Tout les chafouins à qui j’avais exprimé mon souhait de réaliser un trajet à bord d’un cargo ont invariablement soulevé le sujet des activités à bord. Qu’allais-je faire pendant ces jours à bord de ce bateau, sans internet, télévision, cinéma, concerts, bref, sans divertissement ? N’allais-je pas mourir d’ennui ? A croire que le risque majeur dans cette société moderne est de se retrouver tout seul face à soi et la douleur suprême de devoir passer une heure sans qu’un quelconque média passif vienne nous stimuler sans effort le cerveau.
Alors pour les plus hyper-actifs d’entre vous, vous pouvez aller vous dépenser dans la salle de gymnastique, à soulever des altères ou pédaler sur le vélo d’appartement. Enfin, en ce qui concerne ce dernier, encore faut-il comprendre les instructions en chinois. Moi, j’ai abandonné et me suit rabattu sur le tapis roulant, plus simple à comprendre. Si ça ne vous suffit pas, allez donc plonger dans la piscine, s’il y a de l’eau, bien entendu.
Pour peu que vos co-passagers soient en condition ou que vous croisiez un membre de l’équipage qui ne travaille pas, vous pouvez toujours l’inviter à une petite partie de ping-pong au pont C, dans la sus-mentionnée salle de gymnastique. En ce qui me concerne, j’ai réussi à motiver un officier chinois sur le Columba puis un membre d’équipage philippin sur le Gemini. Je ne suis pas peu fier de vous avouer que j’ai sèchement battu 3 sets à 0, le jeune officier chinois. La deuxième séance avec mon adversaire philippin a consisté uniquement en des échanges, juste pour la beauté du sport et le rapprochement entre les peuples.
Si les activités physiques ne vous intéresse pas, allez donc faire un petit tour du bateau. En tant que passager, on est relativement libre de nos mouvements. Seuls sont exclus la salle des machines et certaines zones techniques. Pour la première on peut néanmoins demander l’autorisation au chef mécanicien et jeter un œil au cœur du vaisseau, accompagné d’un des responsables bien entendu. Moi, sur le Columba on ne me l’avait pas proposé. Sur le Gemini, bien que le second officier mécanicien m’ait demandé si cela m’intéressait le premier matin à bord, je n’ai jamais osé vu que que nous étions à quai (pas le bon moment) mais aussi parce qu’un formateur mécanicien était à bord et que j’en ai déduit qu’ils étaient tous fort occupés. J’avoue aussi que je n’étais pas plus intéressé que ça. Si mon séjour c’était prolongé, au large, sans doute aurais-je émis le souhait.
Pour rappel, on peut aussi se balader sur le pont extérieur, muni d’un casque à condition d’en avertir quelqu’un au « ship central office », le bureau central du bateau situé sur le pont supérieur (qui bizarrement se trouve être le pont le plus bas de l’espace d’habitation). Ceci dit, le peu de fois où je suis allé voir si quelqu’un s’y trouvait, il était désert. Il n’y a qu’à quai qu’un officier de garde était présent, la plupart du temps pour attendre l’arrivé de ces foutus agents locaux de la CMA CGM. Dans le « ship central office » on peut jeter un œil aux différents écrans affichant les retours des caméras de surveillance sur le pont extérieur ou des diagrammes ésotériques représentant, je crois, la répartition des charges sur le bateau. Bref, rien qui puisse nous occuper des heures.
Si vous avez de la chance, le capitaine décide d’effectuer un exercice de sécurité. Dûment prévenu à l’avance, en tant que passager, vous êtes néanmoins tenu de participer. C’est à bord du Gemini, une fois en mer, un après midi vers 15h30 que celui-ci fut programmé. Comme prévu, une alarme générale retenti. Je monte donc calmement à la passerelle, mon point de rassemblement, un étage et demi au dessus. J’avoue, j’ai un peu triché car j’avais déjà mis des chaussures couvertes comme préconisé ainsi qu’un pantalon. J’assiste pendant une demi-heure, via les conversation en talkie-walkie, à une simulation d’alerte incendie. Finalement, le capitaine déclenche l’alarme d’abandon du navire et je suis invité par le steward, Jerry, en bleu de travail et casque à le suivre. Nous passons à ma cabine ou je récupère ma combinaison étanche attitré, dans son sac sous scellé. Je descend en sa compagnie calmement mais vivement les escaliers jusqu’au pont A afin d’enfiler un gilet de sauvetage que l’on nous distribue tous. Ensuite direction bâbord où tout le monde se regroupe autour de l’officier en second sous le bateau de sauvetage principal. On nous compte et pendant une demi-heure nous avons le droit à un petit rappel sur les devoirs de chacun en cas d’évacuation, sur le déclenchement des radeaux de sauvetages, utilisés lorsque le bateau sombre, ainsi qu’une demi démonstration sur comment libérer le vaisseau de sauvetage insubmersible. Tout ça se fait, bien entendu dans un anglais à l’accent très aléatoire et je suis toujours à me demander si en cas de panique général tout ceci s’avérera aussi fluide.
Non, il faut bien avouer que les trois activités principales à bord du bateau, en dehors des repas, restent la lecture, le bavardage et la contemplation. Au frais dans sa cabine, dans l’espace de détente commune des passagers (pas plus confortable) ou bien dehors sur les ponts (pour peu que vous ayez une petite chaise pliante planquée quelque part dans votre cabine), vous avez tout loisir d’avancer dans votre liste de lecture estivale. Si d’autres passagers sont présents, vous pouvez vous retrouver pour un café papotage dans l’espace de détente. Sur le Gemini, il y avait même une console de jeu Playstation 3… mais sans jeux. Et puis les cabines sont munies de prises électriques donc si vous avez un ordinateur portable, il est parfaitement utilisable.
Ponctuellement, pour rompre la monotonie ou récupérer un peu de chaleur absorbé par la climatisation parfois exagérée, vous pouvez aller jeter un œil dehors. A quai, le spectacle de containers volants parfois à quelques mètres de soi et un spectacle sans cesse renouvelé. En mer, l’excitation est à son comble lorsqu’on aperçoit un bout de terre, comme le premier aperçu des falaises de l’île maltaise de Gozo ou lors de notre passage entre Majorque et Ibiza à bord du Gemini. Le jeu consiste alors à essayer de deviner l’identité de ces bouts de terre puis, si on l’ose, de monter à la passerelle demander à l’officier de garde de confirmer. A bord du Gemini, celui-ci m’a même gentiment conduit jusqu’à la table des cartes pour me montrer la carte marine papier sur lequel était indiqué notre trajectoire et le contour du littoral.