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Accéder et quitter un port à pied

Au risque de me répéter, un port industriel, et à fortiori un port de containers, n’est pas fait pour les êtres humains. En tout cas, pas pour des piétons. Accéder au pied d’un porte container est déjà presque une aventure en soit, surtout si l’on souhaite limiter les frais.

Déjà, à Fos-sur-Mer, les choses se sont avérées légèrement plus compliquées que prévu. Venant de la gare Saint Charles à Marseille, je rejoint le village de Fos par un petit train surplombant la mer. Malheureusement, le centre du village où je dois séjourner les quelques jours avant le départ est à quelques kilomètres de l’autre côté d’un étang. A priori, sur la carte, une unique voie rapide automobile permet d’y accéder. Je tente de joindre des taxis par téléphone mais personne ne répond ou n’est disponible. A côté de moi, une femme accompagnée de son fils de dix ans tente de repérer un chemin piéton sur son smartphone. Nous décidons donc d’unir nos forces et partons à pied dans la direction de l’étang. Arrivé à un rond point, le constat est sans appel : aucun trottoir ne permet de marcher en toute sécurité. A ce moment là, une voiture s’arrête et un homme nous demande où nous allons. C’est donc en stop, conduit par notre bienfaiteur qui s’avère être brésilien, que nous rejoignons le village en constatant qu’il aurait été suicidaire de marcher le long de la voie rapide. Première embuche.

Quelques jours plus tard, je réserve un taxi, recommandé par l’agent local de la CMA CGM, pour rejoindre le bateau. Le terminal porte-container a beau faire partie de la commune de Fos, y accéder du village nécessite de faire tout le tour du port industriel, soit une bonne vingtaine de kilomètres et 25 euros de taxi. Au poste de sécurité du terminal, coaché par mon chauffeur qui a l’habitude, des employés blasés me demandent vaguement mon passeport et le nom du bateau. Finalement, mon taxi me dépose au pied du Columba, après avoir suivi un parcourt alambiqué dans le terminal. Rétrospectivement, c’est sans doute l’accès le plus aisé au cargo que j’ai eu, mais aussi le plus couteux.

Je passe l’accès au port de Gènes que j’ai déjà relaté dans un précédent billet mais à Malte, le Freeport se trouve juste en face d’une petite station balnéaire prénommée Il-Brolli. Les baigneurs ont d’ailleurs une vue imprenable sur la poignée de cargos qui y transitent et cela ajoute sans doute un divertissement gratuit ainsi que quelques reflets irisés d’hydrocarbures. Quelques heures avant l’arrivée au port, alors que nous sommes toujours en mer, on me fait signer une décharge de responsabilité puis on m’informe que je dois payer une taxe de 30€ auprès de l’agent local afin de pouvoir débarquer. Sympa.

Bien évidemment, la somme n’est payable qu’en liquide et je me retrouve donc sans le moindre sous à avant d’arriver à Malte. Heureusement, Doug me rembourse une partie des frais commun de taxi de Gênes avec un billet de 20€. Hormis l’attente de la navette qui nous permet de rejoindre le poste de sécurité du bateau, puis l’attente de la confirmation que nous faisons bien parti de l’équipage du Columba, nous parvenons à sortir du port sans aucun frais. Les marins du Columba nous avaient indiqué qu’un bus, le 82, permettait de relier la capitale, La Valette, du Freeport en une heure environ pour une somme modique. Nous marchons donc avec Doug et Mary jusqu’à l’arrêt du bus et je propose de payer les trois billets de bus avec le seul billet de 20€ en poche.

Assez rapidement, le bus arrive et nous montons, souriant avec de chaleureux « Good evening ». Je tend le billet de 20 et à sa vue, le chauffeur, visiblement agacé, me fait signe qu’il ne rend pas la monnaie sur ce montant, peu ou prou égal à 5€. Malgré son anglais peu clair et son ton désagréable, je comprend qu’il veut que je descende à un magasin dans 100m afin que j’y fasse la monnaie. Il s’arrête donc un peu plus loin, je lui demande si c’est bien ici et agacé me répond oui. Je descend donc rapidement avec mes deux sacs à dos et me rue dans un restaurant chinois. N’y voyant personne je ressort et repart rapidement jusqu’à une pâtisserie qui accepte de me faire la monnaie. Je court vers le bus que je trouve finalement garé à 10m de là, visiblement à l’arrêt, avec Doug et Mary à l’extérieur, le chauffeur leur ayant intimé l’ordre de sortir. Un beau trou du cul celui là.

Finalement, je rentre dans le bus et lui prend ses trois billets. Nous nous posons et le bus attend quelques minutes avant de repartir. J’ai alors tout le loisir de m’interroger sur l’attitude ultra-désagréable du chauffeur. Surtout, pourquoi nous avoir pressé d’aller chercher de la monnaie si c’est pour aller se garer un peu plus loin et attendre ? Bref, pour un premier contact avec des maltais, c’était loin d’être positif. Heureusement, nous atteignons finalement La Valette sans encombre et ruminons cet incident avec mes deux compagnons. Déjà que ce n’est pas évident pour les marins de quitter le port mais si en plus ils ont droit à ce traitement quand ils vont en ville, la réputation de Malte doit en souffrir.

Une grosse semaine plus tard je fait le chemin inverse. Ce jour-ci il y a fête religieuse dans le village en face du port et le bus s’arrête plusieurs arrêts avant celui prévu. Ce n’est pas très grave, j’ai deux heures d’attente avant l’arrivée du bateau et j’avais prévu de dîner sur le bord de mer. Le repas terminé, je part en marchant jusqu’au poste de sécurité où nous étions sorti en me présentant ainsi que mon passeport. On me demande, dans un anglais très approximatif, le nom du bateau mais celui-ci leur est inconnu. L’anglais a beau être la deuxième langue officielle du pays, il ne semble pas vraiment parlé par la majorité des habitants. C’est d’autant plus surprenant quand ces personnes travaillent dans un port international. Mais, bref. Je comprend donc que le bateau a un peu de retard, chose confirmée lorsque je rappel l’agent local.

Mon interlocuteur me fait alors difficilement comprendre que ceci est une entrée secondaire et qu’il faut que je me présente à l’entrée principale du port, qu’il m’indique avec de grand gestes comme étant vaguement derrière à gauche. Je le remercie donc et repart à pied avec mes deux sacs à dos dans la direction indiquée pour constater qu’il s’agit d’un grand parking avec un grand bâtiment blanc sur les hauteurs derrière. Ayant un doute, je revient le voir, et je crois comprendre qu’il s’agit bien du bâtiment blanc.

Je repart donc en marchant et après cinq minutes et une petite montée tourne autour de ce bâtiment à la recherche d’une entrée. Je tombe sur deux agents de sécurité à qui j’expose mon problème. Ils sont assez interloqués et avec un anglais simplifié leur fait comprendre que je cherche l’entrée principale. Finalement, je comprend que celle-ci est beaucoup plus loin, à au moins 10mn à pied. Après un soupir de lassitude, je repart en marchant dans la direction indiquée. Je longe alors une route sans trottoir, croissant quelques camions et quelques minutes plus tard arrive sur une entrée routière avec un bâtiment attenant.

Je pénètre dans le bâtiment et derrière un hygiaphone, un groupe d’hommes visiblement détendus discutent entre eux. Je leur explique – difficilement – que je suis un passager du Gemini, bateau qui est encore au large. Ils me demandent interloqués ce que je fais là, car pour eux, j’aurais du entrer par l’autre entrée, prévu pour les piétons. Un peu agacé, je leur répond que j’en viens et qu’ils ont insisté là bas que je me présente ici. Qui plus est, il n’y a aucune trace dans leurs ordinateurs de mon enregistrement en tant que passager. C’est d’autant plus étrange qu’une semaine avant, j’avais envoyé une copie de mon passeport à l’agent local afin que celui-ci fasse les démarches nécessaires. Je reprend donc mon téléphone afin d’éclaircir ceci auprès de ce dernier et il me promet d’envoyer un mail dans la foulée. Quelques minutes plus tard, on me dis que tout est validé et on me prie enfin d’attendre l’arrivée du bateau. C’est finalement une heure plus tard, vers 22h, qu’à bord du pickup d’un des employé locaux, je suis amené au pied du Gemini.

Finalement, à mon arrivée à Valence, les choses se sont encore une fois avérées un peu plus compliquées que prévu. J’avais quelques jours avant demandé à l’agent local de Valence (encore et toujours ces foutus agents locaux) les coordonnées GPS de la sortie du port de Valence la plus proche du quai où le Gemini devrait accoster. Je comptais m’y faire récupérer en voiture par mon père et sur le plan, le port de Valence semblait bien être également d’une grande complexité. On me répondit en m’annonçant que ce sera l’entrée principal en me précisant qu’il faudra que je prenne un taxi pour la rejoindre du bateau. Sans doute que ma question ne fut pas très clair, mais arrivé à Valence, l’officier du Gemini qui s’occupait de mon débarquement m’avait prévu une navette pour rejoindre la sortie du port. Il n’était donc plus question de taxi. Une fois descendu du bateau, je rejoint donc une camionnette et celle-ci me dépose quelques minutes plus tard à portée de marche d’une entrée ressemblant à un péage. Le chauffeur me rappel qu’il va falloir que je passe par un bureau chargé de l’immigration avant de pouvoir sortir. Je récupère donc mes sacs, remercie le chauffeur et part en marchant vers la sortie.
A part un grand bâtiment vaguement préfabriqué, je ne vois rien qui ressemble à un bureau d’immigration et décide donc de passer le péage à pied. On verra bien si on m’interpelle.

Effectivement, une fenêtre à glissière s’ouvre au poste de sortie et on me demande en espagnol où je vais. J’explique alors que j’attends quelqu’un qui vient me chercher et on me laisse continuer. Bonjour la sécurité. Je pénètre donc en territoire espagnol en toute illégalité.
Une fois dehors, je comprend assez rapidement qu’il ne s’agit absolument pas de la sortie spécifié par l’agent local. Une grande route de deux fois deux voies empruntés par des voitures et des camions dessert l’entrée du port, sans indication de rue. Je retourne au poste de sécurité pour tenter d’avoir les coordonnées GPS où l’adresse de l’entrée. On me donne un petit papier avec un nom de rue mais manifestement, l’indication est trop vague pour qu’on puisse me trouver. Un vague trottoir permet de longer la route et après une heure, je décide de repartir à pied vers ce qui me semble être la ville pour y voir plus clair. Quelques centaines de mètres plus loin, le trottoir s’arrête sur un petit terrain vague et la route devient rapidement impossible à poursuivre à pied. J’erre un petit peu quand finalement une voiture de la Guardia Civil s’arrête à ma hauteur, me demandant ce que je fait là. Après moult tentatives de communication, l’officier ne parlant ni anglais ni français et moi pas vraiment l’espagnol, il m’invite finalement à monter dans sa voiture avec me sacs et me dépose un bon kilomètre plus loin à un arrêt de bus. Muchas gracias la Guardia Civil.

Bref, pour moi tout ceci reste dans le domaine de l’anecdote et j’en ris maintenant de bon cœur avec vous. Mais je conçoit aisément que pour des marins philippins qui ont finalement très peu de temps à chaque escale, ainsi qu’un porte feuille limité, la complexité et le coût nécessaire à une petite escapade en ville devient parfois dissuasif. Pour eux, ça rigole moins. Quand à nous, les simples passagers, espérons que les choses soient plus simples lorsqu’il s’agit de monter à bord d’un paquebot.

Se divertir sur un cargo

Tout les chafouins à qui j’avais exprimé mon souhait de réaliser un trajet à bord d’un cargo ont invariablement soulevé le sujet des activités à bord. Qu’allais-je faire pendant ces jours à bord de ce bateau, sans internet, télévision, cinéma, concerts, bref, sans divertissement ? N’allais-je pas mourir d’ennui ? A croire que le risque majeur dans cette société moderne est de se retrouver tout seul face à soi et la douleur suprême de devoir passer une heure sans qu’un quelconque média passif vienne nous stimuler sans effort le cerveau.

Alors pour les plus hyper-actifs d’entre vous, vous pouvez aller vous dépenser dans la salle de gymnastique, à soulever des altères ou pédaler sur le vélo d’appartement. Enfin, en ce qui concerne ce dernier, encore faut-il comprendre les instructions en chinois. Moi, j’ai abandonné et me suit rabattu sur le tapis roulant, plus simple à comprendre. Si ça ne vous suffit pas, allez donc plonger dans la piscine, s’il y a de l’eau, bien entendu.

Pour peu que vos co-passagers soient en condition ou que vous croisiez un membre de l’équipage qui ne travaille pas, vous pouvez toujours l’inviter à une petite partie de ping-pong au pont C, dans la sus-mentionnée salle de gymnastique. En ce qui me concerne, j’ai réussi à motiver un officier chinois sur le Columba puis un membre d’équipage philippin sur le Gemini. Je ne suis pas peu fier de vous avouer que j’ai sèchement battu 3 sets à 0, le jeune officier chinois. La deuxième séance avec mon adversaire philippin a consisté uniquement en des échanges, juste pour la beauté du sport et le rapprochement entre les peuples.

Si les activités physiques ne vous intéresse pas, allez donc faire un petit tour du bateau. En tant que passager, on est relativement libre de nos mouvements. Seuls sont exclus la salle des machines et certaines zones techniques. Pour la première on peut néanmoins demander l’autorisation au chef mécanicien et jeter un œil au cœur du vaisseau, accompagné d’un des responsables bien entendu. Moi, sur le Columba on ne me l’avait pas proposé. Sur le Gemini, bien que le second officier mécanicien m’ait demandé si cela m’intéressait le premier matin à bord, je n’ai jamais osé vu que que nous étions à quai (pas le bon moment) mais aussi parce qu’un formateur mécanicien était à bord et que j’en ai déduit qu’ils étaient tous fort occupés. J’avoue aussi que je n’étais pas plus intéressé que ça. Si mon séjour c’était prolongé, au large, sans doute aurais-je émis le souhait.

Pour rappel, on peut aussi se balader sur le pont extérieur, muni d’un casque à condition d’en avertir quelqu’un au « ship central office », le bureau central du bateau situé sur le pont supérieur (qui bizarrement se trouve être le pont le plus bas de l’espace d’habitation). Ceci dit, le peu de fois où je suis allé voir si quelqu’un s’y trouvait, il était désert. Il n’y a qu’à quai qu’un officier de garde était présent, la plupart du temps pour attendre l’arrivé de ces foutus agents locaux de la CMA CGM. Dans le « ship central office » on peut jeter un œil aux différents écrans affichant les retours des caméras de surveillance sur le pont extérieur ou des diagrammes ésotériques représentant, je crois, la répartition des charges sur le bateau. Bref, rien qui puisse nous occuper des heures.

Si vous avez de la chance, le capitaine décide d’effectuer un exercice de sécurité. Dûment prévenu à l’avance, en tant que passager, vous êtes néanmoins tenu de participer. C’est à bord du Gemini, une fois en mer, un après midi vers 15h30 que celui-ci fut programmé. Comme prévu, une alarme générale retenti. Je monte donc calmement à la passerelle, mon point de rassemblement, un étage et demi au dessus. J’avoue, j’ai un peu triché car j’avais déjà mis des chaussures couvertes comme préconisé ainsi qu’un pantalon. J’assiste pendant une demi-heure, via les conversation en talkie-walkie, à une simulation d’alerte incendie. Finalement, le capitaine déclenche l’alarme d’abandon du navire et je suis invité par le steward, Jerry, en bleu de travail et casque à le suivre. Nous passons à ma cabine ou je récupère ma combinaison étanche attitré, dans son sac sous scellé. Je descend en sa compagnie calmement mais vivement les escaliers jusqu’au pont A afin d’enfiler un gilet de sauvetage que l’on nous distribue tous. Ensuite direction bâbord où tout le monde se regroupe autour de l’officier en second sous le bateau de sauvetage principal. On nous compte et pendant une demi-heure nous avons le droit à un petit rappel sur les devoirs de chacun en cas d’évacuation, sur le déclenchement des radeaux de sauvetages, utilisés lorsque le bateau sombre, ainsi qu’une demi démonstration sur comment libérer le vaisseau de sauvetage insubmersible. Tout ça se fait, bien entendu dans un anglais à l’accent très aléatoire et je suis toujours à me demander si en cas de panique général tout ceci s’avérera aussi fluide.

Non, il faut bien avouer que les trois activités principales à bord du bateau, en dehors des repas, restent la lecture, le bavardage et la contemplation. Au frais dans sa cabine, dans l’espace de détente commune des passagers (pas plus confortable) ou bien dehors sur les ponts (pour peu que vous ayez une petite chaise pliante planquée quelque part dans votre cabine), vous avez tout loisir d’avancer dans votre liste de lecture estivale. Si d’autres passagers sont présents, vous pouvez vous retrouver pour un café papotage dans l’espace de détente. Sur le Gemini, il y avait même une console de jeu Playstation 3… mais sans jeux. Et puis les cabines sont munies de prises électriques donc si vous avez un ordinateur portable, il est parfaitement utilisable.

Ponctuellement, pour rompre la monotonie ou récupérer un peu de chaleur absorbé par la climatisation parfois exagérée, vous pouvez aller jeter un œil dehors. A quai, le spectacle de containers volants parfois à quelques mètres de soi et un spectacle sans cesse renouvelé. En mer, l’excitation est à son comble lorsqu’on aperçoit un bout de terre, comme le premier aperçu des falaises de l’île maltaise de Gozo ou lors de notre passage entre Majorque et Ibiza à bord du Gemini. Le jeu consiste alors à essayer de deviner l’identité de ces bouts de terre puis, si on l’ose, de monter à la passerelle demander à l’officier de garde de confirmer. A bord du Gemini, celui-ci m’a même gentiment conduit jusqu’à la table des cartes pour me montrer la carte marine papier sur lequel était indiqué notre trajectoire et le contour du littoral.

Manger à bord

Il est donc venu le moment de parler de la nourriture à bord de ces beaux cargos. Oui, car grâce à de magnifiques ellipses temporelles que seuls permettent la littérature et d’autres formes narratives plus mineures tels que le cinéma et la chronique livestyle sur Youtube, je vais combiner en un seul présent les multiples épisodes gastronomiques à bord des deux fiers vaisseaux de la CMA CGM, compagnie française basée sur Marseille (main sur le cœur et menton en l’air, avec des cigales au fond), dont j’ai eu l’opportunité de fréquenter les cuisines.

Roulement de tambours, halètements de suspens puis soudain coup de cymbales : c’était fort mauvais.

Voilà, la messe est dite. La fière réputation gastronomique de tout un pays durement portée au plus haut s’en trouve éclaboussée d’excréments mais, oui, il faut bien l’admettre : c’est franchement extrêmement désappointant. Mary et Douglas furent les premiers à exprimer tout en chuchotements complices afin de ne pas être entendus du capitaine, que non, ils attendaient mieux d’une compagnie française.

Maintenant que l’artillerie lourde a tonné, tentons de tempérer mes propres propos (Tiens, en voilà une bien belle allitération en « p » et « pr », soit dit en passant). Quand je dis que c’est fort mauvais, disons que c’est plutôt dans l’esprit cantoche : saucisse purée haricots verts et flamby au dessert. Mais sans imagination et plutôt grossier.

Par sans imagination j’entends qu’à chaque repas c’est invariablement une soupe du jour qui, dans les mauvais jours du chef, peut tomber aussi bas qu’une soupe aux tripes, suivi d’un plat principal qui dans les moments de grâce s’avère être une pizza surgelée mais au quotidien est plutôt un steak brocolis à la vapeur. Le tout s’achève par un fruit mais si on est gentil parfois on a de la glace recongelée légèrement pailletée à l’intérieur. C’est rigolo, c’est froid, ça croustille mais ça fait comme des micro coupures sur la langue. Moi, je mange car comme le dit si adroitement ce court mantra bourguignon du 21ème siècle, copyright Gabriel Bloch : « On te demande pas d’y aimer, on te demande d’y bouffer ». Point d’exclamation. Sont déjà bien gentils de nous accepter à bord.

Ceci dit… je ne voudrais pas barbouiller le tableau tout en noir. Il nous est aussi servi invariablement des crudités. Parce que c’est bon pour la santé et que ça aide au transit. Comme chacun sait, transit libéré égal esprit libéré. La salade est présentée non assaisonnée, certes, mais comme l’huile et le vinaigre balsamique sont à disposition sur la table, il ne tînt qu’à nous que nous nous sortîmes les doigts du fondement. Ce que fit Mary qui fut la première à craquer en nous préparant une petite vinaigrette en live. Après tout, on est finalement ici comme à la maison, bien que servi par un jeune philippin timide.

Hormis ce louable dessein digestif, nous avons eu un soir sur le Columba une fort convenable à bonne goulasch, parfaitement assaisonnée et composée de tendres morceaux de viandes qui nous souleva tous les sourcils d’étonnement. Alors, effet de contraste après deux jours de nourriture insipide ou réussite culinaire ? Soyons sport et penchons pour le deuxième. Ceci dit, la chronologie exacte de tout ces repas se brouille dans mon esprit, mais il me semble bien qu’en entrée ce soir là, le chef avait tenté de nous refourguer le reste de soupe aux tripes, grossièrement transformée par l’ajout de gélatine en une sorte de fade pâté de tête encore plus inintéressant. Moi qui suit bien élevé, j’y est prélevé une tranchette à fin d’examen. J’en ai conclu donc que le chef ce soir là nous avait clairement dit « merde » avec ce qu’il avait sous la main. C’était donc de l’art dans sa définition moderne : l’expression d’un message par le biais d’une technique maîtrisée. Il ne manquait juste que la note d’intention pour qu’il puisse exposer.

Autre moment de désillusion, d’un autre acabit : ce soir là, à bord du Gemini était inscrit au tableau de la salle à manger des officiers un mystérieux « cheese pie » en dessert concluant un « schnitzel » en plat principal. On n’était pas loin d’espérer du repas convenable surtout que vu l’anglais cassé parlé à bord de ces navires, l’esprit qui est le mien avait tôt fait de visualiser un « cheese cake » sous la dénomination de « cheese pie ». Qui plus est, un des officiers roumains avait discrètement demandé deux parts à Jerry, le serveur, avec un regard complice. Je m’en pourléchais les muqueuses d’expectative.

Bon je passe sur le schnitzel, une vague escalope panée mollassonne qui n’avais jamais connue Vienne et encore moins l’Autriche. Cantine, vous dis-je, pensez cantine. Le « cheese pie » c’est avéré être une sorte de feuilleté au fromage dont je ne parvient toujours pas à trancher s’il était salé ou sucré. J’peux rien affirmer, m’sieur l’commissaire. J’ai envie de dire que ça dépendait des bouchées même si aucune n’était ni franchement mauvaise ni franchement délicieuse. Il faut croire que c’était une spécialité roumaine vu l’enthousiasme apparent de mes collègues. Mais enfin, qui sommes nous pour juger du bien du mal, du bon du mauvais ? Après tout, nous vivons dans la décennie des chaussettes-claquettes, alors… un feuilleté mi-gras-sucré-salé-mi-bon-mi-mauvais…

Comme me l’a confirmé le capitaine du Gemini, plus loquace que celui du Columba, le cuistot sur un bateau, c’est hyper important. Je crois qu’il était conscient de la qualité un peu moyenne de son staff. Malheureusement, de ce que j’ai pu comprendre, il n’est pas responsable du recrutement de celui-ci. Les deux cuistots que j’ai côtoyé à bord des deux bateaux étaient tout les deux philippins, sans doute peu familiers de la cuisine européenne exigée par les officiers, sans parler qu’il devait très certainement se coltiner des consignes diététiques d’un pseudo CHSCT à Marseille. D’ailleurs, sur le Columba, nous avions chaque jour à notre table une feuille avec les menus du jours, séparé en deux colonnes : la première pour les officiers et la deuxième pour les membres de l’équipage. La plupart du temps l’équipage, majoritairement philippin, faut-il le rappeler, avait droit à des plats plus asiatiques. Avec Mary on regrettait parfois de ne pas pouvoir choisir l’autre menu ou de bouffer avec l’équipage. Les pauvres officiers chinois qui devaient eux aussi avoir une autre idée de la nourriture, se faisaient parfois des bols de nouilles dans la cuisine.

Ça plus l’ambiance contenue dans la salle à manger, rien d’étonnant que Douglas ait demandé discrètement à chaque dîner auprès de Rey, notre serveur, pour qu’il nous serve une bouteille de vin histoire d’ajouter un peu de joie au repas. Arrivé à Malte, on avait déjà sifflé toute la maigre réserve, rouge ET blanc. Du Rioja Marquis de Caceres espagnol, pour ceux que ça intéresse.

Toucher terre

Voyager en bateau ce n’est pas QUE voguer sur les flots. Tout l’attrait initial de ce mode de transport, en ce qui me concerne, était de vivre l’arrivée dans un port étranger, lentement, par voie maritime, voyant tout doucement ma destination s’approcher. J’ai assez vécu la téléportation à bord d’un avion, quittant un aéroport international clinique pour arriver à un autre aéroport international clinique quasiment similaire.

Columba26Pour aller à Malte nous faisons une premier escale à Gênes, quasiment 24h après avoir quitté Fos-sur-Mer. Je monte donc à la passerelle rejoindre Doug & Mary pour assister à la fascinante manœuvre qui consiste à faire rentrer un monstre de quelques milliers de tonnes, tout en dérapage, sans ABS, dans un port en eau profonde sans tout défoncer dans son passage. Sur place se trouvent déjà le capitaine, son officier en second, un ou deux officiers chinois et une petite poignée d’aspirants dont le rôle consiste, d’après ce que j’ai pu comprendre, à arroser les plantes, faire le café, tirer les rideaux pour que personnes ne soient éblouis ainsi que monter ou descendre des drapeaux. Oui, ça ressemble au statut de stagiaire.

Le rituel est toujours le même que ce soit pour quitter un port ou y entrer. Tout d’abord un ou deux pilotes locaux connaissant bien les lieux arrivent en vedette et montent jusqu’à la passerelle. A partir de dorénavant ce sont eux qui commanderont le navire, tout en informant le capitaine de leur manœuvre. Il arrive également escorté d’un petit trio de remorqueurs qui vont aider à pousser ce gros pachyderme d’acier jusqu’à son point final. Dans un calme et une maîtrise apparente absolue, ils lanceront des ordres de cap et de vitesse dans un anglais cassé, ordres répétés par l’officier à la barre dans un autre anglais cassé mais d’un accent différent. Columba7C’est vraiment miraculeux que tout ce monde arrive à se comprendre car à la passerelle règne un gros bruit de fond – mélange de vibrations mécaniques, bips en tout genre, baragouinages incompréhensibles aux talkies walkies ainsi qu’une imprimante matricielle tout droit sortie des années 80, imprimant quelque chose en continue* – couvre les ordres. Quand la trajectoire du bateau passe relativement près d’un obstacle, les quelques officiers supérieurs se précipitent d’un bord à l’autre du bateau pour, de visu, constater que ça passe laaaaarge. Ou pas. Tout ça sans qu’aucune paupière ne tremble. Ils ont toute ma silencieuse et respectueuse approbation. D’ailleurs, je vous laisse juge car j’ai un enregistrement pirate devant correspondre à l’arrivée à Gênes. Pour le visuel, imaginez les officiers habillés de chemises blanches à épaulettes mais sans casquettes assistés de deux pilotes italiens dont le principal ressemble trait pour trait à Marco Pantani (ou au commissaire Montalbano me chuchote Mary, qui connaît bien cette série télé mais dont la ressemblance me paraît fort douteuse).

En tout cas, Marco, il s’y connaît car il a réussi à faire rentrer notre grosse savonnette dans l’étroit port de Voltri-Pra à Gènes, en ayant fait réaliser un magnifique 180 sans qu’on arrache la moitié de l’embarcadère. Il y a des métiers où on prend moins de risques et j’imagine même pas le montant de leurs polices d’assurance.

Quand toute cette opération s’achève (en succès, n’en doutons pas) et que le capitaine remercie le pilote de l’avoir sorti de ce guêpier, soit nous partons au large et dans ce cas le pilote se fait récupéré par une vedette et nous quitte pour de nouvelles aventures, soit nous sommes arrivé au port et pour le capitaine commence un long marathon bureaucratique consistant à signer un tas de papiers avec l’agent local de la CMA CGM dont je ne soupçonne même pas la teneur. C’est à ce moment là, si on a de la chance car cela peut encore durer une heure ou deux, que nous, les surnuméraires avons l’autorisation de descendre à terre pour aller faire un peu de tourisme. Le bateau restant la plupart du temps plus de 20h à quai, on a largement le temps.

Sauf que, tout n’est pas si simple quand on arrive en bateau. Tout d’abord, une fois descendu sur le quai d’un port de porte conteneurs qui, je vous le rappelle, n’est absolument pas prévu pour des êtres humains, il faut qu’un des officiers du bateau appel une navette interne (s’il y a, ce qui n’est pas le cas à Fos, à priori) afin de nous amener en toute sécurité jusqu’au poste à l’entrée. A Malte nous avons attendu 20mn pour pouvoir faire les 100m qui nous séparaient du pied de la grue où on s’était réfugié de la sortie du port. A Gênes, c’était un peu plus efficace. Columba12Arrivé au poste de sécurité on nous demande nos passeports (qui nous ont été rendus le temps de la sortie, fort heureusement) ainsi que le nom du bateau. Si tout ce passe bien, nos noms sont sur la liste d’équipage et nous sommes autorisés à sortir. A Malte, ce fut plus compliqué car nos noms n’y étaient pas.

Une fois sortie du port, il faut maintenant rejoindre les lieux d’intérêts car très souvent, le port est loin du centre ville. La palme revient au terminal Eurofos, perdu au milieu d’une zone industrielle. Au retour de la sortie le cirque est identique. Au poste d’entrée, on tend son passeport, on cite le bateau, on répète car l’employé du soir ne parle pas bien l’anglais. On attend que son collègue anglophile se pointe. On attend la navette et enfin… on remonte à bord accueilli par les sourires de nos braves marins chinois et philippins.

Mais j’oubliais le plus important, on retrouve le calme climatisé de notre immeuble flottant après une rude journée à terre sous le cagnard, pendant que les employés du port, inlassablement, récitent leur ballet d’acier.

* Je me suis depuis renseigné auprès d’un des officiers du Gemini: l’imprimante enregistre à intervalles régulière le cap et la profondeur d’eau sous le bateau

Les surnuméraires

Hors donc, certaines compagnies de transport maritime proposent des cabines à bord de leur cargos pour le transport (moyennant finances bien entendu) de passagers lambda comme vous et surtout, moi. Que ce soit des portes conteneurs, des vraquiers, des gaziers ou encore des pétroliers chacun possède à priori au moins une cabine car il semblerait qu’il y ai la tradition que chaque bateau possède au minimum une cabine pour le propriétaire.

Mary et Douglas Carpenter, deux Aussies septuagénaires en vadrouille, au pied du Columba
Mary et Douglas Carpenter, deux Aussies septuagénaires en vadrouille

A bord du Columba je rejoint deux autres de mes co-passagers, Douglas et Mary Carpenter, un couple septuagénaire d’australiens. Ils finissent un gros tour en Europe en rentrant par voie maritime chez eux, à Melbourne, après quelques semaines sur les mers. Comme ils sont à bord depuis quelques jours pour avoir embarqués à Valence, en Espagne, ils me sont de précieux conseils sur certains éléments. A nous trois nous constituons le troisième groupe à bord du cargo : les surnuméraires.

A mon arrivée, mes deux co-passagers étaient à terre, en train de visiter Arles, le seul lieux à peu près digne d’intérêt à portée de taxi du terminal Eurofos à Fos-sur-Mer. Après avoir été amené jusqu’au pied du Columba par un taxi hors de prix, et quelques appels d’en bas, un marin faisant deux têtes de moins que moi et très certainement philippin descend à quai et se propose de prendre un de mes sacs. Je le suit en grimpant le long de l’escalier amovible jusqu’au premier pont, non sans se tartiner la main d’un peu de goudron. On n’est pas dans la Croisière s’Amuse. Il s’agit bien d’un lieu de travail.

Enfin à bord du navire, le troisième officier, un jeune chinois dynamique, souriant, en bleu de travail et casque de chantier, m’accueille officiellement en anglais et m’amène à ma chambre en empruntant l’ascenseur. En route il m’explique rapidement où je prendrai mes dîners en me montrant ma place dans la salle à manger des officiers et les plages horaires pour les trois repas quotidiens. Comme prévu, je constate que ma cabine est spacieuse avec des grands hublots poussiéreux donnant sur une montagne de containers, d’où je peux apercevoir le travail des grutiers. Seuls une petite vibration et les bruits métalliques des containers entassés plus ou moins violemment trahissent le fait que nous ne sommes pas à terre. Finalement, mes bagages déposés et quelques papiers officiels récupérés (dont mon passeport, tel un vulgaire esclave pakistanais au Qatar), il m’amène à la passerelle en attendant que le capitaine arrive. Je reste donc seul quelques instants en jetant des regards curieux un peu partout avant d’être interrompu par un homme d’une soixantaine d’année, cheveux et moustache tombante gris, le skipper du bateau. Avec une vague exquisse de sourire, il me sert la main. Quelques échanges en anglais avec son troisième officier et je suis ensuite ramené à ma cabine par ce dernier. Oui parce que je suis un surnuméraire après tout, pas le vice-roi des Indes. Il n’allait pas non plus entamer une discussion.

Après avoir feuilleté le petit fascicule résumant la vie à bord et les mesures de sécurité, habillement placé bien en vue sur la table basse, je décide d’aller faire un petit tour et découvre le gymnase et la piscine vide. Les coursives sont quasiment désertes. Finalement, je suis interrompu dans mon exploration par le quatrième officier, un autre chinois également en bleu de travail et casque de chantier, qui me cherchait. C’est l’heure des consignes de sécurité et je le suis bon an mal an alors qu’il dévale l’escalier quatre à quatre jusqu’au bureau central du navire, situé sur le premier pont. Je sens bien qu’il a d’autres chats à fouetter mais il reste malgré tout souriant et courtois.

C’est donc assis à une table qu’il me tend un questionnaire sur les consignes de sécurité et l’angoisse de l’examen remonte en moi. Je savais bien que j’aurai du apprendre plus attentivement les consignes du fascicule. Fort heureusement, je constate très rapidement que l’examen consiste juste à l’écouter donner les réponses et de les écrire sur ma feuille. La difficulté est donc de comprendre son anglais coloré par son accent chinois. Je suis limite déçu surtout que j’avais quand même fait l’effort d’apprendre les trois appels possibles : urgence générale, feu et abandon du navire, respectivement 7 sonneries courtes suivi d’une longue, une alternance d’une courte et d’une longue et enfin deux longues dans le cas d’un abandon général. Enfin, si ma mémoire est bonne.

Je suis finalement laissé seul, libre de vaquer à mes occupations jusqu’au repas du soir. C’est donc à 17h50 que je me présente à la salle à manger, pensant que le service commençait à 18h pétante comme précisé dans le fascicule. Il s’agit de faire bonne impression auprès de tout ces officiers. Je me retrouve donc seul car je comprendrai plus tard que chacun est libre de venir manger à l’heure qu’il veut entre 18h et 19h. Je suis finalement rejoint par le capitaine et nous mangeons tout les deux silencieusement à nos tables respectives sans échanger un mot. Il n’a pas l’air d’être un gros chaleureux lui.

C’est finalement le lendemain matin après le petit déjeuner que je croiserai Mary et Doug dans les couloirs et que nous commencerons à nous connaître. Pendant cinq jours nous formerons un groupe à part dans ce bateau, un peu à l’écart mais néanmoins faisant partie de l’équipage, posant nos regards intrigués sur certains aspects de la vie à bord. Mais surtout, nous aurons de très intéressantes discussions sur plein de sujets de société et de politique.

J’aimerai avoir leur dynamisme à leur âge.