J’ai une grande nouvelle à vous annoncer. Après un mois d’entraînement à la dure, je suis parvenu à descendre ma consommation d’eau à deux litres par jour. Une réduction drastique d’un tiers, on ne pourra pas dire après ça que je ne fait pas d’effort pour la planète. Inutile de vous mentir, il y a une deuxième explication à ça. Je mange relativement liquide le midi et le soir.
Au Vietnam, comme je suppose dans beaucoup d’autres endroits en Asie, on se nourrit assez souvent de soupes et surtout de grands plats de nouilles de riz arrosés d’un bouillon. Il y en a deux sortes : le phở (incorrectement prononcé « fa » par moi même) et le bún (prononcé aussi salement par votre serviteur « boune »). Ne me demandez pas de vous expliquer la différence entre les deux car après plus de deux semaines, je ne parviens pas à les discerner. Je sens que ça va hurler dans les chaumières franco-vietnamiennes. Mon référent vietnamien, monsieur K.N. Tran (inutile que je donne son nom complet. Je ne suis pas là pour faire de la pub à un fumeur de cigare), à cette question me répondit avec son doux accent de Saint Cloud, Hauts de Seine, « ben t’as qu’à essayer les deux de suite et tu verras la différence ! ». A cette remarque mi-sarcastique, on devine qu’il est beaucoup plus parisien que vietnamien. Je fit donc une étude comparative en allant deux soirs de suite au même endroit en demandant un bun bô (c’est à dire un bun au bœuf) le premier soir et un pho (fa) bô le deuxième. Résultat : match nul. Ou alors si vraiment on cherche la petite bête, le bun a des pâtes rondes et le pho (fa) des pâtes plates mais quelque chose me dit que c’était une pure circonstance d’approvisionnement.
La bonne nouvelle c’est que bun ou pho (fa) sont également délicieux à mes papilles usées par un mois d’épices. J’ai une petite préférence émue pour le bun bô car ce fut le premier plat vietnamien pris à Hanoi le soir de mon arrivée et il était particulièrement bon. Et pas trop cher. Pensez que pour 30-50 kilo-dongs suivant l’endroit, vous avez un grand (très grand) bol de pâtes arrosé d’un bouillon (mais ça, vous le sauriez si vous lisiez attentivement), avec des éclats de cacahuètes suivant l’endroit et surtout aromatisé aux herbes. Là plupart du temps, on vous met également à disposition des quartiers de petits citrons verts, des pousses de soja et une assiette d’herbes et de plantes pour aromatiser encore plus à votre convenance. Les plus sadiques fournissent également des petits piments rouges à l’aspect terriblement menaçant dont j’évite de croiser le regard.
Pour moi, le secret et la jouissance d’un bon bun bô (très belle allitération en « b ») ou d’un pho (fa) réside dans ces fameuses herbes qui parfument subtilement le plat. Ça change du tapis de bombes des épices indiens. A ce propos, il est fort probable que je m’appuie sur des images de guerre et de bombardement tout au long de ces billets sur le Vietnam. Je vous jure que c’est inconscient. C’est vous qui avez l’esprit mal tourné. Manger un pho (fa) ou un bun (boune) c’est redécouvrir le plaisir du goût, de discerner de nouveau chaque petit composant d’un plat et de savourer l’alliance du liquide, du croquant et du mou. On est vraiment dans une tout autre école esthétique et culinaire plus proche de mon penchant naturel pour le zen où le moins et le mieux. Laissons parler les ingrédients en harmonie au lieu de les mélanger brutalement dans une boue piquante. Je dis ça, mais j’aime toujours le curry de banane que fait ma sœur.
Mais qu’ont-elles ces herbes pour provoquer en moi tout cet émoi ? Point d’interrogation. C’est une symphonie douce et subtile d’anisé, de citronné, de ciboulette ou d’oignons, voilà ce qui provoque la chose. C’est toute cette fraîcheur végétale qui vient transformer ce qui n’est après tout, si on veut être méchant, qu’un bête plat de noodles instantanées. Hors je ne souhaite pas l’être, méchant. Les vendeuses de pho (fa) et de bun (boune), bien que rarement souriantes, connaissent leur boulot et c’est toujours un plaisir de les voir saisir les morceaux de bœuf ou de porc dans un wok, de les jeter dans le bol pour ensuite les ébouillanter d’un bouillon, de les étouffer d’un entrelacs de pâtes brûlantes (je vous averti qu’il vaut mieux éviter de laisser choir une pâte sur la jambe alors que le plat vient juste de vous être servi. C’est d’une douleur atroce, collante et persistante), pour finalement y jeter une poignée d’herbes préalablement hachées.
A ce propos, lorsqu’on vous dit « pho au poulet » ou « pho au porc », il faut prendre cela au pied de la lettre. Si vous êtes particulièrement malchanceux ce jour là (mauvais karma à force de critiquer la cuisine indienne), il est possible que vous vous retrouviez avec un pho (fa) ou un bun (boune) contenant que des os, peau ou gras de porc. Ne soyez pas de mauvaise foi, personne ne vous a dit que c’était un pho (fa) à la VIANDE de porc. Satané touriste, va. Fort heureusement les probabilités sont faibles pour que la totalité du porc ou du poulet soit des abats. Ou alors vous avez été particulièrement désagréable avec la vendeuse.
Les cuistres de Hué et de la région centrale du Vietnam, eux, dans un excès baroque y ajoutent un soupçon d’épice piquant. Si c’est pas foutre en l’air un plat, ça ? Est-ce qu’on rajoute de la dorure à une calligraphie japonaise ? Foutez moi le camp avec ça. Il faut dire qu’ils font pousser des petits piments rouges (ceux à l’aspect belliqueux) à côté des rizières et plants de cacahuètes. Ce serait con de les jeter.
Lorsque vous avez la chance d’être dans un groupe avec un vietnamien (par exemple, un guide) qui peut dialoguer efficacement avec un restaurateur (à supposer que ce soit un vrai restaurant et non pas des petites échoppes comme précédemment pour le pho et le bun), vous aurez sans doute l’occasion de goûter à un vrai repas familial constitué d’une multitudes de mets disposés au centre. Muni de votre petit bol attitré et de vos baguettes (je constate d’ailleurs que la très grande majorité des touristes occidentaux maîtrisent les baguettes, ce qui doit être profondément désolant pour les asiatiques qui devaient bien se marrer il y a trente ans), vous faites le plein de riz dans le plat adéquate puis allez picorer à droite et à gauche. C’est très convivial sauf quand il ne reste qu’une seule de ces délicieuses boulettes de patate douce. Dans ce cas, tels les cerfs en période de rut, vous êtes bon pour un combat de baguette. Invariablement dans ces repas on vous sert du « water spinachs », épinard d’eau une fois traduit en français. Je ne sais pas si ce sont véritablement des épinards mais en tout cas, doucement relevé à l’ail, c’est très agréable et frais. C’est lors de ce type de repas que l’on sent nettement l’influence chinoise sur la cuisine vietnamienne.
Pour finir sur cette note culinaire (qui doit être un de mes sujets favoris avec le transport. Comme quoi voyager se résume à se déplacer, bouffer et dormir), parlons d’un sujet qui fâche. Au détour d’une ballade à pied dans Hanoi, je suis interpellé par une série d’étals de bouchers servant toutes de curieuses carcasses rôties. Ce pourrait être des petits cochons de lait si ce n’était leur dentition munie de proéminentes canines ainsi qu’un museau beaucoup plus allongé. Je ne suis pas vétérinaire, mais je crois reconnaître un corps de chien qu’en j’en vois un. Quelques jours plus tard, alors que je séjournais dans un endroit un peu plus reculé du centre du pays, je constate nombres de chiens dans les campagnes mais tous d’une taille moyenne et d’un âge relativement jeune. Un peu curieux, et sentant une relation de causalité entre la jeunesse des chiens et une possible consommation de leur chair, je pose donc la question à une guide. Loin d’infirmer la chose elle me raconta que la ferme où je résidait avait effectivement vu trois de leurs sept chiots disparaître avant d’ajouter : « ici, quand les gens ont faim, ils mangent de tout ».
Voilà. Amis des chiens, vous savez à quoi vous en tenir maintenant. En ce qui me concerne, un doute permanent m’étreint. Lors d’un repas organisé par un guide nous avons mangé une chair délicieuse. Celle-ci à notre question sur sa nature nous répondit « dog » suivit quelques secondes plus tard par « no, its joke ». Hahaha. Je crois que j’en ai repris.