L’intérêt des tours guidés est multiple. Premièrement, il évite de devoir se coltiner des tonnes de lecture car un autre être humain doté d’une connaissance à priori supérieure à la vôtre sur le sujet de votre tour est spécialement présent pour vous la déverser dans le cerveau. Souvent ça déborde, en plus. Deuxièmement, la plupart du temps, vous n’avez pas à conduire / pédaler / ramer / marcher ou alors c’est que vous êtes particulièrement malchanceux ou consentant. Toute votre énergie est donc concentrée sur l’absorption de cette information vous arrivant dessus par courts jets haute pression mais également sur la contemplation du paysage, la nuque en arrière, la bouche ouverte et les paupières closes. Malheureusement, comme la vie est injuste, pour des questions budgétaires, vous êtes fréquemment contraint de partager le dit guide et le dit moyen de transport avec un certain nombre d’autres individus (je part du principe que mon lectorat est de classe moyenne. Si vous vous sentez plutôt de classe supérieure, envoyez moi un chèque et je vous écrirai une version spécialement adaptée pour vous, de ce billet). La bonne nouvelle est que vous pouvez du coup rencontrer des gens. La mauvaise nouvelle est que vous devez supporter leur présence pendant la durée du tour.
Si je devais comparer ce tour Kakadu – Litchfield avec celui, similaire dans la durée, de Ba Tu Long – Ha Long, il me vient deux différences majeures qui me sautent aux yeux. C’est reparti pour une nouvelle énumération. Déjà, mon guide est un guide alors qu’au Vietnam, ma guide était une guide. Ça change pas mal de choses, figurez-vous. Entre une jolie petite femme aux lunettes de soleils à la Brigite Bardot et un grand quasi-quinquagénaire sec à la coiffure ras, je choisi la première, même si le deuxième m’a permis de me découvrir un certain goût pour le léchage de cul d’insecte. Mais surtout, et là ça dépend vraiment de la compagnie qui organise et de la mentalité du pays, au Vietnam l’accent était mis sur les activités et les paysages alors qu’à Darwin, Adam nous a fait tout un discours sur la nécessité que chacun discute avec chacun pour qu’il y ait une bonne osmose de groupe, lui n’étant pas disponible en permanence pour que les gens fassent connaissance. En même temps, je ne lui avais rien demandé de ce côté là, moi.
Fort heureusement, l’incitation à la sociabilisation s’est arrêté là mais ce que j’en déduis est que notre guide australien attachait beaucoup d’importance à cette ambiance de groupe afin d’en faire partie et d’en profiter. En clair, une partie de son plaisir dépendait des rencontres que lui allait faire. Pi Lu, aussi sympathique soit-elle n’avait pas forcément un désir aussi féroce de nous connaître. En plus de nous inciter à parler entre nous et de boire, Adam demandait également régulièrement que chacun change de place dans le camion afin de se mélanger. La place de choix, d’après moi, était bien entendu le poste de copilote, à l’avant à côté d’Adam. Les gens étant ce qu’ils sont (et surtout comme ils sont éduqués), une bonne moitié restaient accrochés à leur siège et peu de monde osait monter à l’avant. Moi, je crois bien avoir fait tout les sièges possibles, hormis ceux occupés en permanence.
Je confirme, le plus amusant est à l’avant surtout qu’il permet de bavarder avec un grand australien pilotant un haut camion de plusieurs tonnes à 80km/h sur des pistes gravillonneuses. De manière assez surprenante, on arrive à avoir une conversation assez large avec lui, y compris sur des sujets plus personnels. La plupart des guides gardent une distance professionnelle. Adam, non. Il faut dire que le gars a de la bouteille et, ce qui ne fini jamais de m’étonner, moi, a changé de métier plusieurs fois. Pour tout vous dire, puisque je vous sait curieux de la vie des autres, il s’est marié, il a divorcé, il a deux petits garçons qui font du motocross, il a rencontré sa copine lors d’un tour, il a une maison à Bondi qu’il a construit lui même mais qui est maintenant à son ex, c’est un fan de sports mécaniques, il a un 4×4 tout équipé avec téléphone satellitaire pour passer des jours dans le bush, c’est un audiophile qui a tendu des câbles en or dans sa maison (maintenant à son ex), il a visité une partie de la France, adore les Gorges du Verdon et il bosse six mois de l’année en tant que guide et l’autre partie du temps aide son père qui est dans la construction immobilière.
Avec tout cette sociabilisation, il s’est rapidement dégagé pendant ces trois jours un groupe de gens que j’appellerai les « couche tard », non pas que ce soient de gros fêtards (on se lève quand même avant l’aurore) mais parce que lors des soirées glamping, c’étaient les seuls à rester autour des tables à discuter pendant quelques heures en sirotant des bières, moi compris. En voici donc les membres et fort agréablement, Adam en faisait parti, malgré les tâches ménagères qu’il prenait en charge.
Mon collègue d’hostel, Phil, le jeune ORL américain, occupait le rôle d’électron libre, papotant plus ou moins avec tout le monde. On a plutôt bien sympathisé, au point de partager un dernier petit-déjeuner au soleil sur la marina de Darwin, le lendemain de notre retour. Son histoire récente consistait en une année de post-doc à Melbourne en charge d’étudier les différents grands systèmes de santé mondiaux. Avant de commencer son premier boulot dans un hôpital du Texas, il s’est payé un petit mois de vacances.
Max, le troisième célibataire, un peu plus discret et réservé initialement, s’est avéré assez passionnant lorsque j’ai découvert son métier, lobbyiste à Washington D.C. Tout d’abord, ce n’est pas commun d’en croiser un mais surtout un de 35 ans dirigeant une équipe de plusieurs personnes au sein d’une organisation a but non lucratif qu’il a lui-même créé. J’étais un peu méfiant initialement car j’imaginais que son activité de lobbying portait sur le pétrole ou les armes à feu, mais nous avons pu rapidement engager la conversation sur des sujets plus neutres lorsqu’il m’a appris qu’il s’agissait du domaine de la santé. Toute la majeure partie de son activité de l’année passé portait sur la réforme de santé d’Obama que son organisme tentait de soutenir. Il y a quelque chose d’incroyablement passionnant de discuter avec quelqu’un fréquentant d’aussi près les arcanes du pouvoir et habitué aux basses tractations politiciennes. Comme il a conclut lui-même, y compris pour un domaine comme la santé : « it’s all about jobs ». Convainquez un député que votre idée lui apportera des emplois dans sa circonscription, et vous l’aurez dans votre poche. C’est quasiment aussi simple que ça. Autant dire que ça ne se prête pas forcément à des réformes sur le long terme. Bref, Max après une période assez intensive a décidé de quitter son boulot, de lâcher son appartement et de partir un an en voyage.
Martins et Aija, le couple lituanien, qui se trouvent être de jeunes économistes furent également présent lors de ces longues discussions nocturnes. Parlant un excellent anglais à l’accent américain, ils étaient particulièrement agréables et souriants. Il était d’ailleurs surprenant et rigolo de les entendre parfois soutenir des thèses économiques assez libérales, pour des citoyens d’un ancien pays communiste. Il faut dire que le rejet anti-russe doit jouer un rôle dans cette affaire. A côté de cela, ces opinions étaient contrebalancés par un regard positif sur les pays scandinaves, notamment sur leur couverture sociale, abordé lorsque Phil, selon la caricature américaine, c’est insurgé contre le taux astronomique d’impôts en Suède. Venant d’un citoyen du pays qui s’est révolté parce que l’impôt sur le thé était trop élevé, ça n’a rien d’étonnant. Du coup, c’était agréable de constater comme certains pays restent historiquement et culturellement proches malgré des années de séparation lors de la guerre froide. En discutant avec Martins et Aija, je découvre à quel point la Lituanie et les états baltes sont notamment tournés vers la Suède. Au passage, pour les plus intéressés d’entre vous, j’apprend que les derniers calculs de PIB incluent le secteur public. C’est fou, non?
Pour finir sur les « couche tards », parlons de Nick et Jane, un couple de néo-zélandais installés à Sydney dans le quartier de Bondi. Soyons honnête, mon premier contact, timide, avec Nick s’est fait autour du rugby, fatalement. A l’évocation de Toulouse, il m’a tout de suite parlé des deux ou trois All Blacks jouant dans le championnat français. Manque de bol, moi, le championnat français de rugby, je le suis de loin. La conversation c’est donc arrêtée un peu tôt. Fort heureusement, lors de nos discussions du soir nous avons pu continuer un peu à faire connaissance. Le garçon est banquier dans la haute finance. Ah. Mince. Personne n’est parfait. C’est con, pour une fois, voilà un métier pour lequel je n’ai pas particulièrement de curiosité, ou alors pour poser des questions délicates et joyeusement provocantes (Non mais pourquoi t’as choisi ce métier, dis moi ? J’veux dire à part pour l’argent?). Quand à sa femme, Jane, elle met au point des recettes de yaourts pour un gros fabricant. Ah. Mince. Décidément, l’un bosse dans la haute finance et l’autre dans l’industrie agro-alimentaire. Voilà qui n’est pas très « paix et amour ». A part ça, ils sont assez sympathiques et parlent assez lentement avec un accent néo-zélandais que je découvre pour la première fois de près. Quoique, Nick mais un peu moins sympathique lorsque lors d’une dernière soirée (voir plus bas) il nous montre fièrement une photo de sa voiture, une Ferrari des années 80. Il a de la chance que je n’avais pas de smartphone. J’aurais pu lui montrer en retour une photo de mon Opel Astra bringuebalante.
Au final tout ce petit monde est fort agréable même si les liens se tissent plus entre la bande d’anglo-saxons, et notamment entre l’australien et les néo-zélandais. La preuve, ils sont tout le temps à l’avant du camion ou à côté de lui lorsqu’on marche, à papoter avec notre guide. Résultat, vers la fin du tour, j’avais presque peur de les déranger en posant une question à Adam.
Le soir de notre retour à Darwin, après ce lamentable épisode de ratage d’avion, toute cette bande c’est retrouvée dans un restaurant asiatique recommandé par Adam. Les hollandais étaient restés entre eux et les français étaient fâchés (bizarrement, je m’exclus du terme français). Notre guide nous rejoint sur le tard, après avoir du ranger et vider le camion puis essuyer quelques foudres de son employeur, rapport à l’incident franco-aéronautique. C’est donc légèrement sur les nerfs et en demande de bière qu’il s’est lâché gentiment et sauf mon respect sur l’attitude « typiquement frenchie ». Que pouvais-je répondre à cela? J’étais même particulièrement gêné et tentait de prendre timidement la défense d’Emilie et Gustave. Peine perdue.
Vous devez vous dire que tout ceci est vraiment fort gentil et vous devez vous réjouir que je vous décrive mes copains de vacances. En vérité, je garde un souvenir humain de ce tour et notamment de cette dernière soirée légèrement teinté de quelque chose de désagréable. Je crois que c’est du en partie à l’incident de l’avion, mais aussi par un « je ne sais quoi » (en français dans le texte) de malaise dans ma perception du niveau d’intimité entre ces gens. Les deux lituaniens et Phil exclus, que je trouvais vraiment sympathiques et dotés d’un sourire franc, je ne savais toujours pas après ces trois jours et trois nuits (avec le restaurant) si c’était devenu des gens qui m’appréciait et que j’appréciai. Mettez cela sur la soi-disante « hypocrisie » anglo-saxonne, mais il y avait toujours une retenue ou quelque chose de forcé dans nos relations. J’espère pas que c’était du à ma nationalité.