C’est dingue le dong

Au revoir les roupies et bonjour les dongs. Oui, la monnaie vietnamienne s’appelle le « dong ». Quel joli son. On imagine des pièces de trente centimètres de large en bronze épais. Mais point du tout. Ce sont de bêtes billets portant l’effigie de l’oncle Hô qui ont la fâcheuse tendance à tous se ressembler.

Ce qui est extrêmement amusant c’est que, tel le mark de la république de Weimar, il se distribue par milliers. Avec un dong, on peut acheter à peu prêt rien du tout car ça ne vaut pas tripette. Avec mille dongs, on peut éventuellement payer la dame pipi afin qu’elle vous laisse vous soulager l’estomac en paix. Mais seulement dans des toilettes de campagne. En ville, c’est deux mille dongs. Pour dix mille dongs on peut espérer, si on se démerde bien, acheter une petite bouteille d’eau minérale. Pour cent mille dongs, on peut se restaurer d’un bon plat de rue et d’une bière. Finalement pour un million de dongs, on est à l’abri pour une bonne semaine à l’hôtel.

Ce que je trouve étonnant, c’est que si je décide d’arrêter de compter en dongs et que je remplace ça par le kilo-dong, on obtient quasiment les mêmes ordres de grandeurs que pour les roupies en Inde : une petite bouteille d’eau minérale pour 10 roupies / kilo-dongs, un plat avec une bière pour 100 roupies / kilo-dongs, etc. Elle est pas simple la vie, comme ça ?

Remarquez, ça m’aide pas plus pour reconnaître les billets, avec tout ces zéros. Je confonds constamment le billet de 10000 et celui de 100000 ou le 1000 avec le 10000. Faut dire qu’à partir de cinq zéros mon cerveau doit traduire ça en « beaucoup de zéros » et estime automatiquement que c’est le bon billet suivant le contexte. Fort heureusement, dans ces cas là, les vietnamiens que j’ai croisé jusqu’ici ont l’extrême bonté de me ré-apprendre à compter en base 10 ou bien me montrent carrément le bon billet avec un sourire (toujours) patient.

Mais le plus beau dans toute cette histoire, c’est que malgré le statut de pays en développement octroyé à leur pays, et bien la plupart des vietnamiens son millionnaires. Et c’est peut être ça qui les fait sourire.

Mais souriez mon vieux!

Je suis extrêmement sensible aux sourires. J’y peux rien, quand quelqu’un me sourit, ça me le rend drôlement sympathique. Inversement, toute personne me tirant une tronche se rend aussi insignifiant qu’un insecte à mes yeux. Tout ça est sans doute d’une grande évidence pour tout le monde, mais on oubli souvent à quel point cela peut tout changer dans les rapports humains.

Fort heureusement, la plupart des vietnamiens croisés à Hanoi sourient. Par exemple, les jeunes gens de mon hôtel à Hanoi sourient tout le temps. Il sont sacrément doués car leurs sourires semblent francs. Du coup, moi, je sourit aussi. On se sourit. On n’arrête pas. Voici vos clés, sourire. Merci, sourire. A quelle heure ferment les musées, sourire ? A quatorze heure, sourire. C’est complètement dingue. Encore une fois (et ça va vraiment être une habitude, j’en suis navré), j’en avais été un peu sevré en Inde (même si j’en avais eu, mais pas autant). Même les gens un peu âgés s’y mettent. Lors d’un voyage en train, la grand mère de la famille avec qui je partageai les couchettes (je vous raconterai bientôt) se marraient en permanence et n’était pas la dernière pour me sourire. Ils sont tous drogués ou alors ils sont véritablement heureux. Attention, ce n’est bien entendu pas l’unanimité. Si vous commandez un pho (pronocez « fa », mais j’en parlerai une prochaine fois) dans un petit restaurant de rue qui sert un client toutes les deux minutes, vous n’aurez probablement pas le soupçon d’une esquisse d’un. Mais si vous dites « non » à un xe om qui vous lance un « motobaïque ? », il se peut qu’il vous sourit, même parfois, si vous n’en avez pas au préalable esquissé un. Il faut dire que ce refus lui permet de se remettre en position de sieste ou de discuter avec ses potes. Il y a de quoi être heureux.

Plus dingue encore, là où en Inde la majorité des gens des villes, prisonniers de leur vision holistique sans doute, abordent un visage neutre voir un peu triste (mais moins qu’à Paris, certes), il est fréquent de croiser des gens qui se marrent dans les rues d’Hanoi. Oui, non seulement on sourit ici, mais en plus, on rigole. On a la déconne facile. Qu’est ce que ça fait du bien. Du coup il m’arrive de plaisanter avec les vendeuses de bananes et de colifichets (c’est essentiellement du comique visuel), et on rigole. Parfois c’est la vendeuse de ticket de bus qui me fait une blague en me faisant mine de ne pas me rendre la monnaie, en rigolant. Ha, ha, ha. Là, je rigole à moitié. Ou alors la guide qui dit à tout le monde que j’ai 45 ans en ajoutant tout de suite après, en français dans le texte « c’est bonneuh blagh, Olivia », en souriant et en me bourrant l’épaule d’un petit jab du droit.

Oui, car voici un autre aspect des vietnamiens que je ne connaissais pas : ils sont très tactiles. Encore une fois, en Inde, on se touchait les corps plus par promiscuité ou par distance d’intimité réduite, et hormis cela, rien. Des histoires courent comme quoi certaines touristes se font toucher par des hommes indiens, mais je doute que l’on puisse mettre cela sur le même plan. J’ai été un peu surpris les premières fois où un vietnamien m’a pris le bras ou quand notre guide m’a foutu une grande tape dans le dos. Il n’est pas rare de voir une jeune femme tenter de placer un coup de pied aux fesses de sa copine, en se marrant toutes les deux comme des baleines ou bien de voir un homme taper amicalement la cuisse de son camarade en s’esclaffant comme un pendu. On pourrait presque être à Marseille, époque Marcel Pagnol. Cette sensation provençale est encore renforcée par la chaleur, les cigales (et oui) et une certaine nonchalance virant à la sieste entre midi et quatorze heures (mais ça, c’est pour un autre billet).

De temps en temps, vous tombez sur un indigène qui tire la tronche mais il est tellement en minorité que ça devient anecdotique. Non, non. J’ai l’impression qu’au Vietnam, on se marre. C’est la poilade 24/24, 7/7. En tout cas, dans les villes et, en tout cas, à Hanoi. Après vingt années de guerre et dix ans de dynamisme économique, c’est totalement légitime, mais quelle belle leçon de vie. Si ça se trouve ils se marraient également pendant la guerre, mais là, j’ai un doute. Il y a sans doute du avoir un grand éclat de rire après Dien Bien Phu et un autre après la fuite précipité des américains, mais c’était plus nerveux qu’autre chose.

Vous allez me dire : oui, c’est le rire asiatique qui est à la fois poli, gêné est un peu hypocrite. C’est sans doute vrai pour certains employés d’hôtels quand vous leur demandez pour la deuxième fois à quelle heure part le bus et qu’ils ne comprennent pas, mais je l’affirme, la plupart du temps c’est vraiment des sourires sympathiques et des rires francs. Ou alors c’est que je suis sous LSD. Depuis dix jours. Ce qui me permet de l’affirmer (pas que je suis sous LSD mais que les vietnamiens ont de l’humour) c’est que, premièrement, la plupart des jeunes vietnamiens parlent au minimum un peu anglais et surtout, avec un accent que je comprends mieux (donc il ne peut s’agir d’un rire gêné ou poli). Deuxièmement, tout ce que je dis, je l’affirme en observant les rapports qu’ont les vietnamiens entre eux.

Et puis j’ai une autre preuve irréfutable, malheureusement destiné aux cinéphiles anglophones, que j’ai glané pas plus tard que hier soir dans un bar : un tableau d’un artiste vietnamien représentant un boudha respirant ses mains avec en arrière plan des hélicoptères de l’armée américaine en contre-jour sur un gigantesque soleil rouge couchant. Sur le tableau une inscription : « I love the smell of mypalm in the morning – Apocalypse Now ».

Moi ça m’a fait marrer.

Hanoi, présentes-toi

DSC_5495_DxOBonjour, je m’appelle Hanoi. Je suis située au nord du Vietnam et je suis la capitale ainsi que la deuxième plus grosse ville du pays, derrière ma sœur du sud, Hô Chi Minh Ville que l’on appelait Saigon quand elle était petite. Les gens d’ici se vantent d’avoir un trafic de dingue avec une horde de deux roues qui conduisent comme des fous. Ils font même des T-shirts et des cartes postales à ce sujet. On me souffle dans l’oreille que c’est vraiment ridicule et qu’ils feraient mieux de passer quelques jours à Mumbai, les gens, avant d’affirmer des choses pareils. La personne qui vient de me souffler dans les tympans me dis que mon trafic est particulièrement reposant à côté et c’est comme du miel dans les oreilles ou un ruisseau de montagne. Il faut dire que les gens klaxonnent beaucoup beaucoup moins dans mes rues. Le personnage qui n’arrête pas de me souffler me précise qu’il a les oreilles remplies de cérumen suite à son séjour indien et qu’il a l’impression d’être sourd chez moi. Ce n’est pas une raison pour me postillonner dans les miennes.

DSC_5546_DxOOn m’apprécie également pour mes nombreux petits lacs entourés d’arbres et de bancs ainsi que mes petites rues étroites bordées d’échoppes et de petits cafés, certains improvisés. Chez moi, les gens vivent, boivent et mangent sur les trottoirs ce qui me rend très conviviale. Je précise que malgré la chaleur qui règne en mon sein, particulièrement l’été, je suis très agréable car j’ai des arbres plantés régulièrement le long des rues. Le type qui m’agace à faire des commentaires me souffle une nouvelle fois que ma chaleur c’est de la rigolade à côté de la fournaise de Mumbai. J’aimerai qu’il arrête de me contredire ou qu’il y retourne à Mumbai si ça lui déplaît tant ici. Non mais.DSC_5540_DxO

J’abrite en mon sein quelques musées, pagodes et un superbe complexe de bâtiments anciens contenant la plus vieille université du pays, datant de mille ans. J’ai également l’honneur de recevoir la dépouille mortelle de notre grand dirigeant, Hô Chi Minh, dans sa mausolée où il repose embaumé afin que tout le monde puisse le contempler et s’inspirer de sa vie. Quoi encore ? Je suis navré, mais ce type continu à me souffler de son haleine fétide que DSC_5507_DxOl’oncle Hô, il a demandé à être incinéré alors sa mausolée, c’est de la fiente de propagandiste. Je le cite. Je crois que ce doit être un touriste français pour être aussi prompte à la critique et au dénigrement.

Malgré mon dynamisme économique, je possède très peu de grattes ciels. De mon passé coloniale, je conserve un quartier français où on peut voir quelques restes d’architecture de cette époque. Bien entendu, il ne peut pas s’empêcher de faire un commentaire, l’autre désagréable et il souhaite préciser que pour ce qui est de l’architecture coloniale il faudrait d’abord voir Pondichéry avant de se vanter d’en avoir. Je crois qu’il vaut mieux essayer de DSC_5520_DxODSC_5528_DxOl’ignorer, ce monsieur. Je reprends donc.

Pour me parcourir, vous pouvez marcher car mon centre historique est à taille humaine. Vous pouvez également louer un cyclo, prendre un taxi ou bien un xe om, ces motos taxis qui grouillent partout et vous interpellent d’un sympathique « motobaïque ? ». Excusez-moi, le touriste aviné qui ne cesse de m’interrompre raille encore une fois que mes xe om c’est pire que des auto-rickshaws car on a le déplaisir de devoir négocier sa course avec le risque accru d’une mort atroce encastré sous un camion. N’empêche que mes xe oms ils sourient, eux. Na. Et ils portent le casque, eux. Lavettes ? Quoi ? Depuis quand c’est être une lavette de porter un casque ? Quoi l’Inde ? Ils portent pas de casques en Inde ? Et DSC_5502_DxOalors ? Ça en fait des bonhommes ou quoi ? Oh et puis merde, vous z’avez qu’à y retourner là bas puisque TOUT est plus beau, plus grand, plus bruyant en Inde. NON MAIS IL ME FAIT CHIER CE TYPE ! QUOI MA BOUFFE ? TU SAIS OU TU PEUX TE LA FOURRER MA BOUFFE ?!

Pardon. C’est vrai, ma nourriture de rue est réputée et extrêmement abordable. De plus, elle est non épicée et parfumée. Combinée avec une autre de mes spécialités, la bière légère que l’on trouve à bas prix partout, vous pouvez vous restaurer et vous rafraîchir à tout moment de la journée sans risquer un retournement d’estomac ou un ulcère précoce.

Et là, il dit rien, l’autre.

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Retour vers le futur

L’aéroport international de Chennai est à l’image de l’Inde : moderne de l’extérieur mais vétuste de l’intérieur. Le ton est d’ailleurs donné lorsqu’on arrive par le train local. Vous descendez après un voyage dans des wagons similaires aux slow trains de Mumbai, à la gare de Tirusulam, postée en face de l’aéroport (sans indications qu’il s’agit de la gare qui dessert l’aéroport donc il vaut mieux se renseigner au préalable. Fort heureusement, j’avais fait la queue à un guichet pour arracher cette information à une préposée peu souriante et grâce l’aide d’un aimable jeune homme derrière moi, un tantinet plus anglophone). Il faut ensuite traverser une route à pied, heureusement, relativement peu empruntée, puis un petit talus herbeux, une voie de circulation routière interne à l’aéroport puis enfin traverser les parkings avant de rejoindre l’entrée des halls, le tout sans passage piéton, bien entendu. Tout ça est encore une fois un peu vétuste et sommaire, mais bon, ça fonctionne. Dites vous bien que la phrase « l’aéroport international est desservi du centre ville par taxi, bus ou train rapide » peut révéler deux réalités totalement différentes suivant qu’on est à Stockholm ou Chennai, du moins qualitativement.

Une fois dans le hall départ, après le contrôle de sécurité, on se retrouve plutôt dans une ambiance années quatre-vingts avec un unique afficheur rotatif qui fait un très joli bruit froufroutant lorsque il se met à jour. Je comptais sur les heures d’attentes à l’aéroport (j’avais prévu une grosse marge, méfiant que j’étais) pour me bouffer un burger dégoulinant de fromage fondu au McDonald’s ou Burger King de la zone marchande et, si la chance était avec moi, profiter d’un accès WiFi pour régler quelques derniers détails pour mon arrivée à Hanoi. Je me suis donc contenté d’un rapide sandwich au curry (ce sera mon tout dernier plat indien) acheté dans un des deux stands du minuscule hall départ. On se croirait à l’aéroport de Marignane. Finalement après quelques heures d’attente dans un brouhaha de hall de gare, mon vol est annoncé au panneau (ffffrrrrrrtt, que c’est joli) et j’entame le long périple à travers la douane et la sécurité pour rejoindre la zone d’embarquement. Un écran affiche les vols et leur porte d’embarquement mais le miens n’y ai pas. Mais après tout, il y a encore une heure avant le décollage.

Cinquante minutes plus tard, la porte d’embarquement n’est toujours pas annoncée et je commence à me dire qu’il va y avoir un couac. Une annonce sonore attire mon attention et je parvient péniblement à reconnaître le numéro de mon vol suivi d’un autre numéro inconnu. Dans le doute je me dirige vers la porte du numéro inconnu, sait on jamais. Une queue est en train de se former mais aucune traces d’indications. Quelqu’un d’autre dans la queue me confirme que c’est bien ici pour le vol Singapore Airlines vers Hanoi. C’est bien discret je trouve et surtout, faire embarquer tous les passagers d’un avion en dix minutes, ça me paraît être une manœuvre pour le moins ambitieuse. Finalement, cinq minutes avant le décollage prévu, l’afficheur se met à jour et l’embarquement commence.

Une petite demi-heure plus tard, les portes de l’avion se referment et le capitaine nous fait les annonces de bienvenu avec une petite conclusion joliment ironique : « et merci pour votre embarquement ponctuel ». Message personnel pour le chef d’escale Singapore Airlines à Chennai ou pour le responsable de l’embarquement de l’aéroport, voir les deux. Nous décollons donc avec trente minutes de retard mais déjà, dans l’avion, je me sens transporté cinquante années en avant.

Après un rapide vol de quelques heures ou je revis avec émotions mes premiers souvenirs à bord d’un avion de Singapore Airlines quand j’étais enfant (les hôtesses sont toujours aussi jolies et souriantes et il y a toujours une petite serviette chaude servie peu après le décollage), nous atterrissons pour une escale à Singapour. Et là, c’est le choc. Comment dire. Ce devrait être interdit ça de faire direct Chennai-Singapour. On a l’impression de voyager un siècle dans le futur. On est tout déboussolé par la propreté quasiment maniaque, par la redécouverte de l’aspirateur, par le WiFi gratuit tous les cinquante mètres, par les tapis roulants, par la taille des lieux et par le silence feutré. Certes tous les grands aéroports internationaux se ressemblent, mais j’en avais oublié la saveur. C’est effectivement comme mordre dans un sushi après un mois de plats épicés. C’est peut être fade, mais qu’est-ce que c’est reposant.

Aaaah, que ça fait du bien de revenir au 21ème siècle !

Conclusion sur l’Inde

Alors, après ces plus de trois semaines, ai-je aimé où pas l’Inde ? Telle est la question que je me pose encore, figurez-vous. Elle m’a été posée plusieurs fois depuis et je suis encore en train de chercher une réponse définitive, mesurée et sincère.

Ce qui est certain, c’est que je suis extrêmement soulagé de quitter le pays. C’est un pays que l’on visite mais ce ne sont certainement pas des vacances de tout repos, en tout cas si on cherche à voyager en dehors des hôtels cinq étoiles et sans utiliser l’avion. Ce qui est également certain c’est que je n’aimerai pas vivre dans les quatre endroits que j’ai vu. Je crois que je suis trop habitué à des sociétés « tempérées » d’un point de vue social car ce qui est le plus agaçant pour moi, c’est cet incroyable grand écart de civilisation dans ce pays où se côtoient les plus grands esprits internationaux dans des domaines de pointes comme les mathématiques, la physique, la médecine, un pays qui est à la pointe technologique dans énormément de domaines, qui possède l’arme atomique et des centrales nucléaires mais qui de l’autre côté a une frange de sa population qui paraît être en stagnation complète. L’Inde a un pied solidement ancré dans le 21ème siècle, en mouvement. Le problème c’est que tout le reste du corps est encore au 19ème, immobile. Les infrastructures que l’on considère de base sont encore loin d’y êtres présentes ou vieillissantes (voir pourrissantes), même dans les grandes villes hyper-dynamiques comme Mumbai. A quoi sert d’avoir le téléphone portable et l’internet (et encore) quand il n’y a même pas de réseau d’eau potable, un réseau routier moderne et un réseau électrique fiable? C’est d’ailleurs pour moi une semi-decouverte et semi-confirmation de ce que je pensais, que la véritable richesse d’un pays se mesure surtout dans la qualité de ses infrastructures y compris sociales et non pas dans l’excellence de quelques élites quelles qu’elles soient.

Après, il faut être raisonnable et bien se rappeler d’où vient l’Inde. Son système éducatif, d’après ce que j’en sais, semble bon et ouvert à tous (en théorie), donc il y a peut être de l’espoir dés qu’ils auront dégagés les politiciens corrompus à leur tête (et oui, c’est sans doute en partie un problème de caste politique). Sauf que j’ai quand même bien l’impression que les mentalités sont encore très traditionnels et j’ai du mal à juger de l’influence de la religion sur cette situation. Je vous parle de ça en ayant eu, à l’instant où j’écris ces lignes, un aperçu du Vietnam depuis une bonne dizaine de jours. La différence est flagrante entre un pays ravagé par la guerre il y a encore trente ans et un autre qui a eu son indépendance tout en ayant gardé ses infrastructures intactes il y a plus de soixante ans.

Mon esprit rationnel, scientifique et franchouillard est donc particulièrement agacé. Ce sentiment est un peu renforcé par l’impression pendant ce séjour d’avoir vécu dans une bulle indienne véritablement coupée du reste du monde : on mange indien, on écoute de la musique indienne, on voit des films indiens, on roule dans des voitures indiennes, on s’habille indien. Quasiment tous les produits de consommation courante sont indiens. C’est excellent pour l’économie indienne mais ça laisse une sensation d’autarcie et de non ouverture au monde extérieur qui doit être une réalité pour la majorité des gens qui n’ont pas de famille à l’étranger et pas la possibilité de se payer un aller-retour Mumbai-Londres une fois par an.

Mais c’est génial ! C’est dépaysant, me diriez-vous. Vous avez raison. C’est ce que l’on cherche lorsqu’on voyage et de ce point de vue là, je n’ai rien à redire. On touche alors du doigt le paradoxe du touriste éclairé (je ne parle pas du touriste beauf qui ne s’intéresse qu’au soleil, la plage et le repas du soir) : on est ravi de découvrir une culture pleine de traditions et de particularismes alors que si on état prisonnier de cette culture traditionnelle et particulière, on hurlerait pour avoir plus de liberté et de modernisme. Mon côté touriste s’esbaudissant devant la vieille grand mère en sari salle occupée à balayer son hall de gare le dos cassé est en lutte permanente avec le citoyen d’une démocratie à l’origine de la déclaration universelle des droits de l’homme qui trouve cela complètement débile et dégradant.

Je ne pense pas qu’on va visiter l’Inde pour les paysages et les monuments. Ce ne sont qu’une trame et si c’est le cas, on n’a pas visité l’Inde (Mais n’est ce pas vrai de la plupart des pays?). La véritable raison de vouloir visiter l’Inde (pour la plupart d’entre nous et c’est pour ça que nous sommes nombreux à ne PAS vouloir la visiter) c’est de se confronter à cela, cette contradiction permanente, cette frustration de voir ce si grand pays à l’influence mondiale toujours les pieds englués dans le sous développement. Et comme l’a dit un internaute sur un de ces blogs que j’ai lu (pour essayer de comprendre si j’étais le seul dans cet état d’esprit) : en tant qu’occidentaux, on y va pour ce sentiment de liberté et de débrouillardise imposée, cette abolition des règles et du rationnel. On y va pour voir les gens, leurs rites, réaliser que non, tout ça ne sont pas que des clichés : il y a de la merde, il y a des sourires, il y a du bruit, il y a de la puanteur, il y a des odeurs d’encens, il y a de la frénésie, il y a de la méditation, il y a de la gentillesse et il y a de la corruption. D’ailleurs, un peu par pudeur et un peu délibérément, je me suis retenu de photographier des bidonvilles, des clochards, des estropiés (chiens et humains) ou des rivières dégueulasses. Ça existe et ce n’est pas anecdotique. Mais je ne sais pas le photographier.

Mais qu’est ce que j’en ai retiré, me demandez vous, un brin agacés ? D’une part que les chiens indiens ont en moyenne 3,7 pattes, que je suis encore moins pro-religion qu’avant, que je sous estimait encore l’incroyable influence culturelle passée de l’Inde sur toute l’Asie mais surtout, je me sens vraiment prêt à tout affronter maintenant dans mon tour du monde car tout me paraît facile et sans stress dorénavant. J’ai bien l’impression d’avoir monté de niveau d’un coup. La prochaine étape, c’est l’Afrique. Plus tard.

Donc, pour conclure, non je n’ai pas aimé l’Inde mais, bon sang, je vous interdit de dire que je l’ai détestée. D’ailleurs, je retournerai bien un jour visiter le nord qui parait-il est encore plus extrême. Mais avant je me repose et ce soir, promis, je me prends une dose de vision holistique et on en reparle.

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