Je suis extrêmement sensible aux sourires. J’y peux rien, quand quelqu’un me sourit, ça me le rend drôlement sympathique. Inversement, toute personne me tirant une tronche se rend aussi insignifiant qu’un insecte à mes yeux. Tout ça est sans doute d’une grande évidence pour tout le monde, mais on oubli souvent à quel point cela peut tout changer dans les rapports humains.
Fort heureusement, la plupart des vietnamiens croisés à Hanoi sourient. Par exemple, les jeunes gens de mon hôtel à Hanoi sourient tout le temps. Il sont sacrément doués car leurs sourires semblent francs. Du coup, moi, je sourit aussi. On se sourit. On n’arrête pas. Voici vos clés, sourire. Merci, sourire. A quelle heure ferment les musées, sourire ? A quatorze heure, sourire. C’est complètement dingue. Encore une fois (et ça va vraiment être une habitude, j’en suis navré), j’en avais été un peu sevré en Inde (même si j’en avais eu, mais pas autant). Même les gens un peu âgés s’y mettent. Lors d’un voyage en train, la grand mère de la famille avec qui je partageai les couchettes (je vous raconterai bientôt) se marraient en permanence et n’était pas la dernière pour me sourire. Ils sont tous drogués ou alors ils sont véritablement heureux. Attention, ce n’est bien entendu pas l’unanimité. Si vous commandez un pho (pronocez « fa », mais j’en parlerai une prochaine fois) dans un petit restaurant de rue qui sert un client toutes les deux minutes, vous n’aurez probablement pas le soupçon d’une esquisse d’un. Mais si vous dites « non » à un xe om qui vous lance un « motobaïque ? », il se peut qu’il vous sourit, même parfois, si vous n’en avez pas au préalable esquissé un. Il faut dire que ce refus lui permet de se remettre en position de sieste ou de discuter avec ses potes. Il y a de quoi être heureux.
Plus dingue encore, là où en Inde la majorité des gens des villes, prisonniers de leur vision holistique sans doute, abordent un visage neutre voir un peu triste (mais moins qu’à Paris, certes), il est fréquent de croiser des gens qui se marrent dans les rues d’Hanoi. Oui, non seulement on sourit ici, mais en plus, on rigole. On a la déconne facile. Qu’est ce que ça fait du bien. Du coup il m’arrive de plaisanter avec les vendeuses de bananes et de colifichets (c’est essentiellement du comique visuel), et on rigole. Parfois c’est la vendeuse de ticket de bus qui me fait une blague en me faisant mine de ne pas me rendre la monnaie, en rigolant. Ha, ha, ha. Là, je rigole à moitié. Ou alors la guide qui dit à tout le monde que j’ai 45 ans en ajoutant tout de suite après, en français dans le texte « c’est bonneuh blagh, Olivia », en souriant et en me bourrant l’épaule d’un petit jab du droit.
Oui, car voici un autre aspect des vietnamiens que je ne connaissais pas : ils sont très tactiles. Encore une fois, en Inde, on se touchait les corps plus par promiscuité ou par distance d’intimité réduite, et hormis cela, rien. Des histoires courent comme quoi certaines touristes se font toucher par des hommes indiens, mais je doute que l’on puisse mettre cela sur le même plan. J’ai été un peu surpris les premières fois où un vietnamien m’a pris le bras ou quand notre guide m’a foutu une grande tape dans le dos. Il n’est pas rare de voir une jeune femme tenter de placer un coup de pied aux fesses de sa copine, en se marrant toutes les deux comme des baleines ou bien de voir un homme taper amicalement la cuisse de son camarade en s’esclaffant comme un pendu. On pourrait presque être à Marseille, époque Marcel Pagnol. Cette sensation provençale est encore renforcée par la chaleur, les cigales (et oui) et une certaine nonchalance virant à la sieste entre midi et quatorze heures (mais ça, c’est pour un autre billet).
De temps en temps, vous tombez sur un indigène qui tire la tronche mais il est tellement en minorité que ça devient anecdotique. Non, non. J’ai l’impression qu’au Vietnam, on se marre. C’est la poilade 24/24, 7/7. En tout cas, dans les villes et, en tout cas, à Hanoi. Après vingt années de guerre et dix ans de dynamisme économique, c’est totalement légitime, mais quelle belle leçon de vie. Si ça se trouve ils se marraient également pendant la guerre, mais là, j’ai un doute. Il y a sans doute du avoir un grand éclat de rire après Dien Bien Phu et un autre après la fuite précipité des américains, mais c’était plus nerveux qu’autre chose.
Vous allez me dire : oui, c’est le rire asiatique qui est à la fois poli, gêné est un peu hypocrite. C’est sans doute vrai pour certains employés d’hôtels quand vous leur demandez pour la deuxième fois à quelle heure part le bus et qu’ils ne comprennent pas, mais je l’affirme, la plupart du temps c’est vraiment des sourires sympathiques et des rires francs. Ou alors c’est que je suis sous LSD. Depuis dix jours. Ce qui me permet de l’affirmer (pas que je suis sous LSD mais que les vietnamiens ont de l’humour) c’est que, premièrement, la plupart des jeunes vietnamiens parlent au minimum un peu anglais et surtout, avec un accent que je comprends mieux (donc il ne peut s’agir d’un rire gêné ou poli). Deuxièmement, tout ce que je dis, je l’affirme en observant les rapports qu’ont les vietnamiens entre eux.
Et puis j’ai une autre preuve irréfutable, malheureusement destiné aux cinéphiles anglophones, que j’ai glané pas plus tard que hier soir dans un bar : un tableau d’un artiste vietnamien représentant un boudha respirant ses mains avec en arrière plan des hélicoptères de l’armée américaine en contre-jour sur un gigantesque soleil rouge couchant. Sur le tableau une inscription : « I love the smell of mypalm in the morning – Apocalypse Now ».
Moi ça m’a fait marrer.