Il pleut encore à Da Lat et quand ce n’est pas le cas, il fait gris. Et comme nous sommes toujours à environ 1400m d’altitude, avec cette météo, les températures sont un peu fraîches. Après une bonne douche à mon retour de cette marche dans la jungle, j’attends que les deux anglaises, Gilly et Anne-Marie, passent me prendre pour aller prendre un verre en ville. Mon seul soucis est que je suis obligé de me chausser de mes gougounes / schlappe / slache / claquettes / tongues sous ce temps breton. Mon autre paire de chaussure est généreusement couverte d’un centimètre de glaise humide que j’hésite encore à nettoyer dans la douche de ma chambre de peur de boucher les tuyauteries.
A l’heure prévue, je suis récupéré par le duo britannique (encore un bon synonyme pour les deux anglaises. A ce rythme je suis bon pour devenir journaliste sportif) et nous nous dirigeons vers la sorte de place centrale de la ville pour rencontrer un trio que Gilly et Anne-Marie ont rencontré dans leur bus en provenance de Ho Chi Minh. Je suis difficilement avec mes chaussures inadaptées sous la pluie et le froid. Mais nous voici rapidement six et, après les présentations d’usage, partons à la recherche d’un quelconque bar un peu sympathique.
Je vais donc tenter de vous décrire ce petit monde. Premièrement, car c’est un peu l’organisatrice de la soirée, Gilly, cheveux blonds mi-courts, taille moyenne, dynamique. Nous avons ensuite sa comparse, Anne-Marie, cheveux châtains longs, taille moyenne, boulote et beaucoup plus enjouée et bavarde maintenant qu’elle est en territoire familier. Voici pour le quota grands-bretons de la soirée. L’autre consiste en trois tchèques, un gars et deux filles. Pour commencer, Eva, la plus jeune, une grande et costaude jolie blonde aux cheveux longs en queue de cheval, d’allure sportive. Ensuite, Susanna, une aussi grande brune aux cheveux mi-courts avec un petit air de garçon manqué. Pour finir, David, un autre grand brun, cheveux courts et petites lunettes intellectuelles.
Après un début de bavardage un peu timide pendant lequel Anne-Marie, avec un enthousiasme proportionnel au soulagement d’y avoir survécu, commence à raconter sa journée de randonnée, nous nous posons dans un bar désert. On ne peut pas dire que Da Lat soit le rendez-vous des fêtards et la plupart des établissements ferment relativement tôt. Nous commandons des bières (entre des tchèques et des anglais, ça semble relativement naturel) et entamons enfin les véritables présentations.
Dans la catégorie « personnes étonnantes », en voici encore trois des plus sympathiques. Mais avant de commencer, j’apprends que Gilly a effectué, il y a quelques années, deux mois de volontariat humanitaire au Cambodge pour faire de la rééducation de personnes handicapées. Encore quelqu’un qui force le respect.
Revenons donc à nos trois tchèques. Tout d’abord David et Susanna sont ensembles. Quand à Eva, c’est une jeune copine de leur club d’escalade de Prague. Il est vrai qu’elle a l’air un peu plus timide que les deux autres qui ont, soyons clair, chacun un aspect de vieux baroudeur malgré leur petite trentaine d’années d’âge. Alors que nous nous vantons d’avoir traversé la jungle hostile pendant notre journée, ils nous annoncent avoir parcouru environ 150km sous la pluie sur des motos louées, autour de Da Lat, le tout avec de grands sourires. « C’était amusant », conclut Susanna. En voilà trois pour qui le sens de l’aventure ne fait pas défaut. D’ailleurs en continuant à parler de moto, David et Susanna nous racontent quelques anecdotes en deux roues vécus en Iran, pendant un précédent voyage. « L’Iran, voilà qui est original », fais-je remarquer.
- Pourquoi pas ?, demande Susanna, un brin sur la défensive
- Non, mais il faut bien avouer que ce n’est pas non plus une destination touristique majeure, ajoute avec un sourire Gilly
- Oui, peut-être, conclut Susanna en regardant David avec un petit sourire fier.
Ces deux là m’ont l’air de vrais aventuriers, et notamment Susanna qui nous liste ses pays visités : Inde, Syrie, Iran, Bulgarie et Roumanie. Pour les deux derniers, je me doute qu’il s’agit d’une destination naturelle car limitrophe pour des tchèques. Par contre, pour la Syrie, voilà qui est encore original. Inutile de préciser que chaque voyage se fait dans des conditions routards et pendant un mois minimum. Toujours avec un air mi-modeste, mi-espiègle, elle nous raconte la fois où elle a fait de l’auto-stop en Iran en se faisant récupérer par un camion de marchandise. Le chauffeur, un peu fatigué, lui a laissé le volant. Admettez que ça change de l’anecdote un peu plus convenu concernant un incroyable restaurant où on vous a servi du saumon avec du ketchup (Non mais du « ketchup » ?! Je rêve !). Tout de suite, c’est difficile de rivaliser. Néanmoins, j’arrive à les faire rire quand je leur raconte mon accident et ma panne d’essence d’il y a deux jours. Comme quoi, encore une fois, la vie n’est qu’une collecte d’anecdotes à partager avec les autres. A condition qu’elle ne vous tue pas, bien entendu.
Pour ce qui est de leur occupation, car il faut bien avouer que, moi, je trouve ça toujours intéressant de savoir ce que font les gens pendant la plus grosse partie de leur journée, j’arrive à glaner que David est psychologue et Eva étudiante en dernière année de mathématiques (une tête bien faite, en plus). Quand à Susanna, au cours de la conversation, j’apprends qu’elle a arrêté ses études et qu’elle travaille dans le milieu de l’informatique à faire des tests. Voilà qui rajoute un peu à son côté rebelle.
Cette soirée s’annonce terriblement intéressante et nous changeons de bar en quittant me deux collègues de randonnées. La fatigue se fait sentir et Anne-Marie commence à se ressentir de sa terrible journée. Je leur souhaite bonne chance pour la suite et poursuit avec le trio tchèque vers un autre bar un peu plus animé. Selon toute vraisemblance il est tenu par un anglo-saxon et la clientèle, un peu plus nombreuse. Pendant encore quelques heures nous discutons de tout, un sujet menant à l’autre, et je suis périodiquement impressionné par l’incroyable absence de peur et d’angoisse de David et Susanna. Peut-être est-ce de la bravade mais je trouve ça rafraîchissant. Eva, quand à elle, semble beaucoup plus raisonnable et timide en comparaison, mais à côté des deux autres, tout le monde le serait. Pour ajouter encore à cette ambiance cosmopolite et rebelle, nous sommes rejoint pendant un moment par la serveuse qui nous apprend être américaine. En vacances pendant quelques mois au Vietnam, elle aussi en mode improvisation, elle s’est arrêté à Da Lat après un coup de cœur pour le bar et la ville. Elle ne semble pas pressée de continuer, en tout cas.
Finalement, vers minuit, légèrement éméchés, alors que tout les autres bars et restaurants sont fermés depuis deux heures, nous décidons de rentrer. Après de sympathiques aux revoir et remerciements, je repart vers mon hôtel. Une bien jolie soirée.
Mais je crois bien que je m’y suis pris à deux fois pour retrouver mon chemin.