L’arrivée à Hoi An

Entre Hué et Hoi An, deux villes sur la côte, se trouve un très joli relief montagneux et notamment un col, le « col des Nuages », qui marque une frontière aussi bien culturelle que météorologique entre le nord et le sud du Vietnam. Au sud on dit Viet congs et il fait beau alors qu’au nord on dit Viet cons et il pleut. Il fallait bien la faire un jour ou l’autre, celle là, et il me semble que c’était le parfait moment.

M. Tranh de Saint Cloud, Hauts-de-Seine, mon référent pour tout ce qui a trait au Vietnam (car il était particulièrement peu loquace sur l’Inde), m’avait décrit la route comme « valant le détour » avec cet enthousiasme qui caractérise tout les habitants du petit bassin Parisien. Non, là je suis mauvaise langue. On sortait d’un déjeuner de pho (fa) à Toulouse. Il était donc de très bonne humeur et il avait les yeux qui brillaient à l’évocation de cette route malgré une absence, à ma connaissance, d’alcool dans son système sanguin.

J’avais donc décidé de faire le chemin entre Hué et Hoi An par la route, initialement par le bus, pour profiter de ce magnifique spectacle naturel. A l’accueil de l’hôtel Valentine, le réceptionniste m’avait presque convaincu de louer une moto pour le faire mais c’était un malheureux quiproquo. En vérité la proposition consistait à faire le trajet en moto, mais avec moi comme passager. Absolument ridicule. Faire 100 km à deux roues avec un pilote tenant mon gros sac à dos de 45 litres entre ses genoux et moi accroché à l’arrière avec dix kilos de matériel photo au dos, c’était parfaitement impensable.

Vint donc le moment de prendre le bus à Hué pour quitter la ville impériale, un matin vers neuf heures. Je vous évite la narration de l’indispensable transfert en xe om jusqu’au point de récupération du bus mais avec mon gros sac à dos, c’était une nouvelle première. Surtout que je l’avais gardé sur le dos et donné le petit au pilote. C’est une terrible erreur car j’avais du coup les abdominaux terriblement contractés pour éviter de ne pas basculer vers l’arrière. Je me retrouve donc déposé devant une agence de voyage en compagnie d’une grosse poignée d’autres routards.

DSC_5885_DxOAssez rapidement le bus arrive et en montant je constate qu’il s’agit d’un bus couchettes malgré le trajet entièrement diurne. On nous ordonne d’enlever nos chaussures et je progresse dans une des étroites allées nu pied jusqu’à une couchette supérieure qui me semble idéalement placée. Je m’installe comme je peux car, encore une fois, les dimensions ne sont pas idéales pour un européen, aussi moyen soit-il, surtout avec un petit sac à dos à caser quelque part. A part ça c’est assez confortable.

Nous récupérons un peu plus loin un nouveau paquet de gens vietnamiens ou touristes dont une bande de jeunes français du sud-ouest assez vocaux qui ont manifestement la gueule de bois et les intestins en purée. Ça promet. Des fois, on regrette de comprendre la conversation de nos voisins.

Le bus entame le trajet qui devrait durer quelques heures et je commence à observer le paysage, à l’affût dés que la route s’élève. Pour le moment on se contente de traverser les faubourgs de Hué donc ça ne s’élève pas des masses. Je transfert donc mon attention au bout d’une petite heure sur la suite des aventures de Dick Bolitho, maintenant capitaine d’un deux ponts (c’est qu’il n’arrête pas d’être promu le garçon). Encore une fois, la climatisation est mon ennemie. La température de la cabine chute et nombreux sont mes voisins qui comme moi tentent de se protéger du froid. Ça devient vraiment n’importe quoi surtout que je commence à avoir sérieusement mal aux fesses à cause de ma position un peu raccourcie. Bref, pour le confort, on repassera. Pour que l’ambiance soit encore plus parfaite, une de mes voisines écoute de la pop sirupeuse avec son téléphone portable.

Environ deux heures plus tard, où je tente de soulager mes fessiers, j’aperçois des reliefs côté terre et commence à recentrer mon attention sur le paysage. Je sens que ça va être de toute beauté d’autant plus que nous ne sommes pas très loin de la mer que nous apercevons par moment de l’autre côté. Je note avec un peu d’appréhension de gros nuages au dessus des montagnes et malheureusement assez rapidement le temps devient gris. La route s’élève mais le plafond est un peu bas. Néanmoins après un virage à droite, on aperçoit la ville de Da Nang en contrebas, sous les nuages et un petit crachin. C’est déjà pas mal surtout qu’elle est adossée aux montagnes, coupées en deux par les nuages bas, mais je sens que ce n’est pas les conditions idéales.

Nous redescendons donc dans la ville, un des ports principaux du Vietnam, et effectuons un arrêt pour déposer des gens. La pluie s’installe pour de bon. On repart et alors que nous sommes encore dans les faubourgs de la ville, les précipitations s’intensifient pour atteindre un régime tropical. Avec la climatisation à la température arctique, j’ai l’impression d’être un couillon en short et claquettes/ tongues / schlappe / slache / gougoune en plein automne écossais.

La dernière heure de trajet se fait dans les mêmes conditions météorologiques et je commence à me dire que ça ne va pas être simple d’effectuer les deux kilomètres de marche prévu entre l’arrêt de bus et mon hôtel. Ceci dit, ce sera l’occasion idéale de tester la fiabilité de mes sacs étanches. J’hésite.

Finalement, le bus pénètre dans Hoi An et nous lâche sur un terrain vague. Les conducteurs se précipitent dehors sous le déluge pour sortir les bagages de la soute pendant que chacun sort en remettant ses chaussures. Je récupère mon gros sac à dos maintenant plein de boue vu qu’il a été négligemment jeté à même le terrain vague et me le jette sur le dos. Ma décision est prise et je sens que je prend un risque vital.

Je me dirige hâtivement vers un groupe de xe oms sous le relatif abris d’un arbre. L’un des deux s’avance vers moi : « Motobaïque ? ».
– Yes, yes. How much for this hotel ?, lui demande-je en montrant l’adresse.
– 40.
– What ?!
– Yes, rain, dangerous.
– Ok, ok. Go.

Oui, je me sens pas trop de négocier car chaque minute d’attente ajoute environ un kilo d’eau à mon barda. Je lui donne donc mon gros sac à dos de 45 litres pour qu’il puisse se le mettre où il veut et m’éviter une deuxième session de crunchs abdominaux. Je m’installe rapidement à l’arrière, met le casque fourni et lui lance le « Go ! » pour lui signifier qu’il peut envoyer les gaz quand il veut.

Franchement, je crois qu’il y a rien de tel qu’un danger mortel pour se sentir incroyablement vivant. Zigzaguer dans le trafic, certes réduit, mais présent de Hoi An sous un déluge de pluie qui vous gifle le visage, en s’agrippant à une petite poignée métallique, ça a quelque chose de vraiment intense. A vrai dire je n’ai pas remarqué de différence notable entre la conduite de xe om sur la pluie ou sur le sec. En plus je crois bien que j’ai rigolé à un moment donné quand une autre mobylette était à notre hauteur, le pilote également crispé et penché en avant pour s’éviter un maximum de pluie. On s’est regardé tout les deux et on s’est bien marré. Qui plus est, j’ai atteint mon hôtel vivant, mais trempé jusqu’à l’os.

Pour le col des Nuages s’est un peu raté mais je ne regrette absolument pas de ne pas l’avoir fait en moto. Et je vous laisse avec cette superbe double négation.

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