vous préférez, peu importe.

Donc Vu parle un excellent anglais. Qui plus est, en cinq minutes, je le trouve déjà très sympathique. Il est enjoué, souriant et rigole facilement. Quand à Tien (ou Justin si vous avez choisi l’option B) son anglais étant beaucoup plus hésitant, il est plus réservé, mais tout aussi souriant. Nous nous arrêtons une nouvelle fois devant un autre hôtel et je vois entrer deux jeunes femmes. Vu referme la porte coulissante et, après avoir repris sa place sur le siège passager, se retourne pour nous faire un rapide topo de la journée. Nous ne serons donc que trois touristes. Ça c’est chouette. Moi, je préfère les petits groupes et on peut dire sans mentir que le taux d’encadrement est exceptionnel : deux guides pour trois.

Chacun se présente et je salue donc Gilly et Anne-Marie, deux anglaises en vacances pendant deux semaines. On papote donc pendant le trajet jusqu’au point de départ de la randonnée. Les deux viennent d’arriver il y a quelques jours à Ho Chi Minh et commencent à peine leur remontée vers le nord. C’est donc l’occasion de leur donner mes impressions et mes coups de cœurs. Elles sont très sympathiques et avec Vu qui rigole facilement, l’ambiance est déjà détendue avant d’arriver à destination.

On reçoit donc un petit résumé du parcours ainsi que certaines recommandations un peu plus originales : il y a des sangsues partout sur le chemin. On nous fait passer chacun à notre tour un répulsif sauf forme de baume gras que l’on vient appliquer généreusement sur le bord de nos chaussures. Ça change des moustiques. Au passage, si on fait un rapide tour d’horizon de l’équipement de chacun, je constate que je suis le seul à avoir des chaussures qui pourraient passer pour des chaussures de marche dotées de vagues crampons. Les deux anglaises sont en chaussures de jogging et nos deux guides en petites chaussures de toiles à semelle plates, sans chaussettes. Les chaussettes et les crampons, c’est manifestement pour les fillettes, ici.

Nous prenons donc le chemin, encadrés par les deux guides, et on continue les présentations. Gilly est physiothérapeute (donc j’avoue ne pas avoir une idée très précise de ce que c’est) et Anne-Marie, étudiante en dernière année. Nous en venons à parler système de santé et mis en confiance par l’aspect ouvert et sympathique de Vu, lui demande comment cela se passe au Vietnam, vu le régime politique que je crois être légèrement socialiste. Je met donc quelques pincettes pour ne pas l’effrayer mais, de manière surprenante, il nous répond sans fard ni gêne. Manifestement, il y a des années, le système était effectivement gratuit pour tout le monde mais récemment, les choses se sont légèrement libéralisées. Hormis les plus pauvres, la plupart paye le prix fort pour se faire soigner.

Nous entamons une montée à travers une végétation qui devient un peu plus dense et humide. Sans vouloir critiquer, je constate que les prévisions de l’organisatrice étaient légèrement optimistes. Le chemin est légèrement glissant et boueux. Je redouble donc de prudence pour éviter de tomber sur ma jambe blessée.

La conversation se poursuit en pointillé, entre deux respirations et il devient rapidement évident qu’Anne-Marie est devenue taciturne. Sans vouloir faire dans le cliché, il faut bien avouer qu’elle ne m’avait pas frappé par son physique de marathonienne. On peut même dire sans mentir qu’elle est plutôt boulotte, au minimum. Néanmoins, là n’est pas la véritable cause de son rapide passage en apnée dans la montée. Entre deux goulets d’air, elle commence à pester contre son amie : « Tu… m’a…vais… dit… que… ce… se…rait… fa…cile ! Hhhhhhhhhhhh. C’est… la… pre…mière… fois… que… je… fais… de… la… Hhhhhhhhhhh… ran… do… nnée ! ». A son aspect rouge pivoine (comme le veut l’expression consacrée), nos deux guides commencent à se retourner, légèrement inquiets.

Vu propose donc une pause pour éviter de la perdre dés la première petite montée. A sa décharge, une montée rendue légèrement glissante par la pluie devient rapidement plus exigeante physiquement. Une poignée de minutes plus tard, nous repartons, toujours dans une végétation humide faite de hautes herbes, arbustes et fougères sous de grands arbres qui nous bouchent le ciel gris, et toujours en légère montée. Nous reprenons notre tranquille papotage entre Vu, Gilly et moi, ce qui me fait penser un instant à l’incroyable torture morale que cela représente pour Anne-Marie. Il n’y a rien de plus déprimant que deux lourdauds qui papotent comme si de rien n’était dans une montée lorsqu’on est au bord de l’asphyxie. Bon, si elle survie, elle en rira dans dix ans. C’est d’ailleurs ce qu’on lui dit. « Rrrrrrhhh. No. I don’t think so ! », nous répond-elle. Aucun sens de l’humour, pfff. D’ailleurs, histoire d’ajouter à son malheur, la pauvre glisse et tombe sur les fesses un peu plus tard. On la sent légèrement épuisée.

Vu décrète donc une nouvelle pause et après quelques instants pour reprendre son souffle, Anne-Marie se plaint de nous ralentir. Tous en cœur, nous nions en bloque et j’ajoute même la réplique type de dé-culpabilisation « De toute façon, ce n’est pas une course ». Moi, je serai à sa place, je demanderai à ce qu’on aille se faire mettre. Pour que sa première expérience de randonnée soit totale, il commence à pleuvoir.

Nous repartons une nouvelle fois, en zigzaguant dans ce qui ressemble maintenant à une jungle, toujours encadrée par ces fougères et arbustes. Un instant je marche en regardant dans mon sac à dos pour chercher mon appareil photo, puis l’autre, je bascule par terre la tête la première. Tout le monde se retourne vers moi « Non, non. Tout va bien. C’est ma faute ! Enfin, vous auriez pu prévenir qu’il y avait cette bûche en travers du chemin à hauteur de genoux, quand même ! ». Ça m’apprendra à vouloir marcher tout en cherchant quelque chose dans mon sac. En tout cas, plus de peur que de mal, grâce au sol boueux. Comme ça, Anne-Marie se sentira moins seul. D’ailleurs, quelques minutes plus tard, c’est Gilly qui se retrouve sur les fesses après une glissade. Je dois avouer que nos guides en petites chaussures plates deviennent vite agaçants à ne pas glisser, eux.

Pendant une nouvelle pause, je me retrouve à côté de Tien (ou Justin) et dans son anglais approximatif on commence à discuter marche en montagne. Celle-ci est vraiment peu difficile en terme de dénivelé mais je vois bien à son air sec et affûté qu’il a l’habitude. Je lui fait donc remarquer de manière tout à fait innocente qu’il a la condition physique. « Pas comme celle-là ! », me répond-il, souriant, en pointant du doigt Anne-Marie, située à environ quatre mètres, tout en faisant une mimique de gonflement du ventre. Je croise les doigts pour que l’anglaise n’ai pas entendu mais voilà qui est typiquement vietnamien, cette absence totale de prise de gant.

Nouveau départ. Nouvelle avancée dans un terrain un peu moins pentu mais toujours aussi détrempé et touffu. Anne-Marie respire un peu plus mais la fatigue aidant, sa démarche est toujours aussi peu sûre. J’essaie de lui donner quelques conseils pour trouver de bonnes prises au sol mais il faut bien avouer que, dans ces cas là, on a tendance à être un peu bougon. Toute suggestion n’impliquant pas l’action « arrêter » ou « rentrer » est tout de suite perçu comme de la provocation.

Sans mentir, car sinon ce serait beaucoup moins drôle, nous levons tous les yeux au ciel en poussant un soupir, du moins en pensée j’en suis sur, lorsque un peu plus tard elle se met à pousser des cris en sautillant : « UNE SANGSUE ! UNE SANGSUE SUR MA JAMBE !! ». Effectivement, une petite sangsue s’était gentiment accrochée à son mollet dodu. J’aurai fait pareil. Vu accourt et sortant son répulsif vient en appliquer un bout sur la bête qui tombe instantanément. Inutile de préciser que l’anglaise est à ce moment là au bout du roulot. Gilly lui prend alors les mains et, tout en la fixant dans les yeux, lui répète un mantra pour la calmer : « Tu peux le faire ! Si. Si, Anne-Marie, ne pleure pas. Tu peux le faire. » Bon sang, c’est comme dans un film sauf qu’on a pas le droit de rire. D’autant plus que je suis en pleine empathie. Des souvenirs de sorties VTT pourries dans la boue à ne plus pouvoir pédaler, épuisé alors qu’il reste encore cinq kilomètres à faire avec deux athlètes surentraînés qui me précèdent en riant, me reviennent en mémoire. Oui, monsieur Eric C. de Venerque, c’est de vous que je parle.

Notre guide nous assure que la montée est presque terminée et après quelques minutes pour se reprendre, nous repartons tranquillement. A partir de là, la marche devient effectivement un peu moins physique. Malheureusement, nous entamons la descente à travers la jungle et le rythme ralenti pour ne pas glisser. Je profite que chacun ai récupéré son souffle pour reprendre la discussion avec Vu. Cette fois-ci je décide de l’asticoter sur le permis deux roues. On en apprend de bonnes à ce sujet. Bien que l’âge légal est de dix huit ans, de nombreux vietnamiens commencent à conduire une mobylette en dehors de la route un peu plus tôt. Pour ce qui est du permis, c’est quasiment un sketch. Ils passent un gros test théorique aux questions un peu bateaux, sans doute en rapport avec le code de la route (qui existe, si, si) puis un petit test pratique qui consiste plus ou moins à faire un huit entre deux plots. Trois cents kDongs plus tard, vous êtes détenteurs d’un permis officiel et vous pouvez commencer à transporter des cochons morts sur la nationale à bord de votre pétrolette.

Fort de mon expérience (mi-malencontreuse), je fait remarquer à notre guide que, bizarrement, en tant que touriste je n’ai jamais eu à montrer mon permis lorsque j’ai eu à louer un deux roues. En théorie, d’après lui, les policiers pourraient nous arrêter et l’exiger. Sauf, qu’ils ne le font pas parce qu’ils ne parlent pas anglais. Il nous dit ça avec le sourire et un brin d’espièglerie et j’ai la sensation que lui et Tien sont beaucoup moins respectueux des autorités et du gouvernement. Peut-être cela correspond-il à se que Annah m’avait dit concernant les gens du sud Vietnam, qui percevaient encore le pouvoir d’Hanoi avec un œil critique et ironique.

DSC_6105_DxOFinalement, nous nous arrêtons pour le déjeuner. Nos deux guides sortent une nappe et y posent les ingrédients pour les sandwichs : pain, tomates, jambon, oignons et… Vache qui Rit. Voilà qui est surprenant, d’autant plus que c’est sous-titré en vietnamien. De manière amusante, quelques semaines plus tard, je découvrirais des boites de « Laughing Cow » en Australie. C’est triste (moi qui n’aime pas ça) mais il se pourrait bien que ce soit notre plus grand produit d’exportation après le vin. Nous finissons le repas avec quelques fruits frais, notamment du « fruit du dragon » ou pitaya à l’aspect si coloré. Anne-Marie retrouve une respiration normale ainsi que la parole, l’un n’allant pas sans l’autre.

Nous finissons de traverser la jungle tout en descente, en traversant parfois quelques petits cours d’eau ou la peur de la sangsue devient plus présent. Accessoirement, nous commençons à porter DSC_6107_DxOquelques kilos supplémentaires de boues à nos chaussures. Nous émergeons enfin à l’air libre dans un petit vallon où Vu nous montre un champs de petits arbustes aux baies vertes. « Qu’est-ce que c’est à votre avis ? », nous demande-t-il. Moi qui suis toujours un peu fayot et qui ai un peu potassé mon Lonely Planet répond : « Un cafetier ? ». Bingo. J’avoue que c’est assez amusant de voir pour la première fois ces plantes qui fournissent une des boissons les plus bues de la planète et sans qui l’économie tournerai au ralenti ou du moins, sans qui une partie des employés de bureau non-fumeurs travailleraient sans discontinuer. A Da Lat, d’après notre guide ils font pousser de l’arabica et du mocca. Moi ça me rend heureux car ce soir je dormirai moins con : je ne savais pas que le mocca était une variété de café.

Finalement, le plus dur est derrière nous et nous marchons tranquillement d’un pas alerte et joyeux ponctué par notre discussion, sautant du coq, à l’âne puis au canard, que l’on croise sur une petite mare. C’est l’occasion de parler confit de canard et cuisson lente, histoire d’entretenir la légende que les français ramènent tout à la bouffe. D’ailleurs en parlant de volaille, nous finissons la randonnée dans un village célèbre dans les environs pour sa magnifique statue en béton représentant une poule. Oui, le gallinacé.

Comme je voit que ce billet et bientôt terminé, j’en profite pour vous en narrer l’histoire. Dans ce village, la minorité ethnique y vivant (dont j’ai complètement oublié le nom, pour changer, mais elle doit certainement faire parti des 54 répertoriées) a comme sympathique et originale coutume d’exiger d’une future mariée de présenter une dote à la famille du futur marié. Oui, vous avez bien lu. Ils font les choses dans l’autre sens par rapport à ce qui est généralement usuel. En clair, c’est la mariée qui demande la main au marié. Mais qu’est-ce que j’aime ce pays, nom d’un chien ! Pardon.

Bref, une jeune femme dans un temps ancien, amoureuse d’un jeune homme, alla voir sa famille pour lui demander sa main.

« Wo ! Famille ?! »

  • Oui ?
  • Vaz-y, kèsse tu veux pour ton keum, là ?

Je ne sais pas pourquoi, il me vient tout de suite des images de Diam’s d’avant sa conversion islamique quand j’imagine une jeune et jolie vietnamienne dans cette situation. C’est parfaitement ridicule mais le subconscient est ainsi fait qu’il est généralement complexe et surprenant. Poursuivons.

« Euh… je ne sais pas trop… », répondit la famille du jeune non encore promis.

Il faut dire que cette famille voyait d’un très mauvaise œil cet union, pour une raison que ma mémoire ignore. Je ne sous-entend absolument pas que Diam’s est l’archétype de la belle-fille que l’on voit du mauvais œil, quel qu’il soit. Plutôt que d’exposer frontalement son désaccord, ce qui aurait été une chose mûre, adulte et réfléchie, la famille du jeune homme, légèrement hypocrite, décida d’exiger une dote parfaitement impossible à trouver : une poule munie de non pas un, non pas deux, mais tenez vous bien, trois ergots (ouuf! Les guedins!). Comme je vous sais tous d’origine rurale, je ne vous ferez pas l’affront de vous rappeler que des poules à trois ergots, c’est aussi commun que des poules avec des dents. Moi, je ne savais déjà pas qu’elles pouvaient en avoir deux, alors trois. Ça et le mocca, je me sens vraiment moins con. Pendant des semaines, des mois voir des années pour que vous sentiez vraiment à quel point cette jeune fille donna de sa personne, elle parti à la recherche d’une poule à trois ergots. On aurait pu lui demander de trouver un banquier sincère que la tâche n’en aurait pas été moins rude. La malheureuse en mourru.

En souvenir de cette triste histoire, qui devint légende, on érigea dans le village des deux protagonistes une statue gigantesque d’une poule à trois ergots. Par gigantesque j’entends ayant au moins deux mètres de haut. Pour que ça soit encore plus classouille, et parce qu’on avait sans doute vu Versailles, on l’a conçu pour que, fontaine, elle cracha l’eau de la source par son bec. On choisit les plus beaux matériaux, en l’espèce, un béton cellulaire de la meilleure gamme de chez Lafarge. Ce devait être drôlement bôôôôô même si j’estime que le risque n’était point négligeable que cela n’évoque un poulet rendant son déjeuner. Fort heureusement, la fontaine tomba en panne quelques années plus tard et, par paresse, par manque de fond, la légende reste muette sur ce sujet, on ne la répara point. L’Art aquifère perdit un enfant mais on escamota à tout jamais le quiproquo.

Et sinon tout le monde rentra sains et saufs à son hôtel.