Manger à bord

Il est donc venu le moment de parler de la nourriture à bord de ces beaux cargos. Oui, car grâce à de magnifiques ellipses temporelles que seuls permettent la littérature et d’autres formes narratives plus mineures tels que le cinéma et la chronique livestyle sur Youtube, je vais combiner en un seul présent les multiples épisodes gastronomiques à bord des deux fiers vaisseaux de la CMA CGM, compagnie française basée sur Marseille (main sur le cœur et menton en l’air, avec des cigales au fond), dont j’ai eu l’opportunité de fréquenter les cuisines.

Roulement de tambours, halètements de suspens puis soudain coup de cymbales : c’était fort mauvais.

Voilà, la messe est dite. La fière réputation gastronomique de tout un pays durement portée au plus haut s’en trouve éclaboussée d’excréments mais, oui, il faut bien l’admettre : c’est franchement extrêmement désappointant. Mary et Douglas furent les premiers à exprimer tout en chuchotements complices afin de ne pas être entendus du capitaine, que non, ils attendaient mieux d’une compagnie française.

Maintenant que l’artillerie lourde a tonné, tentons de tempérer mes propres propos (Tiens, en voilà une bien belle allitération en « p » et « pr », soit dit en passant). Quand je dis que c’est fort mauvais, disons que c’est plutôt dans l’esprit cantoche : saucisse purée haricots verts et flamby au dessert. Mais sans imagination et plutôt grossier.

Par sans imagination j’entends qu’à chaque repas c’est invariablement une soupe du jour qui, dans les mauvais jours du chef, peut tomber aussi bas qu’une soupe aux tripes, suivi d’un plat principal qui dans les moments de grâce s’avère être une pizza surgelée mais au quotidien est plutôt un steak brocolis à la vapeur. Le tout s’achève par un fruit mais si on est gentil parfois on a de la glace recongelée légèrement pailletée à l’intérieur. C’est rigolo, c’est froid, ça croustille mais ça fait comme des micro coupures sur la langue. Moi, je mange car comme le dit si adroitement ce court mantra bourguignon du 21ème siècle, copyright Gabriel Bloch : « On te demande pas d’y aimer, on te demande d’y bouffer ». Point d’exclamation. Sont déjà bien gentils de nous accepter à bord.

Ceci dit… je ne voudrais pas barbouiller le tableau tout en noir. Il nous est aussi servi invariablement des crudités. Parce que c’est bon pour la santé et que ça aide au transit. Comme chacun sait, transit libéré égal esprit libéré. La salade est présentée non assaisonnée, certes, mais comme l’huile et le vinaigre balsamique sont à disposition sur la table, il ne tînt qu’à nous que nous nous sortîmes les doigts du fondement. Ce que fit Mary qui fut la première à craquer en nous préparant une petite vinaigrette en live. Après tout, on est finalement ici comme à la maison, bien que servi par un jeune philippin timide.

Hormis ce louable dessein digestif, nous avons eu un soir sur le Columba une fort convenable à bonne goulasch, parfaitement assaisonnée et composée de tendres morceaux de viandes qui nous souleva tous les sourcils d’étonnement. Alors, effet de contraste après deux jours de nourriture insipide ou réussite culinaire ? Soyons sport et penchons pour le deuxième. Ceci dit, la chronologie exacte de tout ces repas se brouille dans mon esprit, mais il me semble bien qu’en entrée ce soir là, le chef avait tenté de nous refourguer le reste de soupe aux tripes, grossièrement transformée par l’ajout de gélatine en une sorte de fade pâté de tête encore plus inintéressant. Moi qui suit bien élevé, j’y est prélevé une tranchette à fin d’examen. J’en ai conclu donc que le chef ce soir là nous avait clairement dit « merde » avec ce qu’il avait sous la main. C’était donc de l’art dans sa définition moderne : l’expression d’un message par le biais d’une technique maîtrisée. Il ne manquait juste que la note d’intention pour qu’il puisse exposer.

Autre moment de désillusion, d’un autre acabit : ce soir là, à bord du Gemini était inscrit au tableau de la salle à manger des officiers un mystérieux « cheese pie » en dessert concluant un « schnitzel » en plat principal. On n’était pas loin d’espérer du repas convenable surtout que vu l’anglais cassé parlé à bord de ces navires, l’esprit qui est le mien avait tôt fait de visualiser un « cheese cake » sous la dénomination de « cheese pie ». Qui plus est, un des officiers roumains avait discrètement demandé deux parts à Jerry, le serveur, avec un regard complice. Je m’en pourléchais les muqueuses d’expectative.

Bon je passe sur le schnitzel, une vague escalope panée mollassonne qui n’avais jamais connue Vienne et encore moins l’Autriche. Cantine, vous dis-je, pensez cantine. Le « cheese pie » c’est avéré être une sorte de feuilleté au fromage dont je ne parvient toujours pas à trancher s’il était salé ou sucré. J’peux rien affirmer, m’sieur l’commissaire. J’ai envie de dire que ça dépendait des bouchées même si aucune n’était ni franchement mauvaise ni franchement délicieuse. Il faut croire que c’était une spécialité roumaine vu l’enthousiasme apparent de mes collègues. Mais enfin, qui sommes nous pour juger du bien du mal, du bon du mauvais ? Après tout, nous vivons dans la décennie des chaussettes-claquettes, alors… un feuilleté mi-gras-sucré-salé-mi-bon-mi-mauvais…

Comme me l’a confirmé le capitaine du Gemini, plus loquace que celui du Columba, le cuistot sur un bateau, c’est hyper important. Je crois qu’il était conscient de la qualité un peu moyenne de son staff. Malheureusement, de ce que j’ai pu comprendre, il n’est pas responsable du recrutement de celui-ci. Les deux cuistots que j’ai côtoyé à bord des deux bateaux étaient tout les deux philippins, sans doute peu familiers de la cuisine européenne exigée par les officiers, sans parler qu’il devait très certainement se coltiner des consignes diététiques d’un pseudo CHSCT à Marseille. D’ailleurs, sur le Columba, nous avions chaque jour à notre table une feuille avec les menus du jours, séparé en deux colonnes : la première pour les officiers et la deuxième pour les membres de l’équipage. La plupart du temps l’équipage, majoritairement philippin, faut-il le rappeler, avait droit à des plats plus asiatiques. Avec Mary on regrettait parfois de ne pas pouvoir choisir l’autre menu ou de bouffer avec l’équipage. Les pauvres officiers chinois qui devaient eux aussi avoir une autre idée de la nourriture, se faisaient parfois des bols de nouilles dans la cuisine.

Ça plus l’ambiance contenue dans la salle à manger, rien d’étonnant que Douglas ait demandé discrètement à chaque dîner auprès de Rey, notre serveur, pour qu’il nous serve une bouteille de vin histoire d’ajouter un peu de joie au repas. Arrivé à Malte, on avait déjà sifflé toute la maigre réserve, rouge ET blanc. Du Rioja Marquis de Caceres espagnol, pour ceux que ça intéresse.

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