Il y a des choses qu’il ne faut absolument pas enchaîner car elles sont potentiellement dangereuses dans cet ordre. Notamment, il est fortement déconseillé de tremper ses dents dans un potage brûlant après avoir fait la même chose dans un soda glacé. Ou encore, plonger dans une rivière de montagne après avoir avalé un plantureux repas. Mais surtout, passer quelques jours à Darwin, Territoire du Nord, Australie, après avoir séjourné les deux précédents mois dans des pays surpeuplés peut provoquer des crises d’angoisses et une dépression aigu. Le même risque existe si vous enchaînez directement par Chalon-sur-Saône après Mumbaï, Chennaï ou Ho Chi Minh City. Prenez vos précautions. Dans le cas de Chalon, vous êtes plutôt tranquille tant qu’il n’y aura pas d’aéroport international en Bresse.
Je suis arrivé sur le sol australien un soir vers minuit après une rapide escale au 22ème siècle à Singapour. Instantanément je suis frappé par la taille de mes compagnons de voyages en train de faire la queue aux trois guichets de l’immigration. Me voici de nouveau de taille moyenne. Mince. Je ne suis plus, non plus, entouré par un brouhaha incompréhensible, finalement incroyablement reposant pour mes facultés cognitives. Tout le monde parle anglais et je comprends ce qu’ils disent. Ça fait donc quasiment deux mois que ça ne m’était pas arrivé. Pour le moment, tout le monde tire une tronche d’usager de métro, mais vu l’heure, ça n’a rien d’étonnant.
Finalement, je récupère mon gros sac à dos et me dirige vers la sortie pour emprunter une navette collective que j’avais habilement réservé par internet, vu l’heure tardive : il est quasiment deux heures du matin. Il fait un petit peu frisquet dehors, dites moi ! Un vieux monsieur en short, chemise et grosses godasses de chantier descend du véhicule et m’ouvre la petite remorque pour le bagage. Au passage, je lui donne mon nom et celui de l’hôtel. Pas de problème, il connaît et m’invite à monter avec un sourire et une politesse bien anglo-saxonne. Quelques autres personnes montent à bord et nous partons dans la nuit.
Dans le silence du véhicule, les faubourgs de Darwin défilent. Je devine vaguement de grandes avenues et quelques bâtiments commerciaux en tôle ondulée. Après un bon quart d’heure de route, la navette s’arrête et je repère mon hôtel. C’est en réalité une auberge de jeunesse, ou plutôt un « hostel » comme ils disent ici. J’ai réservé une nuit dans une chambre simple et les trois autres nuits dans un dortoir de 3 lits. Ici, à Darwin, c’est la pleine saison touristique et le moindre hébergement est pris d’assaut à des tarifs qui font frémir, même lorsqu’on ne débarque pas d’un pays en voie de développement comme moi : une chambre dans un hôtel est à 100€ minimum et un lit dans un dortoir avec salle de bain collective autour de 25€ par nuit.
La navette s’en va et je me retrouve seul sur le trottoir, dans un silence nocturne peuplé d’insectes. En face on dirait un parc, mais sinon, je suis surpris pour la faible densité d’habitations. A cette heure-ci tout le monde dort, même à l’accueil. Je me dirige donc, comme convenu par mail, à la porte numéro 6, ouverte, où m’attend ma chambre : une petite pièce de trois mètres sur 1.5m aux murs de parpaings peint en blanc avec un lit simple et un petit lavabo. Côté décoration c’est inexistant. Je paye 50€ pour ça et cela fait drôlement mal à l’arrière train. Surtout qu’à ce prix là, il n’y a pas d’internet. Vaut mieux se coucher ou repartir en Asie du sud-est.
Le lendemain matin, je prépare mes affaires pour me transférer à l’autre hostel pour mes prochaines nuits. C’est aussi l’occasion de marcher un peu à travers Darwin et de tâter le pouls de la ville. Je suit donc la rue suivant l’itinéraire noté. Pas un chat. Ah si, tiens. Ne serait-ce pas une joggeuse là au loin dans le parc ? La bonne nouvelle c’est qu’il fait un grand ciel bleu, un magnifique soleil et la température est parfaite.
Après quelques centaines de mètres je retrouve un urbanisme à l’américaine faite de larges rues perpendiculaires. Quelques voitures les empruntent. J’entends les oiseaux et le vent en pleine ville. C’est complètement flippant. Un ou deux passants suivent les trottoirs. Des petits immeubles d’habitation et des locaux commerciaux, voilà en quoi consiste les constructions. Non, c’est vraiment très étrange. J’ai l’impression d’être dans une ville fantôme.
Finalement, je tombe sur mon hostel. Il est encore tôt mais la jeune à l’accueil accepte de garder mes affaires dans un local en attendant l’heure d’enregistrement, le fameux « check in time ». J’en profite pour aller dans la direction du « centre ville » pour un petit déjeuner.
A l’approche du CBD, comme ils disent ici (j’ai enfin appris quelques jours plus tard que cela voulait dire Central Business District), les magasins deviennent plus rapprochés. Rapidement, je croise un choix plus important de restaurants ou cafés proposant de quoi se restaurer. Les prix me font pleurer. J’ai complètement perdu l’habitude de payer 10€ pour deux tartines, de la confiture et un café. Sinon, côté foule, ce n’est toujours pas ça. Mais bon sang, ils sont où les gens ?
Restauré, je décide de continuer mon petit tour. Je parvient enfin à mettre un doigt sur une gêne ressenti depuis ce matin : tout est trop propre, trop organisé, déshumanisé presque. Pour vous dire, les gens attendent que le petit bonhomme passe au vert avant de traverser les rues. Ils sont décérébrés ou quoi? Il n’y a aucun véhicule, ou presque! C’en est presque angoissant, artificiel, comme une impression d’avoir débarqué dans un quartier de riches retraités bourgeois. Il faut dire que les rares personnes aperçues sont nettement moins souriantes. Sans parler des hommes hyper-baraqués que l’on croise et ces femmes qui font du sport!
Ils sont bien loins mes frêles indiens et l’hyper activité asiatique. Mais pour tout vous avouer, je suis pris d’une terrible nostalgie et, bizarrement, d’un malaise.