Vivre à NYC

Christine V. est d’origine porto-ricaine. A New York, c’est plutôt commun. Née ici, élevée ici, étudiée ici, travaillant ici. C’est une pure New Yorkaise. Exactement, comme Woody Allen, Martin Scorcese, Robert de Niro ou encore dix millions d’autres habitants de la grosse pomme.

DSC_9198_DxOElle loue un petit F2 de 30m2 dans un immeuble à loyer modéré sur la 100ème rue est, quasiment au coin de Lexington avenue (si vous avez lu le précédent billet vous devriez avoir poussé un petit «je vois» doublé d’un léger hochement de tête). Par loyer modéré, j’entend un loyer autour de 1000$ par mois ce qui, à l’échelle de l’immobilier local, est honteusement bon marché. Et oui, aux Etats-Unis, pays de l’ultra-libéralisme pour beaucoup de gens, il y a également des logements « sociaux ». D’ailleurs, à NYC (afin de m’éviter de pénibles hésitations, à savoir s’il faut écrire New-York avec ou sans tiret, je vais dorénavant utiliser cette pratique petite abréviation), ils portent le doux nom de « projects ». Habiter dans un « project » c’est signe de pauvreté ou de déclassement social. C’est en tout point synonyme de HLM en France.

Christine n’habite pas dans un « project » mais le loyer de son appartement est néanmoins contrôlé. Trois immeubles de « projects » occupent un terrain un bloc plus bas (vous aurez tout de suite compris que par « plus bas », il s’entend plus proche du downtown, donc, au sud) et le quartier est populaire. Pour rappel, un bloc est le rectangle de terrain délimité par deux rues et deux avenues. En face de son immeuble se trouve un dépôt de bus de la MTA, à droite, au bout de la rue un bloc plus loin se trouve en hauteur la ligne de chemin de fer remontant au nord. La voie matérialise une frontière physique, hormis pour quelques passages, avec l’Upper East Side, beaucoup plus classe. Ici, le cœur et la vie du quartier sont le long de Lexington Avenue. Au delà de la 110ème, au nord, comme le veut la chanson de Bobby Womack, c’est Harlem notamment de ce côté-ci, East Harlem, plutôt hispanique.

Dans les années 2000, NYC c’est pacifiée, certain diront de force, sous la coupelle du maire Rudolph Giulianni. Harlem et le Bronx ont vu leur taux de criminalité ramené à un niveau normal. Maintenant, tout est paisible et si une grande partie de la population défavorisée y réside encore, la lente gentrification remonte doucement vers le nord.

DSC_9139_DxOChristine habite au sud de la 110ème. Le quartier, sympathique, mélange blacks, blancs et latinos, tout ce monde oscillant entre très modestes employés et bobo à poussettes. Des cafés, bars, superettes, laveries automatiques et autres petits commerces procurent l’indispensable le long de l’avenue, le tout noyé dans l’incessant bruit de fond de la ville, véritable signature sonore de NYC : hululement de sirènes de police ou d’ambulances, klaxons, bruits de trafic et de climatisation.

Christine habite au cinquième étage de son immeuble. La porte de son appartement, comme la dizaine d’autres de son étage, donne au fond d’un couloir blanc jauni miteux dénué de toute humanité. Comme souvent constaté aux US, la qualité de fabrication n’est vraiment pas au top mais vu que c’est un immeuble à loyer modéré, tout ceci n’est pas surprenant. Simple vitrage, climatisation hors d’âge peinant à repousser la chaleur poisseuse de cet été indien et murs fins attestent de la qualité de l’ouvrage. Le bruit de fond est permanent quand ce n’est pas la voisine hyper-expansive qui se met à hurler « Tooooouuuuchdowwn, yeaaaah ! » en plein après-midi comme si elle était assise dans la même pièce que vous. Vu son accent et son coffre, j’imagine sans peine une grosse black assise devant un match de football américain. A travers le conduit central d’aération parviennent également quelques éclats de voix espagnols.

L’immeuble de Christine est froid et sans âme, les parties communes anonymes et décrépies. On y rentre par une rampe, l’entrée étant légèrement en sous-sol. Les gens croisés sourient peu. Heureusement, son appartement est un peu plus joyeux, mais modeste. De toute façon, ici, il faut aimer la promiscuité et le quartier n’est pas désagréable. D’ailleurs, le quartier est marron. A vrai dire, quasiment tout NYC est marron, tirant vers le rouge, encore plus les quartiers populaires où les « projects » sont construits avec ces grosses briques marrons que l’on retrouve quasiment partout.

DSC_9133_DxO

Malgré ces conditions de vies modestes, comme beaucoup de new-yorkais, Christine s’accroche et rêve de réussir. Ici, d’après elle, les gens s’épuisent à tenter de percer jusqu’à ce que, las, ils abandonnent leur ambition et quittent la ville pour trouver quelque chose de plus modeste dans un environnement plus accessible financièrement. « If I can make it their, I’ll make it anywhere », chante Lisa Minelli. Christine a essayé de percer dans la mode mais ça n’a pas beaucoup fonctionné. Elle est à deux doigts de lâcher l’affaire et entre temps elle vie de deux boulots à temps partiels dans l’organisation d’évènements. Elle ne veut pas quitter son appartement car il sera impossible de trouver moins cher. Et puis elle aime bien son quartier, pas trop loin de sa grand-mère porto-ricaine qui l’héberge pendant qu’elle me loue son appartement, autre moyen pas trop officiel pour faire rentrer de l’argent. Surtout, New-York, on y devient vite accroc, sensation d’être au cœur du monde, même si, faute de moyens, on n’en profite pas tant que ça.

Tout ceci étant dit, je m’en vais aller faire ma lessive au laundromat sur Lexington. Ta ta tadadaaa, ta ta tadadaaa, pom pom pom.

Géolocalisation à NYC

Afin de faciliter les indications de localisation, laissez moi très brièvement vous rappeler comment se repérer dans une ville comme New York. Vous allez voir, c’est réellement enfantin et d’une rassurante simplicité pour le touriste. Notez que je vous livre ici le mode d’emploi pour Manhattan, un des nombreux « boroughs » (sorte de gigantesque arrondissement) de la ville (Le Bronx au nord, Brooklyn et Queens à l’est sur la pointe de Long Island, et finalement Staten Island au sud). Ne nous voilons pas la face, lorsqu’on dit « New York » on pense instantanément dans 90% des cas à « Manhattan ».

Les premiers colons hollandais s’installèrent au sud de l’île de Manhattan, nom provenant de l’algonquin « manna-hatta » signifiant « île aux nombreuses collines ». Voilà pour tes soirées Trivial Pursuit, cher lecteur. Cette pointe sud est communément nommée « downtown », en bas de la ville en bon français pour la simple et bonne raison (mais je vous l’avais déjà expliqué) que c’est l’endroit où commence la numérotation des rues. Les rues sont (quasiment toutes) parallèles et traversent l’île dans la largeur (grosso-modo d’est en ouest et réciproquement). La 1ère rue est donc au sud et la 218ème, au nord, juste au bout de la pointe. Perpendiculairement, les avenues parcourent l’île du sud au nord (et inversement car aucune rue ni avenue n’est en sens unique). La 1ère avenue est à l’est alors que la 12ème longe l’Hudson à l’ouest.

Voilà. C’est propre, c’est carré, c’est bien rangé et présentement je me balance de droite à gauche de contentement en émettant un curieux bourdonnement grave. Sauf que.

Vous n’êtes pas sans savoir, car on ne peut pas être ignare à ce point, qu’un gigantesque parc arboré occupe le cœur de l’île. Oui, je parle bien du Central Park, nom sans originalité mais qui ne laisse que peu d’ambiguité quant à sa situation géographique. Vous pensez bien que les rues et les avenues ne traversent pas ce poumon vert (cliché, te revoilà). En toute logique, une rue commençant à l’est interrompue par le parc reprend tranquillement son chemin sous le même numéro, à la même hauteur de l’autre côté. Comme le New Yorkais est sympathique (ou fainéant), les rues sont même précédées du qualificatif « Est » ou « West » suivant que l’on parle de la section de rue à l’est ou bien à l’ouest (respectivement) du parc.

Me voilà de nouveau emprunt d’un sourire béat de satisfaction. Le monde est de nouveau bien ordonné et les rues bien rangées. Sauf que.

Pour je ne sais quelle raison, certaines avenues ne portent pas de numéro. Tenez, par exemple, vous pensez peut être que la célèbre 5ème avenue suit la 4ème, elle même à l’ouest de la 3ème ? Ta, ta, ta. Point du tout. La 4ème et 3ème se nomment en réalité Madison et Park. Bon, admettons. Là je commence à me balancer de plus en plus fort d’avant en arrière lorsque je constate que ce qui devrait, en toute logique, être la 2ème avenue est en réalité Lexington. Un léger tressaillement de la paupière gauche me gagne lorsqu’en marchant encore plus à l’ouest l’on croise la 3ème avenue ! Et Broadway ! Hein ! Broadway par ci, Broadway par là. C’est quoi ça ? Une avenue ? Une rue ? On ne sait pas car elle s’appelle juste « Broadway ». D’ailleurs, sa nature ambigue se reflète dans son tracé totalement de traviole suivant une grossière diagonale au sud du parc. Gggggg.

Respire. Souffle. Mmmmh. Bon. Admettons. Après tout, il n’est pas interdit d’avoir un peu de fantaisie ou de vouloir faire plaisir à certains richissimes et célèbres enfants de la ville en nommant quelques voies en leur honneur. Tant que tout ça reste bien propre et perpendiculaire et suivant une suite strictement monotonique. Sauf que.

Dés qu’on s’approche du downtown, les choses commencent rapidement à partir en testicules. Là, ça devient la fête du slip et de la cochonnaille réunie. Plus aucune numérotation, plus aucune perpendicularité, des rues en sens interdit, c’est du grand n’importe quoi européen ! Là, je me tape le front contre un mur avec une écume de bave aux lèvres. Vas-y pour les Wall Street, les Pine Street, les William Street qui est perpendiculaire à la précédente alors qu’elle s’appelle « street » au mépris de la plus élémentaire logique!!!! GGGGGGGGGRgggggggaarrrr. Pas bien. Caca.

Vous l’aurez bien compris, tout ceci découle de l’histoire. Ça a commencé en foutoir au sud jusqu’à ce qu’un urbaniste décide que tout ceci était bien débile et qu’il y avait peut être mieux à faire pour s’y retrouver. C’est donc plus ou moins au sud de Greenwich village que commence réellement cette numérotation qui a fait la célébrité de la ville, rapidement reprise dans d’autres villes américaines.

Pour finir, et pour voir si vous avez bien compris, l’Upper East Side correspond bien entendu au quartier longeant l’est de Central Park plutôt éloigné de downtown (puisque que le midtown est généralement considéré comme finissant au sud du parc) alors que le Upper West Side est de l’autre côté. D’ailleurs, si vous êtes multimillionnaire en euros / dollars / livres sterlings / francs suisses / dong vietnamien (cherchez l’intrus), je vous recommande ce quartier. Vous serez entre gens de votre monde. Moi, je serez le clochard bave au lèvre fixant les panneaux indicateurs.

Encore du transport

Là, rapidement avant que j’oublie parce que j’ai une mémoire hyper sélective, rappelez moi de vous parler de transport. Je vous en avais parlé dans un billet précédent, en plus. Maintenant, je me sens drôlement obligé. Bon en même temps, ça va être extrêmement bref.

Je pourrai vous parler du métro montréalais mais en fin de compte il n’y a pas grand chose de particulier à évoquer à son sujet. Il est efficace, spacieux et surchauffé. A bien voilà, effectivement, il est particulièrement surchauffé et hormis les annonces au délicieux accent québécois, il n’y a rien d’autre à ajouter.

Pour transiter de Montréal à Québec puis au-delà vers La Malbaie, j’ai eu le plaisir d’utiliser le bus. Je parle de plaisir car hormis un prix raisonnable il propose d’office un accès WiFi gratuit (bien qu’erratique) ainsi que des prises électriques. L’avantage est qu’il est possible de travailler. Le désavantage est qu’on garde le nez devant son ordinateur alors que le paysage extérieur est superbe. A vrai dire, entre Montréal et Québec, le paysage est loin de l’être. Entre Québec et La Malbaie, ça commence à être un peu plus intéressant.

Pour ce qui est du train, les choses sont beaucoup moins évidentes. Il existe un train qui remonte le Sain-Laurent au départ de Québec en s’arrêtant régulièrement (notamment à La Malbaie) mais, comme le Great Khan Railway en Australie, son but est essentiellement touristique voir luxueux, façon Orient-Express. Les billets y sont d’ailleurs beaucoup plus onéreux que le bus.

La gare routière de Montréal (arrêt de métro Berry-UQAM) est donc le nœud central des transports régionaux. Différentes compagnies, notamment Greyhound, proposent des liaisons vers les villes voisines canadiennes et américaines. Je prend donc un billet pour New-York départ 11h arrivée 20h. Oui, on ne dirait pas mais il faut bien ses 9h de route pour rejoindre la grosse pomme en prenant les voies les plus rapides. Fort heureusement, et il semblerait que ce soit la norme Amérique du Nord, le WiFi est également en accès gratuit (mais toujours aussi erratique) et des prises électriques disponibles à chaque siège.

Prendre le Greyhound pour New York au départ de Montréal, c’est un peu un choc culturel. Attention, je m’apprête à partir d’une unique expérience (enfin… quoique, peut être deux) à généraliser. C’est moche. Alors que la quasi-totalité des montréalais croisés étaient souriants (même timidement) et d’un abord agréable, la conductrice de notre bus arbore la face neutre et sans émotion de la new-yorkaise à qui on ne la fait plus. On n’est pas ici pour se fendre la poire. Imaginez une Whoopee Goldberg en surcharge pondérale (nouvelle indice que nous nous apprêtons à refouler le sol américain) effectuant ses annonces en gueulant comme une gardienne de prison, sans l’aide de la sonorisation interne prévue à cette effet. Elle va vite nous faire regretter la douceur canadienne.

Le trajet commence par un court tronçon jusqu’au poste frontière où nous descendons tous du bus et effectuons un passage devant le service d’immigration. C’est sans doute dans ma tête mais je trouve qu’il y a quelque chose de nettement plus sombre et déprimant aux États-Unis. Une demi-heure plus tard, notre chef de prison nous gueule dessus et nous remontons dans le bus comme des taulards, tout ça, bien entendu sans un soupçon d’ombre de sourire.

A partir de là, la route traverse les douces collines du Vermont, légèrement colorées. Le temps est maussade et ajoute au caractère froid et sans saveur de ce trajet. Nous suivons l’autoroute et rapidement, j’alterne sommeil, lecture et rédaction de ce même blog. Une seule fois nous effectuons un autre arrêt dans une zone insipide pour que notre matrone se repose. Nous repartons. Le jour décline puis à la tombée de la nuit, entrons dans une zone nettement plus urbaine. Des néons des grandes enseignes commerciales parsèment le paysage. Les panneaux indiquant les sorties se multiplient. Des noms deviennent de plus en plus familiers, New Rochelle, Pelham. Pas de doute, nous approchons de notre destination.

Finalement le bus s’engage sur un pont et chacun peut admirer la skyline inimitable de New-York, parée de ses guirlandes nocturnes qui se mirent sur l’Hudson (la poésie, c’est gratuit aujourd’hui). Un début d’excitation se fait ressentir. Après quelques méandres dans Manhattan, notre véhicule pénètre dans un sous-terrain et vient se garer à côté d’autres bus estampillés Greyhound. « New-York Citttyyyy, New-York Citttyyy final stop. Everybody must get OUT. » Toujours aussi agréable cette conductrice. Bienvenue.

Une fois mes sacs-à-dos récupérés je pénètre dans la gare routière du Port Authority de New York. Ma mission consiste à rejoindre l’intersection de Lexington Avenue et de la 100ème rue en métro, où Christine, la new-yorkaise croisée à Arcata, me sous-louera son appartement pour quelques jours. Quelques moments de flottements plus tard où j’essaye de comprendre le système de ticket de la MTA (Metropolitan Transport Authority), je m’engouffre à la suite d’autres commuters dans les tunnels moites vers la plateforme de mon premier métro. Je retrouve cette ambiance anonyme, frénétique, presque agressive de grande ville blasée. New-York début octobre est chaude et humide, encore plus dans ses boyaux. Je me retrouve rapidement en sueur parmi les habitués en T-Shirts ce qui provoque le sourire d’une usager. Finalement, après une correspondance à Grand Central Station, et une longue remontée vers le nord dans les sous-sols cahotants et grinçants de Manhattan, j’émerge dehors, dans une douce soirée au sud de East Harlem.

Venus à la Fourrure

Après la nourriture du corps, laissez moi évoquer la nourriture de l’âme. Je m’étais laissé dire (je ne sais plus par qui ou par quoi) que Montréal était extrêmement dynamique culturellement. Ce n’est pas forcément en quelques jours hors de toute période festivalière que l’on peut véritablement confirmer ou infirmer ceci. Néanmoins, voici deux anecdotes qui me permettent, d’une moue plutôt conciliante, de ne pas contredire cela.

Commençons par l’incident le plus mineur. Lors de mon séjour montréalais, j’ai pu découvrir en deux occasions des pianos laissés gratuitement à la disposition des passants en des lieux de passage (qui sont généralement considérés comme les lieux de prédilection pour les passants). Permettez moi de balayer de suite toutes les petites remarques mesquino-cyniques de certains d’entre vous concernant l’impossibilité de voler un piano. Certes, néanmoins ils étaient attachés. On a beau être en général plus souriant qu’un français, un québecois n’est après tout qu’un homme et lui aussi peut être tenter de s’embarquer un piano, gratuitement pour chez lui. Devant cette démonstration de tant de confiance en son prochain, je n’ai pu m’empêcher de demander à la première passante croisée la raison de ces pianos publics. Il se trouve, que cette passante était une policière et au lieu de me regarder de haut en me répondant de manière glacée (comme on peut être habitué lorsque l’on vient d’hexagone), elle m’a gentiment répondu en souriant qu’il s’agissait d’une chouette initiative de la mairie. Un peuple qui donne gratuitement des pianos à disposition et dont les policières sont urbaines ne peut pas être foncièrement mauvais. Depuis, j’ai constaté en gare de Toulouse Matabiau une initiative similaire proposée par la SNCF. Bizarrement, ça n’a pas la même saveur.

Mais surtout, en ce qui concerne l’atmosphère culturelle de Montréal, voici un rapide résumé de ma dernière soirée en ville, après mon retour de La Malbaie. Comme un fou, je décide d’aller la passer dans le quartier des spectacles, là où, comme son nom le laisse supposé à l’esprit vif et logique qui caractérise mon lectorat, se concentrent la majorité des théâtres et salles de spectacles de la ville. Peu avant 20h, le long de la rue Sainte-Catherine à l’ouest de Berry-UQAM, se presse une quantité de gens recouvrant tout le spectre d’élégance, sortant des restaurants ou minables fast-foods servant d’atroces poutines hypo-lipidiques, pour aller se divertir d’une des nombreuses pièces, films, concerts, comédies-musicales ou boites de nuit des environs. En ce qui me concerne, j’hésite à tenter un bar lounge.

En remontant la rue encore plus à l’ouest, on arrive au cœur de ce quartier bordé au nord par la rue Sherbrooke et au sud par le boulevard René-Lévesque. La Place des Arts centralise en un lieu extérieur et couvert plusieurs salles de spectacles. Ici la foule est encore plus concentrée. Une envie subite me prend d’aller voir une pièce de théâtre et sans trop y croire, je commence à faire la queue à la billetterie dans le brouhaha du hall. Je feuillette rapidement le programme du soir et mon tour arrivé, demande d’un air goguenard s’il reste encore des places pour des spectacles. En sous-titre je tente de faire passer le message corporel que je ne suis pas né de la dernière pluie et que je sais qu’il est totalement illusoire (voir emprunt d’une grande et touchante naïveté) d’espérer (ne serait-ce que) avoir une place une demi-heure avant le début de la représentation alors qu’à Paris, ville lumière et phare culturel pour l’élite de l’humanité, il faut être provincial mongoloïde pour oser le penser.

« Oui, il nous en reste, me répond la guichetière avec un sourire.

  • Ah ?

<silence>

  • Ben euh, et pour la « Venus à la Fourrure », c’est combien ?
  • 35$.
  • Euh ben, d’accord, j’en prend une.

Si c’est pas un signe évident de dynamisme culturel, ça ? Parce qu’attention, là. Je ne vous parle pas d’un obscur spectacle de chant atonal d’une peuplade oublié de Sibérie oriental, mais d’une très ambitieuse et divertissante adaptation en français d’une pièce de l’auteur new-yorkais David Ives, elle même inspirée de l’oeuvre sulfureuse de Leopold Sacher-Masoch, qui fut à l’origine du terme « masochiste », que Roman Polanski, pour vous dire si ce n’est pas de l’étron faisandé, a lui même adapté au cinéma pas plus tard qu’il y a quelques mois !

Je me retrouve donc assis au cinquième rang de l’allée centrale, dans une salle quasiment comble, a suivre pendant deux heures un huis-clos entre deux excellents acteurs au doux accent québecois. C’est autre chose que le monologue ampoulé et emmerdant de ma dernière tentative théâtrale à Lyon, spectacle que j’avais du réserver trois mois à l’avance. Je ne vous raconte pas le sujet de la pièce, de peur de vous « spoiler » le film de Polanski mais sachez que c’était frais, amusant et pétillant, alternant entre des passages contemporains et des ambiances 19ème siècle où les acteurs basculaient sur l’accent français hexagonale pour se donner un genre aristocratique. Je ne sais pas s’il faut se vexer.

Donc, je ne sais pas si vous êtes d’accord avec moi mais une ville où l’on peut se payer une place de théâtre de bonne qualité, à un prix raisonnable, à la dernière minute ne peut pas être totalement provinciale. C’est même le contraire.

La Poutine

Bon assez esquivé, parlons bouffe. Il est grand temps que je vous raconte mes aventures culinaires dans la Nouvelle-France. Commençons par le petit-déjeuner.

Mon premier matin à Montréal, je me suis fait une joie d’expérimenter un copieux petit-déjeuner de pancakes dans un des nombreux petits cafés-restaurants de la rue Mont-Royal. Là, il n’y a pas à tergiverser, c’était impeccable. Généreux, varié, le tout accompagné d’un pichet de sirop d’érable à volonté que l’on peut utiliser pour gonfler les pancakes de sirop sucré jusqu’à ce qu’on ne puisse plus ouvrir la bouche sans produire d’épais filaments de salive caramélisée. Le plaisir ici est dans l’excès surtout que j’avais choisi l’assiette accompagné de petits beignets de pomme de terres. Par -20°C c’est indispensable. Ça commençait bien.

Mon premier midi, j’ai voulu goûter à ma première poutine, plat national québecois. Je me suis donc posé dans un petit restaurant fast-foodesque du centre ville de Montréal, légèrement après le rush de midi, pour être bien tranquille. J’ai pu donc commander en toute tranquillité une poutine « de base » auprès de la dame d’âge mur derrière le comptoir. Soyons clair, la poutine ne sera jamais au panthéon des mets fins et délicats. En cela elle est rejointe par la raclette, la tartiflette ou les patates au lard (et à vrai dire tous les plats basés exclusivement sur du cochon mort et des féculents). Laissez moi vous en expliciter la recette :

  • Faites des frites.
  • Coupez du fromage en petits dés (de la taille d’apéricubes).
  • Couvrez les frites des petits dés de fromage sus-coupés.
  • Nappez l’ensemble d’une épaisse sauce à la viande.
  • Baffrez.

Je vous avez prévenu, il n’y aucun raffinement là dedans. C’est donc non sans une certaine déception que j’attaqua ma première poutine car s’il y a bien une chose facile à rater c’est bien ce plat. Utilisez des frites industrielles congelées, des dés d’ersatz de mozzarella et une sauce à la viande bon marché à base de viandox, le tout servi tiède et vous passerez un quart d’heure douloureux à tenter de combattre vos réflexes vomitifs. Moi, comme je suis poli, je fini mes plats. Ça m’en coûte, mais là, je représentait la France est la commerçante était fort sympathique. C’est bien simple, ça n’a aucun goût hormis un vague goût salé porté par la sauce à la viande bien grasse. Encore une fois, ce plat doit se déguster sans doute exclusivement sous -20°C. Echaudé par cette expérience, je me suis fait un soir suivant un pho (fa) dans un restaurant asiatique du petit chinatown montréalais, histoire de retrouver le plaisir du goût.

Comme je ne suis pas de ceux qui se forgent un avis sur une unique expérience (il m’en faut au moins trois), j’ai retenté le coup à trois nouvelles occasions. C’est presque de l’entêtement. Expérience numéro 2, un midi aux chutes de Montmorency dans une sorte de dinner sans âme. Nouvel échec. Expérience numéro 3, le midi de mon arrivée à La Malbaie dans le bar-billard-restaurant familial du centre ville, au Veilleux, institution du coin. Mention spéciale pour le lieux, situé en sous-sol dans une quasi-ambiance de bar miteux du middle-west américain. Des employés désabusés y servent des burgers et poutines à une clientèle peu gastronome. La qualité de la poutine est ici jugé au monticule de frites noyés sous une cascade de « gravy » quasiment aussi sirupeuse que du sirop d’érable, le sucre en moins. Pour m’éviter une catastrophe digestive j’y commande une petite mini-poutine comme accompagnement d’un cheeseburger. Troisième échec heureusement limité par la taille restreinte du plat. Comme je suis un peu con, je redonne une dernière chance au Québec en commandant, mon dernier soir avant de partir pour New-York, une ultime poutine dans les quartier des théâtres de Montréal. Certes, à chaque fois, je commande le plat dans des petits troquets bas de gammes. Peut-être que les vrais poutines se dégustent chez l’équivalent québecois de Fauchon. En tout cas, la dernière poutine a failli me faire vomir, frites tièdes sous fromage caoutchouteux froid et sauce tiède. L’infarctus me guette. Détrompez-vous si vous pensez que le plat est une vaste joke pour touriste parisien. A vrai dire, c’est plutôt l’inverse. J’avais même l’impression d’être le seul touriste à en commander contrairement aux autres consommateurs de la chose, québecois. Je serai donc clair, en ce qui me concerne, la poutine, c’est dégueulasse. D’ailleurs, un ami de Maxime, lors d’une soirée à déjeuner en comptoir d’une tartine bien grasse m’a fait découvrir le terme qui correspond parfaitement à cette cuisine : sale. Après une poutine, on se sent répugnant, collant de l’intérieur, les artères souillées de gras. Et en plus, ça n’a aucun goût.

Bon, fort heureusement, tout n’était pas aussi peu à mon goût. Je peux par exemple citer de mémoire le « Cochon Dingue » à Québec Ville, un des forts appréciables restaurants de la basse-ville, sans parler que son nom est en lui même une vaste blague. Ce n’est pas non plus un restaurant hyper bon marché mais comme partout en Amérique du nord, j’ai l’impression, les restaurants sont plus chers qu’en France. Tout ça mis bout à bout, je suis bien navré de devoir décerner à mon expérience québecoise la palme du pire séjour gastronomique. Pour des francophones, ça me coûte, mais qui aime bien, châtie bien.

Fort heureusement, si côté bouffe nos cousins ne m’ont pas laissé estomaqué de stupeur admirative, il en est autrement côté boisson. Je vais être d’ailleurs encore plus spécifique : côté bière, ils sont fortiches. C’est très simple, on dirait des belges. Il y a un très grand nombre de micro-brasseries dans la belle province, chacune produisant deux ou trois bières de personnalité différente, ambrée, blonde ou brune. Du coup, on leur pardonne cet immonde plat national.