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Ce que j’ai retenu des Maoris

Je vous fixe dans les yeux les yeux grand ouverts.

Je suis presque accroupi en me frappant les cuisses avec les mains.

J’alterne en frappant alternativement mon coude droit avec ma main gauche suivi de mon coude gauche avec ma main droite. Je ne ferme toujours pas les yeux. Ca pique.

Je suis toujours presque accroupi et je vous tire la langue. D’ailleurs, j’ai mal aux cuisses à tenir cette posture.

Je me relève, non sans mal, en vous jetant un regard de défi.

Je viens de réaliser un haka et j’ai grand besoin d’une giclée de collyre dans les yeux doublé d’un massage énergique des quadriceps.

Cette scène, c’est un peu le cliché de la culture Maori, véhiculé avec grande efficacité par l’équipe de rugby à 15 nationale, les All Blacks. Rassurez-vous, c’est tout à fait authentique. Mais à part cela, qu’ai-je donc appris de la culture de ce pays ? Hein ?

C’est sans doute le pays où j’ai le plus découvert de choses côté culture. Autant j’avais quelques notions de la culture indienne, vietnamienne et australienne, autant pour les néo-z, que dalle. Je pensais que c’était une sorte d’Australie en beaucoup plus vert et petit avec les Maoris à la place des Aborigènes. Hormis la taille et la couleur, j’étais totalement dans le faux.

Remontons un peu le temps. <Bruit de cassette que l’on rembobine, la régie n’ayant aucune imagination pour ce qui est des effets sonores>. Mais pas de beaucoup <Bruit de pneus qui dérapent>. Arrêtons nous dans les années 1400, qui contrairement aux années 1970, étaient nettement en retrait du côté des tapisseries à motifs oranges et marrons. Pendant qu’en Europe, en pleine Renaissance naissante, on redécouvre les savoirs antiques dans une croissante effervescence artistique qui culminera quelques 550 années plus tard aux sus-mentionnés décorations murales aux tons chauds et rapidement démodés, de l’autre côté de la Terre, on pagaie. On pagaie même drôlement fort sur un océan sans pitié, très loin de considérations artistiques qui ne sont que l’apanage des fiottes et autres petites natures.

Ce « on » ce sont une grosse pelletée de polynésiens à bord de sept gros canots de mer, ayant quitté l’île de Rarotonga, dans l’archipel des îles Cook (mais ça on ne le saura que plus tard lorsque le capitaine du même nom y passera), en partance pour une terre prêt à accueillir une population excédentaire. Depuis des centaines d’années, la culture polynésienne procède ainsi, colonisant par petits bonds hasardeux l’ensemble des archipels du grand Pacifique. L’histoire ne raconte pas (ou je ne m’en souviens pas) s’ils avaient la moindre idée de ce qu’ils cherchaient mais ils touchèrent le gros lot en atterrissant sur les rives de la future Baie d’Abondance dans l’île du Nord.

Ce pays, ils le nommèrent Aotearoa, parce que ce doit signifier quelque chose de drôlement pertinent en polynésien comme « Arrêt Pipi » ou « Lieu où On Peut Enfin Bouffer Autre Chose Que Du Poisson Séché Qu’On En A Plein Le Cul». C’était de sacré navigateurs même si je serai curieux de connaître le nombre d’échecs et de bateaux perdus en mer pour chaque terre trouvée. Est-ce qu’on ne serait pas en train de les juger sur le nombre de leurs succès en omettant leurs échecs ? Ceci dit, de l’autre côté de la Terre, là ou on s’amuse à redécouvrir l’eau tiède en relisant des textes en langues mortes, on en est encore à croire que la Terre est plate alors que les polynésiens savaient se repérer avec les étoiles. On note également qu’en ce qui concerne l’immigration clandestine par bateaux, nous, contemporains, n’avons rien inventé.

Cette terre totalement vierge d’humains étant très riche et plein de potentiel (je parlerai plus tard de la faune endémique), on s’installa, se développa et la population locale cru en se propageant à travers, principalement, l’île du Nord puis celle du Sud (qui ne demande pas des compétences extraordinaire hormis une absence de myopie pour la découvrir). Cette culture locale polynésienne devint culture Maori, gardant de nombreux traits communs, notamment la langue, avec ses racines d’origine. De manière amusante, la croyance maori associe la mort à un retour vers une île mythique ancestrale, terre d’origine (bien que je ne crois pas qu’il s’agisse de Rarotonga. Ils ont quand même un peu de mémoire), comme tous les peuples polynésiens, même si le nom change d’archipel en archipel. Vous allez voir que, dans quelques années, les scientifiques découvriront qu’il s’agit de l’île de Ré, déjà incités à fuir par le prix galopant de l’immobilier. Quel enfer ce serait, obligé de vivre pour le restant de l’éternité sur une île plate, tourmenté par un ennui sur-mortel l’hiver et des embouteillages automobiles l’été.

Comme ils étaient un peu prévoyant, ces premiers colons avaient eu la bonne idée d’emporter, en plus de femmes et enfants, quelques cochons (vivants) ainsi que la patate douce locale des îles future Cook, la kumara. C’était chouette pour eux parce qu’ils purent, enfin, se taper des côtes de porc aux frites, base de l’alimentation en absence de steak, mais pour cette terre, cela marqua le début de l’invasion. Car, en l’absence de discours politiquement correct, il faut bien avouer qu’il n’a pas fallu attendre l’arrivée des premiers colons anglais pour que l’homme façonne en partie la terre selon ses désirs. Bien entendu, l’échelle n’est pas la même et en comparaison, les maoris sont des écologistes radicaux. N’empêche que ce furent les premiers à entamer la déforestation et la culture de plants endogènes.

Lorsque la population augmenta, il se forma des clans regroupés géographiquement et avec, de façon concomitante, des guerres. Les peuples polynésiens sont des peuples avec une forte composante guerrière et pour ce qui est de foutre sur la gueule de son voisin, ils ne sont pas les derniers. A ce propos, il doit être intéressant de visionner le film « Once we were warriors » dont le sujet est la population pauvre maori dans les quartiers défavorisés d’Auckland, ce que je n’ai toujours pas fait. Non, côté guerre, ils étaient même plutôt sanglants, mais c’était l’époque. Par exemple, il n’était pas exceptionnel de trucider tout les guerriers adverses en cas de victoire ou d’autres choses assez sanglantes.

Cet entraînement régulier à la baston leur fut d’un grand secours à l’arrivée des colons britanniques. La culture maori, comme toutes les cultures polynésiennes, encore une fois, est une culture sédentaire dont le village est le cœur, pratiquant l’agriculture et l’élevage. Il y eu donc rapidement des affrontements territoriaux avec les britanniques puis de grandes batailles. Les maoris se battant férocement (certains même diraient avec cruauté, mais ce n’est peut être qu’un manque de culture esthétique, comme ne pas apprécier le vin la première fois) et tenant tête avec les soldats de sa majesté Victoria (ce qui valu leur respect par les soldats adverse), un traité fut signé entre les maoris et le gouvernement des Royaumes-Unis, traité selon lequel ils (que l’on ne peut traiter de peuple autochtone, finalement) se fondaient dans la nation néo-zélandaise tout en conservant des pouvoirs politiques quasiment à égalité avec l’envahisseur. C’était sans compter sur les clauses écrites en corps 6 en bas de page. En réalité ils se sont fait un peu bananés mais, fait notable, à ma connaissance, de tout les peuples « conquis » par le colonialiste britannique, c’est sans doute celui qui s’en ai sorti le mieux.

Détail intéressant de l’histoire, je trouve, lors du premier contact entre les maoris et l’équipée du capitaine Cook, ils ont pu très rapidement communiquer. La raison est d’une simplicité enfantine pour peu que vous ayez en tête le parcours du capitaine à travers le Pacifique. Avant la Nouvelle-Zélande, il était passé par Tahiti et y avait embarqué un prince autochtone. Ce fut celui-ci qui, dans son tahitien natale, parvint à communiquer approximativement avec les maoris, leur langues étant très proches.

N’ayant pas vécu assez longtemps là bas pour en tirer une véritable conclusion, j’ai néanmoins constaté une présence non négligeable de personnes d’origines maoris aussi bien dans les médias, le politique et bien évidemment, le sportif. Finalement, j’ai l’impression que le mélange s’est bien fait, y compris dans l’autre sens. Lorsqu’on se ballade dans le pays, on est surpris par la prévalence de la culture maori en tant que socle sur lequel vient se poser une couche occidentale. C’est même particulièrement mis en avant par les institutions touristiques. Ça m’a laissé une impression vraiment positive même si je suis certain que ça n’a pas forcément été tout le temps le cas. Par rapport à la culture aborigène en Australie, c’est vraiment frappant et je n’ai pas eu l’impression de domination comme on peut l’avoir dans d’autres pays vis à vis des cultures « indigènes ». Finalement se sont sans doutes des cultures « compatibles », les deux, maoris et occidentales, étant sédentaires et colonialistes.

DSC_8070_DxODans l’excellent musée Te Papa, à Wellington, ou le plus modeste musée de Rotorua, on peut contempler de plus près des maisons ancestrales ou des totems arborant ces figures si typiques de la Nouvelle Zélande. On reconnaît facilement les mimiques des hakas, un visage les yeux grand ouverts et tirant la langue. Ce doit être une grande insulte là bas. L’autre trait particulier de l’esthétique maori sont bien entendu ces motifs aux volutes complexes que l’on retrouve aussi bien sur les tatouages que sur les armes, maisons ou totems. Grâce au rugby des All Blacks, ces deux choses se sont maintenant propagées dans les deux hémisphères et à Toulouse, il n’est pas rare de croiser des personnes arborant ces motifs sur leur corps, même si, comme moi, ils doivent en ignorer la signification.

Non, en dehors de ces deux choses fort connus, j’ai appris (mais surtout retenu) certaines choses concernant la culture maori. D’après eux, tout élément vivant ou minéral est empli d’une force magique ou spirituelle, le mana. Je suis quasiment certain que c’est un concept partagé par toutes les cultures polynésiennes, même si je ne suis pas ethnologue. C’est un concept un peu plus complexe qu’un simple « potentiel magique ou spirituel » car il peut également inclure le charisme. Par exemple, un chef très influent possède un grand mana même s’il ne possède pas de « pouvoir magique ». En perdant une bataille, il va en perdre. Il s’agit donc d’une notion un peu flou sans équivalent dans le vocabulaire français qui regroupe pouvoir, influence, spiritualité, charisme et vertu. Moi par exemple, j’ai pas mal de mana (ben si, ne faites pas semblant, vous le sentez, non?), sauf saisi par une gastro-entérite, ce qui m’arrive, fort heureusement, quasiment jamais.

L’autre concept fondamental maori (même si encore une fois, il est fort possible qu’il soit présent à Tahiti ou Hawaï) décrit un état antinomique à « sacré » que je pourrais qualifier (du bout des lèvres et sous contrôle d’un huissier) de similaire au « haram » dans l’islam. Quelque chose de « tapu » est un peu vil, maudit ou interdit même si ces qualificatifs sont peut être un peu fort lorsque l’on sait qu’une femme qui a ses règles devient tapu. C’est un peu rude, tout de même. Encore une fois, le concept est flou et difficile à cerner en l’absence d’équivalent français. En tout cas au sein de la culture maori, de la même manière que certains actes apportent du mana (donner aux Restos du Coeur ou payer ses impôts sans défiscalisation), d’autres peuvent vous rendre tapu. Des lieux ou des objets peuvent l’être, bien entendu, même si je suis incapable de vous en décrire les circonstances.

Pour finir, si vous avez des enfants, ouvrez les à la culture maori en employant ces deux termes. Une bonne note et gratifiez les d’une hausse de mana. Les matins, charmez votre compagnon en lâchant un « Dis donc, t’as un joli mana, ce matin, je me trompe ? ». Inversement, si votre petit dernier veut jouer avec ses excréments, proférez doctement un « non, le caca, c’est tapu !! ». La même chose s’applique si vous passez devant votre banque, lieu tapu par excellence. Le voyage n’est pas uniquement physique, finalement.

L’accent néo-z

Un jour, un anglais m’a ouvert les yeux sur un truc complètement dingue en rapport aux accents. Je ne suis pas sur que ça fonctionne avec toutes les langues mais, avec l’anglais, c’est du 99,99%. Il s’agit tout simplement de décaler les voyelles. Mettez vous le fameux « a-e-i-o-u-i grecque » dans la tête et décalez tout d’un cran. Par exemple, admettons que le « aaah » devienne « eeeeuuuh », le « euuuuh » devienne « iiiiih » et ainsi de suite. La charmante phrase « ci gît la grosse patate grise » devient, sauf erreur, prononcée avec ce nouvel accent que je vient d’inventer devant vos yeux écarquillés et qui se situerai à la louche entre Moscou et Kiev, « ço geo le grusse peteti grose ». Dingue, non ?! Encore une fois, je ne suis pas certain que cela fonctionne terriblement en français car on perd une grande quantité d’information dans l’opération.

En tout cas, si vous souhaitez attraper sans trop de difficultés l’accent néo-zélandais, pour une soirée rugby dans un pub ou bien pour vous démarquer de l’américain ambiant (et puis après tout, qui suis-je pour me soucier de vos motivations profondes mais ésotériques), la règle s’applique. Tenez, à New York on dit « cool ». A Auckland on dit un vague truc ressemblant à « kéul » ou « kewl ». Amusez vous également à remplacer tout les « e » par des « i » ainsi que les « i » par des « é » et la sympathique et fort récurrente phrase « it’s a fresh weather, no ? » devient « ét’s a frish weathir, no ? » dans toutes les contrées de Terre du Milieu. Moi, ça m’amuse à chaque fois.

Notez que, contrairement à la même démarche effectuée en français en préambule, cela n’ôte absolument rien au sens. J’veux dire, sans vouloir frimer, je comprend tout ce qu’on me dit, ici. Pour les plus curieux, cette technique marche également avec l’accent écossais ou irlandais bien que la « matrice de décalage de voyelles », comme il me plait à l’appeler, ne me vient pas spontanément, là, maintenant, présentement. D’après un spécialiste, il semblerait que l’accent néo-zélandais se rapproche d’ailleurs du celui d’Afrique du Sud.

La seule exception que je connaisse pour le moment touche à l’accent indien qui consiste bêtement et dans un soucis excessif de simplification à remplacer toutes les voyelles par des « i », des « ing » ou, par défaut, quelque chose d’aléatoire. A ce niveau là, ce n’est plus du décalage de voyelles, c’est du cryptage de données.

Australian Football

Melbourne c’est une capitale culturelle. Ca va bien finir par rentrer à force que je vous le répète. Ceci dit, pour beaucoup d’australiens, les sorties en soirée sont plutôt l’occasion d’aller se divertir au stade. De ce côté ci, ils sont plutôt vernis, ayant le choix entre le cricket (pour les plus léthargiques), le rugby (à 13 ou à 15) mais surtout, le football australien, également surnommé « footy ». C’est d’ailleurs extrêmement perturbant au début car les gens vous parlent de « football » en se référant à sa version locale, l’AFL (Australian Football League) mais comme le football européen est encore un peu timide ici, pour eux, il n’y a pas d’ambiguité.

Hors donc, pour mon dernier soir à Melbourne, je me suis inscrit pour aller assister au match du vendredi soir pour un prix complètement dérisoire de 15$ (soit environ 10-11€). La sortie est organisée par le Greenhouse Backpacker et, oh surprise, notre chef de bande est Molly, notre guide pour le Pub Crawl. C’est d’ailleurs elle l’instigatrice de cette sortie. Elle est fan de footy. En plus, ce soir, ça tombe bien, son équipe, Collingwood, joue et pour que la soirée soit encore plus dingue, c’est un derby de Melbourne, Hawthorne vs. Collingwood, deux quartiers de la ville.

A ça, il n’y a rien d’étonnant. En discutant un peu avec Molly, mais aussi grâce à mes papotages avec les trois Brisbanais de hier soir, j’apprend que ce sport est joué majoritairement au sud du pays, avec une forte concentration d’équipes à Melbourne. La ligue compte 18 équipes, dont 9 sont basées dans la capitale du Victoria, voir 10 si on rajoute Geelong, une ville mitoyenne. C’est d’ailleurs à Melbourne que le sport a été créé. Molly nous a d’ailleurs raconté qu’historiquement, il s’agissait d’un sport d’entrainement hors saison pour les joueurs de cricket. Je suis drôlement sceptique à ce sujet car je ne voit pas bien en quoi le fait d’être hors de forme impacte en quoi que ce soit la performance d’un joueur de cricket. Si c’était un sport physique, ça se saurait. Je crois que je vais lancer la rumeur que le rugby a été inventé par des joueurs de pétanque pour maintenir leur condition physique pendant l’hiver.

Du coup, la saison est hivernale est courte. Comme un grand nombre d’équipes est de Melbourne, aux alentours des weekends il y a des matches quasiment tout les soirs. Il y a d’ailleurs deux stades dédiés, des plus modernes, l’Etihad Stadium à l’ouest du CBD et le MCG (Melbourne Cricket Ground) à l’est mais les deux sont en centre ville et facilement accessibles à pied de Federation Square.

Je me retrouve donc de nouveau à l’accueil de l’hostel, attendant que tout le monde se rassemble. Un groupe de trois anglaises sont déjà là, à moitié peinturlurées en noir et jaune, les couleurs de Hawthorne. Agréable surprise, je retrouve Samjin, également intrigué par ce sport. Sous le chaperonnage pressant de Molly, nous prenons la route à pied. Manifestement, elle est pressée d’arriver un peu tôt malgré des places numérotées.

C’est d’ailleurs franchement agréable de pouvoir tout faire à pied lorsqu’on est en centre ville. Le stade est à peine à dix minutes de marche le long de la Yarra River. Hormis deux rues traversées, le reste du parcourt se fait sur un chemin piéton et sur une très jolie passerelle en bois. Nous profitons de ce moment de ballade pour discuter de nouveau football avec Samjin. A l’approche du stade, nous croisons de plus en plus de personnes aux couleurs des deux équipes. La foule est extrêmement variée, familiale et calme.

Le MCG, également stade de cricket, comme son nom l’indique, est vraiment immense et moderne. Après s’être fait refoulé à une entrée pour une confuse raison (je crois que Molly avait ses habitudes et que pour ce match, ce virage n’était pas autorisé pour les non abonnés), nous refaisons un demi tour de l’enceinte pour finalement pénétrer au rez de chaussé. Tout est nickel et propre avec une ribambelle de vendeurs de nourritures et de boissons. Nous grimpons des marches et j’ai pour la première fois une vue de l’intérieur du stade.

C’est immense. Ce stade peut contenir jusqu’à 100000 spectateurs et pour vous donner une idée, c’est plus que le Stade de France qui est le plus grand stade français. Il est parfaitement oval de forme, à l’image du terrain de cricket qu’il contient. De plus les tribunes sont très inclinées ce qui assure à tout le monde une vue superbe sur l’action.

On poursuit donc notre ascension et nous nous retrouvons quasiment aux deux-tiers en haut, dans un des coins du terrain. Enfin, comme il est oval, on ne peut pas vraiment parler de coin. En tout cas, on est super bien situés. Le stade est déjà bien rempli alors que le match ne commence que dans trente minutes.

C’est le moment dont profite Molly pour nous expliquer un peu les règles de ce sport. En espérant ne pas me tromper, disons que c’est une sorte de mélange entre le rugby et le football. Je pourrait vous renvoyer vers la page Wikipédia, mais je préfère quand même vous balancer moi même quelques généralités. Tout d’abord, le sport se joue sur un terrain de 185m de long sur 100 de large. C’est gigantesque. Si, si. C’est beaucoup plus qu’un terrain de football ou de rugby. On y met, à des endroits stratégiques, bien entendu, deux fois 18 joueurs. Ca fait du monde. Vous habillez ces joueurs de petits shorts courts façon Michel Platini, années 70, ainsi que de marcels laissant saillir les muscles des épaules.

Les joueurs peuvent se passer la balle soit à la main, soit au pied. S’ils choisissent la première option, ils doivent impérativement la taper par en dessous, à la manière d’un service de volleyball lorsqu’on ne sait pas servir au volleyball. Contrairement au rugby, d’ailleurs, on peut très bien effectuer une passe en avant. Au pied, c’est beaucoup moins restrictif et on peut faire ce que l’on veut. Là où ça devient franchement divertissant, c’est que le joueur portant le ballon peut se faire plaquer, y compris lorsqu’il est en l’air. Finalement, pour que tout ceci prenne encore plus l’allure d’un sport inventé par une romancière au chômage, vous pouvez porter le ballon mais sur pas plus de 15m. Ensuite vous pouvez dribbler pour repartir pour 15 nouveaux mètres. Oui, vous avez bien lu : on peut dribbler avec un ballon oval. Je l’ai vu faire.

Pour donner un sens autre que de se foutre sur la gueule, on a placé quatre poteaux de chaque côté du terrain. Pourquoi quatre, me demandez-vous (je vous entends d’ici) ? Tout simplement car les deux du milieu rapportent un maximum de point si vous parvenez à passer du pied (et non pas de la main) la balle entre, alors que si vous la passez entre un des poteaux extrêmes et ceux du milieu, ça ne rapporte qu’un point. Si vous la shootez n’importe où, c’est encore plus drôle car cela donne une touche. Mais contrairement à tout les autres sports de la planète où la balle revient à l’équipe adverse qui la remet en jeu, dans ce sport c’est l’un des arbitres qui s’en charge. Pour garantir l’équité de la remise en jeu, il se place alors sur la ligne, se retourne dos aux joueurs, face au public, et d’un grand jet par dessus sa tête qui n’est pas sans rappeler la gestuelle du lanceur de tronc d’arbre, l’envoi valdinguer à l’aveugle très loin dans le terrain. Je crois bien que c’était mon moment préféré du match.

Il y a encore plein de subtilités que je vais passer sous silence, principalement car je ne les ai pas comprises. Heureusement, Molly était là pour répondre à la majorité de nos interrogations. Tout ceci se déroule sur quatre quart temps de 20mn, avec des pauses au milieu ce qui fait qu’on passe quasiment deux heures au stade. Ceci dit, au vu de la taille du terrain et les distances parcourus par les joueurs (sans parler des placages), c’est un des sports les plus physiques que je connaisse. Il n’y a pas à mégoter, ces joueurs sont de sacrés athlètes.

Mais revenons à notre match. Pour faire couleur locale, je redescend me prendre de quoi manger et opte pour un fish’n’chips. Je crois bien que je rend perplexe Samjin devant ce choix, lui qui est habitué à fréquenter les stades de football anglais. Ce doit lui paraître aussi peu dépaysant que de commander un jambon beurre. J’apprend d’ailleurs qu’il a joué à un très bon niveau et qu’il y a encore un an, jouait en amateur dans l’équipe de sa ville. Un peu plus et il m’avouait avoir participé à la Ligue des Champions ou connaître personnellement Wayne Rooney.

Enfin, le match commence après un petit cérémonial. Le stade est quasiment plein et les supporters de Hawthorne et Collingwood, plutôt mélangés. D’ailleurs, on repère très peu de véritables groupes organisés et globalement l’ambiance est incroyablement calme et retenue. Par rapport à un stade de football, c’est incomparablement plus silencieux, et c’est peu dire. L’avantage est qu’on peut se concentrer sur le match sans être sans cesse dérangé par une ola. Par contre, il faut bien l’avouer, c’est assez terne. Samjin, en habitué, tente de se mettre dans l’ambiance en lançant des « Come on, magpies ! » mais la sauce ne prend pas. Les couleurs de Collingwood sont le noir et le blanc, d’ou le surnom donné à l’équipe de « magpie », la pie commune. Sinon, vous pensez bien que ça n’aurait aucun sens ce qu’il dit.

Comme Molly supporte Collingwood, nombreux sont les gens qu’elle a rallié à sa cause. Moi j’attends de voir qui va gagner. D’après notre guide, Hawthorne, banlieue plus fortunée, est favorite mais l’enjeu du match est essentiellement pour Collingwood qui peut, en cas de victoire, se qualifier pour la phase finale du championnat. Quelle tension. J’espère bien que vous vibrez avec cette mise dans le contexte.

En tout cas, le jeu est franchement divertissant, toujours en mouvement et avec très peu de temps morts. Je dois dire que les impacts me semblent beaucoup moins violents qu’au rugby sans doute car les joueurs ont moins de vitesse. De toute façon, la plupart des mouvements de ballons se font par des passes au pied, avec très peu de courses.

Pendant la moitié du match les équipes sont au coude à coude. J’en profite d’ailleurs pour repérer un joueur de Collingwood, répondant au joli nom de Harry O’Brien qui, comme son nom pourrait laisser croire, n’est pas un grand roux à tâche de rousseur originaire de Limerick ou de Galway, mais un grand black à rasta originaire de Rio de Janeiro. Comme c’est le seul black des 36 joueurs sur le terrain, c’est relativement facile de le reconnaitre. De plus, il marque un superbe but, histoire de se faire remarquer. Finalement, à partir du troisième quart temps, les choses se gâtent pour Collingwood. Les espaces sont font en même temps que se fait sentir la fatigue (parce que ça cavale, croyez moi) et la défense prend l’eau. Je me retourne et Molly semble de plus en plus déçu par la tournure des évènements.

Au coup de sifflet final, c’est un score proche de la fessée qui s’affiche au panneau principal, en faveur de Hawthorne. Nous repartons dans le calme, toujours dans une ambiance tranquille et conviviale. C’est un sport intense mais on ne peut pas dire que les supporters soient déchaînés ici.

J’ai pas les codes

Pour ceux qui lisent ce blog depuis quasiment le début, et je vous arrête tout de suite il n’y aura pas de récompense pour votre assiduité, j’avais eu quelques petits soucis d’adaptation en Inde du, essentiellement, à la non compréhension de certains comportements. Je viens de me rendre compte en Australie qu’il se peut que j’eusse également des lacunes avec certains anglo-saxons.

Je vous avais déjà parlé des distances physiques d’intimité. Nous allons donc aujourd’hui causer de la distance relationnelle, si j’ose dire, autrement appelé par un néologisme que je viens de pondre à l’instant, le « onapazélevélécochonzenssembles ».

Petit rappel pour les non français, en France, il me semble, lorsqu’on rencontre quelqu’un pour la première fois, la plupart du temps on observe une certaine distance relationnelle marqué par l’emploi du « vous ». Notez que cela dépend de votre éducation mais j’estime que c’est un trait partagé, à différents degrés, par la plupart des français. Au fur et à mesure où l’on se familiarise avec cette nouvelle connaissance, dans un moment d’abandon, il se peut, si le contact est agréable et la relation prometteuse, que l’on passe au « tu » après accord des deux parties. Ce « tu » dénotes une certaine familiarité mais sans impliquer non plus une quelconque intimité. Si la relation devient de plus en plus cordiale pour virer au chaleureux, on peut même se risquer à employer le terme « mon cher », « mon ami », « mon copain », « mon pote » voir « ma couille » pour notifier ce nouveau passage au statut supérieur de la relation. Si c’est une femme les choses sont équivalentes avec une grille différente constituée de « ma chère », « mon amie », « ma copine », « ma super copine » puis cela s’arrête là car je ne connais pas d’équivalent féminin de « ma couille ».

Quand on pense qu’au 18ème siècle, siècle de la politesse, les choses étaient encore plus raffinées et qu’appeler quelqu’un « mon ami » était l’équivalent d’un serment de fidélité à la vie à la mort, on peut considérer que l’on se soit considérablement enhardi dans nos relations. Il y a bien eu l’épisode révolutionnaire où tout le monde, de peur d’être confondu avec un aristocrate, se balancait du « tu » et du « citoyen » à tout bout de champs, mais sinon, on peut considérer que la France a toujours été un pays dont la transcription du lien relationnel dans le langage revêt un grand degré de finesse.

En Australie, ces choses là m’ont l’air très simples. Déjà, la langue anglaise ne fait pas de distinction entre la première et la troisième personne, donc encore moins entre la troisième personne du pluriel et celle de politesse. Tout le monde se donne du « you » en veux tu en voilà. Mais ce n’est point ceci qui me trouble et qui me pousse à écrire se billet. Non, ma perplexité vient de l’emploi massif du terme « mate », prononcé « méïte », que l’on pourrait traduire par « pote ». Par un curieux hasard linguistique, le verbe « mate » se traduit par « copuler ». Ça se trouve je comprends les choses encore moins et tout ceci est une invitation à des relations sexuelles permanentes.

Prenons un exemple de phrase, une première fois en français, puis ensuite en australien :

« Bonjour, comment allez vous aujourd’hui ? »

« G’day, haya doin’, mate ? »

Ou encore :

« Pour le garage Beaurepaire, prenez à droite puis tout droit. Vous ne pouvez pas vous tromper »

« For Beaurepaire, take to your right then straight ahead. Ya can’t miss it, mate. »

Moi je suis désolé mais je ne suis pas leur pote. Je les connaît à peine ces gens là. Notez qu’avec les américains, c’est un peu similaire (mais un peu moins intense parce qu’ils y vont gaiement avec le « mate ») mais avec l’emploi des termes « dude » ou « buddy ». « How ya doin’, buddy ? » ou « Hey dude, how’s it goin’ ». Rhaaa mais ne me touchez pas, sales gueux !

Là où je trouve ça complètement désagréable c’est qu’avec certaines personnes que l’on fréquente plusieurs jours comme, mettons, un guide, on tombe instantanément dans la familiarité. Surtout qu’ils sont quand même relativement souriants et expansifs. Par voie de conséquence, après deux jours de « mate », « dude » ou « buddy » en tartine et des sourires un peu faux, moi je crois qu’on est tous devenu des supers bons poteaux. La chose semble être également vrai avec les néo-zélandais, soit dit en passant. A valider.

Tout ceci est fort agréable mais il me semble que ça ne clarifie pas l’expression des sentiments. Si tout le monde est « mate » avec tout le monde et se sourit, comment savoir si la personne vous trouve véritablement sympathique ? Je dis ça mais je suis certain qu’il y a d’autres signes à apprendre.

En tout cas, à mon sens, ça explique pourquoi les français trouvent les anglo-saxons hypocrites et pourquoi les anglo-saxons nous trouvent distants et froids. Je dois bien vous avouer qu’à force, je trouve ça agaçant.

Ce que j’ai retenu des Aborigènes

Ce n’est pas très évident de découvrir la culture aborigène. Pourtant j’ai essayé. Ok, je l’avoue, je ne me suis pas démené comme un fou non plus. Disons qu’à chaque fois que j’en avais l’occasion, j’essayais de glaner quelques informations. Mais un peu à l’image de quelques aborigènes que l’on croise à Darwin ou Alice Springs, cette culture est proche mais à la fois lointaine. Voici donc ce que j’ai retenu comme information à ce propos.

Tout d’abord historiquement, l’homme est arrivé sur le sol australien par le nord. A cela, rien d’étonnant. Un rapide coup d’œil à une carte nous montre bien que la terre la plus proche se trouve en Timor ou Papouasie-Nouvelle Guinée. Physiquement d’ailleurs, il y a une nette ressemblance entre le type aborigène et certaines peuplades de Nouvelle Guinée.

Ensuite, vue de l’extérieur on a l’impression que la culture aborigène est unique : didgeridoo, boomerang et tutti quanti pour tout le monde. Il n’en est rien. En réalité il y a des variations géographiques. Certains peuples aborigènes, par exemple, ne connaissent pas le boomerang, et pour cause, il s’agit d’une arme destinée avant tout à chasser le grand kangourou dans un bush relativement ras. S’il y a des arbres partout, convenez que c’est beaucoup moins pratique. Néanmoins, ne nous mentons pas, il y a beaucoup de traits communs entre ces cultures, de la même façon que la France, l’Espagne et l’Italie partagent bien des choses.

Ces différences culturelles se concrétisent souvent au sein de « nations » aborigènes différentes. Une nation se cantonne à un territoire et possède sa propre culture. Bien entendu la langue varie également. La mosaïque de ces nations est d’ailleurs extrêmement complexe, comme le montre cette carte ci-dessous. De manière amusante, à chaque fois qu’un guide souhaitait faire comprendre cette complexité à des australiens, il prenait l’exemple de l’Europe : un petit territoire au grand nombre de nations. C’est sur que pour les américains et les australiens, les choses sont plus simples. Bien entendu, ce découpage en nations n’est pas à prendre strictement. Les frontières sont floues.

Aboriginal_Australia_Map

Ce flou est essentiellement du au fait que le mode de vie aborigène est extrêmement nomade pour la plupart. Ce mode de vie nomade découle d’une extrême dépendance aux ressources directes que l’on cueille, que l’on chasse ou que l’on pêche. Le niveau de ces ressources variant beaucoup avec les saisons, il faut donc se déplacer en fonction. Fait étonnant, si on est un peu curieux et doué de raison, aucune nation aborigène ne maîtrise l’agriculture. En sachant que tout le monde me répète que les cultures aborigènes sont les cultures les plus anciennes et qui remontent à presque 30000 ans sans changement notable, et on est en droit de se demander comment se fait-il que pendant tout ce temps, personne n’y ai pensé ?

La réponse m’a été donné par Adam et se trouve être parfaitement logique. Pour que l’agriculture se développe il faut que soit accessibles des semences et des animaux domesticables. Hors, le continent australien ne possède aucun animal de ce type. Sans animaux domesticable, il était impossible d’abandonner la chasse et de se créer des réserves, ce qui est la base de la sédentarisation. A priori, il semblerait que ce soit également le cas pour des semences de plantes équivalentes au blé, riz ou maïs. C’est donc une formidable culture de subsistance qui s’est développée.

Aucune de ces nations aborigènes n’a développé l’écriture. Sans doute est-ce du au fait que l’écriture a toujours dans l’histoire été un sous produit de la vie en cité, elle même enfante de la sédentarisation. Toute la culture et le savoir se transmet donc de manière orale ou bien avec le support de peintures « rupestres ». Sans me faire passer pour un spécialiste, tout ce savoir et cette culture auquel on ajoute le processus d’initiation qui permet de l’acquérir est regroupé sous un terme commun, Tjukurpa. Je ne sais pas si ce terme est commun à chaque nation aborigène mais il est en tout cas celui utilisé dans la région d’Uluru. Le Tjukurpa défini précisément la place de chaque individu dans la société (fille ou garçon, marié ou célibataire, etc.) et les règles qui s’y applique. Mais le Tjukurpa, c’est également l’ensemble des histoires du temps des rêves qui expliquent le monde, et donc le mode de vie des aborigènes.

Chaque individu aborigène prend connaissance du Tjukurpa, par étape, au cour de sa vie. A chaque étape correspond une initiation et il y a un parcours distinct entre hommes et femmes. Suivant le degré d’initiation d’un individu, il aura accès ou sera interdit de certains lieux. Puisqu’on en est à parler des individus, à leur naissance, chaque aborigène se voit attribuer un animal comme « totem ». Cet totem est à la fois l’esprit de l’animal protecteur pour cet individu mais également son interdit alimentaire. Si votre totem est le petit wallaby noir, il vous est interdit de le chasser ou de le manger. Même si c’est un cadeau. En plus d’une signification spirituelle, c’est également un moyen de réguler les ressources alimentaires d’un territoire. Si une espèce tend à péricliter, les anciens vont décider d’affecter ce totem aux nouveaux nés. En tout cas, j’imagine que c’est comme ça que cela fonctionne. Moi, mon totem depuis deux mois, c’est le curry indien.

Lorsqu’on n’est pas initié, comme le sont la plupart des touristes, avoir des informations sur le Tjukurpa est extrêmement difficile car avoir la connaissance de tel élément suppose que l’on soit initié de l’élément le précédent. Les informations fournis à ce sujet dans les endroits touristiques tel que Uluru sont d’ailleurs considérés par les aborigènes comme des informations « pour enfant ». Néanmoins, certains choses sont connus comme le système de justice. D’après Bob, à chaque transgression du Tjukurpa est associé une punition, elle même décrite dans le Tjukurpa, assignée par les anciens une fois la faute jugée. Des exemples de transgressions sont le non respect de son totem (comme le manger, ça c’est vilain) ou encore de voler une carcasse d’animal mort de ses blessures alors qu’il a été blessé par un autre chasseur. Ça ne se fait pas et c’est le comble de l’impolitesse.

Ces châtiments peuvent être bénins mais peuvent parfois être assez sanglants. Du côté extrême du spectre on trouve le coup de lance dans la cuisse (Tiens ! Ça t’apprendra à mettre tes doigts dans le nez) ou la très sophistiquée et perverse application d’une puissante glue naturelle sur les paupières du fautif endormi que l’on vient ensuite emporter, aveugle, quelque part au milieu du bush, sans eau. C’est à cela que l’on devine à quel point cette culture est raffinée. Notez qu’avec ce système de justice punitive, que l’on peut sans doute estimer barbare aux yeux de nos cultures baignées dans la douce lumière de la raison, la culture aborigène considère la personne punie d’une façon bien différente que dans nos cultures occidentales. Un individu ayant courageusement subi et purgé sa peine sera par la suite pleinement réintégré dans le groupe sans que quiconque n’en fasse plus jamais allusion. Suivant la gravité de la punition, il sera même considéré avec respect car il aura su encaisser son châtiment dans le digne respect du Tjukurpa. Comparons donc cela à l’opprobre et aux stigmates publics qu’un condamné occidental doit se coltiner même après sa sortie de prison. Un coup de lance dans le jambon, c’est sans doute cruel, mais une fois que c’est fait, on en parle plus. Tiens, prends ça, malpoli ! Aïe. Bon, et à part ça, je te sert une bière ?

Donc, comme on le voit, la vie dans la société aborigène est extrêmement cadrée et définie. Ce n’est pas une société où chacun s’émancipe mais, en contrepartie, chacun a une place, suivant le schéma de beaucoup de sociétés traditionnelles, il me semble. Les personnes ayant atteint le plus haut niveau d’initiation sont appelés « anciens » et forment un collège décisionnaire dans la vie de chaque groupe. La toile de fond de cette vie et de cette culture est bien entendu la nature australienne. Le regard sur la nature que porte les cultures aborigènes est très proche de la vision amérindienne : la nature est nourricière et il faut donc en prendre soin. On pourrait appeler cela de l’écologie mais c’est bien entendu plus que cela. La nature n’est pas considérée comme une ressource à exploiter. Il s’agit plus d’un équilibre du type « aide la nature et la nature t’aidera ». Au vu des conditions difficiles de vie dans la majorité du pays, il y avait tout intérêt à raisonner comme cela.

Mais qu’en est-il de cette culture aborigène de nos jours ? Et bien, en tant que non spécialiste, j’ai envie de vous dire, ça dépend. Depuis plusieurs dizaines d’années, le gouvernement fédéral australien a rendu progressivement une partie des terres aux aborigènes. Plus précisément, comme le veut la terminologie officielle politiquement correcte, il a rendu des terres aux « propriétaires traditionnels ». Comme l’ont précisé et Adam et Bob, le terme est particulièrement mal choisi dans la mesure ou dans la culture aborigène, le concept de propriété de la terre est juste inconcevable. C’est à cela que je devine que je devient peut être un peu aborigène moi même. La terre appartient à tout le monde. Il s’agit donc plutôt de « gardiens responsables de l’entretien traditionnels ».

Une partie de la population aborigène vit encore de manière traditionnelle au sein de ces terres. La société moderne percole malgré tout jusque là et certaines techniques ou instruments ancestraux ont été remplacé par des éléments plus contemporains. Une autre partie vit dans les villes de façon un peu nomade. On en croise quelques uns à Darwin et Alice Springs qui se regroupent dans les parcs ou sous des arbres. C’est d’ailleurs assez bizarre car on les sens étrangers mais à la fois chez eux. De quoi vivent-ils ? D’argent public, d’après Bob, ce qui pose de sérieux problèmes car la vie traditionnelle enseignée par le Tjukurpa étant une vie de subsistance où la nature fourni tout ce dont ils ont besoin, l’argent obtenu ne leur sert pas à grand chose, à part éventuellement acheter à manger ou à boire. Selon Bob, il y a eu des tentatives de fournir des logements gratuits à des populations aborigènes. L’expérience a tourné à l’échec pour certains, qui arrachaient le plancher pour alimenter un feu à l’extérieur où chacun venait se retrouver. On sent que l’Australie occidentale et le gouvernement fédéral tente de gérer maladroitement un problème qu’elle s’est peut être créé elle même, sous empreinte de culpabilité collective.

Ce que je trouve fascinant, c’est la façon dont cela renvoi au problème plus vaste de cohabitation entre civilisations sédentaire et nomade. En Europe, un cas similaire se pose entre les sociétés sédentaires et les Roms, Gitans et gens du voyage. Les sociétés sédentaires ayant le plus de pouvoir et étant par nature prompte à s’accaparer définitivement l’espace, la compatibilité semble difficile. L’Australie a peut être une chance du fait de ses vastes espaces inexploités mais la pression des industries d’exploitation font peser une menace permanente.

Ceci dit, une dernière partie de la population aborigène a adopté un mode de vie occidental. Ils bénéficient d’ailleurs des lois « pro aborigènes » qui leur octroie un financement gratuit des études, y compris supérieur. Il y a d’ailleurs, du coup, une définition très précise d’un individu « aborigène » basé sur un pourcentage d’héritage génétique. Ça rappel les définitions officielles de négritude aux États-Unis pendant les années de ségrégation ou un individu métis était considéré comme étant noir. Bien entendu, comme toute les mesures de discrimination positive, qui consistent à vouloir régler une injustice au niveau d’une catégorie d’individus en appliquant une injustice au niveau des individus, elle est décriée.

Avec tout ça, j’ai quand même eu le sentiment qu’officiellement, l’Australie avait beaucoup changé sa façon d’aborder la culture aborigène. C’est désormais mis en avant de manière positive comme une des véritables cultures de ce continent. Pour avoir été petit enfant à l’école là bas il y a trente ans, je ne me souviens pas du tout d’avoir été ne serait-ce que présenté à cette culture. Maintenant, les enfants des écoles sont sensibilisés, notamment dans certaines régions à la forte influence aborigène comme à Alice Springs. De nombreux « artistes » aborigènes sont maintenant dans les galeries et « l’art aborigène » s’arrache parfois à prix d’or à Sydney ou Melbourne.

Comme souvent, le fin mot de l’histoire sera sans doute démographique. Face à une immigration essentiellement asiatique, jusqu’à quand est-ce que la culture aborigène restera-t-elle en vitrine de l’Australie et surtout vivante ?