Une ballade à pied

Mais pourquoi donc diable s’est-il rendu à Dong Hoi, vous demandez-vous ? La raison réside en la présence non loin de là du parc national de Phong Nha Ke Bang, fort réputé au Vietnam pour ses magnifiques grottes et encore peu visité par les touristes étrangers. Au passage, c’est aussi pour moi l’occasion de passer un peu de temps dans un environnement rural car j’ai choisi de rester trois nuits dans un hébergement, le Phong Nha Farm Stay (dont je vous parlerai dans un futur billet), situé à une petite demi-heure du parc, dans un village du nom de Cu Nam.

Malgré le retard de mon train, j’arrive à mon lieu d’hébergement en fin de matinée et après quelques heures pendant lesquelles je mange, m’installe puis travaille un peu (ne serait-ce que pour rédiger ce blog chronophage), je me dirige vers l’accueil pour louer un vélo et découvrir les alentours. Manque de pot et de vélo, je suis obligé de me rabattre sur une sortie à pied. La dame de l’accueil me rencarde sur une petite ballade à faire et je part d’un pas alerte, content de me dégourdir les jambes après toutes ces heures dans le train et derrière l’ordinateur.

Le temps est légèrement couvert et la température bien qu’encore élevée est tout à fait supportable. Je commence déjà par croiser une autre touriste (assez facilement reconnaissable à sa chevelure blonde) à qui je demande si elle vient de finir la ballade indiquée. Nous papotons un court moment car elle s’est manifestement trompée de chemin. Je repart donc en me concentrant sur les indications.

Le Farm Stay se situe en bordure de rizières et de champs, eux mêmes bordés plus loin par une rivière. De l’autre côté de celle-ci se trouve un autre village. Au loin, on aperçoit des collines et encore plus loin à l’ouest les montagnes du parc national de Phong Nha Ke Bang qui longent la frontière laotienne. Le Vietnam à cet endroit ne fait qu’environ 80km de large et nous sommes à une cinquantaine de kilomètres de la mer.

DSC_5707_DxODans le champs en face de l’hébergement paissent tranquillement des buffles d’eau, l’animal de trait typique du sud-est asiatique. Il a la particularité, comme l’indique son nom, d’adorer l’eau et de se vautrer dans la moindre mare dés qu’il a un peu chaud, tel un vulgaire cochon. Je longe la rizière puis comme prescrit, prends le deuxième chemin à gauche pour prendre la direction de la rivière. Aux rizières succèdent des champs de plantes portant des petits piments rouges. De temps en temps je croise des vélos ou mobylettes munis d’un ou deux vietnamiens. La plupart du temps, on se salue avec des « sin tchao » pour moi et parfois des « hello » pour eux. De la même manière des travailleurs dans les champs qui m’aperçoivent me saluent de la main et, s’ils ne sont pas trop éloignés, me lancent un « hello » sympathique.

Je fini par atteindre la rivière puis, après la traversée d’un petit pont, me retrouve dans un nouveau petit village légèrement à flanc de colline, comprenant une poignée de bâtiments. Les maisons sont relativement propres et je suis assez rapidement interpellé par des enfants qui me lancent des « Hello ! ». Je m’empresse de répondre également par un « Hello » ce qui provoque de nouveaux « Hello ! ». Décidément, les gens sont enthousiastes à la vue d’un touriste ici.

Je fais rapidement le tour du hameau et fait une petit boucle par un chemin qui traverse des rizières pour rejoindre celui qui longe la rivière. De l’autre côté des champs, à gauche, j’aperçois le Farm Stay. J’ai donc toujours le sens de DSC_5708_DxOl’orientation, parfait. Après quelques minutes de marche je croise deux personnes que je salut à la bonne distance. L’un d’eux me dit quelque chose que je ne comprends pas. Ça doit donc être du vietnamien. Je tente un timide (et sans trop illusion) « Speak english ? », mais il me réponds par la négative en riant. Du coup il passe au langage des signes (que je maîtrise dorénavant) et je reconnais le signe du vélo. Ah, non ! Moi pas à vélo, moi à pied, réponds-je en mimant un homme marchant avec mes deux doigts. Sur ce je leur dit au revoir (avec le sourire, toujours) puis repart du pas ferme du randonneur confirmé. Manifestement, les touristes à pied sont rares par ici.

Un peu plus tard, je croise un chemin partant à gauche que j’ignore superbement. Je suppose qu’il me ramène vers mon point de départ et j’ai à peine commencé ma ballade. Je continue donc en longeant la rivière. Ceci dit, un paysan dans un champs me fait signe d’emprunter ce chemin, pensant sans doute que je cherche à rentrer. Ils sont gentils mais faut quand même pas non plus me prendre pour un touriste, quand même ! Je fait donc un signe indiquant que je fais une graaaaande boucle. Ok, ok, me réponds-t-il d’un geste. Enfin, c’est ce que je comprends. Ça pourrait tout aussi bien vouloir dire :fait comme tu le sens, pauvre cloche.

DSC_5709_DxOJe continue donc et aperçoit au loin sur l’autre rive ce qui ressemble à une église. A ma gauche, dans un près, je remarque également un petit enclos délimité par un muret qui semble contenir des tombes. Dans une petite descente j’aperçois des jeunes femmes couvertes de la tête au pied et portant le chapeau conique s’affairant dans un champs. Encore d’autres saluts.

Finalement, je tourne pour entamer mon retour et ne tarde pas à rencontrer de nouveau des habitations. J’y croise quelques poules, parfois des jeunes chiens et bien entendu des enfants qui me jettent tous des « hello ! » enthousiastes à mon passage qui ne restent pas sans réponse, je vous rassure. De temps en temps, quelques enfants plus intrépides me lancent des « watt iz yor naime ? ». Ceux là doivent en être à la leçon numéro deux. Je vous rassure, je croise également quelques adultes y compris certains personnes un peu plus âgées dont un à vélo portant des vêtement vaguement kakis et un casque de l’armée viet cong. Je tente un « sin tchao/tcheu » pas très rassuré et il me fait un signe de tête avec un léger sourire.

J’entame alors la longue ligne droite sur une route en terre qui me ramène vers mon point de départ tout en essuyant à intervalles régulières des « hello ». Deux garçons arrivent notamment vers moi et après un « hello » et « watt iz you naime » me lancent un « moni ». Pardon ? Ai-je bien entendu ? Et puis quoi encore ? On n’est pas en Inde ici ! Tout en marchant, je leur réponds donc par la négative avec le sourire (encore et toujours) mais je commence à angoisser sérieusement, repensant à l’incident glauque à Hampi. Qu’est ce qu’ils vont me sortir ensuite ? Bon, ça va. Ils me demandent de les prendre en photo. Rien de plus simple. L’un des deux me dit « watère » en me faisant le signe de boire. Ouf. Il a juste soif, voilà qui est bénin. Depuis l’Inde où les gens que j’ai croisé (notamment à Gingee) font ça relativement spontanément, j’ai pour politique de toujours partager mon eau. Je m’arrête donc et sort ma bouteille d’un litre dont j’ai déjà bu la moitié et la lui tend DSC_5713_DxOpour qu’il puisse se désaltérer. On est pas loin de 17h mais il fait encore lourd. A peine avais-je lâcher la bouteille que les deux petits c**s se carapatent à toute vitesse avec ma bouteille, en rigolant comme des imbéciles. A ben super. Bon ceci dit, ça m’a fait un peu rigoler sur le moment. Voler une bouteille d’eau, mais quel manque d’ambition ! je devais être à peine à 300m de mon hébergement. Je n’allais donc pas me désaltérer d’ici là. Et en plus j’ai leur photo.

Je pensais en avoir fini avec les émotions quand une centaine de mètres plus loin j’aperçois un couple de touristes (encore une fois facilement reconnaissables à leur sac à dos) s’intéressant à un veau en bordure de champs. Je me porte à leur hauteur en les saluant. La femme, visiblement attendrie par le jeune bovin, est en train de lui caresser le haut du crâne. Tout à coup, j’entends un bruit de cavalcade venant de derrière le couple. Sur le chemin, une vache arrive d’un trot rapide mais déterminé vers nous. « Je crois que c’est la maman ! ». On s’écarte tout les trois et effectivement, le quadrupède s’interpose dans un meuglement ferme entre nous et son petit. Elles ne plaisantent pas les vaches en Asie.

Nous repartons donc en direction du Farm Stay en laissant la maman et son petit derrière nous pour tomber quelques dizaines de mètres plus loin sur une partie de football un peu chaotique sur un terrain défoncé. Elle oppose, pour autant que je puisse déterminer les équipes, une bande d’enfants du cru de tous âges contre une autre bande d’enfants locaux mélangé à cinq enfants touristes, dont deux filles (encore une fois complètement évidents du fait de leur chevelure blonde). Pour être gentil je dirait que l’enthousiasme avait pris le dessus sur la technique mais comme me le fait remarquer le garçon du couple qui m’accompagne : « ils ont des pieds, ils ont un ballon, on peut donc dire qu’ils jouent au football ». En tout cas, un joli exemple de mixité.

Finalement, nous rejoignons le Farm Stay au moment où le soleil commence à décliner. Et pour tout vous dire, je suis plutôt content de ma petite ballade. Mais par contre, j’ai un peu soif.

Le train, encore

La visite du Vietnam ne serait pas complète sans un petit trajet en train. Encore une fois je vous rappel que ma vie se limite à dormir, manger et se déplacer. Tous les autres éléments dont je vous narre les faits ne sont que de fâcheuses distractions, notamment cette horde d’homo sapiens sapiens qui ne fait que m’embêter. C’est donc non sans un certain pincement au cœur que je m’apprête à prendre le train à la gare (après avoir décliné l’invitation d’y être déposé en moto par Thuy, l’executive woman) pour quitter la charmante Hanoi. Au programme, un voyage de nuit pour rejoindre la ville de Dong Hoi au sud.

Je me présente donc une heure avant le départ du train à Gâ Hanoi (c’est à dire la gare d’Hanoi ce qui donne un sérieux indice sur l’origine du mot « Gâ ») l’esprit complètement préparé à toutes sortes de complexités, d’imprévus et de contretemps. Sur mon ticket sont très efficacement indiqués le numéro du train (S23), le numéro du wagon ainsi que le numéro du siège. Je part donc à la recherche d’un panneau indicateur pour repérer un numéro de quai, indécrottable habitué de la SNCF que je suis.

Le hall est assez petit et hormis des chaises à un bout où attendent une foule de gens et un stand de confiseries, boissons, chips à l’autre bout, je ne note que deux femmes en uniforme bleu clair assises derrière une table en faux bois, devant le passage menant aux quais. A côté d’elles un grand panneau liste les trains et leurs horaires, mais sans numéro de quais. Pas de panique, j’ai survécu à pire et en plus je suis tout même une heure en avance. Je part donc poser mes sacs et m’assois à une chaise libre de la salle d’attente. Mon cerveau est rapidement captivé par les télévisions accrochées au plafond qui diffusent une boucle d’une dizaine de spots publicitaires que je parvient assez rapidement à apprendre par cœur. De temps en temps, j’entends des annonces dans des haut parleurs mais sans parvenir à en comprendre le sens. Les gens autour de moi ont l’air de les ignorer. Je fait donc de même, et plutôt avec talent, si je puis me permettre.

Une demi-heure plus tard, je me lève pour aller vérifier si aucun changement n’a eu lieu sur un quelconque affichage. Sur le panneau listant les trains je vois marqué une nouvelle indication « 1H » en face du numéro de mon train. Renseignement pris auprès d’une des deux demoiselles derrière la table, il s’agit bien d’un retard annoncé. Je retourne placidement me remettre sur un siège et patiente.

Une heure plus tard, je sens une certaine agitation autour de moi qui s’accroît suite à une annonce incompréhensible en vietnamien. Je me jette donc mes sac à dos sur mon dos et m’insère dans la queue qui s’est formée devant le bureau des deux dames en uniforme. Au dessus du passage menant aux quais un afficheur électronique mentionne le numéro de mon train ainsi qu’un numéro de quai. Pas mal, dites moi. C’est en net progrès par rapport à Mumbai. Mon tour arrivé, je leur tends mon billet. Après un rapide coup d’œil, elle me le rend avec un léger signe d’acquiescement. Vraiment pas mal, dites moi. Au moins comme ça ils évitent que des pauvres étrangers déboussolés se retrouvent à monter dans le mauvais train.

J’arrive donc sur le quai numéro 1 et part à la recherche d’un passage sous-terrain ou une passerelle pour rejoindre le quai numéro 5, où doit se trouver mon train. Il fait nuit mais je ne tarde pas à constater un mouvement de foule vers un bout du quai. Je décide de miser sur l’intelligence collective et suit tout le monde. Nous contournons le train garé au quai numéro 1 puis enjambons à pieds trois voies, au mépris de toutes les règles de sécurité, pour rejoindre le bon quai. Je vérifie rapidement le numéro du train indiqué sur le wagon de queue. C’est bien le mien. Même pas drôle. Au passage, je constate que contrairement à l’Inde, il n’y a ici que deux classes de wagons. Je me retrouve donc avec le quidam vietnamien et ça c’est bien.

Assez rapidement je retrouve mon wagon et avant de grimper tends mon billet à un nouveau préposé en uniforme bleu clair qui me le rends avec un signe de tête positif. ‘Tain, mais c’est a vous gâcher le plaisir de la mésaventure toute cette vérification ! Si on nous enlève toute possibilité de se tromper, elle est où la joie du voyage, mince ?! Tout aussi facilement, je repère mon emplacement en constatant qu’il s’agit d’un wagon couchettes. Cette fois-ci il s’agit d’un modèle relativement simple à six places (deux fois trois niveaux) avec une porte permettant d’isoler le compartiment du couloir, tel les anciens wagons-couchettes français.

Je rentre dans le compartiment, où se trouve déjà une dame autour de la soixantaine assise sur une des couchettes du bas ainsi qu’un jeune garçon assis à côté d’elle. Les deux me sourient et on s’échange des « sin tchao» (plutôt raté de mon côté). Fort heureusement, j’ai hérité de l’autre couchette du bas et pose donc mes deux sacs dessus en dégageant le couloir. Assez rapidement, un homme rentre dans le compartiment et commence à parler avec la dame, suivi d’une jeune femme portant un bébé qui vient s’asseoir à côté de moi sur ma couchette. Tout ces gens ont l’air de se connaître et rigolent entre eux.

Un peu plus tard, La jeune femme me fait un signe en me montrant ma couchette. Étant doué d’une perspicacité décuplée depuis ma conversion à une démarche résolument holistique, je subodore qu’elle me demande si je suis bien à ma place. Je lui réponds donc par gestuelle en lui demandant si, elle, est sur la couchette du haut avec son bébé ? Réponse positive, et avec le sourire en plus. Bon, étant maintenant assez habitué à ce marché de seconde main des couchettes, je lui propose avec force gestes d’échanger nos places. J’imagine bien que ce sera plus pratique et moins casse cou avec un bébé. Avec de grands sourires elle me remercie et je commence à transférer mon barda au dessus. Au passage la vieille dame me remercie aussi avec un grand sourire alors que je manque de m’assommer sur la couchette du haut. Voilà encore quelque chose qui n’est pas dimensionné à l’échelle européenne.

Le train se met finalement en branle et je fini de m’installer aussi bien que je peux avec mes deux sacs à dos. Je vois la vieille dame sortir un tupperware contenant pleins de petites choses rondes qui de loin ressemblent à des pralines verdâtres. Le jeune garçon et la femme au bébé se servent puis, ce que j’estime être la grand mère, me tends la boite avec un sourire en m’invitant à en prendre. Je choisi délicatement une de ces petites choses en lui lançant un « kam eune » (merci selon le Lonely Planet) que j’espère chaleureux mais sincère, avant de le mettre en bouche.

Gloups.

C’est tout bonnement dégueulasse et j’ai beau être drôlement holistique ces temps-ci, je me retiens de le recracher dans le tupperware. Pour la peine, il me vient des envies d’appeler l’ambassade pour re-déclarer la guerre à ce foutu pays d’hypocrites. Rhaaa, la vache, je n’ai jamais goûté un truc aussi ignoble. Non seulement ce machin non identifié à un goût infecte que je tenterai de décrire comme un mélange de crotte de nez et de menthe avariée mais en plus la consistance est particulièrement répugnante. Imaginez un noyau d’olive qu’on aurait enduit d’une solide couche de dentifrice. Ah non et puis ce goût, misère. Mais faut être dangereusement au bord de la famine pour oser manger ça ! Pendant ce temps, bien entendu, la dame me regarde avec un sourire et un petit air interrogatif dont j’identifie très facilement le sens : « Alors, c’est bon ? ». T’as de la chance que je ne parle pas viet’, toi.

Que voulez-vous ? Étant relativement bien éduqué, je lui réponds d’un sourire et avale en interrompant d’urgence toute mastication. Et en plus je me retrouve avec un noyau dans la main maintenant. C’est pratique. Rhhaaa et puis ce goût qui ne veut pas partir même après une bonne rasade de ma bouteille d’eau. J’essaie de demander à la dame le nom de cette saloperie mais je suis à court de gestes. En plus, je préfère ne pas insister de peur qu’elle comprenne que j’en souhaite un autre.

Pour m’occuper l’esprit, je sort mon ordinateur et commence à travailler sur mes photos de Pondichéry. Aaah, ce goût en bouche ! Même ma salive est infecte maintenant. Rapidement, le jeune garçon, intrigué, viens jeter des regards sur mon écran. Je tourne un peu l’ordinateur vers lui pour qu’il puisse mieux voir, ce qui au passage permet à la grand mère d’apercevoir aussi quelques photos. On s’échange des sourires. Allez, va. Je te pardonne d’avoir tenté de me faire vomir. N’empêche que j’ai toujours ce truc en bouche.

Régulièrement des vendeurs de la compagnie de chemin de fers font des allés-retours pour proposer des plats dans des chariots métalliques. Ça aussi c’est un peu plus moderne qu’en Inde où le vendeur se contentait de deux cantines en fer blanc, une dans chaque main. De mon côté, j’ai l’estomac bien calé par un bun (boune) bô pris avant de partir.

Après une nuit sans encombre et à la température quasi polaire (il faudrait vraiment songer à former les gens sur l’utilisation de la climatisation, surtout dans ces pays à la température caniculaire), je me réveille tranquillement vers les 7h du matin, ce qui est depuis quelques temps une habitude. Mes voisins sont encore en train de somnoler et je quitte donc discrètement ma couchette pour rejoindre le couloir et jeter un œil au paysage. Nous traversons des collines couvertes d’une épaisse forêt humide.

Afin de repérer mon arrêt je vérifie l’heure. Nous devrions arriver à Dong Hoi vers 9h30 et il est 10h. Je lève un sourcil. Tiens, tiens ? Il me semble que le précédent arrêt avait eu lieu a 9h donc à moins que ce soit une première mondiale et que le train soit arrivé à Dong Hoi trente minutes en avance sans que j’en sois averti, nous sommes en retard. J’interpelle un agent qui passe en lui montrant ma montre et en éructant un « Dongue Hoï ? » douloureux à ses oreilles. Avec un léger sourire il m’indique 10h30 sur la montre. Nous avons donc toujours notre heure de retard.

Je reprend donc ma contemplation du paysage en essayant de faire abstraction de la musique pop vietnamienne qui vient du compartiment d’à côté et, à en juger par le son, d’un minuscule haut parleur bon marché ou d’un téléphone portable. Quelques instants plus tard, une petite fillette à couettes dans une robe rose sucrée déboule en dansant du compartiment en question. Elle tient dans une main un gros cube noire d’où émane la musique pop, l’autre main étant partie prenante de la chorégraphie. Et pour que ce soit encore plus parfait, sa petite voix aigu accompagne les paroles. Après une toupie parfaitement exécutée elle m’aperçoit qui la regarde avec des yeux ronds. Pas farouche la starlette, elle continue son numéro en me prenant comme spectateur.

De son compartiment, un jeune homme lui attrape le cube ce qui provoque instantanément chez elle un cri suraigu (seules les petites fillettes possèdent cette capacité). Elle lui fonce dessus en lui boxant les cuisses de ses petites mains boudinées, les cris toujours dans les octaves supérieurs. Assez rapidement, il cède en lui rendant le cube musical et c’est tant mieux pour nous tous, l’acouphène nous guettait. De nouveau en possession de sa bande son, la petite fille reprend sa chorégraphie et son chant, comme si de rien n’était. Moi je rigole puis discrètement attrape mon enregistreur numérique, histoire de ne pas effrayer l’animal. Malheureusement pour vous, je crois bien avoir merdouillé l’enregistrement mais croyez moi, c’était charmant.

Je prends ensuite mon appareil photo et tout doucement, tel un photographe animalier, m’accroupis pour la cadrer. La petite bête est à deux mètres de moi mais à la vue de l’appareil s’arrête de danser puis vient se cacher dans son compartiment. Mince ! Tout doucement, je vois une couette dépasser, suivi d’un œil furtif. Tant pis, après quelques tentatives pour l’amadouer, je range l’appareil photo. La starlette reprend alors son numéro. Petite peste !

Pendant une bonne heure, ma petite voisine se défoule sur une playlist de variété vietnamienne dont elle connaît manifestement les paroles et la chorégraphie par chœur. En tout cas, cela met tout le monde de bonne humeur, ce qui tombe bien, car nous arrivons finalement à Dong Hoi avec deux heures de retard.

Un vaste choix de livres

Si vous suivez ce blog depuis le début, vous n’êtes pas sans savoir que je me trimballe une liseuse électronique généreusement offerte pour mon anniversaire par des amis Toulousaings. Dans un moment d’euphorie et de confiance absolue dans le progrès, j’ai acheté le Lonely Planet « Inde du Sud » en format électronique, ce que j’ai amèrement regretté une fois sur place. A Pondichéry et Chennai, j’ai bien tenté de trouver un Lonely Planet « Vietnam » en version papier mais sans succès. C’est d’autant plus rageant que je suis tombé sur des exemplaires du guide pour la Thailande et le Cambodge dans une librairie de Chennai, en anglais. Mais il faut croire que les indiens ne s’intéressent pas au pays des chapeaux coniques. Je me suis donc une nouvelle fois rabattu sur la version électronique du guide, avec les crises de nerfs qui vont avec.

Arrivé à Hanoi, je me suis donc décidé à partir le plus tôt possible en chasse du guide pour l’Australie. En réalité, il m’a fallu quelques jours, et surtout une conversation avec Werner (mais si, Werner, ce sympathique cinquantenaire munichois rencontré à la baie d’Ha Long), pour que je me décide. Que vient faire un allemand mature dans cette histoire, qui plus est responsable des ventes d’une entreprise de composants électriques ? Et bien il m’a éclairé sur un phénomène très courant au Vietnam : la copie pirate de livres.

Si vous vous arrêtez dans un de ces grands magasins pour touristes (ce qui ne manquera pas de vous arrivez si vous prenez un bus vers la baie d’Ha Long) vous trouverez, à côté des poteries, vêtements, peintures et cartes postales, un rayon bouquins en anglais (voir en français) comprenant les plus grand auteurs – Stephen King, Mary Higgins Clark, Michael Crichton – mais également des Lonely Planet, le tout à des prix défiant toute concurrence puisque vendus à 50% du prix recommandé par l’éditeur (ce qui est facile à vérifier vu que le prix en dollar est indiqué sur la couverture à côté du code barre).

Néanmoins, si vous les feuilletez (ce que je vous recommande de faire) vous noterez quelques éléments étranges. En premier lieu, la qualité de l’imprimerie laisse un peu à désirer sur les éléments en couleurs. Ensuite, le papier semble étonnamment léger et fin. Finalement, avec un peu d’attention, il n’est pas impossible de tomber sur des fautes de frappe ou d’orthographe. Tout ceci est tout à fait normal puisqu’il s’agit (mais vous l’aviez deviner) de copies pirates vendus de manière tout à fait officiel.

Je me suis donc offert le Lonely Planet « Australie » pour la modique somme de 10$ (contre 22$, prix recommandé) et je n’en suis pas particulièrement fier. D’ailleurs, une fois remonté dans le mini bus en route vers Hanoi, je me suis empressé de contrôler la véracité des informations du guide : capitale de l’Australie ? Canberra. Me voilà rassuré.

Montre moi comment tu t’habilles et je te dirais qui tu es

Après quasiment quatre jours pleins à Hanoi, j’ai commencé à détecter un schéma assez particulier au niveau vestimentaire. Je vous rappel tout d’abord, qu’étant un adepte du camouflage culturel, mon accoutrement s’adapte habilement en fonction de l’endroit où je suis. En Inde, dress code très strict: pantalon plus chemise avec chaussure de marche de peur de me faire violer. Au Vietnam, après vingt quatre heures, tel le caméléon, je déduis que pour me fondre dans la masse grouillante d’homo sapiens sapiens locaux, il faut que j’adopte un tout autre code vestimentaire (notez comment, habillement, j’évite une répétition en passant d’une langue à une autre).

Le vietnamien moyen dans la rue s’habille en été (je ne peux conclure quand à l’hiver) comme s’il était sur le front de mer de la Grande Motte autour du 15 août. Au menu, tongue / schlappe / slache / claquette / gougoune, T-shirt voir débardeur et short. C’est autrement plus décontracté qu’à Pondichéry. N’ayant pas ça en stock, j’ai du faire le plein.

J’ai donc pris les devants et ai décider d’acheter des T-Shirts à Hanoi. Je vous épargne ma lamentable négociation tarifaire où j’ai réussi à arracher avec force habilité trois T-Shirts à 600 kDongs le tout (soit tout de même prêt de 10$ chacun ce qui n’est pas vraiment un exploit. Je me rassure en disant que ce sont 10$ qui n’iront pas dans la poche de Nike mais directement dans celles d’un vietnamien). La vendeuse m’a assuré avec beaucoup de passion en me montrant l’étiquette que c’était du « Made in Vietnam » et non pas de la merde « Made in China ». Je n’étais personnellement pas du tout au courant que le « Made in Vietnam » était signe de qualité à la manière d’un « Made in Germany ». J’avais donc maintenant trois éléments essentiels pour mon camouflage : un T-shirt gris clair arborant la marque locale « Tiger Beer », un autre noir avec un joli motif chinois blanc et un kaki dont je n’ai aucun souvenir car je l’ai paumé entre temps. Ça fait donc les deux T-shirts à 15$ maintenant. C’est pour vous dire comme je suis fin négociateur.

Pour ce qui est des chaussures, je suis allé me balader du côté du marché couvert et après avoir longuement arpenté les allées à la recherche de la meilleure affaire pendant environ deux minutes, j’ai acheté une paire de tongues / schlappe / slache / gougoune / claquettes de la très bonne marque « Eagle » pour un prix défiant toute concurrence chinoise avant de me rappeler dix minutes plus tard que mon cerveau quasiment bilingue gavé de publicités et de marques avait confondu avec « Aigle ». Mais au moins, j’avais les doigts de pieds à l’air et je faisais couleur locale. Accessoirement, j’ai eu atrocement mal au sommet des pieds pendant deux jours du fait de l’abrasion répété sur ma peau non habituée. C’est le prix à payer pour une bonne infiltration en territoire ennemi comme vous le confirmera n’importe quel S.A.S. en mission. Depuis ça va beaucoup mieux merci, et je les porte encore à l’heure où je vous écrit.

Autant vous dire que le deuxième jour à Hanoi, bien que soufrant atrocement au bout d’un kilomètre de marche, je me sentais particulièrement discret. Ce qui n’était absolument pas le cas après une deuxième analyse plus subtile. Premièrement, regardons le touriste de base, camouflé en vietnamien du même acabit. Il porte un T-shirt arborant une marque de bière locale, un joli dessin de Tintin marqué « Tintin au Vietnam » sorti de nul part (non, Tintin n’est jamais allé au Vietnam) ou encore portant le slogan « Hanoi Traffic » (ce qui est parfaitement ridicule et surfait, encore une fois). Si maintenant nous comparons avec un vietnamien du cru, lui porte un T-shirt avec l’inscription « Channel » en corps 240 hurlant d’authenticité, un polo de marque Ralph Lauren avec un joueur de polo en bas relief qui lui couvre tout le poumon gauche ou bien encore un logo « Abercrombie » sans le « Fitch » car il n’y a plus de place disponible ou alors sur un deuxième T-shirt.

Avoir le T-shirt c’est bien mais il ne faut surtout pas négliger la façon de le porter. De nombreux touristes caméléons un peu distraits se contente de le glisser par dessus la tête en insérant leurs deux bras de chaque côté dans les deux derniers trous restants, en gardant l’étiquette côté nuque, le tout recouvrant leur corps du bas du cou jusqu’en dessous de la taille. Ils constateraient avec un peu plus d’attention que le vietnamien moyen, s’il est en mode stationnaire pendant une longue période exposé à une température élevée roule le bas de son T-shirt jusqu’en dessous de ses tétons pour exposer ainsi son abdomen et son dos nu à l’air ambiant. Ne point faire cela trahi instantanément sa provenance outre-asie.

Deuxièmement, et là c’est vraiment un faute d’attention majeure de la part du touriste, là où celui ci sort couvert d’une casquette ou éventuellement d’un chapeau conique, le vrai vietnamien ne porte rien ou alors un casque de mobylette (éventuellement un chapeau conique si c’est une vieille dame portant des fruits mais dans ce cas elle n’a pas de T-shirt). C’est quand même pas difficile de le voir ça, enfin ! Certes, ce n’est pas très pratique d’avoir pendant une longue période un casque sur le crâne mais premièrement, personne ne vous oblige à porter le casque intégrale. Une bête réplique de casque allemand de 39-45 fera l’affaire. Deuxièmement, si vous avez pensé à l’habit j’espère pour vous que vous avez également pensé à vous munir des accessoires adéquate à votre camouflage. Dans ce cas, la présence d’un deux roues motorisé non loin de vous semble indispensable. Le casque devient alors un élément de cohérence.

Pour ce qui est des femmes, n’hésitez pas, pour faire couleur locale (notamment à Hanoi ou Saigon) à porter le short très très court, au ras des fesses comme on dit. C’est effectivement un virage à 180° par rapport à l’Inde. Si cela vous semble trop extrême vous pouvez opter pour le très charmant costume traditionnel constitué d’un pantalon de soie blanche et de la célèbre tunique de soie coloré, longue et coupée sur le côté jusqu’aux reins, laissant un carré de peau à nu de chaque côté des hanches. Trèèèèès joli. Il ne vous reste plus qu’à prier de trouver un costume à votre taille et à votre corpulence notamment si vous êtes une nageuse hollandaise ou une caissière américaine.

La troisième voie, pour vous mesdames, surtout si vous êtes dans des villes ou villages de moindre importance, consiste à s’acheter des chaussettes en forme de mittens permettant de porter des tongues / slache / gougoune / claquettes / schlappe, à glisser vos mains dans des gants, de couvrir vos bras et votre tête d’un haut de survêtement à capuche, porter un pantalon et surtout, de trouver un de ces fameux masques en tissus anti-pollution que vous attacherez derrière vos oreilles. Accessoirement, vous ne bronzerez absolument pas. Dans ce cas, hormis votre taille et votre corpulence, rien ne pourra trahir votre origine géographique à condition que vous ne fassiez aucun effort particulier pour harmoniser ces éléments. Pantalon rose sur haut à capuche jaune à fleur bleu fait encore plus couleur local.

Voilà, je vous laisse faire vos courses. Vous avez amplement de quoi vous occuper.

Un tour organisé, quatrième partie : Ha Long

Résumé des épisodes précédents : Un trajet en bus, un trajet en bateau, un trajet en kayak, un trajet en tuc-tuc et sinon, à parce ça, rien de spécial. Si, j’ai dormi. Et on a bien mangé.

Le lendemain, je me réveille vers 6h du matin après une nuit un peu agitée, chaleur oblige. Il fait déjà jour depuis une bonne demi-heure et le réveil se fait naturellement au son d’un coq et d’un début d’agitation dans la maison. Il faut dire que les vietnamiens sont plutôt matinaux. Je m’habille donc et embarque mon appareil photo. D’après Pi Loo, le matin très tôt a lieu le marché du village où se vendent les poissons fraîchement péchés.

Je me glisse donc dans la cour où j’échange un salut avec l’autre jeune de la famille, à moitié réveillé dans un hamac, caresse le jeune chien domestique et franchit la grille. Le village à cette heure-ci est déjà assez actif et je croise quelques personnes à pied ou à vélo. Toutes les DSC_5583_DxOmaisons ont leur salle de séjour grand ouverte et donnant directement dans la rue. Je peux donc constater que quasiment tout le monde est réveillé. C’est d’ailleurs assez amusant cette façon d’avoir le cœur de la maison directement en contact avec la rue. Il faudra que j’en touche deux mots à Pi Loo.

Je me retrouve assez rapidement de nouveau devant la pagode de hier soir, que je peux enfin admirer, et découvre un grand terrain vague en face où semble s’organiser le marché, la baie plus loin et une mangrove d’arbres bas intercalée. Je profite donc de l’activité et de la jolie lumière matinale pour prendre quelques photos.

DSC_5613_DxODSC_5610_DxO DSC_5605_DxO DSC_5601_DxO DSC_5591_DxO DSC_5593_DxO DSC_5595_DxO DSC_5589_DxO DSC_5586_DxO DSC_5614_DxO

Au bout d’une demi-heure je rentre à la maison où je retrouve le jeune homme dans son hamac, à peine plus éveillé mais qui cette fois-ci me demande d’où je viens. Encore une fois, je lui ‘avoue que je suis français et comme hier soir, cela permet d’entamer la conversation. Pour gagner du temps, je m’assois directement et on discute de l’apprentissage (difficile) du français, tâche qu’il vient de commencer il y a quelques mois. D’ailleurs, c’est l’autre jeune homme avec qui j’ai discuté hier au soir qui l’assiste et qui se trouve être un ami à lui qu’il héberge pour les vacances. Heureusement, il parle pas mal anglais car il est vrai que son français est vraiment débutant. Étudiant en marketing (encore, mais c’est fou) il vient de finir ses études et passe donc les vacances d’été chez sa mère. Il m’avoue quand même qu’il déteste ça, le marketing, mais que sa mère l’a obligé. Ah, tout de même, voilà qui me rassure un peu. Un peu taquin, je lui demande, puisqu’il n’a pas l’air d’aimer ça, pourquoi ne l’a t-il pas abandonné pour étudier une autre matière. Ce à quoi il me réponds : « ma mère m’aurait tué ». Ça n’a pas l’air de rigoler à Quan Lan.

Pendant cette conversation nous sommes petit à petit rejoint par Kelly et la marseillaise qui viennent s’asseoir à côté. On discute donc de nouveau apprentissage des langues et il nous explique qu’au Vietnam l’apprentissage se fait quasi exclusivement à l’écrit. Pour sur ils sont bons en grammaire et en lecture, mais pour ce qui est de parler ou de suivre une conversation, c’est l’hécatombe. Ce qui, il faut bien l’avouer, semble être la norme dans pas mal d’écoles du monde entier. En parlant de langues, on en vient à parler des ethnies vietnamiennes, au nombre officiel de 54 (chiffre que l’on retrouve précisément dans tous les musées et chez chaque vietnamien à qui on pose la question). Notre interlocuteur nous glisse d’ailleurs que notre maman adorée, Pi Loo, est une H’Mong de Sapa. Je note mentalement de vérifier si cette ethnie ne serait pas matriarcale et prompte à molester les étrangers. La conversation glisse ensuite sur les voyages (forcément, nous sommes touristes) et après que je lui ai demandé s’il comptait voyager, le fils de la famille me répond qu’il va faire le tour du Cambodge et de la Thaïlande, bientôt, avec des amis. Qui plus est, le garçon va couchsurfer. C’est même un pratiquant assidu aussi bien en tant que fournisseur et usager de canapé. Je lui parle de ma toute petite expérience ridicule de couchsurfing à Hanoi et avec enthousiasme (enfin, relativement à l’heure matinale) il m’encourage à poursuivre l’expérience. Quand je pense que j’ai découvert le CouchSurfing à Chambéry il y a quelques années alors que c’était encore un peu confidentiel et que maintenant un jeune vietnamien me vante ça, je commence à me rendre compte à quel point les jeunes de ce pays sont les deux pieds dans la mondialisation.

Nous sommes finalement interrompus par l’arrivée du reste de la troupe (les filles) mené par Pi Loo qui nous donne le signal du départ. Au passage je lui parle de cette histoire de maisons ouvertes sur la rue. Elle me réponds que c’est commun à tout le Vietnam et que ça correspond à une façon de vivre assez communautaire. C’est sur que ça change totalement du « chacun chez soi » à l’occidental (et encore plus à la française où c’est « chacun chez soi planqué derrière mon mur ou ma haie »). Notre cheftaine scout nous énumère ensuite le programme de la journée : lavage, départ pour une petite ballade à vélo à travers l’île jusqu’à une plage, baignade pour ceux qui veulent, petit déjeuner sur la plage, re-ballade à vélo jusqu’au bateau puis finalement retour au port initial pour repartir vers Ha Long. D’ailleurs elle se tourne vers moi pour me demander si je veux toujours faire mes trois jours exclusivement Bai Tu Long car dans ce cas je resterai ici en attendant de récupérer un autre groupe. Moi, je suis un gars qui m’attache donc sentant qu’il y avait un bon feeling qui commençait à se créer je décide de suivre la bande en partant voir la baie d’Ha Long. Au moins je pourrai me vanter de l’avoir vue à mon retour. Je vais vous décevoir mais il n’y a eu aucune explosion de joie avec moult embrassades à cette annonce pour me féliciter de ma décision. Les gens sont vraiment bien ingrats.

Après donc un rapide rangement de table, fermeture des sacs et aux revoir chaleureux à la famille, nous partons donc récupérer nos vélos à côté de la maison. Loin d’être des VTTs se sont plutôt des VTC vieillots mais rustiques. Ceci dit, Pi Loo nous assure que ce ne sera pas très difficile. Il vaut mieux car Manon n’a pas particulièrement le physique d’une marathonienne. Nous partons donc dans un concert de grincements et couinements à la suite de notre guide. Nous empruntons la rue perpendiculaire que j’avais arpenté hier soir (en même temps, il n’y a que trois directions possibles) et nous retrouvons très rapidement dans la campagne très verdoyante et légèrement vallonnée, sous le soleil, avec quelques petites rizières de part et d’autre. Nous croisons des maisons isolées, toujours aussi pimpantes avec leurs couleurs pastels soulignées de blanc, ainsi que quelques camions venant en sens inverse. Après une petite côte où je remporte le grand prix de la montagne au nez et à la barbe de Kelly et de Pi Loo (qui a craqué à mi pente, incapable de suivre ma terrible accélération en danseuse et en tong / schlappe / slache / gougoune / claquettes) nous descendons un long faux plat bordé de pins où nous laissons retomber notre température corporelle. Pi Loo de l’arrière nous cri alors « Right, right ! » et je freine en appelant Kelly qui avait pris la tête. Un petit chemin de sable s’enfonce entre les pins d’un côté et de petites dunes de l’autre. Après un pédalage difficile dans le sable, nous posons les vélos face à une grande plage à marée basse, un fort vent marin dans les cheveux et dans le fracas des vagues. En face, l’océan. Au dessus le soleil. En dessous le sable brûlant.

Une bonne baignade plus tard où on échappe de peu à la commotion cérébrale sous l’impact brutal et répété des vagues (ce dont je suis ravi car ça me permet de enfin déboucher mon oreille gauche), nous rejoignons Pi Loo, sereinement assise en tailleur à l’ombre des arbres, un grand chapeau en paille sur la tête et des lunettes de soleil à la Brigite Bardot (époque brune). Elle nous avait gentiment préparé le petit-déj’ à base de crêpes au sucre et jus de citron, DSC_5620_DxOmangues, pastèques et bananes fraîches. Je vous ai dit que c’était une mère pour nous ? Nous mangeons donc tranquillement face à l’océan.

Pleinement rassasiés (il y d’ailleurs du rab’ de crêpes si vous en voulez), nous repartons à vélos sous le soleil et poursuivons la route dans un paysage un petit peu plus sablonneux bordé de pins. La marée est basse et c’est l’occasion d’apercevoir des petites silhouettes aux chapeaux coniques ramassant des coquillages sur la baie avec en arrière plan des hautes collines pentues couvertes de végétation. Après une petite ballade, nous atteignons finalement le bout de l’île où est amarré le bateau. Un tuc-tuc s’étant chargé de ramener nos bagages, nous sommes parés pour appareiller. Sereinement, nous rebroussons chemin à travers Bai Tu Long, en ce glorieux milieu de mâtinée, pour rejoindre le port.

Quelques heures plus tard, et après un petit trajet en mini-bus, nous voici tous déposés devant le terminal marin de la baie d’Ha Long. C’est le moment de dire au revoir au couple marseillais, avec qui j’ai enfin pris le temps de faire connaissance pendant ce petit transfert. Déjà, elle est parisienne donc ça lève le voile de mystère sur leur côté calme. Les deux français parti, nous voyons arriver deux nouveaux couples que tout le monde salut. Nous repartons aussitôt à la suite de Pi Loo dans le hall du terminal, parmi la foule de touristes et de leurs guides respectifs, chacun attendant que ces derniers reviennent avec les tickets, l’accès à la baie étant payante.

C’est finalement notre tour et nous reprenons notre cheminement chargés comme des mules derrière Pi Loo qui fend la foule jusqu’à un embarcadère. Y sont attachés trois gros bateaux blancs de deux niveaux à l’aspect relativement cossus. Mais toujours pas de voiles. Nous montons donc dans un de ces bateaux étiqueté « Ethnic Travel » et déposons nos bagages dans la salle à manger, donnant sur le pont. Impressionnant, car je ne m’attendais pas ce DSC_5643_DxOniveau de prestation. Ce n’est pas luxueux mais c’est très confortable et il y a même une étagère avec des livres en anglais, français et allemand. Pi Loo nous distribue des clés de chambre et je me dirige vers la mienne. Trop la classe. J’adore. Du bois sombre partout, un lit double, le petit bruit ronronnant du moteur et même une salle de bain privée. J’ai comme l’impression que la séquence contact avec les habitants est fini. D’ailleurs quand je descends au pont inférieur à la recherche des toilettes (avant que Pi Loo ne me fasse remarquer que j’en avais dans ma cabine), j’aperçois les marins et Pi Loo en tailleur dans une pièce commune en train de manger. Dommage, j’aurais trouvé plus sympathique que l’on mange tous ensemble.

DSC_5645_DxOLe bateau quitte enfin le port et une fois chacun installé dans sa chambre, nous prenons nos places aux deux tables de la salle à manger, les françaises à l’une et Kelly, moi ainsi que les deux couples à l’autre. Comme d’habitude, au début personne ne dit rien, la faim étant l’obsession numéro une. Quand à la soif, je me dirige vers le frigidaire des boissons (payantes) pour m’attraper un Pepsi. La main sur la poignée, Pi Loo me réprimande et insiste pour me l’amener. En prime, je crois bien qu’elle me frappe sur le dos. Avec le sourire, bien sur. Nous prenons ensuite enfin connaissance de nos quatre nouveaux arrivant : un premier couple de cinquantenaires munichois en route pour une année complète de voyage à travers l’Asie et l’Australie (un très belle attitude puisqu’ils ont décidé de profiter de leur forme actuelle et de ne pas attendre leur retraite) et un jeune couple de la région de Bilbao ici pour deux semaines. C’est d’ailleurs l’occasion de les chambrer en rigolant car avec leurs deux semaines de voyage, ils sont ridicules parmi nous. Je sympathise assez rapidement avec les munichois. Le mari, souriant et aimant plaisanter, d’un contact très facile, est en année sabbatique. Quand à sa femme, moins à l’aise en anglais mais néanmoins sympathique, elle a carrément démissionné de son boulot. Je les recroiserai d’ailleurs quelques journées plus tard à Hanoi où j’apprendrai enfin leurs prénoms : Werner et Sabine. Les espagnols ne parlant pas aussi bien ont tendance à rester entre eux. On fini donc le repas assez plaisamment à papoter avec Kelly et les deux allemands, avec quelques interventions espagnoles.

La baie d’Ha Long est gigantesque et malgré un nombre important de bateaux de touristes nous profitons agréablement du paysage. Encore une fois Pi Loo nous détaille le planning et nous allons encore une fois éviter les coins les plus visités. Le programme consiste à rejoindre un village flottant puis poser l’ancre dans un endroit tranquille pour la nuit. C’est donc après quelques petites heures d’une traversée tortueuse entre les superbes îles karstiques que nous atteignons le village. On a beau dire, c’est vraiment superbe de slalomer (mollement, certes mais quand même) entre ces blocs rocheux, comme flottant sur l’eau, couverts d’une dense végétation bourdonnante. Parfois des petites plages de sable blanc viennent lécher le bas des rochers, les plus grandes étant accessibles par un embarcadère et couvertes de touristes.

DSC_5659_DxO DSC_5627_DxO DSC_5648_DxO DSC_5654_DxO

A proximité d’un village flottant au creux d’une anse, nous lâchons l’ancre et trois barques menées à l’aide d’une longue rame unique par des femmes portant le chapeau conique s’approchent. Nous nous distribuons dans les barques munis de gilets de sauvetage orange et je me retrouve fort heureusement avec le couple de Munich et Pi Loo à côté de moi. La DSC_5665_DxOrameuse nous donne chacun un chapeau conique, que j’accepte en place de ma casquette quand Pi Loo prend le sien et s’en couvre. Ce ne doit donc pas être que pour la photo. Effectivement, assez rapidement, malgré un soleil de fin d’après midi, la chaleur se fait sentir et la lumière réverbérant sur l’eau est par moment aveuglante. Ces chapeaux sont diablement efficaces et légers.

Nous faisons donc le tour du village où j’en profite pour poser plein de questions saugrenues (ou pas) à Pi Loo notamment sur l’approvisionnement en eau potable effectué régulièrement du continent par bateau là où dans le passé les populations allaient se servir dans les rares sources des les îles, désormais taries. Les maisons flottantes sont également tractées au port en cas d’alerte au typhon, événement qui a eu lieu une semaine avant notre venue. Malgré cela, la population du village reste stable et celui-ci possède même une école primaire, flottante. Je demande également à notre guide pourquoi les rameuses sont des femmes : « Parce que les hommes sont à la pèche ». Ah oui, ça c’était la question saugrenue. Pendant toutes mes questions, je sens Pi Loo légèrement déconcentrée et occupée à jouer avec son chapeau conique pour se protéger du soleil. Je fini donc DSC_5666_DxOpar lui demander si elle craint celui-ci. « Oui, ici les hommes n’aiment pas les filles à la peau sombre donc je ne veux pas bronzer », me répond-elle. Instantanément, Werner et moi nous empressons de lui expliquer qu’en Europe on trouve ça plutôt chouette les femmes à la peau hâlée mais ça n’a pas l’air de la convaincre. Elle passera la traversée en barque bien planquée sous son chapeau comme craignant que le ciel lui tombe sur la tête. Au passage je comprends maintenant pourquoi énormément de femmes vietnamiennes sortent complètement couvertes vêtues de gants, chaussettes, pantalons et capuches, masque même sous une chaleur à mourir. Finalement, nous remontons à bord de notre petit navire de croisière.

DSC_5668_DxOUne bonne heure plus tard, nous voici arrêtés à l’ombre d’une île percée d’une grotte. L’équipage s’occupe à mettre les kayaks à la mer pour une nouvelle sortie. Cette fois-ci je fais équipe avec Kelly et nous nous mettons rapidement d’accord pour ne pas jouer petit bras : nous visons une île très au loin dotée d’une arche naturelle. C’est donc l’occasion de discuter un petit peu plus avec la jeune américaine vraiment d’un esprit très sympa. Nous saluons au passage un pêcheur à bateau d’un monstrueux « sin cheu » tout pourri que je devrait avoir honte de déformer autant. Il nous répond malgré tout d’un sourire et d’un salut de la main. Nous atteignons puis traversons l’arche pour se retrouver DSC_5677_DxOquasiment face à la baie d’Ha Long et le port industriel du même nom. Nous contournons donc l’île pour repartir en sens inverse en espérant ne pas lutter contre un courant contraire, tout en continuant de papoter. Nous nous demandons notamment qu’elle est le sentiment des vietnamiens sur leur régime politique, chacun de nous deux n’ayant encore osé aborder le sujet avec des gens du cru.

C’est donc finalement après une heure d’une rame sans forcer que nous retrouvons le bateau. Nous profitons que la majorité sont encore en kayak pour plonger dans l’eau et se baigner. L’eau est d’une température magnifique et finalement très peu salée. Rapidement quelques DSC_5682_DxOautres personnes nous rejoignent. Le capitaine du bateau, tout en rigolant, fait mine d’attraper Pi Loo pour la jeter dans la baie. Ils sont vraiment déconneurs ces vietnamiens. Ceci dit, elle surprend tout le monde quelques minutes plus tard en sautant du pont en T-shirt et short dans un grand splash sonore. Voilà qui est bien sympathique.

DSC_5672_DxOLa soirée se termine agréablement dans une atmosphère digne du film « Indochine » ou progressivement l’activité lointaine de la baie ralenti au rythme des bateaux de croisière jetant l’ancre pour la nuit, lumières et formes plus sombres des îles se reflétant sur l’eau noire. Après un dîner convivial, je rejoint les autres sur le pont supérieur panoramique, chacun dans une chaise longue. Manon nous fait une démonstration de sa souplesse (quelques années de danse classique qu’un physique enrobé ne vient pas altérer) DSC_5685_DxOque Pi Loo essai de copier sans succès mais avec beaucoup de cris de douleur. Après dix minutes elle abandonne. Sentant le moment et le climat propice aux confidences, je décide de lui poser des questions plus personnelles.

« Et sinon, Pi Loo, tu as fais d’autres métiers autre que guide ?
<petit blanc>
– Non. Je ne suis pas allé à l’école.
<autre petit blanc>
– Ah.

A ce moment là, Kelly prend le relais, d’une question particulièrement frontale. Si j’avais été en train de boire, je crois que j’en aurai recraché ma boisson :
« Et sinon, Pi Loo, comment ça marche le régime politique au Vietnam ?
<léger petit blanc>

Je dois vous avouer que je ne me souviens plus trop de la réponse formulée par notre guide. Ça aurait tout aussi bien pu être un grognement ou un marmonnement. Toujours est-il que dans la minute qui suit, elle s’est excusée en nous souhaitant bonne nuit. Pour ce qui est de la diplomatie : France zéro, USA zéro.

DSC_5688_DxOLe lendemain matin, bien ragaillardi après un bon déjeuner de fruits et d’œufs au plat nous repartons tranquillement vers le terminal d’Ha Long pour reprendre la route vers Hanoi. Matinal, j’avais au préalable pu contempler un lever de soleil fugitif sur la baie, les nuages arrivant. Nous empruntons un autre chemin qu’à l’aller et chacun peut profiter des dernières heures à bord. Je profite de la présence de Pi Loo à côté de moi sur une chaise à l’ombre, un instant pendant lequel elle ne me moleste pas, pour lui poser des questions. A chaque fois ses réponses sont courtes et j’ai du mal à déterminer si je la gêne ou si elle est doucement somnolente. En tout cas j’apprends qu’elle travaille tout les jours et que ses seuls moments de vacances ont lieu lorsqu’il n’y a pas de client. J’ai parfois l’impression de poser des questions de riches. Des vacances ? C’est quoi ?

DSC_5695_DxONous quittons finalement, et avec regret en ce qui me concerne, la tranquillité du bateau et la majestueuse baie d’Ha Long pour remonter en mini-bus. Particularité par rapport à l’aller : nous sommes séparés en deux groupes et je me retrouve comme par hasard avec Kelly, Sabine et Werner. Nous alternons donc pendant les cinq heures de route de moments de rêveries, discussion, sieste et papotage. On discute d’ailleurs de l’Australie avec les munichois qui ont également prévu d’y aller.

En fin d’après midi, nous pénétrons dans Hanoi et le bus dépose Werner et Sabine à leur hôtel après de chaleureux au revoir. Kelly et moi descendons à l’agence où on se salut en se souhaitant bonne chance pour la suite. Bizarrement, j’ai un pincement au cœur à quitter comme cela ces personnes attachantes après seulement deux ou trois jours ensemble.
Je rentre dans l’agence pour récupérer des billets de train et retrouve Pi Loo en train de discuter assez vivement avec son patron. J’avais complètement oublié cette histoire avec les espagnoles et suis désolé pour notre guide, l’esprit sans doute occupé par tout ceci pendant nos trois jours. Profitant d’un moment d’accalmie, je retire un billet de mon portefeuille et m’approche de Pi Loo en la remerciant pour ces trois superbes jours. Je suis français donc je ne donne rarement des pourboires. Tout les deux un peu mal à l’aise et après un premier refus poli, Pi Loo accepte sous mes remerciements et compliments. Alors qu’elle se retourne je saisi fugitivement un début de sourire sur son visage. Je hisse donc mon gros sac à dos sur mes épaules pendant qu’elle s’installe déjà derrière son bureau pour s’occuper d’un nouveau couple de clients. Je sort de l’agence et, me retournant une dernière fois, lance un « Bye, bye Pi Loo ». Derrière la vitrine je la vois me faire un signe de la main, un grand sourire sur le visage, avant de se retourner vers ses nouveaux clients, tout sourire.

Catherine Deneuve tout doucement s’évanouie. J’ai maintenant d’autres images de la baie d’Ha Long.