Le train, encore

La visite du Vietnam ne serait pas complète sans un petit trajet en train. Encore une fois je vous rappel que ma vie se limite à dormir, manger et se déplacer. Tous les autres éléments dont je vous narre les faits ne sont que de fâcheuses distractions, notamment cette horde d’homo sapiens sapiens qui ne fait que m’embêter. C’est donc non sans un certain pincement au cœur que je m’apprête à prendre le train à la gare (après avoir décliné l’invitation d’y être déposé en moto par Thuy, l’executive woman) pour quitter la charmante Hanoi. Au programme, un voyage de nuit pour rejoindre la ville de Dong Hoi au sud.

Je me présente donc une heure avant le départ du train à Gâ Hanoi (c’est à dire la gare d’Hanoi ce qui donne un sérieux indice sur l’origine du mot « Gâ ») l’esprit complètement préparé à toutes sortes de complexités, d’imprévus et de contretemps. Sur mon ticket sont très efficacement indiqués le numéro du train (S23), le numéro du wagon ainsi que le numéro du siège. Je part donc à la recherche d’un panneau indicateur pour repérer un numéro de quai, indécrottable habitué de la SNCF que je suis.

Le hall est assez petit et hormis des chaises à un bout où attendent une foule de gens et un stand de confiseries, boissons, chips à l’autre bout, je ne note que deux femmes en uniforme bleu clair assises derrière une table en faux bois, devant le passage menant aux quais. A côté d’elles un grand panneau liste les trains et leurs horaires, mais sans numéro de quais. Pas de panique, j’ai survécu à pire et en plus je suis tout même une heure en avance. Je part donc poser mes sacs et m’assois à une chaise libre de la salle d’attente. Mon cerveau est rapidement captivé par les télévisions accrochées au plafond qui diffusent une boucle d’une dizaine de spots publicitaires que je parvient assez rapidement à apprendre par cœur. De temps en temps, j’entends des annonces dans des haut parleurs mais sans parvenir à en comprendre le sens. Les gens autour de moi ont l’air de les ignorer. Je fait donc de même, et plutôt avec talent, si je puis me permettre.

Une demi-heure plus tard, je me lève pour aller vérifier si aucun changement n’a eu lieu sur un quelconque affichage. Sur le panneau listant les trains je vois marqué une nouvelle indication « 1H » en face du numéro de mon train. Renseignement pris auprès d’une des deux demoiselles derrière la table, il s’agit bien d’un retard annoncé. Je retourne placidement me remettre sur un siège et patiente.

Une heure plus tard, je sens une certaine agitation autour de moi qui s’accroît suite à une annonce incompréhensible en vietnamien. Je me jette donc mes sac à dos sur mon dos et m’insère dans la queue qui s’est formée devant le bureau des deux dames en uniforme. Au dessus du passage menant aux quais un afficheur électronique mentionne le numéro de mon train ainsi qu’un numéro de quai. Pas mal, dites moi. C’est en net progrès par rapport à Mumbai. Mon tour arrivé, je leur tends mon billet. Après un rapide coup d’œil, elle me le rend avec un léger signe d’acquiescement. Vraiment pas mal, dites moi. Au moins comme ça ils évitent que des pauvres étrangers déboussolés se retrouvent à monter dans le mauvais train.

J’arrive donc sur le quai numéro 1 et part à la recherche d’un passage sous-terrain ou une passerelle pour rejoindre le quai numéro 5, où doit se trouver mon train. Il fait nuit mais je ne tarde pas à constater un mouvement de foule vers un bout du quai. Je décide de miser sur l’intelligence collective et suit tout le monde. Nous contournons le train garé au quai numéro 1 puis enjambons à pieds trois voies, au mépris de toutes les règles de sécurité, pour rejoindre le bon quai. Je vérifie rapidement le numéro du train indiqué sur le wagon de queue. C’est bien le mien. Même pas drôle. Au passage, je constate que contrairement à l’Inde, il n’y a ici que deux classes de wagons. Je me retrouve donc avec le quidam vietnamien et ça c’est bien.

Assez rapidement je retrouve mon wagon et avant de grimper tends mon billet à un nouveau préposé en uniforme bleu clair qui me le rends avec un signe de tête positif. ‘Tain, mais c’est a vous gâcher le plaisir de la mésaventure toute cette vérification ! Si on nous enlève toute possibilité de se tromper, elle est où la joie du voyage, mince ?! Tout aussi facilement, je repère mon emplacement en constatant qu’il s’agit d’un wagon couchettes. Cette fois-ci il s’agit d’un modèle relativement simple à six places (deux fois trois niveaux) avec une porte permettant d’isoler le compartiment du couloir, tel les anciens wagons-couchettes français.

Je rentre dans le compartiment, où se trouve déjà une dame autour de la soixantaine assise sur une des couchettes du bas ainsi qu’un jeune garçon assis à côté d’elle. Les deux me sourient et on s’échange des « sin tchao» (plutôt raté de mon côté). Fort heureusement, j’ai hérité de l’autre couchette du bas et pose donc mes deux sacs dessus en dégageant le couloir. Assez rapidement, un homme rentre dans le compartiment et commence à parler avec la dame, suivi d’une jeune femme portant un bébé qui vient s’asseoir à côté de moi sur ma couchette. Tout ces gens ont l’air de se connaître et rigolent entre eux.

Un peu plus tard, La jeune femme me fait un signe en me montrant ma couchette. Étant doué d’une perspicacité décuplée depuis ma conversion à une démarche résolument holistique, je subodore qu’elle me demande si je suis bien à ma place. Je lui réponds donc par gestuelle en lui demandant si, elle, est sur la couchette du haut avec son bébé ? Réponse positive, et avec le sourire en plus. Bon, étant maintenant assez habitué à ce marché de seconde main des couchettes, je lui propose avec force gestes d’échanger nos places. J’imagine bien que ce sera plus pratique et moins casse cou avec un bébé. Avec de grands sourires elle me remercie et je commence à transférer mon barda au dessus. Au passage la vieille dame me remercie aussi avec un grand sourire alors que je manque de m’assommer sur la couchette du haut. Voilà encore quelque chose qui n’est pas dimensionné à l’échelle européenne.

Le train se met finalement en branle et je fini de m’installer aussi bien que je peux avec mes deux sacs à dos. Je vois la vieille dame sortir un tupperware contenant pleins de petites choses rondes qui de loin ressemblent à des pralines verdâtres. Le jeune garçon et la femme au bébé se servent puis, ce que j’estime être la grand mère, me tends la boite avec un sourire en m’invitant à en prendre. Je choisi délicatement une de ces petites choses en lui lançant un « kam eune » (merci selon le Lonely Planet) que j’espère chaleureux mais sincère, avant de le mettre en bouche.

Gloups.

C’est tout bonnement dégueulasse et j’ai beau être drôlement holistique ces temps-ci, je me retiens de le recracher dans le tupperware. Pour la peine, il me vient des envies d’appeler l’ambassade pour re-déclarer la guerre à ce foutu pays d’hypocrites. Rhaaa, la vache, je n’ai jamais goûté un truc aussi ignoble. Non seulement ce machin non identifié à un goût infecte que je tenterai de décrire comme un mélange de crotte de nez et de menthe avariée mais en plus la consistance est particulièrement répugnante. Imaginez un noyau d’olive qu’on aurait enduit d’une solide couche de dentifrice. Ah non et puis ce goût, misère. Mais faut être dangereusement au bord de la famine pour oser manger ça ! Pendant ce temps, bien entendu, la dame me regarde avec un sourire et un petit air interrogatif dont j’identifie très facilement le sens : « Alors, c’est bon ? ». T’as de la chance que je ne parle pas viet’, toi.

Que voulez-vous ? Étant relativement bien éduqué, je lui réponds d’un sourire et avale en interrompant d’urgence toute mastication. Et en plus je me retrouve avec un noyau dans la main maintenant. C’est pratique. Rhhaaa et puis ce goût qui ne veut pas partir même après une bonne rasade de ma bouteille d’eau. J’essaie de demander à la dame le nom de cette saloperie mais je suis à court de gestes. En plus, je préfère ne pas insister de peur qu’elle comprenne que j’en souhaite un autre.

Pour m’occuper l’esprit, je sort mon ordinateur et commence à travailler sur mes photos de Pondichéry. Aaah, ce goût en bouche ! Même ma salive est infecte maintenant. Rapidement, le jeune garçon, intrigué, viens jeter des regards sur mon écran. Je tourne un peu l’ordinateur vers lui pour qu’il puisse mieux voir, ce qui au passage permet à la grand mère d’apercevoir aussi quelques photos. On s’échange des sourires. Allez, va. Je te pardonne d’avoir tenté de me faire vomir. N’empêche que j’ai toujours ce truc en bouche.

Régulièrement des vendeurs de la compagnie de chemin de fers font des allés-retours pour proposer des plats dans des chariots métalliques. Ça aussi c’est un peu plus moderne qu’en Inde où le vendeur se contentait de deux cantines en fer blanc, une dans chaque main. De mon côté, j’ai l’estomac bien calé par un bun (boune) bô pris avant de partir.

Après une nuit sans encombre et à la température quasi polaire (il faudrait vraiment songer à former les gens sur l’utilisation de la climatisation, surtout dans ces pays à la température caniculaire), je me réveille tranquillement vers les 7h du matin, ce qui est depuis quelques temps une habitude. Mes voisins sont encore en train de somnoler et je quitte donc discrètement ma couchette pour rejoindre le couloir et jeter un œil au paysage. Nous traversons des collines couvertes d’une épaisse forêt humide.

Afin de repérer mon arrêt je vérifie l’heure. Nous devrions arriver à Dong Hoi vers 9h30 et il est 10h. Je lève un sourcil. Tiens, tiens ? Il me semble que le précédent arrêt avait eu lieu a 9h donc à moins que ce soit une première mondiale et que le train soit arrivé à Dong Hoi trente minutes en avance sans que j’en sois averti, nous sommes en retard. J’interpelle un agent qui passe en lui montrant ma montre et en éructant un « Dongue Hoï ? » douloureux à ses oreilles. Avec un léger sourire il m’indique 10h30 sur la montre. Nous avons donc toujours notre heure de retard.

Je reprend donc ma contemplation du paysage en essayant de faire abstraction de la musique pop vietnamienne qui vient du compartiment d’à côté et, à en juger par le son, d’un minuscule haut parleur bon marché ou d’un téléphone portable. Quelques instants plus tard, une petite fillette à couettes dans une robe rose sucrée déboule en dansant du compartiment en question. Elle tient dans une main un gros cube noire d’où émane la musique pop, l’autre main étant partie prenante de la chorégraphie. Et pour que ce soit encore plus parfait, sa petite voix aigu accompagne les paroles. Après une toupie parfaitement exécutée elle m’aperçoit qui la regarde avec des yeux ronds. Pas farouche la starlette, elle continue son numéro en me prenant comme spectateur.

De son compartiment, un jeune homme lui attrape le cube ce qui provoque instantanément chez elle un cri suraigu (seules les petites fillettes possèdent cette capacité). Elle lui fonce dessus en lui boxant les cuisses de ses petites mains boudinées, les cris toujours dans les octaves supérieurs. Assez rapidement, il cède en lui rendant le cube musical et c’est tant mieux pour nous tous, l’acouphène nous guettait. De nouveau en possession de sa bande son, la petite fille reprend sa chorégraphie et son chant, comme si de rien n’était. Moi je rigole puis discrètement attrape mon enregistreur numérique, histoire de ne pas effrayer l’animal. Malheureusement pour vous, je crois bien avoir merdouillé l’enregistrement mais croyez moi, c’était charmant.

Je prends ensuite mon appareil photo et tout doucement, tel un photographe animalier, m’accroupis pour la cadrer. La petite bête est à deux mètres de moi mais à la vue de l’appareil s’arrête de danser puis vient se cacher dans son compartiment. Mince ! Tout doucement, je vois une couette dépasser, suivi d’un œil furtif. Tant pis, après quelques tentatives pour l’amadouer, je range l’appareil photo. La starlette reprend alors son numéro. Petite peste !

Pendant une bonne heure, ma petite voisine se défoule sur une playlist de variété vietnamienne dont elle connaît manifestement les paroles et la chorégraphie par chœur. En tout cas, cela met tout le monde de bonne humeur, ce qui tombe bien, car nous arrivons finalement à Dong Hoi avec deux heures de retard.

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