La tombe d’un japonais

Les gens sont formidables. Et certains vietnamiens sont vraiment encore plus formidables que d’autres. Je pourrai vous laisser là dessus et reprendre le court normal de ma vie qui est présentement de manger une pomme mais je ne goûte pas trop à la torture psychologique. Non, moi je préfère la torture physique sur des petits animaux sans défense. Mais je m’éloigne encore du sujet.

Au court de ma ballade à vélo dans les environs de Hoi An (il m’est pénible de devoir subtilement faire un rappel des épisodes précédents donc j’aimerai que vous soyez un peu plus assidus), quelque part vers la fin, alors que je revenais sur la longue ligne droite de la route de Da Nang et que de lourds nuages menaçants commençaient à dominer le paysage, je décidai de prendre un brusque virage à gauche (oui, les lourds nuages menaçants étaient un leurre narratif). La raison en était fort simple : je venais d’apercevoir un nouveau petit chemin de terre qui traversait les rizières et une sorte de petit monument dans cette direction. A partir de maintenant je vais passer le temps de la narration au présent pour que vous soyez encore plus immergé dans l’action qui s’annonce drôlement trépidante.

Je m’engage donc dans le chemin de terre en pédalant, le vélo tout couinant, en croisant un autochtone au chapeau conique qui me hèle. Étant de nature extrêmement ouverte depuis maintenant dix jours, je m’arrête. Chic, une nouvelle interaction avec un de ces sympathiques indochinois, pense-je. J’attends qu’il arrive à ma hauteur et tout de suite me dit, en anglais bien sur (je me permet donc de basculer automatiquement en sous-titrage français pour les moins anglophones d’entre vous) et en pointant son doigt vers l’espèce de monument à deux cents mètres :

« Il y a une tombe d’un homme japonais, là-bas.

  • Ah ?
  • Oui. Homme japonais amoureux femme vietnamienne.
  • Ah ? Ok. Merci beaucoup.

Je repart sur le chemin, cahin, cahan et jette mon vélo à gauche sur l’étroit chemin en béton menant à la tombe.

« Stop ! No ! No ! », crie alors l’homme au chapeau conique. Je freine donc brutalement, enfin, autant que le peuvent mes freins usés et attend qu’il revienne encore une fois à ma hauteur.

« C’est sacré. Vous pouvez pas avec le vélo !, me dit-il

  • Ah, pardon. Désolé.

Il me prend donc le vélo, met la béquille et m’entraîne par le bras sur le chemin. Alors que nous marchons vers la tombe (qui est bien à cent mètres) il commence à me montrer les rizières en m’expliquant qu’elles sont à lui. D’ailleurs, il descend dans une rizière, arrache une touffe de riz et me propose de le prendre en photo. Moi, faut pas me le demander deux fois. Clic.

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Il me propose ensuite de me prendre en photo avec le chapeau conique en train de faire semblant de recueillir le riz. Là, par contre, aucune chance. C’est une idée très bête, si je peux me permettre.

Nous repartons donc vers la tombe et il commence à m’expliquer l’histoire du japonais. Pour résumer, car je ne me souviens plus trop des rebondissements, je ne serai pas dans le faux si je vous disait qu’il s’agit d’une version vietnamienne de « Roméo et Juliette » avec notre homme japonais dans le rôle de Roméo et la jolie vietnamienne (enfin, j’imagine qu’elle n’était pas moche) dans le rôle de Juliette. Le contraire aurait fait encore plus sensation à l’époque.

Arrivé à la tombe, mon guide improvisé qui est très bavard et enthousiaste, me montre une dame courbée en deux dans les rizières en contrebas, en train de trimer.

« C’est ma femme.

  • Ah, bien. Sin tchao.

Je ne sais pas s’il se rend compte de l’image qu’il donne en disant ça mais j’estime qu’un gars qui glande le long de la route et qui amène le premier venu montrer sa femme bosser est un peu fainéant sur les grandes largeurs. Après, je ne suis pas d’ici. Peut être s’agit-il d’une marque de fierté.

J’ai à peine le temps de finir de dire bonjour à sa femme qu’il me reprend le bras et s’agenouille devant la tombe en me faisant signe de faire pareil. Il part ensuite cueillir une fleur de lotus et revient me la donner en m’indiquant qu’il faut que je la place dans un petit vase prévu à cet effet. Moi, je m’exécute bêtement. Ensuite, toujours suivant ses indications, nous effectuons trois courbettes les mains jointes. Qu’est-ce qu’il faut pas faire pour faire couleur locale. Dernière étape du rituel, il me propose de laisser un don monétaire dans un petit orifice dans la pierre. Hihihi, s’il croit que je ne la sentais pas venir celle-là. Je prend mon air le plus innocent possible et sort un billet de 2 kDongs (soit dix centimes. Je sais. Je suis un pingre mais j’aime pas qu’on me force la main).

« Non, non, non !, me dit-il avec force oscillation de la tête.

  • Ah ? Bon, ok.
  • Plus.
  • Ah ben non, moi je le connais pas ce monsieur. Je ne vais pas donner plus.
  • Ok, ok.

Il se lève alors, manifestement un peu énervé et je fais de même. Je le remercie et repart vers mon vélo. Ne me serais-je pas conduit comme un gros rapiat d’occidental incapable d’honorer un défunt en faisant offrande d’une modeste somme monétaire ? Ceci dit, il me semble que les vietnamiens font offrandes de faux billets à leurs anciens, donc là culpabilité, ce sera pour plus tard.

Arrivé à mon vélo, je me retourne pour voir arriver mon guide à chapeau conique courant en petite foulée vers moi.

« L’ami, les temps sont durs ici en ce moment présentement donc il me coûte drôlement et je me sens humilié et sale en te demandant si tu ne pourrais pas te délester d’un peu de ton argent en ma faveur ?, me demande-t-il de manière beaucoup plus simpliste, vous pensez bien. Mais dans l’intention, c’était ça. Mon couillon, déjà t’es un peu fainéant sur les bords et en plus t’es un peu maladroit. Je ne lui dis pas, mais j’y pense drôlement. Je lui réponds : « Ah, bien sur. Tenez. » et lui sort de nouveau mon billet de 2 kDongs.

« Non, non. Plus !

  • Ah ? Ok.

Je remet mon billet dans mon portefeuille et me remet en selle. J’aperçois venant vers nous un autre vietnamien. Je commence à pédaler et mon guide mendiant m’appelle :

« Bon, ok pour 2000 dongs. »

En souriant je m’arrête et sort mon billet qu’il empoche en me remerciant. En passant, le nouveau venu qui est arrivé à notre hauteur rigole et donne une tape sur l’épaule de mon guide avec un mouvement de tête qui semble lui dire « T’es pas croyable » ou bien « T’es pathétique ».

Les deux étant totalement vrais.

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