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Aller à Chennai

Vous allez finir par croire que je suis obsédé par le transport en Inde, mais il faut avouer qu’une grande partie de l’amusement (oui car maintenant cela me diverti) consiste à se débrouiller pour rejoindre un point A d’un point B. Aujourd’hui, le point A c’est Chennai et le point B, Pondichéry. Après dix jours passé dans l’ancien comptoir français, il était temps de partir, non sans une certaine nostalgie, pour rejoindre une autre des quatre grandes mégalopoles indiennes, l’ancienne Madras.

Les deux villes étant relativement proches (une grosse centaine de kilomètres), il est plus simple de prendre un bus pour rallier la capitale de l’état du Tamil Nadu. Le trajet prend environ trois heures. Je me retrouve donc un matin au New Bus Stand de Pondy (après un nouveau trajet en rickshaw qui me déleste de 90 roupies, l’inflation sans doute) où je trouve un bus pour Chennai avec l’aisance d’un véritable tamoul. Parce que je suis un pro et parce que je ne réfléchi pas, je prend un ticket pour la compagnie de l’état à bord d’un bus standard, similaire à celui emprunté pour aller à Gingee. Dix mètres plus loin, je vois des bus climatisés à peine en meilleur état. Je suis là pour en chier.

P6210001Comme d’habitude nous mettons une plombe juste pour quitter Pondichéry et je commence à m’assoupir malgré le gigotement permanent. Fort heureusement, le bus est loin d’être bondé et je peux prendre un peu mes aises avec mes deux sacs. Une heure plus tard nous faisons un arrêt dans une ville où je dois me serrer pour laisser la place à tout le monde, y compris les trois vendeurs à la sauvette qui, malgré la foule compacte du bus, insistent pour traverser toute sa longueur en proposant des pochettes d’eau, des bananes et des samosas. Nous repartons finalement avec nos nouveaux compagnons de voyage et je regarde le paysage morne et plat de la région. Je ne peux pas dire que je me sois vraiment régalé côté paysages jusqu’ici en Inde, hormis les formations de Hampi et de Gingee.

Régulièrement, des travaux sur la route provoquent des ralentissements et des cahots encore plus importants, malgré l’emprunt de la deux fois deux voies principale qui mène à Chennai. Un grand panneau sur la voie de gauche enjoint les conducteurs à passer de l’autre côté du terre-plein, sans doute pour laisser le trafic libre pour une équipe d’entretien. Nous traversons donc le terre-plein central et partageons ce nouveau côté de la route avec les véhicules venant à contre sens, sur la voie de droite. Rien de plus banal.

Assez rapidement le trafic ralenti et nous sommes pris dans un embouteillage. Placide, tel une vache, je prend note et continu d’observer le paysage au delà du terre-plein central. Des klaxons réguliers ajoutent une touche mélodique à la bande son déjà passablement occupée par le bruit des moteurs. Ce comportement universel qui consiste à croire qu’un coup de klaxon peut débloquer tout embouteillage est toujours aussi désespérant.

Tout à coup je vois passer une voiture de l’autre côté du terre-plein, sur notre ancienne portion de la route. Ah, tiens. Sans doute un véhicule officiel, me dis-je. Quelques minutes plus tard, des passagers plus énervés (et donc non bovins) élèvent la voix et font des signes au conducteur. Il devrait voyager en Inde, ceux-là. Ils relativiseraient, moi je vous le dit. D’autres passagers rejoignent la discussion, qui prend un ton de légère engueulade. Lâchement, je détourne le regard et poursuit ma contemplation par delà le terre-plein central (superbe titre de roman, ça, je le note pour plus tard). Je vois passer un bus. Ah ben c’est bizarre ça quand même ? Je me retourne vers l’arrière et j’aperçois une tripotée de bus et de voiture venant dans notre direction, mais de l’autre côté. Mais ce sont de sacrés rebelles ces indiens ! J’imagine déjà l’embouteillage monstre que cela va créer une fois qu’ils auront rejoint les travaux. Les cons.

P6210005Soudainement, notre conducteur de bus se lance dans une manœuvre culottée : il décide de faire demi-tour dans un embouteillage. Avouez que ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir les nerfs de faire ça ? Ma curiosité attisé je lâche la contemplation du trafic dorénavant presque normal de l’autre côté du terre-plein pour observer la manœuvre du bus (chauffeur, si t’es champion, appui, appui!). Après un superbe créneau, le bus se retrouve perpendiculaire au deux voies et je constate avec horreur la situation : nous étions en réalité complètement en contre-sens. Les deux voies de ce côté-ci du terre-plein roulent vers Pondichéry alors que notre bus et tous les autres véhicules derrière sur la voie de gauche veulent aller vers Chennai. Oh le bordel. Superbe. Clap, clap, clap. P6210004Incredible India ! Vous me convoquerez le fonctionnaire responsable de la signalisation, s’il vous plaît. C’est donc sous un tonnerre encore plus furieux que d’habitude de klaxons que notre bus fini son demi tour et repart dans la direction opposée, retraverse le terre-plein cent mètres plus loin (on n’avait vraiment pas du tout avancé) pour reprendre le côté normal pour Chennai. Résultat des courses : une bonne heure de perdu.

C’est donc en milieu d’après midi que je descends à la Central Bus Station de Chennai, un peu fourbu mais riche d’une nouvelle anecdote. Bien entendu, je suis assailli instantanément par deux conducteurs de rickshaws qui me proposent leur service. Pour une fois, ça tombe bien. J’ai besoin d’eux. Je demande donc leur tarif en leur mettant l’adresse de l’hôtel sous le nez : 400 roupies. Et ben mon cochon. Je leur réponds que je vais réfléchir et que ce n’est pas pressé. C’était vrai car j’avais grandement besoin d’un Pepsi bien frais. Je me dirige donc vers le hall central de la gare routière (gigantesque à propos) avec le conducteur de rickshaw me précédant de « come, come ». Il devait penser que j’étais sa chose. Au niveau du hall, traîtreusement, j’oblique à droite pour pénétrer à l’intérieur, sans le prévenir. Ma stratégie est de le lâcher pour pouvoir négocier le prix avec d’autres conducteurs, sans l’avoir sur le dos. Ensembles, ils négocient entre eux en tamoul et je suis foutu. Je le largue et me trouve un vendeur de boisson pour boire tranquillement. Malheureusement, deux minutes plus tard, il me retrouve. Rhaa le lourd. « Come, come ». WOOOH !!! Ouane minute ! On n’est pas aux pièces ! Je m’énerve un peu en lui faisant signe qu’il faut rester cool. Il patiente donc à côté de moi pendant que je savoure un Pepsi glacé à vingt degrés ainsi que l’attente sadique que je lui inflige. Finalement, je repart et il me suit comme un petit chien. « Come, come ». Ta gueule.

Nous sortons du hall et je jette un regard périphérique pour trouver un échappatoire. Avec ma vision bionique dopé au sucre du Pepsi, je vois à cinquante mètres un panneau marqué « Pre-paid taxi ». Un plan machiavélique germe dans mon esprit. Un pre-paid taxi est un taxi dont le prix de la course est déterminé à l’avance justement pour éviter les arnaques. Généralement se sont des tarifs réglementés et la démarche est justement destinée aux touristes. J’effectue un crochet brutal en direction du guichet avec le conducteur qui réagit avec un temps de retard. « This way, come », me dit-il en pointant dans l’autre direction. Je sens l’odeur de sa peur.

Devant le guichet, je demande au préposé le prix d’une course d’auto-rickshaw pour l’adresse de mon hôtel. Il tapote sur son clavier et me réponds : 200 roupies, plus 3 roupies de commission. Lentement je me tourne avec un sourire carnassier vers mon arnaqueur qui arbore une mimique mi surprise mi innocente genre « Ah bon ? Si peu. Dis donc, c’est fou ». Je valide le billet pré-payé et mon ex futur conducteur s’en va en sifflotant. Je tends donc le billet à un autre conducteur et nous partons joyeusement, le cœur léger, dans le trafic où nous manquons de mourir trois fois.

Trente minutes plus tard, nous tournons toujours autour du quartier de mon hôtel à sa recherche. Régulièrement, le conducteur, s’arrête, cours vers un groupe pour demander son chemin puis repart. Décidément, il n’est pas doué. Il faut dire que côté adresse, l’Inde adopte une démarche holistique. Il faut voir ça dans son ensemble. Je veux dire, est-ce que c’est vraiment important que CHAQUE bâtiment ai son numéro et que chaque ruelle, un nom ? Hein ? Finalement, nous apercevons un panneau avec le nom de mon hôtel à l’entrée d’une ruelle. Bingo. Un peu énervé le conducteur m’explique que la course a duré plus longtemps que prévu, qu’il a du courir plusieurs fois et qu’en plus sa mère et malade et sa femme tétraplégique. Ok, ok. De toute façon je commençais également à compatir et lui propose donc 250 roupies au lieu des 200, ce qui provoque un sourire de contentement chez lui. Je regarde donc dans mon porte feuille et catastrophe, n’ai pas la monnaie. Je lui tends donc mon seul billet de 500 roupies qui me reste. Forcément, il n’a pas la monnaie non plus. A ce propos voici une règle de base quand vous empruntez un auto-rickshaw : toujours avoir la monnaie EXACTE. Sinon il vous fait le coup et arrondi au supérieur. Je lui fait signe que je vais aller à l’hôtel pour faire le change et il acquiesce. Je cours donc au lobby de l’hôtel et, après quelques secondes d’attente, leur explique la situation. Un frêle garçon s’en va donc avec mes 500 roupies faire la monnaie. Il revient cinq minutes plus tard avec cinq billets de 100. Je repart donc en joggant (sous 34°C) vers le rickshaw et lui file trois billets de 100. P***** ! Il n’a toujours pas la monnaie. Un peu agacé voir excédé par ce manège éculé je lui fait un signe que c’est ok. Mais casses-toi tout de suite avant que je t’étrangle.

J’avais cru tenir ma victoire sur les auto-rickshaws mais en réalité, je crois que c’est encore eux qui ont gagné.

L’arrivée à Hampi

Dans le précédent épisode notre héros volontaire affronte le froid sibérien des wagons 2AC-Tiers ainsi que les affres de la non-signalisation évidente des quais de départ de trains. Nous le retrouvons quelques heures plus tard, à la descente de son train, en gare d’Hospet, petite bourgade de 200 000 habitants de l’état du Karnataka. Car quand y a pas, ta cas aller en car. Vous verrez, c’est pas juste pour l’effet de style. Mais chut, trois coups de canne, rideaux…

Je me retrouve donc vers 19h32 sur le quai de la gare d’Hospet, mon dernier arrêt avant Hampi. Plus précisément mon dernier arrêt en train car comme convenu par mail, la dernière portion de route me séparant de Hampi (à peine une grosse dizaine de kilomètres) devrait être effectué en voiture grâce à une personne de la guest house venu me chercher. Ils sont bien sympa de proposer alors moi je saute sur l’occasion. A 19h30 le soleil s’est couché depuis une bonne demi heure et je sort donc du hall de la gare dans la touffeur habituelle de fin de journée. Une petite activité standard à base de pétaradement de deux roues et de vrombissements graves et gras de bus me confirme que je suis toujours en Inde. Je jette un œil aux alentours à la recherche d’un indien, frêle ou pas, moustachu ou pas, mais équipé d’un carton avec écrit «M. OLEEVER PRATH » ou quelque chose d’approchant. Rien de visible dans un rayon de 100m. Je repart sur le quai et effectue la même recherche. Même résultat. Je décide d’attendre un petit quart d’heure. Soupir.

C’est là que je me rends compte de l’incroyable chemin mental parcouru depuis une petite semaine. Hormis ce petit soupir de lassitude saupoudré de philosophie qui m’a échappé, je ne constate aucune hausse de tension artérielle ou de rythme cardiaque. Tout ceci est à peine surprenant et je me met à trouver des explications : le train est en retard d’une demi-heure et je n’avais fournis que l’horaire du train, pas son numéro. Allez, admettons. Bref, je me tourne vers les deux bus hors d’âge garés cinquante mètres plus loin, chacun déjà occupé par des passagers et apostrophe poliment le plus vieux des préposés que j’identifie grâce à leur uniforme caca d’oie maronnasse : « Bus to Hampi ? » Je pose la question une deuxième fois car je suis insatisfait de la qualité d’interprétation de la première réponse par mon cerveau . « Bus to bus station, 3 roupies. After bus to Hampi 15 roupies ». Il faut que je prenne un premier bus vers une station et ensuite un autre pour Hampi. Bon, ben allez, quand il faut… Je monte donc dans le bus en essayant de ne pas assommer des gens avec mon gros sac et paie diligemment mes trois roupies (une misère).

Après quelques courts instants, un des préposés monte dans le bus et pousse un coup de sifflet. Le chauffeur, dans un craquement inquiétant enclenche la première et démarre. Fenêtres ouvertes et moteur quasiment dans l’habitacle font qu’on est encore une fois submergé par le bruit du trafic, le rauque vrombissement du bus ainsi que le craquement de la boite de vitesse. Nous profitons tous également de la moindre subtilité du revêtement (ou de son absence) routier dans un couinement de suspension. Bref, tout ceci commence comme un joli tour de manège ou de temps en temps, profitant d’un ralentissement ou d’un signe de la main adressé au chauffeur, un passant vient s’accrocher à la barre extérieur pour sauter de manière experte dans le véhicule.

Le trajet jusqu’au terminus des bus est extrêmement rapide et me permet à peine d’entre-apercevoir Hospet de nuit. Ca ressemble à Santa Cruz (East) avec moins de grands immeubles et des bas côtés en terre. Rien de bien excitant donc. Au terminus, je repasse en mode recherche de mon nouveau bus en les passant un à un à l’inspection parmi les cris et klaxons des chauffeurs et préposés aux tickets, les bruits de diesels affolés (on le serait à moins) et les appels des passagers. La tâche s’annonce compliquée car hormis des numéros et des indications en hindi, il n’y a rien à quoi me raccrocher. Je repère un panneau marqué « Bureau of Enquiries » avec juste devant, quatre gars en uniforme caca d’oie marronnasse autour d’une petite table, occupés à consulter leurs machine enregistreuses portatives. Après quelques moments d’attente en espérant qu’un des préposés s’enquiert auprès de moi de mon éventuel besoin de m’enquérir, je me rends à l’évidence : c’est à moi de m’imposer. Je jette donc un «Excuse-me» sonore et demande en anglishe où je peux trouver le bus pour Hampi. Le plus vieux de la bande (celui qui est assis à la table, vous pensez bien) me réponds un truc que j’approxime plus ou moins comme « F600 ». D’acccoooord. « Thank yyyou », réponds-je à cette cryptique réponse et je refais le tour des bus en cherchant un F600. Que dalle. Putain, ils y mettent pas du leur, franchement.

A ce moment là, je repère un groupe de quatre jeunes touristes occidentaux (oui, ça se voit comme le nez au milieu de la figure à la présence de deux blonds). Je m’avance vers eux et leur demande dans un anglais châtié où je peux trouver le bus pour Hampi. Une des fille me réponds qu’il y en a régulièrement par là bas, pendant qu’une autre explique que si j’entends un « Hampi, hampi », c’est le bon bus. Cette dernière remarque aux allures de « private joke » fait sourire ses collègues. Super, bande de nazes. Je me dirige donc « là bas » en décidant d’aller faire chier tous les chauffeurs de bus un par un en leur demandant s’ils vont à Hampi. Coup de bol ou intuition venu de Vishnu, le premier me dit « Yes, yes » de manière passablement agacé puis se retourne pour répondre à la question de quelqu’un d’autre. Etant toujours en perpetuel doute quand à la réelle compréhension de mes interlocuteurs, je m’apprête à monter dans le bus en me soumettant au destin. Si je me retrouve de nuit, paumé au fin fond du Karnataka, c’est que Vishnu trois yeux veut que j’y soit. C’est à cet instant précis que, comme filmé au ralenti (c’est pour que vous vous sentiez captivé par le recit que je met des éléments de mise en scène), je lit la plaque d’immatriculation du bus. Elle se termine par « F600 ». Soupir. Oui. Certes. Une fois qu’on le sait c’est pas plus bête qu’autre chose comme moyen d’identification. Il n’avait qu’à me donner le numéro de sécurité social du chauffeur tant qu’il y était. Un peu dans le doute malgré tout (Non… ça peut pas être ça quand même ? Il aurait pas osé?), je me pose avec mes sacs.

Le bus part, toujours dans un mélange sonore de diesel agricole et autres craquements ou couinements mécaniques. Mes co-passagers me jettent des regards curieux (j’allais dire des petits regards, mais ce serait mentir) pendant que je jette un œil au paysage nocturne qui défile : petites échoppes sur terre battue, quelques vaches, des mobylettes, des saris puis un peu de campagne, un village de petites maisons en parpaings sur terre battue, une vache, des scooters qui klaxonnent (ah ok, c’est pas qu’à Mumbaï donc), le tout pendant vingt minutes. Et surtout, régulièrement, lorsque le bus s’arrête pour récupérer des passagers, le préposé au billets lance un « Hampi, Hampi » sonore. C’était donc ça la petite blague. Quelle bande de pourris. Aucune solidarité.

Puis soudainement, après avoir emprunté une route à gauche, j’aperçois un petit temple en ruine. Quelques instants plus tard, un gros bloc rocheux et un autre petit temple. Tout ceci est rassurant. Le bus s’engage au ralenti dans un virage à angle droit et j’ai le temps de découvrir à la lumière de ses phares un autre temple en ruine avec colonnades aux bas reliefs étranges sous cette lumière mouvante. Dans un nouveau craquement de boite de vitesse, le bus plonge alors dans une descente cerné de blocs rocheux et je devine en bas un vaste terre-plein bordé de quelques échoppes éclairées ainsi qu’un groupe de maison à étages à l’aspect carré.

Le bus vient se garer sur le terre-plein et je descends finalement à Hampi Bazaar. Assez rapidement, des gens qui me veulent du bien m’interpellent pour me proposer de m’héberger dans leur guest house. Je leur explique avec le sourire que j’ai déjà réservé à la Padma Guest House et après une mimique de déception ils m’indiquent le chemin. Un peu dans le doute (j’ai du mal à croire quelqu’un qui quelques secondes avant souhaitait me proposer une chambre dans son hôtel), je remonte une petite ruelle éclairée (la seule ruelle, en fait) et aperçoit au fond un petit panneau. J’étais arrivé et il était prêt de 21h.

Mumbai – Hampi par train et par bus : vingt quatre heures de trajet. Ça a intérêt à envoyer du lourd le patrimoine mondial de l’UNESCO.