Les nombreuses fois ou j’ai du faire la queue à Mumbai (surtout pour des histoires de billets de train), j’ai été surpris par un comportement plutôt récurrent chez mes amis Mumbaiki (je crois que c’est comme ça qu’on appelle des habitants de Mumbai). Vous connaissez sans doute la notion de « distance d’intimité » qui varie en fonction des cultures ou de l’éducation. En France, j’estime à la louche que la distance d’intimité d’une personne est d’environ un mètre. Si on se rapproche en dessous de cette distance, c’est qu’on est drôlement intime avec la personne. Si on s’éloigne c’est qu’on ne veut surtout pas à faire avec lui (ou elle). Donc dans une queue les personnes sont plus ou moins espacées d’un mètre, sauf bien sur s’il y a foule. Au Japon, cette distance doit être plutôt autour de deux mètres. C’est pour dire comme ils sont pudiques.
Et bien a Mumbai (j’attends la suite pour généraliser à l’Inde du sud), cette distance d’intimité est d’environ dix centimètres. Oui, oui. Notez que ce n’est pas forcément ça qui me choque car j’étais au courant de cette variation en fonction des pays mais il faut bien avouer que c’est particulièrement surprenant pour un français de se retrouver avec un indien soufflant dans son cou alors qu’on est deux devant un guichet. Au début je me retournai pour le toiser de mon regard dur de commando légionnaire (celui qui me permet d’éviter les vendeurs et autres faux guides) mais ne voyant aucune malice et constatant que dans les queues voisines les gens étaient quasiment à touche touche, je m’y suis habitué. Enfin, disons que j’accepte qu’on me « colle » mais j’avoue me mettre encore un peu à distance plus respectueuse de mon prédécesseur. Mais encore une fois, tout ceci ne me surprend pas.
La où ça devient un peu spécial, c’est que parfois cette distance d’intimité descend à -40cm, c’est à dire qu’une personne vient carrément se coller devant vous. Quand cela m’est arrivé pour la première fois, je me suis dit qu’il s’agissait d’un mauvais signal que j’envoyai à mes congénères en me mettant un mètre derrière le type de devant, signal corporel qu’ils interprétaient comme étant « je suis en dehors de la queue » vu que pour eux, il y a moyen de caser deux indiens dans mon mètre d’intimité. Mais cette théorie c’est quelque peu fissurée quand j’ai constaté que certains le faisait à d’autres indiens et notamment à des gens qui étaient debout devant le guichet en train d’interagir avec le préposé. Là, c’est le comble. Tu discutes avec un employé des chemin de fer (c’est un exemple, bien sur), et paf, un gars se glisse tout doucement à côté de toi, te pousses gentiment en tendant un formulaire (par exemple un T 524 F) au guichetier. Non mais oh, faut pas se gêner, pense-je dans ces cas là. Parfois il emploi la tactique des petits pas en se décalant touuuuut doucement, de manière imperceptible avant de tendre son formulaire quand le guichet arrive juuuste au niveau de son épaule pendant que toi tu cherches à maintenir ta bouche au niveau de l’hygiaphone alors que maintenant ton buste est décentré de trente centimètres.
Si tu as le malheur de t’asseoir quand l’attente est longue il est également possible que tu te fasses piquer ta place par le type qui était préalablement après toi. Alors, impolitesse ou impatience ? J’avoue n’avoir pas encore tranché la question mais je précise que ce comportement reste encore hors norme, bien que fréquent. Il m’est tout de même arrivé qu’un monsieur m’enjoigne à passer devant car j’étais avant lui avant qu’on s’asseye. Le brave homme. En en plus il m’avait appelé « Sir », le flatteur.
Mais voici un autre cas qui peut également arriver lorsque vous êtes la personne « active » dans une queue, c’est à dire la personne ayant la chance (ou la douleur) de pouvoir interagir avec le guichetier. Cas d’école : vous avez environ quatre indiens bien calés dans le mètre derrière vous (ce n’est pas une contre pétrie) et tout doucement vous les sentez se déployer sur le côté ou sentez une respiration dans le creux de l’oreille (voir des deux pour la stéréo). Il ne faut pas paniquer parce que, soit ils tentent de vous court-circuiter pour glisser quelque chose au guichetier (qui parfois accepte car il doit être puissamment multitâche), soit ils sont extrêmement intéressés par ce qu’il vous arrive et il souhaite juste avoir une meilleure vue et un meilleur son. Notez que ce phénomène peut arriver même si les curieux ne comprennent pas la langue.
Bref, je n’ai toujours pas tranché quand à la nature soit impolie soit ingénue de ces phénomènes. En tout cas, ce n’est pas bien méchant.