Les propriétaires de leurs maison d’hôte où je suis hébergé à La Malbaie sont sympathiques. Mais, ça, il me semble bien vous l’avoir déjà dit. En plus du parc national des Hautes-Gorges de la Malbaie (majuscules placées de manière non contractuelle), à mon arrivé, on me demanda si je souhaitais aller voir les baleines. Des baleines ? Quelles baleines ? Après une courte réflexion (un peu comme les éléphants, les baleines, c’est pas tout les jours que l’on croise ça en France), je répond que, oui, je veux voir les baleines mais que voyez-vous, je ne suis toujours pas motorisé.
Quel rapport y a t’il entre des baleines et une voiture me demanderiez-vous ? Le centre touristique de tout ce qui touche aux baleines se trouve plus haut, en aval du Saint-Laurent, au village de Tadoussac. Le village se situe à l’embouchure du fjord de la Saguenay où les eaux douces de la Saguenay et du Saint-Laurent rencontrent les eaux salées de l’Atlantique, formant un environnement attrayant pour toutes sortes de cétacés qui viennent ici pour se reproduire.
Toujours aussi sympathique, on me propose de réserver une place sur un bateau et me promet de m’emmener à voiture le jour dit. Pour voir ces fameuses baleines (à bosse, blanche ou bleue, tout est encore mystérieux), j’ai le choix entre emprunter un zodiac ou un petit yacht. Parce qu’on est ici pour s’en prendre plein la chôle (pour toi, public jurassien), j’opte pour le zodiac. Avec un peu de chance, on pourra jouer aux Moby Dicks avec des harpons émoussés.
Deux jours plus tard, après un copieux petit-déjeuner (mais je détaillerai tout cela dans un billet qui immine drôlement, à force), je monte dans le 4×4 familial conduit par la propriétaire et nous empruntons la route côtière ver l’aval du fleuve. A vrai dire la route est mi-côtière, mi-forestière mais en cette fraîche matinée, toujours aussi ensoleillée, la journée commence bien. Une heure de route plus tard (pour vous dire à quelle point elle est bien sympathique cette propriétaire), à la faveur d’un virage à gauche en descente, nous atteignons les rives sud de l’embouchure du fjord de la Saguenay.
La route, en cul de sac, mène au quai du traversier (en français de France, un traversier est un ferry-barge, note du traducteur). La propriétaire me quitte alors, avec comme convenu une récupération vers les 18h au même endroit. Je me retrouve alors avec trois autres piétons à embarquer après qu’une poignée de voitures et de gros trucks nord-américains aient vidé le pont. Ceux-ci sont rapidement remplacés par un nombre approximativement équivalent de leurs congénères. Manifestement, il n’y a aucun pont sur la Saguenay sur de nombreux kilomètres. Dans des claquements métalliques et des vrombissements de gros diesels, nous entamons la traversée, alors que je me poste sur le toit. Tenez, mettez vous dans l’ambiance, ça ne fait jamais de mal.
Le fjord de la Saguenay n’est pas aussi impressionnant que ses cousins norvégiens. Ne le dites pas à un québecois, ça risquerait de le vexer. Il m’est avis qu’il a obtenu sa dénomination de fjord par la présence d’eaux salées de l’Atlantique et non pas pour de vertigineuses montagnes encadrant son cour. Ceci étant dit, le spectacle est néanmoins très joli (largement au dessus des rives de la Loire par exemple, histoire d’être provocant), surtout dans cette matinale lumière automnale et le relief des rives légèrement plus prononcé qu’à La Malbaie. Nous nous dirigeons sur la rive d’en face où on aperçoit quelques bâtiments et petites maisons constituant les avant-postes de Tadoussac. Je trouve d’ailleurs ces rives vraiment charmantes avec de grandes dalles de granit roux polies plongeant dans l’eau alors que la forêt timidement multicolore couvre tout les reliefs.
Après une petite traversée de cinq minutes le traversier accoste sur le quai dans les remous de l’inversion des hélices. Piétons, je suis libéré de suite et remonte la route pour atteindre le cœur du village. La route quand à elle continue encore plus au nord-est et les semi-remorques, pâles cousins des road-trains australiens, poursuivent leur chemin.
Je vais être bref, pour une fois. Tadoussac, c’est chouette. C’est vraiment très chouette. Je vous rappel qu’il fait toujours ce temps paradisiaque et celui-ci n’est certainement pas étranger à ce sentiment. Hormis cela, ne soyons pas fine bouche, ces petites maisons en bois colorés ont un cachet indéniable. On sent néanmoins une présence touristique accrue dans un périmètre beaucoup plus restreint qu’à La Malbaie, le premier étant vraiment minuscule. Je dis ça mais n’allez pas imaginer une situation hystérique à la Saint-Raphaël au mois d’août. C’est calme, avec une grosse proportion de retraités. Un grand hôtel du début du 20ème siècle et une petite église en bois blanc font face à l’anse qui abrite le petit port sur le Saint-Laurent. La plage invite à la sieste. Je résiste.
Mon embarcation au sein du zodiac n’étant pas avant 13h30, j’ai largement le temps de déambuler et de visiter rapidement le petit musée dédié aux cétacés tenu bénévolement par les chercheurs du centre de recherche local. C’est l’occasion d’en apprendre un peu plus sur les espèces fréquentant les environs, notamment les belugas, ces petites baleines blanches au visage souriant. En sortant, j’aperçois un zodiac rempli de touristes harnachés dans de gros cirés et pantalons oranges accoster. Voilà ce qui m’attend.
A l’heure prévu, je rejoint les bureaux de la compagnie en charge de ma « croisière » et après avoir signé une décharge (super, l’angoisse) je m’habille de ces pantalons et cirés imperméables et chauds pour rejoindre une poignée d’autres touristes sur notre zodiac attitré. Chacun est assis serré les uns en face des autres, de part et d’autre de l’embarcation. Seule notre capitaine, est debout dans sa cabine de pilotage, à l’abri du vent derrière un parse brise. Et oui, notre capitaine est une capitaine, de son prénom Janice, rigolote et sportive jeune québécoise qui exceptionnellement reprend du service aujourd’hui. Elle son truc, d’habitude, c’est plutôt les chiens de traineaux sous deux mètres de neige. Il y a des femmes précieuses, fragiles ou capricieuses et il y en a d’autres comme Janice, sures d’elles, drôles et charmantes. A notre retour, elle c’est même amusée à balancer une vanne aux quatre sauveteurs en mer en train d’effectuer un exercice de chavirage dans le port. En même temps, nous vous ai-je pas dit que les femmes québécoises été libérées ?
En ce qui concerne cette sortie en mer proprement dite, je pourrait vous la narrer en quasi temps-réel, mais ça n’aura que peu d’intérêt. En résumé, sachez que ce fut un mélange de vent, d’embrun, de mouvement oscillant du puissant zodiac sur un fleuve d’huile, d’arrêts ou ralentis à la recherche d’un fanal qui dépasse, de touristes indisciplinés qui se lèvent à la moindre queue d’un cétacé pour un espoir de photo raté (et bouchant par la même occasion la vue à leurs congénères de l’autre bord), le tout agrémenté de l’humour moqueur de Janice. A vrai dire, j’étais surtout à admirer le paysage et notre capitaine. Les baleines, c’était juste un prétexte. D’ailleurs, permettez moi d’écarter de suite ce sujet.
Oui, j’ai vu des bouts de baleines, surtout des dos et quelques queues. C’était d’ailleurs des baleines bleues, mastodontes des mers, notamment la baleine Blanche Neige nommée ainsi par la tâche d’une couleur qui devrait être évidente au bout de sa queue. La plupart des baleines revenant régulièrement en ces lieux, les chercheurs ont eu le loisir de les identifier et de les nommer. Après, il faut quand même dire que ces baleines passent la grande majorité de leur temps sous le niveau de l’eau ce qui pose d’énorme soucis pour les observer lorsqu’on est de l’autre côté, au dessus. Pour rendre la chose encore plus difficile, interdiction est faite, en toute logique, aux bateaux touristiques de s’approcher à moins de 50m des animaux. Reste quand même l’excitation du repérage, légèrement facilité par la présence de deux autres bateaux de compagnies concurrentes faisant des ronds dans l’eau sur le fleuve. Il m’est avis que les vrais, les purs, vont à la quête de la baleine en kayak des mers.
Hors donc, moi, mon plaisir c’est de me brûler les yeux sur le vaste dôme de ciel pur parsemé de quelques grands nuages blancs qui surplombe les eaux incroyablement calmes et lisses du Saint-Laurent, immense comme une mer. Janice elle même m’avoue que ce temps est vraiment incroyable. Parce qu’elle est particulièrement taquine, alors que je cherche à la piéger en lui demandant le nom du village dont on voit très au loin dans la brume sur la rive sud le clocher qui dépasse, elle me reprend : « J’sais pas, c’est un sous-marin allemand ». Mais là où elle me fait vraiment sourire, c’est quand elle se met à parler anglais. On critique les français qui n’ont aucun talent de prononciation, mais je dois avouer qu’une québécoise manifestement peu motivée, c’est encore plus terrible. Non seulement elle ne fait aucun effort mais en plus ses connaissances de la langue sont de manière surprenante, très approximatives. Résultat, j’ai la joie incroyable de pouvoir assister à quelques savoureux passages dignes d’un sketch des « Têtes à Claque », façon vol « ouane seurti tou ».
Avec tout ça, une bonne journée sous le soleil, en mer et en bonne compagnie, ça fait une journée bien remplie. Accessoirement, ça donne envie d’aller s’installer à Tadoussac en compagnie de québécoises à l’humour fin et caustique.
Quoi, « et les baleines » ?