Les petits boulots

Excusez-moi si j’enfonce des portes ouvertes sur des choses archi-connues, mais je constate qu’il y a beaucoup plus de petits boulots en Inde qu’en Europe.

Par exemple, quand je rentre dans un magasin juste légèrement cossu, mais pas forcément luxueux (mettons, le Sri Krishna Sweets de l’autre côté de ma rue à Pondy et qui font des pâtisseries à se taper le coccyx par terre), invariablement il y a un monsieur derrière la porte vitrée qui me guette pour me l’ouvrir quand je m’approche à moins d’un mètre. Là je vous parle d’un portier chanceux qui est autorisé à profiter de la climatisation. Le moins chanceux se poste à l’extérieur. Imaginez un portier posté à longueur de journée devant (ou dedans) la FNAC ou même votre Monoprix de quartier pour avoir l’équivalent.

On peut également citer les balayeurs et qui sont le plus souvent des balayeuses. Bien qu’ayant l’équivalent en France, les fameux techniciens de surface, j’ai quand même nettement l’impression que le boulot est encore plus petit ici. Tout d’abord ils n’ont parfois aucun uniforme. Donc, méfiez vous. Si une vieille dame toute courbée en sari fané vous engueule en hindi pour que vous dégagiez de votre siège, ce doit être très certainement une responsable balayage. Mais surtout, côté matériel, ne pensez pas la voir équipé d’un magnifique chariot à roulette avec poubelle et accroche seau ainsi qu’un balaie multi-fonction à tête flexible voir d’une pince attrape papiers. Ca, c’est dans le futur ou alors dans les films, et les meilleurs. Non, la vieille en sari elle se démerde à récupérer un tas de brins de paille qu’elle noue ensemble avec une ficelle et elle se penche pour balayer avec ça, la vioque ! Autant dire que la médecine du travail hurlerait au désespoir en voyant ces pauvres dames le buste penché en avant toute la matinée pour compenser l’absence de manche. Et quand je pense que j’en vois parfois à Pondicherry avec un uniforme (ah, un petit point positif) avec leur balai improvisé (ah, un gros point négatif) en train de balayer la poussière de la rue, dans la chaleur, je frémi. Déjà je trouve ça particulièrement désespérant de demander à quelqu’un de balayer la poussière d’une rue. C’est un peu comme vouloir balayer le sable d’une plage. Mais ce qui me fait dire que ce boulot est vraiment particulièrement petit, c’est que j’ai la très nette impression qu’on leur demande de balayer mais pas de nettoyer. Ma petite vieille en sari fané, je l’ai vu balayer un hall de gare pendant que des gens jetaient des papiers (qu’elle balayait, donc, tel Sisyphe) et crachaient par terre. Le sol était parfaitement dépoussiéré mais tout autant dégueulasse.

Dans le genre petit boulot désespérant, il y a également le rickshaw à vélo. A chaque fois que j’en vois un j’ai envie de le prendre fermement par les épaules et, en le regardant fixement dans les yeux, de lui dire : « Arrête ! Mais arrête donc ! Tu vois bien qu’il y a une armée de rickshaws motorisés tout autour de toi ? Tu les entends pas klaxonner comme des connards ou quoi ? Plus personne ne va utiliser un porteur à vélo alors qu’ils peuvent avoir l’ivresse du son et du danger pour à peine 60, 70, 80 bon aller 90 roupies ! » Ensuite, je le secourrai un peu pour que mon anglais passe mieux dans son hindi (ou son tamoul) mais surtout pour me défouler sur un être plus frêle que moi car, il faut bien l’avouer, ces conducteurs de rickshaws à vélo son souvent de pauvres hères maigres et dépenaillés. Ha! La preuve que la clientèle les fuit, incapables de se nourrir correctement qu’ils sont!

DSC_5446_DxOLe travail de manœuvre est également une valeur sûre côté petit boulot et je suis toujours abasourdi de voir des femmes (encore, décidément) dont le travail consiste à remplir des paniers de sable muni d’une petite pioche large et de les porter au chantier d’immeuble à côté, le panier sur la tête. Bien entendu, je peux vous assurer qu’aucune n’effectue une flexion des genoux pour se préserver le dos. Mais bon dieu, ils n’ont pas des pelles et des brouettes ?! De manière similaire, j’ai vu une vielle dame dont son boulot consistait à tamiser le sable à la main avec un vieux tamis réformé du Klondike. Il faut croire que l’on manque de bons outils ou tout simplement qu’une journée de bras coûte moins cher qu’une pelle et une brouette chez Casto.

Un peu moins exotique, et en vrac, il subsiste encore le métier de remplisseur de sac de course (je ne pense pas que ce soit le terme officiel) aux (rares) supermarchés. Dans les bus, on y retrouve également notre bon vieux composteur, toujours vaillant avec son sifflet pour avertir son collègue conducteur quand quelqu’un veut descendre et quand il est bien descendu. Dans la restauration, grand pourvoyeur de petits boulot, on constate environ le triple de serveurs que nécessaire (même s’il est vrai que c’est la basse saison). Et en plus ils sont frêles, mais ça je crois que je l’ai déjà dit.

Bref, si vous êtes étudiants et que vous cherchez un petit boulot plus exotique que caissier à McDo, l’Inde offre un vaste panel d’opportunités. Et en plus on peut dormir dans la rue. Il ne fait pas froid et on dort rarement seul.

Sonneries de portable

Que ceux qui croient que la musique unira les peuples se rassurent. C’est effectivement déjà le cas pour les sonneries de téléphone portable. Qu’on soit à Paris, Toulouse, Mumbai ou Pondicherry ce sont les mêmes musiques et djingles qui font vibrer nos téléphones. Pour le dépaysement, on repassera. Oh, il y a bien quelques uns qui font leurs originaux en les remplaçant par des morceaux de pops indiennes mais la trace audible du grand village mondial est bien là. Une seule sonnerie pour les unir tous.

Au début j’avais l’impression de recevoir pleins de SMS et d’appels manqués avant de me rendre compte de ma bévue. En Inde il n’y a pas de circuit d’eau potable mais chacun a un téléphone portable. Et avec les mêmes sonneries que le mien, en plus. Ca va être simple ça.

Mausolée Hadji Ali

C’est l’histoire d’un gars parti faire un pèlerinage à la Mecque et qui y meurt. Oui, c’est une histoire qui fini mal avant même d’avoir commencé. Son cercueil tombe à l’eau (et non il n’y a pas un belge, un américain et un français sur le bateau). On le retrouve échoué quelques jours plus tard sur un rocher à quelques encablures des rives de Mumbai.

Arriva ce qu’il devait arriver, telle la sainte sandale de « La Vie de Bryan », on cria au miracle et on en fit un saint. Et pour que ça ait de la gueule et un peu de tenue, on construisit une mausolée de marbre blanc à l’endroit où on retrouva le cercueil. On avait eu de la chance. S’il s’était échoué au milieu de l’atlantique, le chantier aurait coûté plus cher. C’était véritablement un miracle, je vous dis.

Et parce qu’il n’y a pas de petits profits, on se dit qu’une mausolée, c’est bien, mais des pèlerins, c’est mieux. On construisit alors un chemin reliant la mausolée à la terre ferme en prenant bien soin de le faire suffisamment large pour y placer deux rangées de boutiques histoire de maximiser les profits.

La mausolée Hadji Ali, à Mumbai, véritablement impressionnante. Surtout quand on y va le dimanche, jour de sortie. J’suis vraiment un dingue.

DSC_4998_DxO DSC_4977_DxO DSC_4978_DxOMaintenant, je peux vous l’avouer, un peu honteusement, mais, effrayé par la foule et intimidé par la ferveur religieuse, j’ai fait demi tour à l’entrée du chemin maritime.

 

Seul occidental

Musique par John William.

Je suis seul. Je suis entouré de millions de gens mais je suis seul. Je suis… le touriste occidental à Mumbai.

Fin du générique et par conséquence, fin de la musique.

C’est complètement fou. Le Lonely Planet m’avait prévenu dans l’avion « Je te préviens, pendant la saison des pluie, c’est la saison touristique basse » mais je n’imaginai pas à se point. Pensez qu’il m’a fallu plus de vingt quatre heures pour apercevoir un touriste en short manifestement européen dans Mumbai, alors que j’avais pourtant déjà arpenté un des coins les plus touristique de la ville. Et non ce n’était pas moi car je porte des pantalons pour faire couleur locale. Il m’en cuit d’ailleurs. Vivement un pays plus déluré pour que je puisse me ballader à poil et en tongs sous la chaleur tropicale (ce devrait être Darwin en Australie où il y a manifestement une plage de nudistes). Mais je m’égare.

Oui, je suis incroyablement surpris par le peu de touristes occidentaux en Inde en juin. C’est à la fois super mais à la fois surprenant. Il peut même parfois m’arriver de passer une journée entière sans apercevoir la moindre tête blonde. C’est particulièrement dépaysant. J’en suis au point de me demander si les expatriés occidents mettent les pieds dehors. On se sent tellement seul dans ce pays étranger qu’à chaque fois que j’aperçois une personne visiblement occidentale (ou même japonais, pour vous dire), j’affiche un petit sourire complice histoire d’établir un lien. A Mumbai on me retourne le sourire car on doit être dans le même état d’esprit : perdus, subjugués, assommés par la chaleur et sensoriellement abrutis (je crois que je viens d’inventer un mot, là). Sans mentir je pense avoir croisé pas plus d’une trentaine de touristes occidentaux depuis mon arrivée.

A Hampi, j’étais quasiment une proie ambulante pour les mendiants, chauffeurs de rickshaws et vendeurs de marchandises. J’ai tout de même croisé un couple âgé français au détour d’un temple dédié à Ganesh (mais si, Ganesh, le petit gros ventripotent à la tête d’éléphant) avec qui j’ai engagé la conversation. Enfin, c’est plus particulièrement le monsieur qui a engagé la conversation avec moi. Je m’étais contenté d’afficher un sourire complice (que j’alterne avec mon regard de Delta Force. Je peux vous dire que mon visage est particulièrement expressif ces temps-ci) en me préparant un petit « Hello ! » universel dans le coin de la bouche. Mais il m’a pris de vitesse en me balançant un « Bonjour », sauce Ménilmontant. Un peu vexé, je l’amène à l’écart en lui chuchotant : « Comment avais vous su que j’étais français ? »

  • Ah non je savais pas, je dis bonjour à tout le monde par principe.

Ouf, j’étais rassuré. Pendant un moment j’ai cru qu’un élément vestimentaire autre que mon sac à dos bourré de matériel photo, mes lunettes de soleil et ma casquette (mais toujours en pantalon et chemise, ça, c’est pour la rubrique mode) m’avait trahi. Bref, le monsieur, visiblement heureux d’échapper aux explications du guide sur la signification de la conche portée dans la main droite de Vishnu sur la troisième statue à droite en partant du bas (explication au demeurant fort intéressante mais que j’ai oublié entre-temps), m’apprend que lui et sa femme, agent de voyage à Paris, sont des amoureux fous de l’Inde et qu’ils y reviennent régulièrement. Bref on a papoté gentiment pendant quelques minutes le temps que je retrouve mon guide qui s’était planqué sous un arbre (pas fou).

Encore plus étonnant, je partageai la guest house avec deux jeunes américaines blondes (limites jumelles) se baladant en T-shirts, shorts et tongs (je me demande si je ne vais pas arrêter avec les pantalons, moi), comme à la plage, au mépris des conseils de décence de mon Lonely Planet, et à moto en plus (c’est des folles rebelles ici en Inde) avec qui j’ai vaguement tenté d’échanger des conseils de restaurants sympa sur Hampi. Ca a du durer trente secondes le temps que tout le monde se rende compte, premièrement, qu’on venait chacun d’arriver depuis moins de trois heures en ville et deuxièmement, qu’à défaut d’appeler ça une ville, Hampi mériterait plutôt le qualificatif de village. Sinon de loin en loin j’ai du apercevoir une poignée de touriste en scooter mais je peux vous dire qu’il y avait beaucoup plus de singes que de touristes occidentaux. Hampi, patrimoine mondial de l’UNESCO, tout de même.

Par contre à Pondicherry, je m’attendait à en voir des pelletées de mes congénères et bien pas vraiment. Alors pour être honnête il est vrai que je vois des touristes une fois pas jour sans problème, souvent en banc de deux, voir de six (mais c’est exceptionnel) ce qui est trèèès largement au dessus de ce que j’ai vu à Mumbai. La ville est plus petite ? C’est vrai. Sauf qu’ici, même avec un sourire complice, les gens détournent la tête et font mines de m’ignorer. Je vois deux explications : soit depuis deux semaines ici, j’ai une tête d’indien, soit chacun est dans son trip « seul en Inde, wah, l’aventure ! » et ne veux surtout pas se faire voir en compagnie d’un autre touriste. Ce serait un aveux de faiblesse. Sauf que Pondicherry, côté « Inde profonde », c’est pas l’endroit le plus approprié. Qu’est ce que ça doit être à Goa (blague de baroudeur connaissant l’Inde de fond en comble. Vous pouvez pas comprendre) ! Surtout que ces touristes j’ai plutôt tendance à les croiser du côté de la vieille ville française (ah ça, pour croiser un touriste marchant comme un con pendant une demi-heure à travers la partie tamoule jusqu’à la station centrale de bus, il y en a qu’un, hein ! C’est bibi!), ou du côté d’Auroville, LE endroit spirituo-new age à proximité de la ville (j’en parlerai dans un autre billet dédicacé à Emmanuel, de Chalon-sur-Saône).

Donc si vous souhaitez avoir des nouvelles de votre ami Robert, que j’ai du croiser en Inde parce qu’il est parti en même temps que moi, comptez pas trop là dessus. Nous sommes seuls, très seuls.

Générique de fin avec crédits et marque de la pellicule.

Lumière.

Gateway of India

En 1911, George V, roi des Royaumes Unis, des Dominions et Empereur des Indes se rendit compte qu’il y avait « Indes » dans un de ses titres.
« Mais qu’est ce donc? » Demanda t’il à ses conseillers qui lui sortirent une carte et pressèrent leurs nobles indexes sur le sous-continent indien.
– C’est cela, votre Majesté.
– Mais c’est fou, se rendit compte George. Et quelqu’un de ma famille sait que l’on a ça?
– Je l’espère bien, votre Majesté, mais il est vrai que personne de votre auguste lignée n’y a jamais foutu les pieds. D’où peut être votre étonnement.

Derechef, George décide donc d’aller y faire un tour pour voir un peu ce bout de terrain légué par sa mémé, Victoria, en n’oubliant pas d’y emmener sa femme ainsi que toute la tripotée de conseillers et autres parasites constituant son entourage. Pour se souvenir de cette date et de l’événement y attenant, la mémoire jouant parfois des tours, on décida de construire un monument à l’emplacement du débarquement du cortège royal (et impérial). Ce « on » était décidément affligé d’une mémoire terriblement défaillante.

Quelques années plus tard, de nos jours, le Gateway of India est devenu le lieu de ballades familliales et le point de départ pour des navettes maritimes vers les îles proches de Mumbai ou les gens se prélassent au doux son du clapoti des vagues abondamment couvertes par le cri des vendeurs ambulants, tintement de cloches des bateaux et autres klaxo-pétaradements du trafic tout proche. Bref, toute le monde a complètement oublié George. Ils auraient mieux fait de faire un noeud à une corde.

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